vendredi 31 octobre 2008

EMYR II : Troll au Moyen Orient


Le Moyen-Orient


La Syrie

Le lendemain, ce sera un vrai départ : cap sur Lattakia, le grand port syrien. L’aventure moyen-orientale commence.
A la réunion des skippers, les instructions avaient été un petit peu plus fournies que d’habitude : « 85 milles à courir jusqu’à Lattakia, de nuit, au minimum à 6 milles de la côte ; ne pas couper le dernier « waypoint » mais revenir vers Lattakia perpendiculairement à la côte au milieu d’un canal fictif ; s’annoncer sur le canal 16 au passage de la frontière « Syrian Navy, Syrian Navy, Syrian Navy ; EMYR boat Troll crossing the Syrian border » ; rapport de position toutes les quatre heures à Anthea sur le canal 68 ; arrivée du groupe 6 programmée vers 12.00 ». Voilà c’est net, c’est clair, c’est parti. Le temps prévu pour réaliser cette traversée de nuit est vraiment trop long pour Troll qui appareille à 1.00 du matin pour éviter de faire le trajet en marche arrière. A force de ralentir peut-être finira-t-on par produire du fuel. Il faudra essayer. A mi-chemin le soleil sort de la côte syrienne sur notre bâbord. Beaucoup de bateaux du rallye sont en vue sur une mer extraordinairement plate.
A 14.00, Troll s’amarre au quai « pêche » de la petite marina syrienne, le "Syrian Yacht Club" de Lattakia prévue pour 50 bateaux et qui pour cette fête annuelle en accueille 80. Notre quai « pêche » a été équipé de bornes « eau » et « électricité » provisoires et des policiers en renforcent la sécurité. De toute manière l’état syrien est tellement policé que le sentiment de sécurité prévaut partout. Les mauvaises langues prétendent qu’un Syrien sur deux fait partie des services secrets… pour surveiller l’autre.
Deux policiers des frontières nous accueillent dans une petite tente dressée sur le quai. Echange des passeports contre des petites fiches cartonnées provisoires, liste d’équipage, regard bleu gris qui transperce les chaussettes. Inscriptions au bureau de la marina pour les tours guidés des jours suivants.

Cap sur la Syrie

Ahmad est à l’avant du petit bus francophone et se présente. Son français est excellent. Dommage, notre copain australien aurait apprécié mais aujourd’hui il ne s’est pas trompé de bus. Ahmad sera notre lampe d’Aladin pendant les trois jours de visite qui seront intenses est-il nécessaire de le préciser.
Première halte : le crac des chevaliers. Ce gigantesque château fort quasiment intact garde depuis huit siècles la seule trouée, le seul passage entre Antioche et Beyrouth distants de 250 km. Pendant cent ans une garnison de 4000 croisés ont tenu cette citadelle. Mais finalement, en 1271 les Arabes finirent par enlever la place. Les tours, les bastions, les rampes, les douves, les casernements se succèdent et Ahmad est intarissable. Le plus impressionnant peut-être reste cette salle intacte des chevaliers. Il suffirait de replacer la longue table entourée de ces chaises à haut dossier pour que la conversation reprenne : « Entrez messieurs, prenez place et venez débattre de la meilleure stratégie pour défaire le sultan Baïbar ».

Le Crak des chevaliers





« Entrez messieurs, prenez place et venez débattre
de la meilleure stratégie pour défaire le sultan Baïbar »



Du haut des tours au loin en enfilade la plaine de la Beqaa, le Liban.
Au revoir Raymond de Saint Gilles, au revoir les hospitaliers de Saint-Jean ; allons voir la reine Zénobie en sa ville de Palmyre.
La route s’enfonce dans le cœur de la Syrie abandonnant le littoral vert et cultivé qui bénéficie des pluies d’hiver. Les plantations d’agrumes et les arbres fruitiers font place à une steppe suffisamment irriguée par l’Oronte pour permettre une culture intensive céréalière. Mais ce n’est qu’un intermède avant le désert, le vrai, des immenses platitudes minérales piquetées d’oasis. Une route rectiligne sur des dizaines de kilomètres où la seule ombre provient d’auvents de bistrots surgissant de nulle part et au nom évocateur de « Bagdad Café », réminiscence du film ou inspirateur du titre. De nombreux 4x4 chargés de montagnes de matériel filent vers l’est au-delà de l’horizon vers un Bagdad dévasté.



Bagdad Café


Quelques millions de cailloux plus loin, un tumulus se profile : la citadelle de Palmyre avec à ses pieds des milliers de palmiers verdoyants entourant la ville de la reine Zénobie, ce nœud de communication pour les caravanes qui reliaient la Mésopotamie et la péninsule arabique à la Méditerranée, une étape sur la légendaire « Route de la soie ».
Et on en fait bien des histoires avec cette reine de légende. Bon d’accord elle était belle, douée, parlait grec, latin, araméen et égyptien couramment, mais on ne plaisante pas avec Rome. Les slogans « Romans go home » ne peuvent pas durer bien longtemps et Aurélien allait y mettre bon ordre : la ville fut détruite et Zénobie la surdouée finit sa carrière captive à Rome. En résumé pas de quoi fouetter un chameau ! C’est en tout cas bien l’avis d’Ahmad.

Palmyre




Palmyre impressionnante de silence, sublime par ses dégradés de couleurs où les constructions se fondent dans le désert, où la seule différence provient de la volonté du sculpteur et du tailleur de pierre. Impressionnante aussi par le gigantisme. Rome se devait d’impressionner les populations asservies et pour cela il fallait construire d’immenses édifices qui puissent écraser de leur puissance les modestes tentes bédouines : le temple de Bêl, le Baal des Carthaginois, bâti sur une immense esplanade de 225 m de long ceinte d’un mur de 15m, d’une double colonnade, avec un sanctuaire dont les plafonds sculptés sont monoblocs et pèsent plusieurs centaines de tonnes ; la grande colonnade, artère principale de la ville bordée de thermes, de magasins, le cœur battant de la ville où les caravanes venaient échanger leurs marchandises ; le théâtre où alternaient les discussions politiques et les divertissements…
Au loin dominant la ville romaine, le château arabe Qalaat ibn maan rappelle que ces heures de gloire n’ont qu’un temps.

