mardi 11 août 2015

La Route 66




La route 66

« La nationale 66 est la grande route des migrations. 66… le long ruban de ciment qui traverse tout le pays, ondule doucement sur la carte, du Mississipi jusqu’à Backersfield,,, à travers les terres rouges et les terres grises, serpente dans les montagnes, traverse la ligne de partage des eaux, descend dans le désert terrible et lumineux, d’où il ressort pour de nouveau gravir les montagnes avant de pénétrer dans les riches vallées de la Californie.
La 66 est la route des réfugiés, de ceux qui fuient le sable et les terres réduites, le tonnerre des tracteurs, les propriétés rognées, la lente invasion du désert vers le nord, les tornades qui hurlent à travers le Texas, les inondations qui ne fertilisent pas la terre et détruisent le peu de richesses qu’on y pourrait trouver. C’est tout cela qui fait fuir les gens, et, par le canal des routes adjacentes, les chemins tracés par les charettes et les chemins vicinaux creusés d’ornières les déversent sur la 66. La 66 est la route mère, la route de la fuite.
Sur la 62 : Clarksville, Ozark, Van Buren et Fort Smith, et c’est la fin de l’Arkansas. Et toutes les routes qui mènent à Oklahoma City : la 66 qui descend de Tulsa, la 270, qui monte de Mac-Alester, la 81, de Wichita Falls, au sud, de Enid au nord. Edmond, Mac-Loud, Purcell. La 66 à la sortie de Oklahoma city ; El Reno et Clinton sur la 66, en allant vers l’ouest. Hydro, Elk City et Texola ; et c’est la fin de l’Oklahoma. La 66 traverse l’enclave du Texas. Shamrock, Mac-Lean, Conway et Amarillo la jaune. Wildorado, Vega et Boise, et c’est la fin du Texas. Tucumcari, Santa Rosa et l’arrivée dans les montagnes du New Mexico jusqu’à Albuquerque où aboutit la route qui descend de Santa Fe. Puis la descente du Rio Grande jusqu’à Los Lunas et de nouveau vers l’ouest, sur la 66 jusqu’à Gallup. Et c’est la frontière du New Mexico.
Et maintenant les hautes montagnes. Holbrook, Winslow et Flagstaff sous les hautes cimes de l’Arkansas. Puis le grand plateau qui ondule comme une lame de fond Ashfork et Kingman et de nouveau des montagnes rocheuses où il faut charrier l’eau pour la vendre. Puis, à la sortie des montagnes tourmentées et rongées de soleil de l’Arizona, le Colorado avec les roseaux verts de ses berges. Et c’est la fin de l’Arizona. La Californie est là, juste de l’autre côté du fleuve, et une jolie petite ville pour commencer, Needles, sur le fleuve. Mais le fleuve ne s’y sent pas chez lui. De Needles on gravit une chaîne calcinée et de l’autre côté, c’est le désert. Et la route 66 traverse le désert effroyable où la distance vibre et miroite et où les montagnes sombres hantent insupportablement l’horizon. Enfin on arrive à Barstow, et c’est encore le désert jusqu’à ce qu’enfin les montagnes s’élèvent, les bonnes montagnes, entre lesquelles serpentent la 66. Puis, brusquement, un col, et, tout en bas, la belle vallée, les vergers, les vignobles et les petites maisons et dans le lointain une ville. Oh ! c’est enfin terminé ! »

Les Raisin de la Colère
Chapitre 12
John Steinbeck
1939

Avant de s’embarquer sur cette route mythique faisons place à un petit peu d’histoire.
Au 19ème siècle, les Etats-Unis ne possèdent aucun réseau routier digne de ce nom mais un enchevêtrement de pistes et de chemins. Au milieu de ce siècle, près d’une année était nécessaire pour joindre en diligence ou en chariot les deux côtes atlantique et pacifique. Il était alors beaucoup plus efficace de monter à bord d’un clipper pour relier New-York à San Francisco. La révolution créée par l’arrivée de l’automobile et en particulier de la Ford T accessible au plus grand nombre incita le gouvernement fédéral à mettre en œuvre une politique visant à mettre en place un réseau routier. Car si dès 1869, 3 jours étaient nécessaires pour relier en train Chicago à Los Angeles, le trajet en voiture était une véritable aventure qui prenait des semaines. Une route carossable devenait de plus en plus indispensable pour développer le pays. Le projet fut confié à Cyrus Stevens de Tulsa en Oklahoma qui réussit à fédérer 8 états et le tracé fut définitivement adopté en 1925 sous le nom de US Highway 66. En 1926 les premiers 800 Miles étaient pavés, en 1929 l’Illinois et le Kansas avaient terminé le bétonnage, mais il fallut attendre 1937 pour que le ruban de béton de 2448 Miles soit entièrement terminé entre Chicago et Los Angeles.
Cette route 66  reçut différentes appellations : « Main Street of America », « Mother Road », “Will Rogers Highway »…
Au début des années 30, la sécheresse et les tempêtes de sable frappent l’Oklahoma et l’Arizona, le “Dust Bowl”, ruinant de nombreux fermiers et les poussant à l’exode vers l’ouest, vers la terre promise, la Californie. 3 millions de réfugiés se retrouvèrent emprunter la route 66, dormant dehors, faisant face à un ravitaillement très difficile. Une épopée magnifiquement racontée par John Steinbeck dans « Les raisins de la colère ».
La 66 commence alors à s’équiper et l’inventivité américaine est en effervescence : les premières stations d’essence, les premières stations-services, les premiers motels, les premiers fast food, les premiers drive in, les premiers cafés 24/24, toute l’infrastructure routière aujourd’hui banale fut inventée le long de la 66.
Pendant la guerre la 66 devient l’indispensable voie de transport des troupes qui viennent s’entrainer avec Patton dans les déserts de l’Arizona avant de se retrouver dans le désert Lybien, et du transport d’armes et de matériel de guerre.
Des 1946, les voitures civiles prennent le relais. Une nouvelle vague de migration vers la Californie en plein boom économique est en marche : 8 millions d’Américains se lancent vers l’ouest sur la route 66.
« Get your kicks on route 66” chantent Bobby Troup et Nat King Cole en 1946.

Pendant les années 50 les Américains découvrent les loisirs touristiques et empruntent la 66 pour partir à la découverte des parcs nationaux et des merveilleux paysages le long de son tracé. Le succès est tel que la route est bientôt saturée et devient dangereuse.
Eisenhower, lors de son avancée à travers l’Allemagne en 1945 avait été très impressionné par le réseau d’autoroutes très en avance sur son époque. Après son élection à la présidence des Etats-Unis il lance le programme « Interstate Highway System » et peu à peu la 66 fut doublée par une autoroute plus sûre et plus rapide. Les petites villes disséminées le long de la 66 déclinèrent, certaines devinrent même des villes fantômes.
Au début des années 70, la 66 changea de nature en inspirant le mouvement beatnik, avec camping-cars colorés et fleuris en quête de voyages authentiques, un mouvement  en révolte politique et sociale face à ce nouvel ordre mondial incarné par le réseau autoroutier. Des artistes s’installent le long de la Mother Road, des associations se créent pour sa sauvegarde, la première, Route 66 Association of Arizona est mise en place par Angelo Degadillo, le barbier de Seligman, aujourd’hui âgé de 88 ans qui coupera les cheveux du narrateur comme on le verra plus loin. Des films de légende voient le jour : « Les raisins de la colère », « Easy rider », American graffiti », Bagdad café », « Thelma et Louise », et bien sûr « Cars »-
Aujourd’hui chacun des 8 Etats traversés a son association, le président Clinton fit voter des fonds pour la sauvegarde de la route 66 qui est maintenant classée « Monument Historique national ».
Alors perpétuons la légende, suivez-nous. Nous sommes à Chicago. En route pour LA ! Pas de temps à perdre, nous avons 8 états à traverser : Illinois, Missouri, Kansas, Oklahoma, Texas, New Mexico, Arizona et Californie.



Chicago 

A Chicago, la plus grande ville de l’Illinois, 8 millions d’habitants, troisième ville du pays, la route 66 est encore en devenir. Avant de venir saluer la pancarte « Route 66 Begin » et de  nous élancer au milieu des grandes plaines fertiles, flânons dans la grande cité, cette boîte à courants d’air des bords du lac Michigan.
Si la ville est immense, le centre-ville, Downtown, est de taille humaine et tout à fait « piétonnable ». « Une petite grande ville » en quelque sorte. L’architecture de Chicago et son école propulse la ville aux avants postes de l’architecture moderne dès la fin du 19ème siècle « grâce », si l’on peut dire, à l’incendie de 1871 qui ravagea la ville et permit de repenser complètement architecture et urbanisme. Guide à la main et nez en l’air nous trollons autour du Loop pour un « Architecture walking tour » en égrenant une sorte d’inventaire de Prévert : Chicago Cultural Center de 1897 ; le Carbide and Carbon Building de 1929 pur Art déco revêtu de granit noir poli, de marbre noir et de terra-cota vert foncé ; les deux tours Marina City, sortes d’épis de maïs plantés au bord de la Chicago River, 65 étages d’appartements avec balcon, et une marina pour garer son joli canote au rez-de chaussée, un logement qui conviendrait parfaitement au Captain ; Le Merchandise Mart de 1931  au magnifique intérieur Art Déco ; La Chase Tower and Plazza où les employés du coin grignotent au milieu des jets d’eau leurs sandwichs ou salades diététiques en les accompagnant d’une boisson bien sucrée, pour compenser; l’étonnante Rockery de 1888  au lobby Art Nouveau, mélange de fonte peinte et de verre ; et bien d’autres encore. Mais l’incontournable reste la tour Willis, autrefois tour Sears qui domine la ville de  ses 440 m. Une montée extrêmement douce sans ressentir d’accélération en moins d’une minute (vitesse ascensionnelle 488 m/min !!!). Sur le plateau supérieur, certaines zones du sol sont en surplomb et vitrées. Frissons garantis, avec presque un demi-kilomètre sous les pieds. Pour le captain, la limite c’est la tête de mat.

Chicago River

Marina Towers

Pour se remettre des émotions quoi de mieux qu’une bonne soirée Jazzy au Andy’s Jazz Club où ça swingue dur!
Au coin des rues également ça swingue.

L’architecture Chicagoane vue par un piéton c’est bien mais vue depuis le pont d’un bateau descendant la Chicago River, c’est nettement mieux et tellement plus reposant pour les hanches et autres rotules… et sortir « en mer » sur les eaux du Michigan pour jouir d’une vue générale sur cette forêt d’acier et de verre, arbres futuristes noirs, bleus, dorés, immenses façades où funanbulent des petits hommes oranges suspendus à des nacelles, que l’on entend d’ici téléphoner à leur femme « Chérie je fais les vitres, je rentre dans un mois ».


Au cœur de la ville, Grand Park et Millenium Park apportent ce ballon d’oxygène si nécessaire aux citadins stressés. Ici tout est ludique pour  se détendre et faire sourire. Une autre retombée heureuse du grand incendie de 1871. Grand Park, c’est tout simplement l’accumulation des débris du sinistre jetés dans le lac. Statues insolites, pièces d’eau ou piétinent les enfants, haricot géant en inox poli où se mirent, déformés, passants et gratte ciels voisins, salle de spectacle mi-intérieure mi-extérieure aux formes sans forme dont seul Gehry a le secret. Pas de gradins, seulement une pelouse inclinée face à une scène surélevée, un remake de Woodstock.

 

Très vite, en un jour ou deux, le voyageur s’approprie la ville, prend ses repères, enregistre les orientations, prend même des habitudes. Au petit matin, car le décalage horaire est-ouest est encore vivace, cap au sud sur Dewitt Street suivie de Fairbanks où, au 620, le West Egg café nous accueille pour un solide petit déjeûner du genre « on saute le déjeûner !». Descente au bord de la Chicago River à la hauteur du Michigan avenue Bridge pour marcher à fleur d’eau, le long du « Riverwalk », une superbe réalisation récente, un autre poumon pour la ville. Piétons, cyclistes, planches à roulettes profitent du tracé boisé, ondulant entre les ponts. A la hauteur de Clark avenue la promenade poétique fait place à des marteaux piqueurs, une seconde phase est en cours de réalisation qui en doublera la longueur l’année prochaine. En attendant le fin des travaux, allons faire un tour sur l’incontournable Michigan avenue, le Magnificent Mile, les Champs-Elysées locaux. Mais les boutiques de luxe ne sont pas  vraiment notre truc. On se limitera à une incursion chez Garmin pour acheter un navigateur GPS et un téléphone Pre-Paid chez AT&T, car le départ sur  la Route 66 est pour le surlendemain.