Le château Qalaat ibn maan


Comme dirait Saint Paul, la route est longue jusqu’à Damas où nous attend une nuit au Cham Palace.
« Vous avez trente minutes pour vous changer avant de repartir au dîner-spectacle ». « Trente minutes ? Mais c’est beaucoup trop ! » Course vers les chambres, douches, échange T-shirt contre blazer et nous voici dans un restaurant, faux palais des contes orientaux. Rien ne manque : pièces d’eau gargouillantes, petits ponts d’amour survolés par des tapis volants : kitch à pleurer. Quant au spectacle tiré des contes des Mille et une nuits, une série B hollywoodienne revue par Bollywood. Partis avant la fin mais pourtant courageux parmi les derniers nous ne saurons jamais ce qui est arrivé à Shahrazade.

Bollywood


Mais que devint Shahrazade?

Al-Walid ben Abdul Malek 6ème Calife Omayade convoqua son architecte : « Ma grande mosquée est minable et me fait honte ! Construis-moi une mosquée comme jamais personne n’en a construit et comme personne n’en construira plus jamais ! » Pendant dix années 1000 maçons et artisans s’affairèrent pour donner au monde un des plus beaux monuments de l’art islamique. Vêtues de la tête au pied d’une robe encapuchonnée, les matelotes, tombées d’un austère monastère du moyen-âge, parcourent le sanctuaire, admirent les lustres, découvrent le tombeau de Saint-Jean Baptiste - vénéré également par les musulmans - et qui contient sa tête. Quelle tête me demanderez-vous ? Une des douze têtes du saint homme vendues et revendues au Moyen-âge de Byzance à Cologne en passant par la Calabre.

La mosquée des Omayades


... tombées d'un austère monastère du moyen-age...

"La tête de Saint Jean Baptiste?" "C'est au fond à droite!"


Près de la mosquée un groupe de Pakistanais, marchant serrés les uns contre les autres, psalmodient des versets du coran en pleurant et en se donnant des claques sur la tête : c’est aujourd’hui l’anniversaire de la mort de leur Saint Iman récemment disparu… il y a 10 siècles.
Le grand bazar, les souks el Hamidiyeh, gigantesque bric-à-brac où se mêlent l’utile pour les Syriens à l’inutile pour les touristes : objets incrustés, ustensiles ciselés de cuivre et de laiton, bijouteries et beaucoup de boutiques de mode présentant les dernières créations de tchador, le chic du chic du moment. En regardant la voute d’acier et de verre de la grande allée du souk on ne peut s’empêcher de penser à la grande galerie de Milan, mais lorsque les yeux redescendent, l’extraordinaire échantillonnage humain ramène vite l’esprit vagabond du voyageur vers le Moyen-Orient.

Les souks de Damas

"Tu penses que ça brille assez?"




La concurrence est vive!

Le dernier chic!

Au pied de la citadelle, la ville d’Alep se déroule, grise, pierreuse. C’est vendredi. Soudain à l’unisson, le chant des muezzins s’élève de 135 mosquées vers les cieux ; un frisson parcourt les échines.
Monumentale, la citadelle donne dès l’entrée par ce pont massif autrefois levis un sentiment d’indestructibilité. La succession de trois lourdes portes, blindées, montées dans une succession de tournants à angle droit donne une impression d’imprenabilité.
Si les nombreux tremblements de terre ont ravagé une grande partie de l’intérieur de la citadelle, l’enceinte, elle, n’a pas bougé.

La citadelle d'Alep



Au pied de la citadelle, la ville d’Alep
se déroule, grise, pierreuse

Ahmad

Tom



Black panther:
heureusement que le noir amincit!


Dans les rues désertées d’un vendredi de prière, les hommes vêtus de djellaba blanche se hâtent vers leur mosquée pour ne pas rater le prêche de l’iman que l’on pourra ensuite commenter le reste de la journée en savourant le thé jaune au fond de verres tulipés. Les rideaux de fer sont baissés. L’heure est à la réflexion et à la méditation.

Un vendredi à Alep
Le quartier arménien



Mais Alep n’est pas que musulmane et une importante Alep arménienne, chrétienne, rappelle qu’en 1915 de nombreux Arméniens, fuyant la Turquie en plein nettoyage ethnique, recommencèrent ici une nouvelle vie sur le sol syrien.
Le restaurant Dar Zamaria, au cœur du quartier arménien chrétien, ne se sent pas concerné du tout par la fermeture du vendredi et régale de ses extraordinaires mezzés pendant qu’un chanteur s’accompagne de son oud.


Si en rentrant de Syrie vous ignorez le nom du président de la république syrienne alors consultez d’urgence votre ophtalmo. Les routes de Syrie sont bordées de milliers de portraits, le même que vous retrouverez dans les boutiques, à la banque, à la poste, dans les restaurants, dans les hôtels, bref partout. Pourvu que Sarko n’aille pas en Syrie il va ramener l’idée !


Alors allons compter les portraits du président le long de la route d’Alep à Hama, dernière étape du périple syrien.
En 1962, le capitaine et son copain Pierre traversaient Hama en route vers Jérusalem alors jordanienne. Du fond des souvenirs s’entremêlent une paisible ville orientale pittoresque, une multitude de norias en activité, des discussions avec cet ancien prof qui maniait un charmant français levantin.
Vingt ans plus tard, Assad, Afez, le père de l’actuel, conduisait une action musclée à Hama pour liquider définitivement le mouvement des frères musulmans. L’affrontement eut lieu : bilan 20'000 morts.
Aujourd’hui Ahmad, notre guide, se lance spontanément dans une explication-justification, style langue de bois, tellement bien tournée qu’à la fin de l’exposé les auditeurs en connaissaient encore moins qu’avant.
Hama est devenue une ville un petit peu tristounette qui pleure ses norias paralysées en contemplant l’unique survivante qui tourne en miaulant.

Hama



et qui tourne en miaulant...

Tout à coup Knut se lève dans le car : "C’est l’anniversaire de ma copine sud-africaine. Je vais l’appeler à Cape Town. Ca serait sympa de lui chanter tous "Happy Birthday ""
« Que se passe-t-il ? » demande Ahmad qui n’avait pas suivi. « Ce n’est rien Ahmad. Cest juste la copine de Knut qui a son anniversaire à Cape Town. Tu sais au sud de la grande Syrie ! » Notre Coluche valaisan venait encore de sévir.

Le Liban

La situation politique libanaise hyper-tendue, à deux doigts de la guerre civile, s’est un petit peu tassée. Un nouveau président Michel Sleimane a été désigné. Les armes sont encore une fois rentrées au placard. L’étape libanaise est donc de nouveau au programme avec une petite modification : la marina de Jounié est en plein dragage et ne peut accueillir toute la flotte. Hasan improvise alors avec ses correspondants libanais une solution de rechange: les groupes 5 et 6 iront à la marina Solidère face au légendaire hôtel St Georges ou ce qu’il en reste. Il est cinq heures, le mont Liban sort peu à peu d’une mer huileuse et rosée. A l’horizon Beyrouth se réveille et Troll pique sur un groupe de tours acier et verre très Manhattan au bord de la marina Solidère. Entrée dans la marina: quel contraste avec 1962 ! L’hôtel Saint Georges n’est plus au bord de sa plage privée et entouré de verdure et de palmiers très « Cannes ». Le pauvre hôtel éventré par l’explosion de la bombe qui tua Rafik Hariri fait piètre figure face à cette rangée d’immeubles arrogants qui le dominent. La marina est vaste, peu encombrée si ce n’est par quelques yachts plus proches de bateaux de croisière pour 500 passagers que de bateaux de plaisance privés. La déconfiture libanaise n’est manifestement pas néfaste pour tout le monde. Paperasses d’usage : les officiels sont sur le quai, souriants et efficaces. Les douaniers montent à bord pour une inspection et quelques paperasses supplémentaires. « Vous n’avez pas quelque chose pour nous ? » « Non. Rien ! » . Visite de la cabine avant : « Vous n’avez pas quelque chose pour nous ? » « Non. Rien ! » Visite de la cabine arrière : « Vous n’avez pas quelque chose pour nous ? » « Non. Rien ! ». Dépités les deux douaniers regagnent le quai. Pas de bakchich à bord de Troll !


Beyrouth droit devant!

La marina Saint-Georges ou Solidère

Le prestigieux "Saint-Georges"...

Il est bon de se sentir à Beyrouth. Difficile de dire pourquoi. Des souvenirs personnels mêlés à l’Histoire de cette ville qui oscille perpétuellement entre amour et haine. C’est une ville prenante à laquelle on s’accoutume assez vite avant de s’y attacher profondément. Tout s’y côtoie le plus naturellement du monde, le beau et le laid, les maisons basses et les hauts buildings, les vagabonds et les citadins élégants, les luxueuses voitures et les charrettes des marchands ambulants, les ruelles tortueuses et les larges avenues. Jeunes filles en minijupe ou jeunes barbus : un mélange explosif mais pour l’instant tout est calme.
Sauter dans une de ces vieilles Mercedes, taxis brinquebalant, à la boîte de vitesse récalcitrante : direction Hamra. Autrefois, quartier chrétien, Hamra est devenu au cours de la guerre de 1975, un quartier commerçant à majorité musulmane. La rue Hamra qui traverse le quartier est restée très active et commerçante. Un restaurant nous offre une très bonne cuisine traditionnelle libanaise ; à la table voisine deux Béroutins business men alternent français et arabe suivant le sujet avec cet accent libanais indéfinissable et poétique. Le choix de la langue semble s'ajuster sur la recherche de l'expression ou de la tonalité la plus musicale. Juste à côté la célèbre et incontournable librairie Antoine propose littérature française et arabe dans ce perpétuel mélange si caractéristique de Beyrouth. Plus bas, se découvre l'A.U.B. (American University of Beirut) située dans un grand parc au bord de la mer. « Puis-je vous aider ? Vous avez l’air perrrrrdus » chante une voix roucoulante. Nous levons les yeux de notre plan de la ville. Une Béroutine bien âgée nous regarde d’un air malicieux. Quelques minutes plus tard nous savions tout de ses acticités passées dans la diplomatie, de ses voyages à Paris, à Londres et à Genève, de ses participations aux conférences internationales A, B et C. Et nous quittons notre nouvelle amie maronite, la larme à l’œil d’avoir pu converser ainsi et raviver ses souvenirs d’un Beyrouth disparu. « Taxi ! Place des Martyrs SVP ! » Un désert au cœur de la ville. La place des Martyrs, ou Place des Canons, est devenue depuis la fin de la guerre de 1975 une immense étendue vide presque un gigantesque terrain vague. On l’a appelée Place des Martyrs pour les martyrs qui y ont été pendus par Jamal Pacha en mai 1916; Place des Canons pour les canons que Catherine II de Russie y fit débarquer en 1772. Vers le haut de la place trône, si l’on peut dire, le fameux cinéma Rivoli(?) des années 50, sorte de vaisseau spatial abattu par la DCA, partiellement éventré, partiellement criblé de balles. Gary Cooper ne sera pas à l’affiche ce soir.


Cinéma Rivoli, place des Martyrs

Avant la guerre de 1975 la place des Canons était le cœur, le poumon de la ville, c’était le souk, les cinémas et leurs affiches criardes, les marchands ambulants et les badauds. Une foule bruyante, des voitures américaines rutilantes type Plymouth ou De Soto comme je l’avais connu en 1962 avec l’ami Pierre. A deux pas de la place, le centre ville est aujourd’hui reconstruit autour de la Place de l’Etoile. De nombreux bars branchés se trouvent dans les alentours de cette place. Mais la situation est-elle aussi calme qu'elle en a l'air ? L’accès au quartier est contrôlé par des soldats souriants mais armés de M16. Il faut dire que le Parlement donne sur la place et que certains députés sont des cibles de choix. La tour de l'horloge "Al Abed" avait été enlevée durant la guerre. Elle est aujourd’hui restaurée et de nouveau à sa place originale.

Place de l'horloge

Le centre pas encore reconstruit

Le centre reconstruit

Balade sur la corniche

Cette reconstruction du centre ville : un projet pharaonique orchestré par la société "Solidère", porté par l'initiative privée et, surtout, placé sous la haute main de Rafic Hariri, homme d'affaires milliardaire et premier ministre… jusqu’à son assassinat. Je t’aime, Je te hais ! Ici, le "façadisme" un petit peu style Bofill y est pratiqué à une vaste échelle. Les rues sont tirées au cordeau, avec des immeubles de pierres sablonneuses, avec arcades et balcons. Leurs terrasses sont investies par des cafés huppés, des restaurants et des boutiques de mode. Nous sommes loin de Hamra. Ici l’histoire semble de toute façon en éternelle réécriture.