Les kilomètres, pardon. Les miles, parcourus à pied dans Chicago commencent à nous rappeler que nous ne sommes plus des teenagers et que superposer un voyage en avion de 10 heures un décalage horaire de 8 et battre la semelle à longueur de journée sur le Macadam de la ville est peut-être un peu trop.
Tiens ? Qu’est-ce que l’on fait cette après-midi ? Si on allait au Navy-Pier si chaudement recommandé par le gardien de la bibliothèque municipale. En avant pour le Navy-Pier. Imaginez une langue de terre qui s’avance dans le lac, une sorte de quai sur lequel sont plantés des hangars hétéroclites, peu accueillants, affichant halls d’expositions, musées, jeux pour enfants salles de conférences. Intrigués vers l’extrémité de la digue nous rentrons dans un de ces halls manifestement prévus pour des conférences. D’immenses couloirs déserts mystérieux,  kafkaïens, de temps à autre un individu pressé, dossier sous le bras sort d’une porte, fait quelques pas et entre par une autre porte. Aucune indication, aucune direction. Plus loin une séance de coaching du genre « Devenez les meilleurs vendeurs de moutarde du Pays » ou plus loin « Séminaire : Comment améliorer votre façon de prêcher ». suivi de dizaines de salles vides. Plus loin encore trois hommes en costard-cravate-attaché case dissertent. Peut-être le thème de la conversation est-il « Comment être plus top que top ». A l’extrémité d’une immense salle entièrement vide, un minuscule kiosque marqué « Information ». « Bonjour mademoiselle pouvez-vous nous indiquer les activités les plus intéressantes en ce moment sur la Navy Pier ? » « Oh, en ce moment il n’y a pas grand-chose, peut être prenez un bateau pour faire un tour sur le lac, ou alors il y a l’I-Max » L’hotesse était ravie de pouvoir enfin converser avec quelqu’un… Pour mémoire signalons que cette Pier mesure 2km sur 500m ! vers la racine de la jetée un I-Max et des manèges. 

Chicago waterfront
Depuis une heure ou deux la situation commence à se détériorer. Catherine est littéralement épuisée, s’arrête et s’assied sur tous les bancs visibles et surtout tousse beaucoup. Retour à l’hôtel.
La nuit fut épique. Une toux continuelle impossible à stopper. Au petit jour la situation est critique. Catherine a perdu sa voix remplacée par un gazouilli du niveau sonore équivalent à celui d’un oisillon tombé du nid : un « tui-tui-tui » suivi d’un « arrgh-arrgh ». En mettant mon oreille contre sa bouche je réussis à distinguer « Je…. veux…mourir ». Là, les choses se précipitent. Habille-toi nous allons voir un médecin.  Descente à la réception sélection d’un bon hôpital. On me conseille le « Rush » « The best in the country !». Taxi. Une demi-heure de trajet qui parait éternelle. Entrée aux urgences du Rush Hospital. A partir de ce moment l’organisation et la qualité américaine entrent en action.
Formalités d’entrée réduites au minimum, prise en charge dans une première salle par une infirmière chef pour les analyses de base, sang, capacité respiratoire, tension… Seconde salle, intervention d’une interne « I am Sarah. Fellow resident at the Rush Hospital ». Questionnement. Réponses de Catherine “Tui-tui-tui arrgh-arrgh” et traduction de Ge. Intervention d’un radiologue avec appareillage X mobile. Intervention de l’urgentiste en chef. Diagnostique: combinaison d’asthme, d’allergie aux nombreux pollens en suspension en ce moment à Chicago, le tout superposé à un refroidissement. Pas de problème aux poumons. Ordonnance avec au programme un traitement de choc qui va transformer Cat en zombie mais la remettra sur pieds en trois jours.
Bravo la médecine US. Mais le choix du Rush était excellent : “Named a top U.S. hospital by U.S. News & World Report, Rush University Medical Center is one of Chicago's finest academic medical centers”.
Rassurés la Route 66 revient à l’ordre du jour.

La route

En guise d'amuse-gueule, un petit aperçu de la 66: 

 


L'illinois



C’est l’heure du départ, Cat dort dans le lobby de l’hôtel, la Camaro cabriolet gris métallique est garée devant l’entrée, Ge charge les bagages, le Garmin est mis en marche direction Pontiac.
Aujourd’hui, pas question de tourisme sur la route 66. Cat flotte entre deux eaux et somnole blottie au fond de son siège baquet, matraquée par son traitement de choc. L’objectif est de la mettre au lit au plus vite à Pontiac au B&B « Three Roses ». La route 66 est gommée au profit de la directe et rapide autoroute I55. La platitude des paysages est totale. La Camaro taille sa route au milieu d’une gigantesque plaine recouverte de loess très fertile, fines particules glacières un rêve pour tout agriculteur- Les céréales alternent avec les prairies ou des champs de pommes de terre à l’infini.

Le grenier de l'Amérique
 « Tui-Tui-Tui-Arrdg-Arrgh » traduisez « On arrive bientôt ? » Encore une demi-heure.
Le petit cottage « Three Roses » est devant nous, boisé et  blanc, quelques marches pour accéder au perron, la porte s’ouvre sur Sharon un moulin à paroles intarissable, mélange de gloussements, d’onomatopées et de grimaces adressés tantôt à nous mais surtout à son affreux chihuahua, dont on demande l’avis à toutes les fins de phrases, son associé en quelque sorte. Le chien ayant donné son approbation nous pouvons enfin entrer et prendre possession de la chambre la plus kitch jamais découverte en quarante années de voyages. 

  
Three Roses B&B
Au fond du gigantesque lit et au milieu des fanfreluches, Cat récupère.
Moquette à fleurs, papiers peints à fleurs, pas les mêmes fleurs bien sûr, lourds rideaux moirés, trois couches au moins, bric à brac hétéroclite assemblant meubles de gran-ma, tableaux bien-pensant de gran-pa pasteur, à la gloire du Christ, Psaumes enluminés, bibelots en nombre, de quoi alimenté le marché aux puces local plusieurs dimanches de suite… Dommage Cat dort et ne profite pas du décor.
Ge tente une incursion dans le centre de Pontiac à cent mètres à peine du B&B. Une place carrée entoure l’hôtel de ville qui fait aussi office de palais de justice. Quelques gros pick-up colorés et flambant neufs rappellent la vocation agricole de la région, pas du tout le genre « Nous autres, pauvres paysans ». Une grosse Honda Goldwing se gare devant la mairie. C’est le shérif, étoile rutilante, colt 38 à la ceinture, Ray bans « aviateur », mais… pas de casque ! M’enfin! Les Ray bans protègent très bien, c’est bien suffisant ! Assis devant sa Sam Adams, Ge savoure l’Amérique profonde.
Sharon et son affreux chien agitent leurs mouchoirs sur le perron. La Camaro tente une première incursion sur la 66. Alternance entre les tronçons originaux 1926-1940 et les plus récents 1940-1970, les premiers du genre « départementale » et les seconds plutôt style « nationale ». Souvent, la route longe la route d’origine désaffectée aux dalles de béton mangées par l’herbe. Les haltes sont oubliées. Cat commence sa convalescence comateuse.

Mother road 1926
 
Controle de la route dans les années 30
Station 1930
L’étape est heureusement courte jusqu’à Springfield où nous attend le très confortable 66 Motel and Conférence center. A peine la Camaro garée et les bagages déchargés, Cat est au fond de son lit et dort comme un bébé. Les médicaments du Rush hospital sont vraiment redoutables.
Ge part en reconnaissance, à la découverte de Springfield, la capitale de l’Illinois- eh non ! Ce n’est pas Chicago – la ville du grand Lincoln, le président de l’abolissement de l’esclavege. Si vous ne le savez pas en arrivant, rassurez-vous, au bout de 15 minutes vous serez au courant.

Chez Abraham Lincoln

La cuisine de Mary Lincoln
L’hôtel ou motel, le 66 est un hymne à la route mythique, un musée avec de vieilles carcasses dont une belle Ford T, de nombreuses photos de l’époque héroique, un resto, remake des années 50 avec dalles noires et blanches, sièges en molesquine rouge, sur cadre en inox poli et un bar et quel bar !

Resto 66 années 50
Ce bar est vaste, sombre, cerné de 8 écrans de télé où un match de hokey fait rage, des jeux de fléchettes, des Juke Box, des machines à sous, un comptoir aux multiples distributeurs de bière, une bar-maid, le décor est planté.
Peu à peu la rétine accomode sur une quarantaine de clients d’une espèce inconnue de notre côté de l’Atlantique. Une société en surpoids. Une vingtaine de femmes affichant sur la balance entre 100 et 200kg habillées sans complexe de mini-jupes, décolletés plongeant sur des lolos monstrueux, pantalons moulant des fessiers énormes. Un couple de motards, deux montagnes carnées, se caressent en discutant avec un autre couple aussi enveloppé qu’eux. Leur rutilante Harley trois roues est parquée juste devant la porte. Une rousse, sans doute fière d’être redescendue en dessous de la barre des 400 lb pousse de retentissants gloussements. Eclats de rires de toute part. Chaque nouvel arrivant est serré sur le cœur avec dans le regard un « on t’aime comme tu es ». Les déplacements sont chaloupés, les jambes lancées à 3o deg de la trajectoire du buste pour éviter le frottement des cuisses, un coup à gauche, un coup à droite. Le surpoids ? Tout le monde s’en fout !
Aux machines à sous two black women jouent leurs derniers quarters, ceux qu’elles ont oubliés de donner à leur cher pasteur évangélique qu’elles ont honoré cette après-midi à l’occasion de son 70ème anniversaire. Il fallait bien verser une obole pour ce saint-homme qui roule en Hummer.
Tombés d’une autre planète, deux joggers filiformes à la tête d’éternels universitaires, font leur entrée dans le bar essouflés et transpirants et commandent deux verres d’eau.
La planète est diverse.
Cat sort tranquillement de son coma médicamenteux. Meilleur regard, meilleur souffle.
Cap est mis sur Springfield downtown et son incontournable pèlerinage à la maison d’Abraham Lincoln. Au Visitor Center une Ranger blonde aux yeux de porcelaine prend en main le groupe de 9.40. Deux Helvètes au milieu d’une douzaine d’US Citizen, très émus de visiter la maison du grand président dont tout le monde se rappelle l’éternel haut de forme. Sharon avait sûrement visité et piqué quelques idées de déco pour son « Three Roses ». Si nous trouvons cet intérieur fin 19ème déprimant et austère, notre voisine pousse des « I love it ! I love it ! ». La cuisine où œuvrait Mary Lincoln en toute simplicité est très exiguë. La même voisine s’exclame « Mais comment faisait elle pour préparer des repas pour 50 personnes dans une si petite cuisine ? Moi, quand j’en reçois 5 je suis paniquée et ma cuisine est immense ! ». Cuisine exiguë, claustrophobique, manque d’air. Cat défaille. Ge la rattrape de justesse. Allongée sur un banc à l’extérieur, tout le monde s’affaire. La Ranger apporte des bouteilles d’eau fraiche, une assistante médicale propose ses services, Lincoln sort de la maison et demande s’il peut faire intervenir des médecins éminents – non, là, j’exagère ! Une demi-heure et une boisson tonique plus tard, la Camaro reprend le cap du sud-ouest, Cat bien calée au fond de son siège baquet, air-conditionné salvateur en marche.
A Mount Olive, autre pèlerinage, plus gauchiste, plus engagé, sur la tombe de Mary Harris Jones cette syndicaliste du 19ème siècle qui défendit le droit de grève des mineurs et se battit contre le travail des enfants. Toute sa vie le poing levé, elle mourut à 100 ans. La révolte ça conserve comme aimait rappeler Stephane Hessel : « le motif de la résistance c'est l'indignation ».


A la sortie de Staunton, tous les guides sur la 66 vous le diront, ne manquer pas le Henri’s Rabbit Ranch, une sorte de bric-à-brac entassé au fil des ans par un couple de fana de la 66. Le couple n’est plus là et le « musée » ressemble plutôt à une décharge. Un couple en Harley passe en pèlerinage et rigole, nous aussi.

Chain of Rocks Bridge
Autre endroit mythique de la route 66 en Illinois, Le Chain of Rocks Bridge, pont sur le  Mississipi à proximité de Saint-Louis  . Son côté est se trouve enIllinois, et sa rive ouest au Missouri. Construit en 1936 en poutrelles d’acier, ce pont de un mille de long et 7 mètres de large a la particularité de présenter en son centre un angle de 22°, un compromis entre la difficulté de navigation sur le Mississipi et profiter au mieux du sous-sol rocheux. Ce choix architectural se révéla dangereux à l'usage, et a provoqué de nombreux accidents. 