Beyrouth

La route grimpe en longs virages le long du mont Liban offrant de temps à autre des vues plongeantes sur la ville qui d’ici a gommé toutes ses blessures, toutes ses plaies toujours ouvertes. La distance, comme le temps, efface. Un détour, on replonge pour remonter de l’autre côté d’une vallée. Le beau viaduc qui l’enjambait n’est plus que décombres en voie de reconstruction après un raid aérien israélien. Détruire, reconstruire, détruire…


Au col, la plaine de la Beqaa se découvre patchwork de champs jaune doré et de parcelles vertes. Cap au nord : direction Baalbek. Le long de la route se succèdent de nombreux portraits du nouveau président Sleimane, fraichement élu la semaine précédente mais ce qui n’empêche pas les Libanais de l’appeler déjà « Michel ». A 20 km de Baalbek tout à coup la tête du président est remplacée par celle de Nazrallah : nous venons d’arriver dans une région contrôlée par le Hezbollah. Mais l’accord récemment signé semble être respecté : pas de miliciens du Hezbollah en arme en vue.


La route est une succession ininterrompue de villages qui se superposent, s’enchevêtrent masquant les champs cultivés dont ils vivent. C’est peut-être mieux ainsi car les champs cultivent un mélange qui semble une spécialité locale : moitié agrumes, moitié sacs en plastique sans oublier les fossés remplis de sacs poubelles. Les problèmes issus de la pollution ne sont pas encore en tête de liste des préoccupations. Il y a bien d’autres choses urgentes à gérer ici au Liban. Et pourtant il y a au moins un Libanais qui se préoccupe du problème des détritus sauvages : Abdul Nabi Al Afi. Depuis 20 ans cet ancien sergent de l’armée libanaise a déblayé de ses mains la décharge publique de Baalbek qui avait élu domicile dans l’ancienne carrière romaine où furent débitées et taillées toutes les pierres utilisées dans la construction des temples et autre édifices monumentaux. Les sarcasmes des villageois ne le découragèrent pas et aujourd’hui Abdul montre fièrement le site de la carrière entièrement nettoyé au milieu de laquelle trône une gigantesque pierre de 1000 tonnes que les Romains destinaient à servir d’autel pour le temple de Jupiter. Aujourd’hui il semble que le flot de touristes constitue le meilleur rempart contre les villageois récalcitrants qui aimeraient bien continuer à utiliser leur décharge « historique ».

1000 tonnes! Bravo Alain!

Il aura fallu plus de 100 ans aux archéologues allemands, français puis libanais pour remettre sur pied les gigantesques bâtiments du site - en particulier les temples de Bacchus et de Jupiter - abimés, détruits, modifiés par près de 20 siècles de tremblements de terre, de pillages et d’adjonctions moyenâgeuses hétéroclites. On ne félicitera pas Guillaume II pour son penchant belliqueux mais en revanche son financement des premières campagnes archéologiques le réhabilite.

Baalbek






Dans les magasins de souvenirs : au hit-parade des ventes, un T-shirt jaune avec dessiné un combattant vert armé d’une Kalachnikov, les couleurs du Hezbollah. Achetez-en un, ça leur permettra d’acheter des munitions. Laissons Mars et ses funestes projets, faisons plus volontiers un petit tour du côté de Bacchus, de Dionysos le Dieu des agapes et du vin. Les Romains ne s’étaient pas trompés : la terre libanaise est propice à la culture de la vigne. A voir les deux kilomètres de caves-galeries qu’ils avaient creusées au milieu de la plaine de la Beqaa pour « élever » leurs vins, on imagine la production de l’époque. Aujourd’hui ces caves sont toujours utilisées par l’appellation « Château Ksara » dont la production est vendue dans le monde entier et non plus uniquement autour de la « Mare Nostrum ». Après dégustation de la « Cuvée du Couvent », du « Château rouge Ksara » et du « Prieuré Ksara », quinze bouteilles prendront le chemin des caves de Troll.

Ksara-Dyonisos

Il y a bien longtemps que nous n’avions pas évoqué un autre type d’agape : les dîners officiels du rallye. Nous y venons. De retour à bord, après cette intense journée de visites, l’heure est à la douche et les shorts font place au blazer-cravate pour monsieur et tenue habillée pour madame car ce soir nous sommes de sortie : les joyeux navigateurs de la marina St Georges vont rejoindre leurs homologues de la marina de Jounié pour un dîner offert par la marina et la municipalité. Il y a une semaine le Liban frisait une nouvelle guerre civile ; ce soir les Libanais reçoivent magnifiquement leurs hôtes navigateurs. Pour survivre au Liban il ne faut pas se remémorer le passé source de vengeance, ni penser à demain qui pourrait de nouveau être sanglant, alors vivons intensément le moment présent. Le dîner fut de « cuisine française » et accueilli presque la larme à l’œil par les convives un tout petit peu lassés par un mois de mezzés. Une cuisine raffinée et élitiste car il faut bien se rappeler que Jounié et sa marina, sont le fief des maronites fortunés, le Beverly Hill de Beyrouth, les antipodes de Hamra. Le séjour libanais touche à sa fin. Sur notre quai, un immense yacht d’au moins 100m. Soudain le flop-flop caractéristique d’un hélicoptère. Contrôle militaire ? Mais non voyons ! C’est l’annexe du grand yacht qui arrive et se pose délicatement sur la plage arrière du mastodonte. « Voici ma Chèrrrrre une interruption bien importune de la mise en place des palmiers et oliviers sur le second pont et qui nous donneront une ombre si rafraichissante ». Sacré Liban.

Un modeste voisin!

Pour nous, au programme, quelques formalités de sortie du pays avec remplissage de formulaires. A la rubrique : « Port de destination » tous les skippers remplissent sagement « Port Saïd » car où pourrions nous aller ? Il existe paraît-il un pays provisoire juste au sud dont personne ne prononce le nom. Mais non ! Nous allons à Port-Saïd. ! Dans l’après-midi la petite flotte se met en route cap au sud ! Alors entrent en jeu Oscar Charlie (Operation Control) et Oscar Sierra (Operational Security) les Big Brothers libanais qui sur le canal 16 commencent à mitrailler la flotte de questions : « EMYR boats, EMYR boats, EMYR boats for Oscar Charlie, one Emyr boat please come in » L’un de nous répond « Oscar Charlie for EMYR boat xxx » « Boat xxx what is your destination port ? » « Haïfa ! » Oh la gaffe ! Alors, notre inénarrable Dorothée intervient sur le canal 16 « Mais non nous n’allons pas à Haifa, nous allons à Port Said » « All EMYR boats All EMYR boats for Oscar Charlie if you don’t know where you are going all boats at 12 milles offshore in International waters. » Merci Dorothée. Changement de cap général : tous les bateaux mettent le cap vers le large, tous ou presque car « Shelter » suit imperturbable la côte : sa VHF est éteinte pour ne pas réveiller Pilar.