Flashback

Il a été remplacé par un nouveau pont appelé "New Chain of Rocks Bridge" construit en 1966. Restauré et classé Monument Historique en 2006, Le Chain of Rocks Bridge n'est depuis accessible qu'aux piétons et cyclistes alors, profitons-en, admirons ce treillis de poutrelles qui a dû faire plancher quelques ingénieurs sur les méthodes de Cremona ou de Cullman, marchons en imaginant les Ford, Chevrolet et De Soto en file indienne vers la fin des années 30. Sous le tablier, l’imposant Mississipi, paisible d’apparence mais puissant, frappe les piles, les contourne. Aujourd’hui calme en attendant sa prochaine crue en furie.

Le Mississipi

 
Le Missouri


Il paraît que Missouri en langue  Sioux signifie « pays des grandes pirogues », grandes, normal sur le grand fleuve. Un état plus accidenté que son voisin l’Illinois de l’autre côté du Mississipi, vallonné, boisé comme nous allons bientôt le découvrir.
Au bord du grand fleuve, Saint-Louis, la porte de l’ouest, le point de départ des pionniers vers le Pacifique symbolisé par le Gateway Arch, une grand arche de 192m de haut, en inox poli, posée au bord du fleuve que nous découvrons à travers la baie vitrée de notre chambre au 14ème étage. Son architecte ? le Finlandais Saarinen, celui-là même qui dessina les meubles tulipés diffusés par Knoll. Vous pouvez voir des exemplaires de ces meubles dans deux endroits prestigieux de la planète : notre cuisine et le musée d’Art Moderne de New-York. Sur les eaux limoneuses glissent de gigantesques trains de barges qui s’essoufflent en repoussant le courant. 

Gateway Arch

 


Saint-Louis affiche une histoire mouvementée : créée en 1763 par Pierre Laclède, un Français, la ville devient espagnole puis à nouveau française en 1800. Trois ans plus tard, Napoleon vend pour 15 millions de dollars toutes les possessions françaises en Amérique au jeune Etat … pour financer ses campagnes militaires… près d’un tiers de la surface des Etats-Unis … c’est malin !
Ce matin Cat va mieux plus le petit oisillon tombé du nid, pas encore La Calas, mais le matracage Rush a remarquablement fonctionné. La Route 66 se profile à nouveau rosy.
 En parcourant les rues de la vieille ville aucun dépaysement : rue des Granges (beaucoup moins select que celle de Genève),  rue de l’Eglise, rue Royale…
C’est de cette ville tout juste américaine, en 1804, que part la célèbre expédition menée par Lewis et Clark, première traversée  du pays, de Saint-Louis au Pacifique dont nous suivons leurs aventures en détail dans l’ancien palais de justice de la ville, l’Old Courthouse, transformé en musée.
C’est dans ce palais de justice que se déroula un des plus célèbres procès concernant l’esclavage. En mai 1857, la cour suprême des Etats-Unis prenait une décision extrêmement controversée, après des années de procès et d’appels. Dreg Scott réclamait d’être affranchi au nom de l’abolition de l’esclavage dans d’autres états. L’argument était qu’un noir, affranchi ou esclave, n’étant pas citoyen américain, n’a pas le droit d’intenter un procès. Quatre années plus tard c’était la guerre civile, la guerre de Sécession qui amena l’abolition de l’esclavage. La cour suprême américaine considère toujours aujourd’hui cette décision de justice comme une honte. Petites revanche, les statues  en bronze de Dreg Scott et de sa femme Harriett sont bien évidence devant le palais de justice.

Dreg Scott et sa femme Harriett
 
Dans l’imaginaire, entretenu par tellement de films, Saint-Louis c’est aussi les voyages en bateau à roue à aubes sur le Mississipi. Hélas nous ne pourrons pas jouer au poker contre Tyrone Power le « Mississipi Gambler », les bateaux sont à quai, trop de courant, trop de troncs d’arbre à la dérive. Nous nous contenterons d’un mauvais sandwich dégoulinant  « tache-tout » dégluti sur un ponton branlant.

A quai en attendant la baisse de la crue
Mais en plus, last but not least, Saint Louis est une ville qui compte en matière de blues, le fief de musiciens de tout premier plan : Peetie Weethrow et Lonnie Johnson dans les années 30, Chuck Berry et son fameux pianiste Johnnie Johnson dans les années 50/60 puis Albert King sans oublier  Tina Turner. Aujourd’hui quelques vétérans comme Big George Brook, Arthur Williams sont toujours là. Alors Cat et Ge partent s’encanailler au BB's Jazz, Blues and Soups… en taxi, non pas parce que Saint-Louis est la ville  la plus chaude des Etats-Unis (5 fois plus de crimes par tête d’habitants que la moyenne nationale), ça on l’ignore encore, mais pour soulager les jambes après cette journée de footing. Le taxi se gare devant le 700 S. Broadway. Sur le trottoir vautrés sur des chaises qui ont probablement connu la guerre de Sécession, des individus un peu glauque, l’œil vitreux, « Il te reste encore un peu de moquette, mec ? ». Le genre affranchi et décontracté, nous poussons le porte de la boite. Sympa.  Un bar qui n’en finit pas. Peu de tables occupées.  Une belle table près de la scène nous tend les bras. « Hi guys ! ». La cuisine sera Cajun. Au bord du Mississipi. Le rêve. Le groupe déjanté arrive en portant un piano droit de la même époque que les chaises de l’extérieur. Piano, contrebasse et batterie. Trois musiciens de Caroline du Nord  qui font la route avec New-Orleans en point de mire. Le pianiste joue la plupart du temps debout, lève les bras à la verticale pour avoir plus d’impact sur les touches. Le piano ne tiendra jamais le coup jusqu’à New-Orleans ! Pas exacement le Blues du Mississipi attendu. Enfin, quand on habite Saint-Luc tout passe à Saint-Louis.

BB's Jazz, Blues and Soups
Avant de quitter notre hôtel élégant, un petit mot sur le petit déjeuner et sur « le grand vortex ». Une salle sans âme, un buffet anémique, des assiettes en sagex , des tasses en carton, des couverts en plastique. S’affaire une femme de ménage qui passe son aspirateur entre les pieds des clients, qui s’échinent à couper leur toast avec leur couteau pour dinette d’enfant. Notre voisin et son fils, qui chacun affiche 200kg sur la bascule, vont surement casser le matériel ! Changement de décor, la caméra plonge au milieu du Pacifique nord : un immense vortex de déchets s’est créé également connu sous le nom de « soupe plastique», « septième » ou « huitième continent » ou encore « grande zone d'ordures du Pacifique ». Plusieurs fois la surface de la France, 1 million de pièces par km2, une couche épaisse  jusqu’à 30 m, voilà le résultat  des 275 millions de tonnes de déchets plastique produits annuellement par 192 pays, dont environ 10 millions de tonnes sont déversés dans les océans. Au milieu de notre salle de petit-déjeuner trône une poubelle qui récolte nos assiettes, tasses et couverts jetables, en route pour le grand vortex. Ca fait froid dans le dos. Pauvre planète.
C’est le moment de prendre la route et d’aller découvrir le Missouri. Aujourd’hui la 66 nous conduira à Cuba,  pas l’ile mais la petite ville du même nom.
Du parking de l’hôtel sortent en même temps que nous une Corvette vintage et une Mustang, deux voitures au profil typique « Route 66 ». Notre Camaro leur emboite le pas en se disant, voilà une façon simple de sortir de la ville et de retrouver la Mother Road. Grave erreur ! Ces deux voitures participaient à un rallye le long du Mississipi. Demi-tour. Sur les autoroutes qui ceinturent Saint-Louis, le rythme est infernal, lancés à 120km/h de monstrueux semi-remorques de 40 tonnes nous prennent en étau, bouchant la vision des panneaux. La voix du Garmin « prochaine sortie dans 200m » oui, mais comment se rabattre au milieu de ces monstres. Le cerveau est en ébullition. A Allenton juste après Eureka, retour bienheureux sur la paisible et bucolique Route 66. Peut-être une façon de découvrir comment la qualité de vie s’est dégradée


BD, westerns, nous avons tous croisé à un moment ou à un autre Jesse James, le hors la loi légendaire. A partir de 1867, pendant 15 ans, Jesse et sa bande  vont vivre d’attaques multiples de banques, de diligences et de trains. En 1882 il meure à 35 ans assassiné par Robert Ford, un membre de sa bande. Fin de l’histoire… jusqu’en 1951 où au seuil de la mort un certain John Frank Dalton avoue être le vrai Jesse James et que l’homme assassiné en 1882 était un autre. Ge et Cat veulent en avoir le cœur net. Une seule adresse, le Jesse James Museum, à Stanton, le long de la route 66. Accueilli par une sorte de Buffalo Bill tout juste tombé de son cheval, nous entamons la visite du musée à la gloire du héros. « Alors où est la vérité ? » « Nobody knows !» réplique Buffalo Bill. Aucune progression sur la voie de la vérité…
 

A 3 Milles, les Meramec Caverns, un haut lieu touristique de la route 66, en plus d’une planque pour les armes de Jesse. Malgré tout le tintamarre publicitaire, nous resterons en surface. Les « tites » et les « mites », ce n’est pas notre truc. A la spéléo nous préférons les cimes enneigées.
Cuba, c’est la ville aux peintures murales, véritables fresques d’évènements historiques locaux ou nationaux, souvent pleines d’humour. Mais c’est surtout le lieu d’un des motels cultes de la 66 : le Wagon Wheel Motel. Construit en 1934 en pierres d’Ozark, il vient d’être rénové en 2011 par Connie, une femme au fort caractère, un peu grognon, mais, il en faut du caractère pour rénover ce que l’on continue d’appeler le meilleur Motel de la route 66. 2011, 75 ans de service sans interruption. Remarquablement construits en pierre de taille par un maçon originaire de Hongrie, ces bungalows sont indestructibles.

 

Waggon wheel motel en pierres d'Ozark
Peintures murales de Cuba
Au saloon voisin la pierre fait place au bois brut,  cèdre rouge taillé à la varlope par un autre original, Dennis Meiser, tout sort de ses mains, escaliers, mezzanines, tables, chaises…  En plus, pendant ses périodes « cuistot », il fume la viande pendant 12 heures avant de daigner la servir à ses clients, accompagnée d’une de ses sauces à la recette secrète. Sa spécialité, la viande de bison fumée.
Les pierres d’Orzark dorent au soleil couchant. Quand à nous, nous allons dormir dans la chambre de Marylin.

 
La chambre de Marylin
« Connaissez-vous un endroit sympa pour un pti dej ? » Désabusé, le pompiste  appuyé contre son mur, lève les yeux, vers ce touriste au drôle d’accent et me dévisage. « Pas le genre MacDo » je suppose » ? « Exactement ! » « Alors en haut de la côte à droite, la Huddle House ! ». Une bonne adresse ! Café rétro typique années 50, dalles noires et blanches au sol, tables en formica briquées, sièges en molesquine rouge cerclés de tube en inox poli, une Packard blanche du même age stationnée devant la porte, des serveuses assorties à la molesquine. Le « pti dej » route 66 typique !

la Huddle House

 A la sortie de Cuba, arrêt photo pour immortaliser la plus grande chaise du monde. Que ne ferait-on pas pour arrêter les touristes qui inévitablement pousseront la porte du magasin de souvenirs. Une douzaine de Harley se garent suivies d’un petit camion atelier. Une équipe suédo-norvégienne en route sur la 66. Une organisation typique Harley : on loue les motos à un bout et on les rend à l’autre. Tout ça avec accompagnateur et mécano.

La plus grande chaise à bascule du monde
La 66 suit la 44 à la manière du sous-préfet aux champs, musarde en forêt, traverse des vignobles, se transforme en route à 2X deux voies revêtue de dalles en béton, puis, change d’époque avec un flashback en 1930. Dans un virage, le redoutable Devil Elbow, le pont sur la rivière Big Piney, un autre passage obligé de la Street of America. Encore un pont qui vit passer nombre defamilles en vacances. Le bistrot où, dans les années 50, les enfants venaient siroter leurs limonades bien sucrées est fermé et, bien que délabré, affiche « Ouverture le dimanche de 12.00 à 20.00 » Mais depuis quand est-ce écrit ? Ne faudrait-il pas peut-être pour commencer par remplacer les carreaux cassés ?

  
The Devil Elbow
 Souvent tout repose sur les épaules d’un idéaliste. Il disparait et son œuvre avec lui. Plus loin, à Rolla le musée de l’automobile, réputé pour ses pièces rares a aussi fermé. Le propriétaire-créateur vient de décéder d’un cancer. Et personne pour prendre la suite. Ephémère, toujours.
Ce matin nous quittions Cuba, bientôt,  ce sera Lebanon, le Liban. La Camaro dévore vraiment les Milles, pour l’instant, plus modestement, dans la forêt domaniale de Mark Twain.

Années 50

 Lebanon et son motel icône, le Munger Moss. En 1930 la famille Munger Moss quitte son café près du Devil Elbow, oui, le bistro fermé que l’on vient de quitter, et s’installe à Lebanon. En 1946 ils créent leur Motel au bord de la 66. Depuis 1970 Bob et Ramona ont pris la suite  et entretiennent impeccablement ce vénérable témoin. Au mur, dans la chambre, de multiples souvenirs de la Mother Road, sa construction, les personnalités de passage etc. L’accueil est chaleureux dans la plus pure tradition du voyageur que l’on honore. « Bob raconte à Monsieur que tu es Suisse » « Mon grand-père était un Schneider et ma Grand-Mère une Ritz, mais je ne me souviens plus très bien de quelle ville de Suisse » « Mais enfin, Bob, c’est Berne ! » Le sympathique couple, aux commandes du motel depuis 45 ans jette l’éponge. C’est affiché :  « Cherchons repreneur ». Si vous êtes intéressés je vous donne l’adresse ! Nous, on reste à Saint-Luc !


Au Munger Moss Motel, une chambre musée
Pour finir la journée, un tour au musée de la 66, une visite au magasin Harley Davidson, un des plus grands du Missouri pour admirer les rutilantes mécaniques, auxquelles nous ne succomberons pas en nous contentant d’acheter un T-shirt et une casquette. En général il est bon de finir une journée suivant l’expression «  en beauté » eh bien au Midneck Steakhouse, pourtant recommandé par Ramona, ce ne fut pas le cas avec dans nos assiettes un « Pork Ribs to share ». Oh my god, il aurait fallut être 8 pour en venir à bout !


 Chez Harley à Lebanon
Le départ du Munger Moss est émouvant. Ramona, la propriétaire vintage, sert Ge sur son cœur, ou plus précisément sur sa poitrine, comme on le faisait sans doute dans les années 60, quand les routes étaient encore imprévisibles « You hit the road ? » « Yeah ! » « Have a good one ! » Et que j’te presse et que j’t’écrase. Souffle court, Ge rejoint le siège baquet de la Camaro.
A la caisse du Elm street Eatery en réglant le pti dej, un retraité m’interpelle pointant le crocodile sur mon polo Lacoste « Quelle est la signification de ce crocodile ? » « Oh, c’est simple je fais partie d’un club de chasseurs aux crocodiles » Les yeux exorbités furent accompagnés d’un « Whaoooo ! » retentissant. Je fis forte impression. A une table voisine,  une blondinette fragile, flic de son état, mange un muffin en caressant son colt 38. On regagne discrètement la voiture.
Route départementale souvent, 66 des années 30, quelques passages en dalles de béton, des ponts « Eiffel » à la rouille sympathique, des stations d’essence qui ne sentent plus le précieux combustible depuis bien des lustres.
La guerre de Sécession, la guerre civile, comme on dit ici, de bataille en bataille, Wilson Creek, Carthage, Springfield racontés au fil des musées des villes de ce Missouri qui avait bien du mal à trancher entre les nordistes et les sudistes esclavagistes. Villes sans début ni fin, sans centre – pour savoir où est situé cet introuvable centre, il suffit de trouver l’intersection « Main Street » et « 1st Srtreet », c’est là. C’est comme ailleurs mais c’est là ! Alignements de Malls, d’enseignes publicitaires, de stations-services, de points de vidange, de marchands de pneus discount, de parking bondés de voitures d’occasion. Inutile de lancer « Mon brave pouvez-vous m’indiquer où se trouve la vieille ville ?» Non, ce serait complètement décalé.
La route ondule au gré des collines d’Ozark où alternent forêts et roches à nu, pour faire court une accumulation de plus d’un km d’épaisseur de sédiments accumulés au fond de la Thétis, suivi de 300 millions d’années de poussées vers le haut et d’érosion, ce qui donne ces paysages de collines, de plateaux et de vallées encaissées parsemées de nombreux lacs et  rivières.
A Carthage, quelques immeubles délabrés, vestiges d’une époque où la ville alors très riche exploitait encore ses mines de zinc et de plomb. Quelques belles demeures victoriennes de l’époque opulente ont heureusement été préservées. A la sortie de la ville, au 17231 Old 66 Bd, un survivant de la grand époque : le « 66 Drive Inn Theater » retapé récemment par un certain Mark Goodman. Un sinistre personnage qui ne peut admettre qu’un Européen s’arrête près de la guérite de vente des billets pour faire des photos. « DEMI TOUR ! » hurle-t-il doigt pointé sur le capot de la voiture. « Vous les Européens vous êtes incapables de respecter la propriété privée ! » Un ancien flic ou un ancien marine, un ancien gardien de Guatanamo ? On hésite !
Et voici Joplin la dernière ville du Missouri. Un autre alignement de panneaux publicitaires, un restaurant tous les 2km en alternance avec des station-services.



Kansas


A nous le Kansas !
Le Kansas ne partage que 22 km de la Route 66, pas plus, mais en est très fier et cultive avec soin le folklore associé, car il serait intolérable que le touriste qui « fait » la route en rate une miette.

Galena
Vintahe Gas Station  -  Galena
  


A la période minière opulente du 19ème et début du 20ème siècle, succède aujourd’hui une période assez misérable, des villes sinistrées presque abandonnées après la fermeture des mines taries. Plus de plomb, plus de zinc, la ville de Galena est « dézinguée ». Galena, la galène, le minerai magique de notre enfance, les premières radios bricolées de nos 10 ans.
De vieilles voitures, anciens acteurs de « Cars », postes à essence vintage, une prison-cage rouillée abandonnée sur un trottoir.


La route repart alternant arbres et prairies. Un pont de 1923 en béton, le modèle « Rainbow » de la 66 d’origine, ça ne se rate pas. Séance de photos.

1923 Rainbow bridge near Galena
A deux pas – précisons, à l’échelle américaine – c’est-à-dire à environ 10 milles, une épicerie qui fonctionne sans interruption depuis 1925, et comme ce fut du non-stop, il a été impossible de changer les étagères qui sont à la limite de l’épuisement, ni souvent d’ailleurs ce qu’il y a dessus. Oui mais c’est justement pour ça que l’on s’arrête. Si vous cherchez du papier collant, du terreau, une bèche rouillée, une Dinky Toy 1950 ou du papier de toilette alors… c’est là ! C’est tout petit mais il y a tout !

Eisler Bros General Store (1925)



Oklahoma


Bye-Bye Kansas Hi Oklahoma !
Dans notre imaginaire “Route 66”, l’Oklahoma se mèle aux descriptions de Steinbeck, aux paysans misérables, ruinés par la sécheresse du début des années 30, debout, abattus les pieds plantés dans la poussière rouge où plus rien ne pousse, aux tornades qui font s’envoler les granges… La Camaro roule au milieu de collines boisées, continuum  paysager sans rupture d’un Etat à l’autre. Les monts Ozark ne se préoccupent pas de frontière. Peu à peu la plaine et les grandes étendues reprennent le dessus, l’horizon s’élargit avec la progression vers l’ouest, surviennent les grandes prairies ou plus rien n’arrête le vent, le pays des chevaux piqueté  d’innombrables églises évangéliques. Si tu parles bien, avec bagout, sais être persuasif, alors, construis une église bien proprette, trouve un nom qui sonne bien l’évangile. Le succès est assuré. Fortune garantie. L’Oklahoma fait partie de cette Bible Belt conservatrice, les pieds dans la terre, la tête près de Dieu. Mais l’Oklahoma, ce sont aussi les Territoires Indiens, la région où furent rassemblés, parqués, les Américains natifs au milieu du 19ème siècle.

66, straight ahead!
L’Oklahoma est paraît-il synonyme de sécheresse, un pays ou rien ne pousse et pourtant, il tombe des cordes à Miami. Un Miami qui n’a rien à voir avec la Floride. Encore une ville appauvrie par la fermeture des mines. A l’époque de la splendeur, George Coleman un riche mineur fait construire à Miami en 1929 un théâtre de 1600 places de style colonial espagnol. Dorures, moquette rouge, sièges revêtus de velours assorti,  un foyer, un bar pour l’entracte, des petites salles pour conversations privées, rien ne manque. Une charmante bénévole nous guide : loges d’artistes, mécanisme pour les décors et un orgue tout à fait étonnant à la sonorité qui décoiffe et qui fonctionne parfaitement, l’accompagnement des films muets des années trente. Comme toujours aux US l’entretien et le fonctionnement sont assurés par une association de bénévoles. Une visite vraiment insolite dans cette petite ville de 13`000 habitants.

Le théatre Coleman  - Miami


A Vinita, une des plus anciennes villes de l’Oklahoma, où un arrêt emblématique s’impose, le Clanton Café. Ouvert depuis 1927, la quatrième génération est aux commandes.
« Venez vous asseoir au bout de cette table » nous lance le patron du Café qui poursuit en faisant les présentations « Ce couple vient de loin, il vient de Suisse. Ces deux cow-boys eux, viennent du bout de la rue… » Les deux pépés à l’œil rigolard, nous expliquent que ce week-end c’est le « World's Largest Calf Fry Festival » Devant notre œil en forme de point d’interrogation, les deux éternels gamins conseillent de demander ce que c’est à la serveuse qui, embarrassée affirme simplement que c’est très bon et nous propose une dégustation. Arrivent des sortes de beignets délicieux. La serveuse rougit, les pépés se marrent et l’illumination nous vient : le jour de la castration des veaux. Bingo! Voilà deux Suisses enfin dans la confidence. Nous venons de manger des testicules de veau fraîchement coupés et plongés dans la friture, les « Calf fries ».

Clanton Café
Calf fries
Ne ratez pas le musée de Vinita nous avait dit le patron. Kathleen, la directrice du musée, véritable mémoire de Vinita, nous accueille et nous transfuse sa connaissance encyclopédique de la ville, l’époque où Vinita surpassait Tulsa qui n’était qu’un village (ça c’est gâté depuis), où Will Rogers, le héros national usait ses fonds de culottes à l’école primaire du coin… La charmante nous tire le portrait devant le panneau « Route 66 »et devant Will Rogers. Demain, nous ferons la une du journal local !

 
Kathleen and Will Rogers
La une du Vinita's Newspaper

A Foyil, arrêt au parc des Totems, où un retraité allumé, un autre, passa 25 ans à sculpter pendant 10 heures par jour, des totems et encore des totems et toujours des totems. Le plus grand, haut de 30m, lui prit onze ans ! Le climat de Foyil doit être particulier, car ce gros village compte un autre original, Andy Payne, qui gagna le marathon LA- NY organisé en 1928 en l’honneur de la 66. 5500 km qu’il parcourut en 573 heures devant 275 autres concurrents. Ils sont très spéciaux  à Foyil.
 
 Le grand totem de Nathan Galloway
Au Eastern Trails Museum , nous avions été initiés au personnage légendaire, au héros de l’Oklahoma, Will Rogers. Mais pour tout savoir, ou presque, une visite au Will Rogers Memorial Museum de Claymore s’impose. "Will" Rogers, né en 1879, un quart Cherokee, considéré comme un cow-boy, un Cherokee cowboy, se distingue dans de nombreux domaines : Acteur de théâtre, humoriste, journaliste, commentateur à la radio, acteur de cinéma, mais surtout un extraordinaire lanceur de lasso d’une habileté jamais égalée. Probablement un des personnages médiatiques les plus en vogue pendant les années 1920 et 1930. Trois tours du monde, 50 films muets, 21 films parlants, 4000 articles de journaux etc, Sa vie fut brutalement interrompue en 1935 dans un accident d’avion de tourisme. Sa mémoire est honorée dans ce musée de Claymore inauguré en 1938 et que nous visitons aujourd’hui. A la sortie on peut seulement se dire que Will était un sacré phénomène d’une extraordinaire polyvalence !

 Will Rogers

 Catoosa n’est connu des touristes que par sa mythique baleine bleue au bord de la Route 66. Point d’attraction d’un ancien parc d’attraction privée. Aujourd’hui, polution oblige la baignade est interdite dans la mare opaque.