Bye-Bye Beyrouth


Israël


Voilà, nous sommes dans les eaux internationales alors on peut tout vous dire : les 80 bateaux de la flotte EMYR vont en Israël. Cap sur Haïfa. La nuit est noire et la VHF est très excitée. Des navires de guerre de l’ONU interviennent sans arrêt, demandent l’identité des bateaux, leur dernier port, leur destination etc… Les opérateurs radio changent d’accent au fil des vacations : aucun doute n’est possible c’est bien l’ONU. Une autre voix, féminine celle-là, intervient : « This is Israeli Navy, Israeli Navy . All boats stay 12 milles offshore ! » Pour une fois que les Libanais et les Israéliens sont d’accord sur un point… Au passage de la frontière, Troll se signale « EMYR yacht Troll nr 1055 crossing the Israelian border » Sur l’écran radar, les bateaux EMYR tracent des routes bien parallèles mais aucune trace des bateaux de l’ONU ou Israéliens. Tous ces bateaux sont furtifs et indétectables ! Même une ombre aperçue à ½ mille ne donne aucun spot radar ! Troll se demande s’il est bien à sa place. A deux heures du matin le GPS du bord lance une alarme : «Plus de signal ! » Bon ça va passer. Mais soudain sur la VHF c’est l’avalanche d’appels : « Mon GPS est en panne ! » « Mon GPS est en panne ! ». Sacrée Israeli Navy qui vient de déclencher un brouillage général du système GPS. Plus de positionnement possible. Grosses protestations de navigateurs pacifiques qui ne sont pas en route pour détruire l’état d’Israël. A 4.00 le système était de nouveau opérationnel. Le promontoire d’Haïfa est devant l’étrave dans ce matin bien pâlot.

"Israeli Navy! Israeli Navy!"



Une position de « stand-by » devant le port est demandée. Moteurs coupés, sur mer plate, Troll attend en roulant gentiment. Une vedette de la police israélienne des frontières s’approche mitrailleuse pointée. Les 4 membres de l’équipage de Troll sont en rang d’oignon sur le pont pour montrer leurs visages honnêtes. Le capitaine, barbu, doit faire un petit peu suspect. Une épuisette télescopique est tendue par des militaires souriants: « Passeports ! » Nos quatre documents partent au fond du filet vers la vedette pour inspection et comparaison avec les photocopies transmises il y a un mois. L’épuisette réapparait.

Haïfa sort de la brume

Troll peut entrer dans le port de Haïfa et commence à se lancer dans un chenal zigzaguant au milieu de grues, de barges plus ou moins en travers. Un dernier virage à gauche et la marina se découvre déjà pleine mais qui va réaliser l’exploit d’empiler 80 bateaux supplémentaires. Troll entré le premier a droit à un traitement de faveur : la darse de mise à l’eau lui est attribuée, darse qui a très certainement été réalisée spécialement pour lui : même longueur et un jeu de 10 cm en largeur ! Sur le quai, l’accueil par les membres du Yacht Club d’Haïfa est très chaleureux et tout est organisé pour faciliter les formalités, les inscriptions aux visites guidées etc…

"Haïfa Yacht Club"

Haïfa, le « San Francisco » d’Israël voilà qui est prometteur. Allons découvrir la ville basse, les bâtiments de la colonie allemande du 19ème siècle, la ville haute résidentielle et huppée du Mont Carmel et autres hauts lieux de la ville. Des les premières phrases, la guide nous plonge dans la réalité israélienne : un mélange d’arrogance, de chauvinisme, de sectarisme et de paranoïa. Si l’objectif est de faire détester le pays alors l’objectif est rapidement atteint. Première halte dans un supermarché de l’ « Art » où s’alignent sculptures et peintures hideuses. Premiers contacts avec les habitants désastreux : fermés, impolis. On traine ainsi avant d’atteindre le quartier allemand tout en subissant un formidable lavage de cerveau sur les premières immigrations vers Israël - contre vérité car à cette époque l’immigration était vers la Palestine - mais ce mot est probablement imprononçable, rayé du vocabulaire. Un exposé truffé de contre-vérités historiques, une réécriture de l’Histoire à la sauce israélienne. Petit à petit le climat devient de plus en plus tendu. Quant au temple Bahai et ses jardins qui étaient au programme il faudra se contenter de les voir de l’extérieur car l’heure d’ouverture était dépassée. Peut-être était-ce un accident ? Un cas isolé ? Et bien non. D’autres groupes revenant du même circuit avec d’autres guides arrivaient excédés. Un Américain s’était même levé dans un bus pour crier « Quand je pense que nous les Etats-Unis donnons chaque année 14 milliards de dollars à cette bande d’imbéciles ! ».

Haïfa

Le temple Bahai et le mont Carmel

La cuisine moyen-orientale, elle au moins, aplanit les frontières et se moque des tabous et des propagandes : au bord de la marina sur le quai, au pot de bienvenue, nous nous régalons de mezzés qui pourraient être tout aussi bien syriens ou libanais. Echaudé par la visite de Haïfa notre petit groupe francophone fait la connaissance de Zvi, Gazelle en français, un jeune guide de mère française, chanteur dans un groupe de musique folk et qui arrondit ses fins de mois en servant de guide, un guide très ouvert. Alors suivons Gazelle en Galilée sur les pas de Jésus de Nazareth qui passa dans cette région au moins trente années de sa vie. Croyants ou mécréants, quelle importance, c’est une partie de notre culture. Même si les traces réellement historiques sont bien faibles, le seul récit s’appuie sur les trois premiers évangiles qui racontent en particulier les interventions publiques de Jésus dans cette province. Et Gazelle précède ses « disciples » l’évangile à la main.