 
La baleine bleue
Tulsa est à portée de parechoc. Prononcez Toussa si vous ne voulez pas passer pour un New-yorkais parachuté. Une arrivée mouvementée. Des autoroutes multiples, des échangeurs, des sorties bloquées par des travaux, des rues du centre bloquées par la police. Un vrai parcours du combattant- et à l’arrivée, un hôtel qui se cache derrière d’autres gratte-ciel. A peine à 200 m on l’aperçoit, mais comment atteindre cet Hotel Aloft ?  »La seule chose que je peux vous dire c’est que ça ne va pas être simple ! ». Très encourageant ! Heureusement la chambre était magnifique, au 10ème étage au cœur du convention district, un centre calme, désert en dehors des heures de bureau. Tulsa, pas vraiment une ville en tête de liste des Tours Operators.
Oklahoma city est en point de mire et parait plus prometteur. Mais  Tulsa ne veut pas nous lâcher. Comme souvent la 66 se perd dans les méandres de la ville, les panneaux « Historic 66 » se font rares, le système GPS s’embrouille, nous aussi. La bonne vieille méthode : demander ! Mais ne jamais oublier que les distances aux US ne sont pas comparables aux européennes. Quand en entendant une explication vous avez l’impression que c’est à 1 km, multipliez au minimum par dix ! Après deux explications du type « close by » la 66 est enfin sous les roues. Entre Tulsa et Sapulpa, La 66 joue à cache-cache avec la I44. Un coup à gauche, un coup à droite de l’autoroute. Les trains de camions se succèdent sur la I 44. Sur la 66, la Camaro  est seule et tranquille.
A la sortie de Sapulpa, nouvelle séance photos pour immortaliser, si c’est encore nécessaire, le Rock Creek Bridge, un vieux pont rouillé au tablier en briques de 1921.

 
Rock Creek Bridge

Moins d’un mille plus loin, la Camaro embouque l’Ozark trail, court vestige boisé de la 66 d’origine, une vieille dame bordée d’antiques réservoirs de pétrole rouillés et de stations de pompage envahis par les herbes, réminiscence du temps où le pétrole coulait encore.
A l’incontournable Rock Café de Stroud construit en 1939, on flanche devant des beignets de tomates vertes dont la légende nous laisse rapidement vraiment septique. Le café est bondé, le parking plein de vieilles voitures. Les collectionneurs savourent leurs beignets comme au bon vieux temps. Aujourd’hui, à Stroud, c’est le grand meeting annuel des voitures vintage.

Rock Café de Stroud

Vintage cars
On l’a suffisamment dit, l’Oklahoma c’est le pays des tornades, pas le genre doux zéphyr, mais plutôt le genre « mais où est donc passé ma grange ? ». Il fallait faire quelque chose contre ce fléau des granges volantes. C’est là ou la Suisse intervient. Les habitants de l’Oklahoma importent l’idée helvète des granges circulaires. Moins de prise au vent. Les granges ne s’envolent plus. A Arcadia il en reste un exemplaire construit en 1896 et toujours solidement accroché au sol. Rouge brique, une grange que l’on voit de loin.

Arcadia . La grange
Oklahoma City est une exception « humaine » dans la longue liste des villes américaines explosées, sans centre, sans âme. Ici, « Bricktown », le centre historique est en grande partie préservé.  Dès le début du 20ème siècle ce centre commercial se développe autour de la ligne ferroviaire de Santa Fe qui traverse la ville. Le business déserta ce centre dans les années 50 au profit de la périphérie et au début des années 1990, ce « trésor » historique, fut rénové et agrémenté d’un canal qui traverse le quartier.

Oklahoma City  -  Bricktown

Au bord du cal une gigantesque sculpture en bronze hyper réaliste rappelle le temps de « la course aux terres ». Au coup de canon 50'000 candidats s’élançait à pied, à cheval ou en chariot pour aller occuper le terrain de leur rêve. Il fallait ensuite construire une maison et cultiver la terre pendant 5 ans pour devenir effectivement propriétaire.

La course aux terres
Aujourd’hui, bistros, boites de jazz, galeries d’art et boutiques de mode en font un quartier très animé. Ce soir-là, à la terrasse du Jazmo’s Bourbon Street Café, une chanteuse-guitariste se prépare « Connaissez-vous le style de musique de cette chanteuse » « Oh, elle chante tous les genres ! any style ! » « Mozart aussi ? » « Ca non ! ». Les serveurs à longues barbes, style amiches, sont légions. Une secte évangéliste du coin ? A côté, au Michael Murphy’s piano, ça swingue dur.
La sortie d’Oklahoma city vaut celle de Tulsa. Pas d’indication « 66 » pas de panneaux… Ah enfin un pont rouillé, on doit être dessus ! Une route dallée droit devant, c’est tout bon. 
El Reno encore une mural city où les artistes se sont défoulés. Séance photos … bien entendu. Au milieu de nulle part et de prairies jusqu’à l’horizon, est posé Fort Reno. A sa création en 1874, Fort Reno sert de base à la cavalerie pour mater ces foutus indiens qui prétendent être chez eux. Ah mais ! il ne faut pas exagérer ! Nous avons tous en tête ces charges de la cavalerie, de la bataille de Little Big Horn et de la mort du général Custer, immortalisée pendant les grandes années d’Hollywood. Après quelques affectations diverses, le fort servit de camp pour prisonniers allemands pendant la seconde guerre mondiale… C’est aujourd’hui un musée et un centre de recherches géré par le ministère de l’agriculture.

 Fort Reno
La 66 reprend sa course parallèle à l’autoroute I44, un coup à gauche un coup à droite, échappant encore une fois au trafic intense de sa voisine.
La Camaro franchit la Canadian River sur le Pont où mourut Gran-Pa dans « Les raisins de la colère ».

 Canadian River Bridge
A Hydro, au bord de la route une relique, la station-service de Lucille qui devint la vedette de ce village qui, autrement, aurait été ignoré de tous. Lucille fut fidèle au poste (mauvais jeu de mot) de 1941 à 2000, date de sa mort. Lucille et sa fille reposent dans le champ d’à côté. Deux Croix blanches. Une inscription, « Mother of the mother road ».

 Lucy gaz station
L’heure du sandwich ou du hamburger approche. L’adresse est incontournable la « Lucille Roadhouse » à Weatherford, la ville de l’astronaute Thomas Stafford. Salle pure route 66 année 50, que l’on ne vous décrit plus, vous connaissez dejà. A la table à côté, Luther et Janice cheveux blancs et longue barbe blanche (lui, pas elle) évoquent deux évangélistes échappés du culte. Bien sûr c’est dimanche. « God bless you » nous dit Luther. Bénis par Luther ça, ça ne nous était pas encore arrivé.
Encore une partie de cache-cache avec la I44 et c’est Clinton qui abrite un des plus beaux musées consacrés à la Mother Road qui  recrée parfaitement l’atmosphère de la route dans les années 50 et 60. Vieux garages, enseignes néon des motels, resto vintage, vieilles voitures de l’époque de notre enfance, avec les inévitables Chevrolet Bel air, ambiance sonore avec Elvis qui chante dans le lointain et un excellent film retraçant la construction de la route et la vie sur la route : le commerce dans les années 30, la ruée vers l’ouest, les transports de troupes pendant les années 40, le tourisme c’est l’affaire  des années 50 et 60.
Encore quelques milles avant la pose du soir à Elk City.
L’hôtel est au milieu de nulle part enfin, plus précisément au milieu de travaux d’autoroute au bord de la route 66, mais pas exactement un petit motel historique. En face, isolé et insolite, un bistro qui affiche les couleurs italiennes, et annonce « Calzone i stromboli ». Ca changera des hamburgers. En 1998-1999 la guerre fait rage au Kosovo. Beaucoup de réfugiés fuient le pays. Une famille demande l’asile aux USA, et est acceptée. Marco a 10 ans. Aujourd’hui, près de la trentaine, il nous sert nos pizzas dans son restaurant dont il très fier. L’accent méditerranéen à Elk City. Le hasard, comme toujours.
Avant de quitter la ville un crochet par le « National Route 66 Museum » s’impose. Quelques belles vieilles dames rutilantes, pleines de chromes, la camionnette du film « Les raisins de la colère » avec John Ford et Henri Fonda dans leurs fauteuils pliants « Hollywood ». Le couple à la Mustang blanche, Kevin et Brenda, qui, comme nous « font la route », et rencontrés plusieurs fois depuis deux jours, visitent aussi  le musée. A la prochaine !


Le Texas


La « frontière » est passée à Texola au milieu d’un paysage plat d’un horizon à l’autre et  recouvert d’une sorte de bush ras où paissent quelques rares troupeaux de bovins bruns. La route est infiniment droite. Les géomètres n’ont pas dû être surmenés pendant sa construction.


 
Mother road 1926

Quelques villes fantômes piquètent la plaine sans fin.
A Shamrock, un coup d’œil à la Tower Station et U-Drop Inn Café au bord de la route 66 in Shamrock. Construit in 1936 , c’est un superbe batiment art déco, une combinaison d’une station-service, d’un café et d’une épicerie. Un vrai ancêtre de nos stations d’autoroute avec un effort architectural en prime. 

 

Shamrock - Tower Station et U-Drop Inn Café

Ca vous viendrait à l’idée d’ouvrir un musée consacré au fil de fer barbelé ? Non ? Et bien à MacLean ils n’ont pas hésité. C’est, disent-ils, le seul au monde sur le sujet. Et bien ce truc qui arrachait nos pantalons lorsque l’on courait, enfant, dans la campagne, a été inventé par un fermier du coin. Je vous entend dire il y a tout juste de quoi remplir une cabine téléphonique. Que nenni, le musée est immense, 500 modèles différents de ce type de clôture ça prend de la place.

 500 modèles!
La visite provoquant un « creux à l’estomac » nous nous attablons au seul bistro ouvert de MacLean, le Chuck Wagon, un gourbi années 50 et pas repeint depuis. On connait quelqu’un qui aurait dit « c’est glauque ». Bref, du typique. « Deux bières pression svp ». Eclat de rire de la belle métisse. Evidemment c’est un dry county en pleine Bibel Belt. A la prochaine élection présidentielle Hillary ne va sûrement pas faire un carton à Maclean. « Deux cafés, merci ».

 Typique années 50
Tout droit, tout plat, la Camaro est en mode pilote automatique à cap constant. Si la route est toute droite, le château d’eau de Groom ne s’en est apparemment pas inspiré.
Et c’est Amarillo et son légendaire « Big Texas Steak Ranch » annoncé par un gigantesque Cow-Boy de 27 m de haut.
Une reconstitution d’un village du Far-West, un décor de western. Le long de la rue du « village » les hôtels. Nous héritons de l’Hôtel Alamo, une reconstitution du fort. La Mustang blanche est déjà là. Devant ces hotels de cinéma, un alignement de Cadillac aux capots décorés de cornes de vaches de la race des « Long Horns » et une enfilade d’une trentaine de Harley. Une majorité de gros biceps mais aussi une brochette de motardes survoltées. Un Club Harley de la région de Chicago. Leur objectif la 66 Chicago-LA, 4000km en quatre jours ! Ils sont au milieu du parcours, fin de leur deuxième journée. Et nous ? 26 jours vautrés au fond de nos sièges baquet. Des vrais bourgeois !
Bottes à talon décorées, chapeaux aux larges bords, démarches chaloupées. J’ai l’impression que nous sommes au Texas. Le nom, « Big Texas Steak Ranch » est lié au concours « Grande bouffe » organisée tous les soirs. On vous sert un steak de 72 onces soit 2,12 kg et si vous le terminez en moins d’une heure, c’est gratuit. Notre diner avec nos amis à la Mustang blanche, Kevin et Brenda, sera plus raisonnable mais sur le podium, deux candidats sont en compétition. L’un d’eux réussira. Pas la peine de commencer un discours moraliste « Ah quand on pense à la faim dans le monde etc » ce serait complètement déplacé… Un couple de musiciens, violon et guitare, passe entre les tables « Where do you come from ? » « Switzerland !» Alors s’envole une chanson du style « qu’il est bon de retrouver mon beau chalet en bois dans la montagne… » assorti de formidables jodel interprétés par le guitariste vintage.
Quelle soirée !

 Big Texas Steak Ranch
 

 
Long Horn Cadillacs
Le temple du steack
Mon beau chalet & Jodel
Chicago   ----->  LA  :  4 jours!
A quelques milles d’Amarillo, une sculpture monumentale, au milieu d’une pâture bovine tres proche de la 66. C’est le Cadillac Ranch. En 1974, le milliardaire Texan Stanley Marsh III charge, Chip Lord, Hudson Marquez et Doug Michels, du groupe d'architectes ART FARM, de réaliser une sculpture à la gloire de la route et de l’Automobile. Le résultat : un alignement de dix épaves de Cadillac, plantées dans le sol. La mode étant à l’art interactif, les visiteurs sont encouragés à graffiter  les voitures, qui ont depuis longtemps perdu leurs couleurs originelles. Les bombes de peinture vides jonchent le sol, participant probablement à un art intergalactique comme disait Dali. 

Cadillac Ranch
 Artiste de passage

Les stations-services, les cafés des années 1930, souvent abandonnés et délabrés c’est un peu lassant. Mais quelque fois une de ces installations des origines de la 66 a de la chance. Des bénévoles en tombent amoureux et la rénovent. C’est le cas de la Magnolia Gas station à Vega. Tenue par une charmante femme qui nous précise fièrement en riant « Je suis née à Vega, j’adore Vega, je mourais à Vega » cette station de la firme Magnolia qui date de 1920 est une des premières stations du monde. La Camaro, très impressionnée, se fait photographier devant ce bâtiment  mythique.

la Magnolia Gas station à Vega

Adrian, voilà une vraie étape, le milieu de la route. Sur la façade du Mid Point Café deux flèches : Chicago 1139 milles, Santa Monica 1139 milles. En réalité le compteur affiche près de 1300 milles. Le café, ouvert en 1930, est rétro à souhait. Ici on déguste les « Ugly Crust Pies » toute une collection de différents gâteaux, parait-il,  les recettes de la grand-mère, des gâteaux des années 30, vous vous rendez compte ! Si vous êtes diabétiques changez d’urgence de café. Pas de problème, le prochain est « Close by » à 5o km.

 
Midpoint Café

Le nouveau Mexique



Le paysage est de plus en plus plat, plus plat que plat comme
 aurait dit Coluche, et de plus en plus sec.
 A Glenrio, « agujero los agujeros” (versión espagnole de trou les trous), nous entrons au nouveau Mexique.
La Camaro fait son entrée dans Tucumcari et découvre le fameux « Blue Swallow Motel ». Si vous « faites » la Route 66 et que vous ne dormez pas dans ce Motel alors ne le racontez surtout pas. Ce serait une honte. 

Blue Swallow Motel à Tucumcari

C’est un vrai de vrai d’époque, avec de belles américaines des années 50 parquées devant le « Lobby ».
Accueil chaleureux, comme toujours, par la propriétaire qui parle un américain fluide, clair, 100% compréhensible. Forcément elle est du Michigan. Comme aux premiers temps de l’invention du motel, chaque chambre possède son petit garage attenant pour garer sa voiture. Seulement 1926, l’année du design, c’était l’époque de la Ford T et si  la Camaro rentre tout juste, pour ouvrir les portières et en sortir c’est une toute autre histoire. Nous emménageons dans la chambre 11, pendant que Kevin et Brenda prennent possession de la chambre 12. La Camaro et la Mustang vont pouvoir échanger toute la nuit leurs impressions sur la Route 66. Au fond du garage, une fresque néo-réaliste : des motards en Harley sur fond de palmiers et de 66, Peter Fonda dans « Easy Rider ».

Easyrider
Le Motel est de couleur pastel comme dans les années 50. Ge et Cat jouent à fond la séance rétro, une « Mug » aux couleurs du Motel à la main, assis devant la porte de leur chambre sur un fauteuil biplace à bascule rose bonbon, ils sirotent leur café en  regardant passer les Harley. « Gecat et la 66 », 3ème , silence on tourne. Chambre également des années 50, mobilier kitch, lit trampoline, clim essoufflée, TV au tube cathodique sans fin, lampe de chevet rose fraise, inclassable.

La chambre 11 et son fauteuil à bascule rose
A Santa Rosa la Camaro embouque une route secondaire en direction de Puerto di Luna. Zigzagodromie au milieu de collines et de vallées rougeâtres magnifiques. Avec ses 140 habitants, ce village accroché à la Pecos River ne respire pas la santé avec  ses maisons délabrées et ses champs mal entretenus. Insolite au milieu d’une place en terre sèche, l’imposante église qui date de l’époque où Puerto di Luna était le chef-lieu du comté de Guadalupe. Pas encore une ville fantôme, mais presque.

 
66
Vestiges archéologiques
 
66 memories
 A la sortie de Santa Rosa, cap au Nord-Ouest, un détour via Santa Fe. Pardon 66 pour l’infidélité mais Santa Fe et Los Alamos nous attirent, une petite entorse au trajet traditionnel. La route devient très fréquentée. Le chauffeur est en vigilance orange et faufile la Camaro jusqu’au magnifique El Rey Inn, encore un hôtel historique construit au bord de la 66 en 1936. A cette époque les quelques premières chambres piquetaient la poussière ocre de ce coin de désert. Aujourd’hui havre de paix au milieu de jardins plantés de pins et fleuris de bougainvilliers. Un coup d’œil à ma montre altimètre : 2100 m ! La  cabane Bella Tola entourée de pins méditerranéens.
Deux pas en maillot de bain et plongeon dans la piscine.

El Rey en 1936

 El Rey en 2015
Santa Fe, contrairement à l’habitude a un centre, même un centre historique. Autour de la Plaza bordée de colonnades bien ventilées, le genre rue de Rivoli en beaucoup plus rustique, des boutiques multiples d’artisanat indien, des bistrots, des galeries ou encore l’Hôtel Fonda, autre icone hôtelière locale. Au bout de la rue San Francisco trône la Cathédrale Saint Francis un bâtiment fin 19ème. Sur une terrasse dominant la Plaza, Gecat sirotent une Margarita mexicaine. En passant, je donne la recette.

-       5 cl de tequila , 3 cl de Cointreau ou Grand Marnier, 2 cl de jus de citron vert.
-       Frapper les ingrédients au shaker avec des glaçons puis verser dans le verre givré au citron et au sel fin.
-       Servir dans un verre de type "verre à Margarita".
-       Décorer d'une tranche de citron vert...

Les paysages photogéniques servirent de cadre à de nombreux films. Les souvenirs de John Wayne et d’autres cowboys célèbres hantent le nouveau Mexique. Ce soir nous irons nous encanailler chez Maria, la pinte préférée de Robert Redford, la pinte aux 300 différentes tequila.
Cap sur Los Alamos, ce bourg au milieu de nulle part qui a bouleversé l’anthrocène. En 1942 nait le projet Manhattan, visant à l’élaboration de la bombe A sous la direction scientifique de Robert Oppenheimer avec à la tête du projet le Général Grove. Un jeune idéaliste âgé de 35 ans et un militaire de carrière à la discipline inflexible : un tandem explosif ! Entourés d’une brochette de petits génies de la physique, le projet débouche comme on le sait sur Hiroshima et Nagazaki et la capitulation du Japon.

 Oppenheimer et Grove
La vie pendant le projet était à la fois scientifiquement enthousiasmante et humainement difficile. Perte d’identité – Fermi devient Farmer etc – disparition du nom Los Alamos de toutes cartes et autre références, censure totale du courrier « Chère Maman, je passe de belles vacances et fait du ski toute la journée, la neige est excellente… » Mais, quand on a 25 ans (âge moyen du staff) tout-va-bien !
Un collège fut réquisitionné et occupé par les chercheurs. Les plus éminents eurent leurs maisons équipées de salles de bains avec baignoire, une rareté. Tellement vrai que la rue fut à l’époque baptisée Bathtub row.
La coquette petite ville de Los Alamos ne ressemble plus aux débuts des années 40, avec ses baraques militaires  et ses halls en tôle ondulée telle qu’on les découvre sur les photos exposées au magnifique Bradbury Science Museum. Un musée qui décrit en détail ces débuts de notre ère nucléaire mais aussi le vaste domaine de recherches du Laboratoire. Aujourd’hui ce Labo est, avec 10'000 employés, le plus gros employeur du Nouveau-Mexique. Un tiers des membres de l'équipe technique sont des physiciens , un quart des ingénieurs , un sixième des chimistes ,  travaillant en mathématiques, informatique, biologie, géologie  et d'autres disciplines. Scientifiques et étudiants viennent à Los Alamos comme visiteurs pour participer aux projets de recherches. Les équipes travaillent à des recherches fondamentales et appliquées en partenariat avec des universités et l'industrie. Le budget annuel est environ 2 milliards de dollars américains. Environ deux fois le budget du CERN !
Après cet épisode historico-scientifique, retour à la nature, la Camaro emprunte une route boiée à travers les collines entourant Los Alamos, en route pour le Bandelier National Park, qui abrite  une vallée-canyon, le Frijoles Canyon déjà habité il y 6000 ans. Villages troglodytes ou de pisés, grosse chaleur renvoyée par la roche gréseuse sur deux pauvres marcheurs qui se liquéfient en parcourant le Main Loop Trail. 4km, 38 oC.

 
Frijoles Canyon

Pour rallier Santa Fe à Albuquerque, vous avez deux solutions, soit le cauchemar de l’autoroute I25 soit une départementale de rêve, la NM 14, l’ancien « Turquoise Trail » des Indiens.
C’est le moment, je crois, de dire un mot de l’enfer des autoroutes américaines, enfin, un enfer pour les Européens rétrécis , lilliputiens qui vivent à l’échelle des Hobbits.
Sur trois ou quatre voies, roulant entre 100 et 120 km/h d’énormes pick-up aux empattements surdimensionnés, roues à l’extérieur de la carrosserie élargies de boulons en surépaisseur, le même modèle que sur le char de Ben-hur, 6 ou 8 cylindres hurlant, doublant à gauche et à droite ; des semi-remorques lancés à 120 km/h  se rabattent sauvagement. A l’entrée des villes rajouter une couche d’échangeurs multidirectionnels. Le cerveau du Lucquéran ralenti, vous savez, le pépé de Saint-Luc, est en ébullition, quant à la Lucquéranne, il y a longtemps qu’elle est passée en phase liquide. Mais, pour un américain au volant d’un de ces monstres c’est « as usual ».
Que la route de la vallée Turquoise aux gentils méandres est belle. Une voiture tous les quarts d’heure, le rêve.
Une riche vallée minière, aux filons pratiquement totalement épuisés. Les mineurs ont fait place aux artistes et aux artisans qui débarquèrent dans la vallée dans les années 60/70 refusant de participer au système et son soutien à la guerre du Vietnam. Les plus jeunes, les incorporables partent en Suède.
Au bord de la route un gigantesque origami. Personne derrière ? La Camaro plante les freins devant le « Turquoise Trail Sculpture Garden ». Une vingtaine de sculptures reproduisant en acier peint à grande échelle des origamis, ces fameux pliages  de papier japonais. Les rochers et la terre rouge forment un arrière-plan contrasté mettant en valeur de façon superbe les sculptures accessibles le long d’un sentier qui pousse à la méditation. Nous ne rencontrerons malheureusement pas les artistes Kevin et Jennifer Box.

Origami
Cerrillos, avec ses mines d’or, d’argent, de zinc, de plomb et,  bien sûr, de turquoise. Certaines mines étaient déjà exploitées à la préhistoire. Le grand boom minier fut à son sommet en 1880 où Cerillos ne comptait pas moins de 21 saloons ! Les deux survivants servirent de décor au film Young Gun (1988), un épisode de la vie de Billy the Kid, comme l’explique le robuste propriétaire désabusé du « Mining Museum » qui expose dans un bric-à-brac indescriptible des centaines d’objets de la vie au Far-west et des activités minières. Marco adorerait !  

Cerillos

Turquoises
 Un des deux derniers saloon de Cerillos
Second village de la vallée, Madrid, tirait, au milieu du 19ème siècle sa richesse des mines de charbon. Au début des années 70 une communauté d’artistes, sculpteurs sur pierre ou métal, joailliers, peintres, vint s’installer à Madrid en récupérant les anciennes maisons abandonnées par les mineurs. Les cheveux ont blanchi mais l’esprit Hippie est resté, robes à fleurs et fréquentes soirées musicales animées.

 Madrid

Au fil des lacets innombrables, la Camaro grimpe, grimpe, grimpe au milieu de la Cibola National Forest, une forêt de sapins bien comme chez nous, simplement de taille américaine. Au sommet, un parking et une vue 360 deg sur le Nouveau Mexique. L’altimètre affiche 3250 m … au milieu des sapins ! 25 oC, un rêve après les 38 oC de la vallée Turquoise à 1600m.
Un Gepeto à l’accent roucoulant nous accueille tout sourire, nous prenons nos quartier au Monterey Motel d’Albuquerque, une autre icône de la 66, à deux pas (version européenne pour une fois) de la vieille ville.
En réalité Gepeto est polonais. En 1970 il fuit le régime du général Jaruzelski , l’homme aux lunettes fumées, et se retrouve à 19 ans à Chicago. De petit boulot en petit boulot, le voilà 40 ans plus tard propriétaire du Monterey Motel. Le hasard, encore le hasard. 38 oC, plongeon dans la piscine en pensant à Tad et Cracovie.