Zvi

Autres personnages bibliques de Nazareth



Nazareth n’est plus aujourd’hui le petit village d’il y a 2000 ans, c’est l'une des plus grandes villes d’Israël, la plus importante ville arabe du pays - habitants arabes en majorité chrétiens de surcroit - une ville bouillonnante d’activités, un enchevêtrement de rues commerçantes, de souks, de boutiques d’artisans où l’on rencontre des Joseph charpentiers à tous les carrefours. Mais Nazareth est-elle vraiment la ville de Joseph, de Marie et de Jésus ? Les historiens en doutent fortement. Sur les cartes romaines très détaillées de l’époque, la ville n'est mentionnée nulle part. De plus, la Bible affirme que Nazareth est au bord d'un lac et près d'une montagne, d'un grand promontoire, ce qui n’est pas le cas. Enfin, le nom de Nazareth n’apparaît pour la première fois dans les évangiles que vers 240. Il fallait bien trouver un lieu pour mettre en scène les évènements de la vie du Christ. Donc va pour Nazareth. Au fond d’une petite ruelle, une toute petite église qui fut synagogue et où Jésus fit un scandale retentissant en annonçant pour la première fois que la prophétie d’Isaïe était accomplie, qu’il était lui le Messie attendu. Cette synagogue des temps bibliques fut transformée en église à l’époque de Constantin qui régnait sur toute la Palestine. Après la lecture de Luc, Gazelle se lance dans un chant a capella qu’il aurait bien voulu être repris en canon par ses disciples. Son solo fut magnifique, le canon, un désastre.

Le solo fut magnifique, le canon, un désastre

Et que faisait Marie tous les matins puisque Joseph ne lui avait pas installé l’eau courante ? Eh bien elle plaçait une grosse jarre sur sa tête et allait chercher l’eau au puits. Il n’était probablement pas à l’endroit visité, ni même dans cette ville, mais qu’importe.


Et Marie dit à Joseph : "J'ai été au puits.
Il était plein de pièces d'or!"

Quelques années auparavant Marie s’aperçut un beau jour qu’elle était enceinte. Comment raconter ça au vieux Joseph ? Quelle histoire lui raconter ? A peine à 16 ans comment était-il possible de résister aux charmes du beau Gabriel ? Ca y est j’ai trouvé : Gabriel est un ange ou même un archange qui m’a annoncé la naissance du Messie par mon intermédiaire. Joseph eu quelques doutes mais finit par avaler l’histoire. Aujourd’hui au dessus de la grotte où Gabriel et Marie se rencontraient, trône une énorme église commémorant ce que les Chrétiens appellent « L’annonce faite à Marie ». Tout sauf un chef-d’œuvre architectural. Du plus pur années 60. Nota pour les croyants : Cette version nouvelle n’est pas reconnue par l’Eglise qui depuis le concile de Latran en 649 a établi le dogme de la Virginité perpétuelle de Marie…

Le point de RDV de Marie et Gabriel

Gazelle passionne son auditoire, Gazelle fait des miracles ou tout au moins raconte sur les lieux mêmes les miracles de Jésus. Tout débuta à Cana.

"Et le troisième jour, il y eut une noce à Cana de Galilée, et la mère de Jésus y était. Jésus aussi fut invité à la noce, ainsi que ses disciples. Et le vin venant à manquer, la Mère de Jésus lui dit: "ils n'ont pas de vin."
Et Jésus lui dit: "Femme, qu'y a-t-il entre toi et moi? mon heure n'est pas encore arrivée." Sa mère dit aux servants: "Faites tout ce qu'il vous dira." Il y avait là six jarres de pierre destinées aux purifications des Juifs, et contenant chacune deux ou trois mesures. Jésus dit aux servants: "Remplissez d'eau ces jarres." Et ils les remplirent jusqu'au bord. Et il leur dit: "Puisez maintenant, et portez-en à l'intendant du festin." Ils en portèrent. Quand l'intendant eut goûté l'eau devenue du vin (et il ne savait pas d'où cela venait, mais les servants le savaient, eux qui avaient puisé l'eau), l'intendant appelle le marié et lui dit: " Tout le monde sert d'abord le bon vin, et quand les gens sont ivres, le moins bon. Toi, tu as gardé le bon vin jusqu'à présent". Tel fut le premier des signes de Jésus; il le fit à Cana de Galilée. Et il manifesta sa gloire, et ses disciples crurent en lui" (Jn 2, 1-11).

Version d’un mécréant : en réalité il restait encore un petit peu de vin que Jésus fit diluer avec de l’eau et les invités étaient tellement bourrés qu’ils ne s’aperçurent de rien. Gazelle referma le livre des évangiles et ses disciples quittèrent la cour pour s’engouffrer dans la petite église franciscaine supposée être construite à la place de la maison des noces. Au sous-sol quelques jarres dont une datée de l’époque du miracle. Dans les rues avoisinantes de Kafr Kanna les épiceries vendent le « wedding wine » sans préciser si son origine est aussi miraculeuse.

Le lieu de la noce

En rentrant de la noce

A Tabgha, quelques kilomètres vers le nord, c’est l’occasion pour Gazelle de rouvrir son livre. A cet endroit, sur une prairie Jésus nourrit le peuple avec cinq pains et deux poissons

« Et Jésus, ayant appelé à lui ses disciples, dit: Je suis ému de compassion envers la foule, car voici trois jours déjà qu'ils demeurent auprès de moi, et ils n'ont rien à manger; et je ne veux pas les renvoyer à jeun, de peur qu'ils ne défaillent en chemin. Et ses disciples lui disent: D'où aurions-nous dans le désert assez de pains pour rassasier une si grande foule? Et Jésus leur dit: Combien avez-vous de pains? Et ils dirent: sept, et quelques petits poissons. Et il commanda aux foules de s'asseoir sur la terre. Et ayant pris les sept pains et les poissons, il rendit grâces et les rompit et les donna à ses disciples, et les disciples à la foule. Et ils mangèrent tous et furent rassasiés; et ils ramassèrent, des morceaux qui étaient de reste, sept corbeilles pleines. Or ceux qui avaient mangé étaient quatre mille hommes, outre les femmes et les enfants. (Matthieu 15, 32-38) »

La pierre où les paniers furent déposés


Réflexion : il y a toujours assez pour partager.

Une chapelle fut construite dès le 3ème siècle pour commémorer l’évènement. Détruit et reconstruit maintes fois, le dernier édifice que l’on visite aujourd’hui, fut érigé par la Garde franciscaine de la Terre sainte en 1933. Mais la pierre sur laquelle les paniers furent déposés est toujours là … Dans l’évangile, aucune ville, à part Jérusalem, n’est aussi souvent citée que Capharnaüm. Jésus en a fait « sa ville ». C’est là qu’il a choisi Pierre et les autres apôtres ; là qu’il a accompli de nombreux miracles ; c’est là encore qu’il a prononcé dans la synagogue le discours sur l’eucharistie. A Capharnaüm, à partir de la maison de Pierre fut construite une église, dont les murs de forme hexagonale subsistent encore aujourd’hui tels qu’ils étaient. En 1990 une église de même forme sur pilotis, une sorte de soucoupe volante, fut construite au dessus de l’ancienne afin de protéger les ruines.


La maison de Pierre et la soucoupe volante


Et c’est ici que Jésus guérit un paralytique. Et Gazelle rouvrit son livre :

"Comme il était entré de nouveau à Capharnaüm, après quelque temps on apprit qu’il était à la maison. Et beaucoup se rassemblèrent, en sorte qu’il n’y avait plus de place, même devant la porte, et il leur annonçait la Parole. On vient lui apporter un paralytique, soulevé par quatre hommes. Et comme ils ne pouvaient pas le lui présenter à cause de la foule, ils découvrirent la terrasse au-dessus de l’endroit où il se trouvait et, ayant creusé un trou, ils font descendre le grabat où gisait le paralytique. Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique : “Mon enfant, tes péchés sont remis.” Or, il y avait là, dans l’assistance, quelques scribes qui pensaient dans leurs cœurs : “Comment celui-là parle-t-il ainsi ? Il blasphème ! Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul ?” Et aussitôt, percevant par son esprit qu’ils pensaient ainsi en eux-mêmes, Jésus leur dit : “Pourquoi de telles pensées dans vos cœurs ? Quel est le plus facile, de dire au paralytique : Tes péchés sont remis, ou de dire : Lève-toi, prends ton grabat et marche ? Eh bien ! pour que vous sachiez que le Fils de l’homme a le pouvoir de remettre les péchés sur la terre, je te l’ordonne, dit-il au paralytique, lève-toi, prends ton grabat et va-t’en chez toi.” Il se leva et aussitôt, prenant son grabat, il sortit devant tout le monde, de sorte que tous étaient stupéfaits et glorifiaient Dieu en disant : “Jamais nous n’avons rien vu de pareil.” (Marc 2,1-12)

La maison de Pierre était une maison de pécheur à deux pas de la grève du lac de Tibériade sur laquelle il tirait sa barque. Gazelle et ses disciples se dispersent sur cette grève. Le vent souffle et constelle la surface biblique de moutons. Catherine essaye sans succès de marcher sur l’eau. Tout le monde n’a pas le même talent. Changement de décor, changement d’époque.

Le lac de Tibériade

Essai infructueux!

Quittant les débuts de notre ère, nous voilà plongeant dans la brûlante actualité de la région : direction le Golan.
Pour être bref : Le plateau du Golan est une région syrienne occupée par Israël, conquise pendant la guerre des Six Jours. L'annexion de cette région dans le giron de l'État hébreu a eu lieu le 14 décembre 1981 (un acte condamné par le Conseil de sécurité des Nations unies), et n'a jamais été reconnue par la communauté internationale. Toutefois, aujourd'hui, c'est surtout la question de l'eau qui est au cœur du problème. Une partie des affluents du Jourdain y trouve sa source et 35% de l'alimentation aquifère du pays provient de cette région. Alors lâcher le Golan n’est pas une affaire facile. La population du plateau est d'environ 35.000 personnes, pour moitié des Juifs et pour moitié des Druzes. L'économie est basée sur l'agriculture et le tourisme vert. Le Golan est particulièrement réputé pour ses pommes, son eau de source et son vin. De part et d’autre de la route défilent de belles plantations d’agrumes et d’arbres fruitiers pendant que Gazelle nous explique l’intervention, l’occupation, etc… en termes assez modérés. A-t-il eu des échos des éclats de la veille ? Des hauteurs du Golan la vue plonge sur la vallée du Jourdain : Entre 1948 et 1967, le plateau a servi de base aux bombardements réguliers et aux infiltrations de guérilla contre les villages israéliens situés en contrebas, certainement pas très agréable pour les agriculteurs de la vallée. Qui a raison, qui a tort ? Tout dépend où l’on place le temps zéro.

Des hauteurs du Golan



Plutôt que planter des barbelés, plantez des fleurs!


Au revoir Gazelle et ta joie de vivre. Merci de n’avoir pas entendu les sirènes de la propagande. Loin, en contrebas de la terrasse, Haïfa brille de tous ses feux jusqu’à la mer. 12 convives navigateurs sont reçus par Yves et son épouse. Yves, un membre actif du Yacht Club, est originaire d’Uruguay et son épouse du Maroc : le melting pot de la Diaspora. Soirée chaleureuse, un plongeon au milieu de la bourgeoisie israélienne.

Dîner sur les hauteurs de Haïfa

Nos hôtes


Saint Jean d’Acre (Akko) encore un mot qui résonne de coups d’épées sur les armures, de charge de cavaleries arabes, de l’échec de Bonaparte et tant d’autres faits d’armes, l’habituel chassé-croisé de vainqueurs et de vaincus. Mais Saint Jean d’Acre reste avant tout dans notre mémoire de collégien la capitale maritime du royaume des Croisés. Les Croisés, eurent tout d’abord du mal à venir à bout des fortifications de Saint-Jean-d'Acre. Et ce n’est qu’en 1104, après plusieurs mois d'un siège difficile que la ville se rendit au roi Baudouin Ier. Les Croisés entreprirent immédiatement de construire un système perfectionné de fortifications constitué par des murailles et des tours d'un style entièrement inédit qui ne résistèrent cependant pas aux assauts de Saladin qui reprit la ville en 1187. Quatre ans plus tard Richard Cœur de Lion reprenait à son tour la ville qui resta aux mains des Croisés plus d’un siècle. La dernière bataille que se livrèrent les Croisés et les musulmans pour le contrôle de Saint-Jean-d'Acre commença en 1290. Après un long siège imposé par les Mamelouks sous la direction de al-Ashraf Khalil, la ville fut conquise le 18 mai 1291. Cette date marque la fin de la présence des Croisés en Terre sainte, la fin des croisades. Alors partons sur les traces de Baudouin, de Richard et des Hospitaliers, les chevaliers de Saint-Jean. Hélas, ce n’est plus Gazelle qui anime la visite mais une nouvelle passionaria arque boutée sur ses positions et qui ne provoque dans le groupe que des réactions du type « Intolérable » « Historicaly wrong » « Unbelievable » « Disgusting » « I really cant hear that ! ». Sacrée ambiance dans le bus. Le relais est provisoirement pris à Akko par un officiel qui nous tient un discours guimauve pour nous expliquer comme il aime les Arabes, fait venir son ami Ahmed un Arabe d’opérette qu’il embrasse, fait jouer des musiciens arabes… « A Akko il n’y a jamais eu de problème avec les Palestiniens… » La majorité de l’assemblée rêve ou s’énerve, a le regard de plus en plus morne et a hâte que ça se termine. Heureusement le long discours sans fin se tient dans le magnifique site des jardins de la mosquée Ottomane.