 

Albuquerque
Au fond d’un patio, une boutique-atelier, un artisan joaillier. L’homme est bourru, sans concession, chapeau de cow-boy en paille vissé sur la tête. Un artiste du genre « je fais ce que j’aime. Si tu n’aimes pas, rien à foutre ! Les compromis sont bons pour les mauvais, les sans talent « You got it ? » » Suit un long exposé sur les turquoises du sud-ouest des Etats-Unis. « Leur qualité ? On s’en fout ! Ce qui compte c’est le coup de foudre, une pierre qui te parle ! Si elle me parle, alors là, je fabrique un médaillon en argent pour la mettre en valeur. Certaines pierres ne m’ont jamis parlé. Je les laisse au fond d’un tiroir. Un jour Schwarzeneger, tu sais,  Terminator le gouverneur de Californie, passe par ma boutique, tombe amoureux d’une grosse turquoise et me dit « Tu me fais une boucle de ceinture plus grosse que mon ego ! » J’ai tout de suite compris ce qu’il voulait. Trois jours plus tard il en prenait livraison. Ravi. Au mur une photo de Schwarzy avec le Joaillier montrant sa monstre boucle. Vous venez de faire connaissance avec Art Tafoya, le charmant plus célèbre joaillier d’Albuquerque.

Turquoise jewlery

Au centre de la Plazza Grande d’Abuquerque, un kiosque à musique, et dans le kiosque, ça déménage, guitare électrique, guitare basse, batterie et percussion. Le quatuor enchaine les airs de rock, les albuquerquins oscillent. Un overweight sert dans chaque bras une brunette hispano bien enveloppée et leur caresse les bras en mesure. Un artiste au look  intello aux longs cheveux gris approuve du chef en cadence ; un couple d’anciens hippies se remémore le bon vieux temps où l’on courait à poil, vêtu d’un collier de fleurs sur les plages californiennes.



Albuquerque: The concert


Albuquerque et Santa-Fe sont frappés du même interdit : pas d’immeubles ! Un étage maximum pour garder l’esprit pueblo mexicain. Alors, ce que l’on ne peut pas empiler, on l’étale. L’avenue où est situé notre Motel d’un autre âge, affiche la modeste longueur de 30 Milles ! Par chance, la vieille ville du 17ème siècle aux constructions basses en torchis ne mesure que 300x300 m, à cinq minutes à pied du Motel, une très bonne nouvelle par ces 38 oC qui persistent.

 
Albuquerque: mural
 De plus en plus pelé, de plus en plus sec, le ruban de la route 66 s’entoure de paysages désertiques magnifiques.

66 going west


 

 

 

El Rancho, l’hôtel de Gallup, construit en 1938 au bord de la route 66 au milieu du désert poussiéreux, un hôtel légendaire à l’architecture de saloon du far-west. Nous sommes étonnés que la réceptionniste ne porte pas la traditionnelle visière en celluloïd bleu ni de protège manches gris à élastique comme dans les BD de Lucky Lucke. Les murs sont couverts de photos d’acteurs de cinéma qui y séjournaient pendant le tournage d’innombrables westerns. Les couples de légende  comme par exemple Humphrey Bogart et Lauren Bacall sont aujourd’hui remplacés par Cat et Ge.


El Ranchp, le lobby
 
El Rancho:; the Stars
C’est le premier jour de l’été, la fête de la musique anime le centre-ville bien morne de Gallup. Merci Jack Lang. Une rue rendue piétonne par des barrières, des voitures vintage, une estrade garnies d’énormes baffles. Les groupes se succèdent, crooner, rock avec en prime une démonstration de danse du ventre sur fond de chanson arabe, tout à fait surréaliste au milieu du nouveau Mexique.

Crooner in Gallup




 

  

Les murs peints de Gallup, racontent l’engagement des Navajos pendant la seconde guerre mondiale. La langue Navajo est tellement compliquée, tellement unique, que. pendant la Seconde guerre mondiale et notamment durant la Guerre du Pacifique , des Navajos servant dans les unités de transmissions américaines avaient mis sur pied un code basé sur leur langue, afin d'assurer laconfidentialité des messages radio. Les Japonais et les nazis n’ont jamais rien compris à ces messages abscons, pire que les signaux de fumée.

 
The Navajo wall


L’Arizona



Côte à côte la 66 et la ligne Santa Fé

Parcourir l’Arizona est un bon moyen de suivre un cours accéléré de géologie en parcourant les parcs nationaux de Painted Desert et de Petrified Forest. Ici ce ne sont pas 4000 ans qui nous regardent comme disait Bonaparte en Egypte, mais 200 millions d’années de dépôts d’alluvions, de poussées magmatiques, d’autres éruptions volcaniques enchevêtrées. Emerveillement permanent devant la diversité des couleurs et découverte de la faune du Triasique et du Jurassique fossilisés aux formes surprenantes quelquefois sans suite, sans doute un mauvais design… des dinosaures qui régnaient en maître jusqu’à la grande catastrophe survenue il y a 65 millions d’années.

Painted Desert
 

 

 



Bien avant, il y a 225 millions d’années, cette région de l’Arizona était zébrée de torrents et couvertes de gigantesques forêts. Pas de garde forestier, les arbres mouraient, tombaient, s’accumulaient dans les vasières chargées de minéraux qui peu à peu prirent la place de la matière ligneuse. Aujourd’hui nous marchons au milieu de milliers de troncs d’arbres vieux de 200 millions d’années.
Les  paléontologues doivent se régaler.

Petrified Forest



La capote est fermée et l’air conditionné en position maximum. Tout simplement une question de survie.
La Camaro rentre dans la ville de Holbrook restée célèbre comme le point de jonction des deux lignes de chemins de fer construites à la rencontre l’une de l’autre depuis l’Atlantique et le Pacifique. Pour vous en convaincre regardez « Pacific express » de Cecil B De MILLE (1939). Cet endroit au milieu de nulle part (ça n’a pas beaucoup changé) fut baptisé Holbrook du nom de l’ingénieur qui dirigeait le projet.
Sur la gauche de la route 66, un village indien de 15 Tipis se détache. 15 tipis en béton, le Wigwam Motel, un des deux survivants d’une chaîne de 7 motels le long de la 66, lancée en 1936 avec comme slogan « Have you ever done it in a Tipi ? ». Traduction libre : « viens dans mon Tipi, je te montrerai ma collection d’estampes japonaises ».  Des voitures années 50 garées devant les Tipi assurent un flashback garanti.

Wigwam Motel à Holbrook

Au milieu du 19ème siècle, 26 relais de poste jalonnaient l’Arizona. On y dormait changeait les chevaux, chargeait marchandises, lettres et paquets. On progressait alors entre 5 et 9 mph, de relais en relais, sous les ardeurs du soleil. Celui d’Holbrook est toujours là. Nous ne changerons pas les chevaux. Nous nous contenterons d’une viande « to share » excellente.

Holbrook, Main street
Il y a 25 ans un groupe de Navajos décide la formation d’une école de danse traditionnelle. L’objectif : occuper les jeunes de la tribu dans ce trou d’Holbrook où il n’y a rien à faire. C’est ce qu’explique au micro, sur la place d’Holbrook, la petite fille du couple fondateur de l’école. Son frère, le chef du clan, enchaîne les danses sur des rythmes lancinants et monotones, avec son fils d’environ 5 ans attaché à ses basques. Junior s’essaye aux danses ancestrales.

Mini chef Navajo

Danse Navajo
L’Arizona est tellement désertique, une plaque jaunâtre brûlée par le soleil, buissons desséchés. Aucune industrie, aucune activité agricole visible autour de ces petites villes alignant motels, stations-services spécialisées dans les vidanges, le changement des pneus, la réparation des transmissions, quelques supermarchés et autres drugstores.
Si l’on pose la question « De quoi vit l’Arizona ? » la réponse tombe « Du tourisme du Gran Canyon ! » D’ailleurs pas la peine de poser la question, c’est écrit sur les plaques minéralogiques « Arizona - Gran Canyon State »
Il y a 50'000 ans, hier matin à l’échelle géologique,  un météorite de 50 m de diamètre, d'une masse de 300 000 tonnes, composée de fer  et de nickel, percutait l’Arizona à une vitesse de 13 km/s. Personne pour assister au feu d’artifice. Peut-être quelques mammouths laineux qui paissaient paisiblement à l’époque ont été choqués…
1200 m de diamètre 200m de profondeur. Un site impressionnant.
Aujourd’hui les dizaines de milliers de touristes qui visitent le Meteor Crater participent à la prospérité de l’Etat.

Meteor Crater
Pendant des décennies, les voyageurs à cheval en chariot, en diligence puis en voiture s’arrêtaient pour s’approvisionner dans les « Trading Posts ». C’était un lieu d’échange ou l’on troquait des fourrures contre une cuisinière en fonte ou une batterie de casseroles. Aujourd’hui, les trappeurs ont disparu, les casseroles s’achètent chez Target, les Trading Post sont devenus des magasins de souvenirs. Le Jack Rabbitt Trading post qui soigne sa notoriété est un passage obligé… et sans aucun intérêt. Une autre attraction nulle vantée par les guides les « Twins Arrows » deux flèches publicitaires  plantées dans le sol, vestige d’un ancien casino tenu par les Navajos.
Un petit mot sur Winslow ce bourg qui inspira Glen Frey dans sa chanson « Take it easy » « Standing in the corner in Winslow Arizona etc… » un tube du début des années 70. Au fameux corner la statue en bronze de Glen Frey au milieu d’immeubles en briques de la belle époque de la Mother Road.


 Quelques Harley pour compléter le décor. Des motards discutent en …suisse-allemand.
Fréquemment, en Arizona, souvent la 66 s’évanouit, s’évapore, disparait sous l’autoroute, seuls quelques irréductibles tronçons s’accrochent pour maintenir la légende.

Wislow around the corner
  
Glen Frey
La Camaro met le cap sur Flagstaff, au pied du massif montagneux des San Francisco Peaks. Ce nord de l’Arizona, c’est un autre monde. Le Sahara  fait place au Valais. 2200 m d’altitude, montagnes, sapins et fraîcheur. La Camaro est décapotée et l’air conditionné en vacances. Nous posons nos valises à l’historique Hotel Weatherford construit en 1897 par John Weatherford qui, à la fin du 19ème, sillonnait à cheval la région très peu habitée en se demandant « Mais qu’est-ce que je pourrais bien faire ici ? » Sa réponse fut un hôtel de luxe pour accueillir les hôtes de marques. Plusieurs présidents des EU y séjournèrent. Ce soir l’hôtel accueille Gecat.
Architecture de style colonial, balcons en bois, balustrades et colonnades. Plein de charme.

Weatherfor Hotel en 1900
Weatherfor Hotel en 2015

Flagstaff sent la ville universitaire, le centre construit en brique, la Old Town, une ville comme on aime avec son public jeune et original. Le soir Gecat s’éclate au Greenroom, une boite de Jazz : un groupe minimaliste, percussion et piano électrique agite trois nanas qui se contorsionnent de bonheur. Groupe relayé par une chanteuse androgyne qui se croit John Baez, mais la foi ne suffit pas toujours… Public marginal et chevelu venu souvent en famille pour parfaire la culture musicale de ces chers petits. Une boite tout public de 7 à 77 ans comme disait Hergé.
Flagstaff c’est le bon endroit pour rallier le Gran Canyon. C’est ce que nous vous raconterons dans une autre histoire afin de ne pas casser le rythme de la 66.
Donc cap à l’ouest en route pour Williams. Désert et forets alternent en fonction de l’altitude.
Williams, de style cowboy-farwest fut la dernière ville à être contournée par l’autoroute en 1984 et ne souffrit pas trop de l’abandon de la 66. L’afflux de touristes n’a pas vraiment baissé grâce à la ligne de train vintage qui assure la liaison avec le Gran Canyon. De plus l’esprit de la 66 est maintenu de manière souvent un petit peu exagérée : Bars avec musique d’Elvis, multiples boutiques souvenirs de  La Route, station d’essence restaurée etc Il faut bien occuper les touristes qui attendent le train.

 
Williams
  
Elvis va enfourcher sa Harley
 

Vintage gas station
Arrive Seligman et son « 66 Historic Motel » où nous dormirons dans le lit, sinon les draps, de Connie Lee la parolière de chanson rock.

Seligman


La boutique d'Angelo


Angelo Delgadillo, c’est la vedette incontournable de la route 66. A 88 ans, ce barbier de Seligman a toujours bon pied bon œil. En 1978, l’autoroute I40, la tueuse, est inaugurée à un mille au sud. Du jour au lendemain, le village de Seligman, comme beaucoup d’autres s’éteint. Le trafic routier de la route 66 tombe à zéro « overnight ». Mais Angelo, pas du tout de genre résigné, se mit à gamberger « Que faire pour sauver le village ? » Et lui vint la magnifique idée de relancer la route 66 par le tourisme en poussant  le côté vintage et nostalgie : la 66 et l’histoire des premiers déplacements à travers le pays, les migrants vers l’ouest lors de la crise de 1930, les premiers vacanciers des années 50… Au bout de dix années de contacts avec d’autres enthousiastes des sept autres états traversés par la Mother Road, Angelo créé en Arizona une association pour la sauvegarde de la 66, bien vite suivie par des associations dans les autres états. Aujourd’hui des associations de soutien essaiment sur toute la planète. Devant nous une minuscule journaliste japonaise questionne la volubile fille d’Angelo et prend des notes, sa chaîne de télé va interviewer le grand-homme dans une heure. Interview qui sera suivi par l’intervention de Ouest-France et Radio Bleue-Caen ! La fille d’Angelo se tourne vers Cat « Mais je vous connais ! » « Normal » répond Cat « Je suis une célèbre comédienne dans mon pays et joue en particulier dans des pièces du célèbre écrivain Georges Brosset » « Ah, voilà pourquoi répond la volubile.
Et c’est ainsi qu’un modeste barbier devint une célébrité mondiale.

 Angelo et Ge
Le lendemain, Angelo coupera les cheveux du Captain. Svelte, élégant, charmant et vif dans son salon vintage qui lui va si bien. Il rit, il plaisante, les échanges croisés de bons mots fusent. On a du mal à quitter le dynamique barbier.
Mais ici à Seligman, le célèbre barbier pompe l’air. Voilà 40 ans que cet extroverti ballade sa grosse personnalité dans le village. Et quand on demande « Où se trouve la boutique du barbier ? » la réponse tombe « Il ny a pas de barbier ici. Peut-être à Kingman, à 50 miles »
On ne peut être César sans faire des envieux.
De Seligman, 80 km sans un virage. Ne cherchez pas, il n’y en a pas. Le géomètre des TP a pu se permettre de longues siestes dans cette plaine surchauffée. Un arrêt au Trading Post de Hackberry, « Hackberry General Store », un magasin-bistro-pompe à essence des années 50 resté authentique sans bluff animé par une serveuse dont la voix rocailleuse cadre bien avec le décor. Devant la porte, une corvette 1960 rouge, immaculée, la voiture du patron. 

  
Hackberry General Store

 Une magnifique route sur le plateau d’Arizona nous mène à  Kingman, méandres au milieu de cette plaine immense. De temps à autre la Camaro croise un interminable train de la ligne Santa-Fe. Il fait chaud, très chaud. L’air conditionné lutte capote bouclée. La route redevient rectiligne.

Go West!



 

 



 

Une visite au très bon musée route 66 de Kingman.  On replonge das l’univers de Steinbeck qui décrit cette route que nous reprenons dans le confort de notre air conditionné.  Une route difficile qui grimpe et tournique au cœur d’un désert de pierres noires, végétation rase piquetée de curieux cactées. Rude et beau. La Camaro parcourt les derniers miles avant la Californie. A la sortie de A l’horizon une bande verte, le Colorado continue sa course vers le golfe de Californie au pied d’une chaîne de montagnes version américaine des Grandes Jorasses, les Needles. L’altitude diminue, la température grimpe. La 66 disparait sous l’Autoroute. Un pont sur le Colorado Bonjour la Californie.

La Californie



Steinbeck avait dit en parlant de la Californie : « … belle vallée, les vergers, les vignobles… ». Il faudra encore patienter un peu ! Ici c’est Needles, la ville la plus chaude des Etats–Unis. Pour célébrer notre arrivée il ne fait que 44 oC, demain, paraît-il, on attend 47. Devant notre air abattu, même pas le ressort pour aller faire un plongeon dans la piscine, un employé de l’hôtel nous raconte : « Il y a quelque temps, un type meurt, un hors la loi, un type sans qualité. Il arrive en enfer et croise le diable « Satan, pourrais-je avoir une couverture ? » « Avec cette température, mais tu es fou ? » « Je ne suis pas fou mais j’arrive de Needles!».
Bien confortablement installés dans un univers bien conditionné, notre commande est ponctuée de « Sure darling ! Yes darling » et l’addition d’un « See you to morrow darling ».


Mais de quoi la ville de Needles peut-elle vivre? Le plus grand employeur est le Casino de Laughlin, les chemins de fer de Santa-Fe, la municipalité et les écoles. Pas beaucoup de production dans ce four infernal.
De Needles à Barstow, c’est la route du désert, le désert de Mohave qui transpire l’angoisse, la solitude impressionnante, oppressante. On devine les crotales qui somnolent. Désert de sable parsemé de touffe d’herbes desséchées et de villages de mobil-homes presqu’abandonnés, routards en fin de course. Mélange de noir de rouge et de blanc. Et ce chemin de fer qui jamais ne nous abandonne et rappelle que finalement la vie existe sur cette planète. Les crotales jaunes se dorent au soleil.





Le train de Santa Fé, le fidèle compagnon


Goffs se meurt, 23 habitants, maisons délabrées entourées de grillages et protégées par des Webcams. Protégées de quoi ? Des coupe-jarrets continueraient-ils à battre la campagne comme au bon vieux temps de Billy the Kid ? Il est bien loin le temps où Patton entrainait des milliers d’hommes dans ce coin d’enfer surchauffé avant de les envoyer affronter l’Afrika Korps dans le désert Lybien.

Goffs

les 23 habitants de Goffs
Plus loin, Amboy n’a pas survécu à la fermeture des mines et de la 66. Le « Roy », grand hôtel construit à la fin des années 30  gît au bord de la route regardant, résigné, au loin, le cratère d’un volcan noirâtre, l’emblème du lieu.

Le Roy à Amboy

Amboy  -  Le crater noir
 Une voiture insolite surgit de l’horizon, un roadster bricolé par deux copains qui « font » la route 66 sur toute sa longueur. Des durs à cuire pour qui le mot confort n’a aucun sens : demain ils seront à Santa-Monica !

Rodster en route vers Santa Monica
out cinéphile a adoré « Bagdad Café » ce huis clos dans un café minable au milieu de nulle part. Le Bagad Café du film est à Newberry Spring. La caravane Airstream de Jack Palance est encore là. Mais en commandant notre Hamburger « To share » on regrette Jasmin et Brenda. Le café ne tient que par les nostalgiques du film que la serveuse n’a probablement jamais vus.

Bagdad Café

 Pas vraiment Brenda

Pour s’imprégner de la ruée des mineurs vers l’ouest, rien de tel qu’un crochet par Galico, ville minière qui à la fin du 19ème siècle abritait 1 200 personnes, dont 500 mineurs. En plus d'un assortiment de bars , de bordels , de lieux de paris et quelques églises, la ville avait son journal , le Calico Print. Dans les années 1890, le prix de l'argent s'est effondré, et la ville désertée.
En 1951, Walter Knott, acquit la ville et a lancé un programme de restauration selon les photographies d'époque. En 1966, Knott donne la ville au Comté de San Bernardino.
C’est aujourd’hui un monument historique de la Californie et est qualifiée de « Ville fantôme officielle du silver rush ».
Les nombreux cars indiquent que Galico fait partie du circuit classique « Californie ». Les  touristes semblent en majorité européens.

Galico

Le Motel de Barstow sera encore une fois un modèle « historique » avec toutefois une chambre aux deux particularités, le lit est circulaire et les rideaux soyeux comme on ne peut voir qu’à Bombay. Normal, le couple qui tient le motel est Indien, pas Navajo, mais  des Indes.


A Barstow, la rénovation de la Harvey House, sauve la ville de l’ennui.  Une originale combinaison d’hôtel et de gare et qui voyait débarquer, au début du 20ème siècle, des mineurs  par milliers. La voie de Santa fe, la grande artère économique du pays est toujours là très active, un train de un mille de long toutes les vingt minutes. Mais ici aussi, les mines ont fermé et les 8 voies de la gare de triage sont maintenant un peu surdimensionnées.

 
la Harvey House

 

 La vie survit « grâce » aux nouveaux camps d’entrainement. Tant qu’il y aura des Sadam Hussein des Bachar et autre Daesh la ville sera prospère …. ! Il faut bien accoutumer ces petits gars blonds et roses habitués à la fraîcheur de Seattle. Ici au moins il fait un 40 oC, le rêve pour affronter les déserts de Mossoul. Un peu cynique mais c’est la triste réalité.
Au Musée de la ville « Mohave Museum », synthèse de la journée passée dans ce désert surchauffé.
La main-street de Barstow, la 66, le modèle de non-ville comme Holbrook ou Gallup, submergée de pancartes publicitaires, un hymne à la gloire de la bagnole.
De temps en temps une touche de verdure, la rivière Mohave n’est pas très loin. Mais si la rivière est sèche en ce moment, les sous sols ont gardé en mémoire un peu d’humidité.
Dans ce coin oublié des Dieux, à Helendale, un original, Elmer Long , prit le parti d’en rire. Il n’y a pas de forêt ? Alors construisons en une. De son imagination et de son humour sortit une forêt faite de bouteilles, de panneaux routiers, de fusils, de machines à coudre, de lustres, de caisses enregistreuses… Dans une « clairière », le cabanon d’Elmer.


La forêt d' Elmer Long
A Victorville la 66 nous abandonne à nouveau pour quelques milles, avalée par la I40 à 6 ou 8 voies et son angoissante conduite débridée. Enfin,  à  la sortie 50 c’est à nouveau le calme de la Mother Road. Le seul inconvénient des routes secondaires aux US est l’absence de signalisation. Et c’est ainsi que la Camaro se retrouve au bout d’un cul-de-sac dans le parking visiteur d’un pénitencier californien, entourée de hauts murs en béton coiffés de 3 bons mètres de sympathique barbelé (depuis la visite du musée de Maclean nous sommes experts en barbelé). Discrète marche arrière, demi-tour, la Camaro repart sur la pointe des pneus.
La route serpente au milieu des collines qui ont abandonné le mode « désert » pour commuter en mode « pinède ». Le GPS nous tire dans la ville de San Bernardino. A gauche, à droite, Foothill bd et surgit le second village indien de la route, un Wigwam motel beaucoup mieux entretenu que le précédent.

Wigwam Motel de San Bernardino

A San Bernardino on ne manquerait pour rien au monde un monument de la culture du 2o ème siècle, le premier Mac Donald. On peut vivre sans connaître la chapelle sixtine, mais pas sans voir au moins une fois de sa vie le premier Mac-Do. Routard passe ton chemin !
Ca sent l’écurie. La dernière étape devant les naseaux de la Camaro.
Les Tipis du Motel se dorent au soleil levant, c’est le moment d’appareiller. La distance jusqu’à Santa Monica est courte, 100km, mais « challenging » : traverser LA sans toucher une autoroute, en suivant scrupuleusement la Route 66. Quand on sait que l’agglomération de Los Angeles occupe 60x60 km, la surface du canton de Vaud, qu’elle est parcourue par 1000 km d’autoroutes, que la 66 n’est pas répertoriée sur les cartes, donc pas d’informations GPS, oui, ça va être un vrai challenge. Pendant les 4/5ème du périple tout se passe bien. La 66 prend toute une succession de noms d’emprunt : Foothill bd fait place à Huntigton av., à laquelle succède Shamrock et Santa Anita street et puis … La  Camaro, son chauffeur ou son assistante ont raté Sunset Bd.. Reset ! Comment rallier Santa-Monica, l’ultime destination de la 66 ? Sortir la carte de la ville, comme au bon vieux temps. Voilà la recette. En rajoutant une couche de mémoire, les JO de 1984, il suffisait de trouver l’Olympic Bd qui mène directement à Santa-Monica où avait lieu les épreuves de voile. Comme nous sommes à LA, l’Olympic Bd se déroule sur 25 km et débouche sur Ocean drive, la croisette de Santa Monica, face à un Océan Pacifique tout calme. Les derniers 100m sont piétons. Photo des deux héros qui se congratulent et se félicitent devant la pancarte :

Route 66 – End of the trail.

We did it!