Saint Jean d'Acre





Commençons enfin la visite de la ville, guidés par notre kiboutznik de choc. Les vestiges les plus impressionnants de la Saint-Jean-d'Acre des Croisés sont sans conteste le quartier général de l'ordre des Hospitaliers (les chevaliers de Saint-Jean), un important ensemble de vastes salles aux colonnes massives s'ordonnant autour d'une cour centrale à ciel ouvert. Les murs épais sont percés de portes côté cour et de fenêtres qui reçoivent la lumière de la rue principale de la ville croisée. A l'est de la cour, une immense salle, forêt de colonnes, l’ancien hôpital. Lorsque Ahmed al-Jazzar, le gouverneur ottoman de Saint-Jean-d'Acre, autre personnage qui marqua la ville, décida de bâtir une citadelle et un palais à cet endroit, il fit combler de terre l'édifice des Hospitaliers qui ne revit le jour qu’après les fouilles de 1990. Un jour récent, un habitant de la vieille ville voulut agrandir une pièce de sa maison. En perçant le mur ce propriétaire déclencha une inondation : il venait de découvrir le tunnel des Templiers qui menait à une forteresse oubliée. En 1795, El-Jazar, toujours le même, fit construire des bains publics tels qu’ils fleurissaient à travers l’empire ottoman au 18ème siècle. Comment aurait-il pu imaginer qu’au début du 21ème, l’on puisse transformer ces bains en une sorte de Disney World du Hamam. Ceux qui ont déjà vu la maison hantée d’Edgar Poe comprendront. Il reste heureusement le plus important : le bâtiment lui-même, ses espaces - décors de tuiles de céramique - mise en valeur par un éclairage coloré. Après le « spectacle » nous signalons à notre guide notre désir de faire un brin de visite seuls pour avoir au moins une vue générale sur la ville « Pas possible ! Pas le temps ! » . Comme cette réponse nous laisse de marbre et que nous prenons une direction indépendante, notre garde-chiourme se rue sur nos talons : « Je vous accompagne !» laissant le reste du groupe à ses achats de bazars. Prise entre deux groupes, elle finira par nous abandonner à notre paisible visite. Le groupe reformé est maintenant à nouveau dans le bus et notre exaltée nous propose deux alternatives : grimper sur une hauteur pour avoir une vue générale de Saint Jean d’Acre ou aller voir la frontière qu’Israël « partage » avec le Liban et les magnifiques défenses israéliennes. A l’unanimité le groupe vote pour la première solution. Et bien entendu … nous sommes partis à la frontière libanaise. Je rappelle ici que ce sont les Grecs et non les Juifs qui ont inventé la démocratie. Pendant tout le trajet la propagande est montée encore d’un cran entrainant à nouveau des : « Unbelievable » « Disgusting » « I really cant hear that ! ». Quant à la frontière, c’est une frontière comme les autres, mais avec barbelés, miradors et militaires en prime.

Près de la frontière nord

La séparation avec les amis du rallye approche. La réunion des skippers du groupe 6 se tient une dernière fois dans le cockpit de Troll. Les cartes de visite sont échangées, les promesses de se revoir etc… Troll partira avec le groupe mais le quittera en route mettant le cap sur Herzliya et non sur Ashkelon. Troll a en effet décidé de ne pas mettre le cap vers l’Egypte mais de s’arrêter à la marina d’Herzliya pour visiter tranquillement et de manière indépendante Jérusalem et les sites de la Mer Morte. En réalité trois bateaux mettront le cap sur Herzliya car "Nanette" et "Shelter" décident d’emboiter le pas de Troll. La sortie en fin de journée du port de Haïfa est un petit peu agitée : mer de face avec des creux de deux mètres, vent de face et pas moyen de louvoyer car les instructions de l’Israeli Navy sont claires : Cap au large, navigation à 12 milles minimum de la côte israëlienne. Toutes les quatre heures, les trois bateaux dissidents se donnent leurs positions respectives et leur heure probable d’arrivée à Herzliya. A 4.00 am Troll lance sur les ondes son dernier adieu au rallye : « Anthea, Anthea, Anthea. This is Troll for the last vacation. We are 10 milles from our destination. Have a nice sailing to Ashkelon and thanks for everything”. Avec Jean-Claude et son Anthea, Troll aura eu la chance d’avoir un formidable chef de groupe. Comme dirait Alan de Ticketeeboo : « Etonnant d’avoir un chef des skippers qui vient d’un pays où même les montagnes sont en chocolat ». Au petit jour, la permission de rentrer dans la marina est accordée par les gardes côtes. Troll se range le long d’un quai et attend Nanette qui ne devrait pas tarder. Deux heures plus tard Tom et Debbie font leur entrée, amarrent leur « Nanette » à couple et viennent à bord se restaurer d’un bon « English breakfast ». Ici plus de mise en place, plus d’instructions, plus de tours organisés : Troll est sorti de son adolescence. A l’ouverture des bureaux de la marina, le Captain fait la connaissance du « big boss » Amir et de son agréable « staff » : très bon accueil et pas trop de paperasseries. La marina est très moderne, tout à fait dans les standards européens haut de gamme : sanitaires, WIFI, magasins d’alimentation, restaurants etc.

La marina d'Herzliya

Tel-Aviv vu de Jaffa

Une voiture de location, voilà ce qu’il nous faut. Le Captain débarque chez le loueur et découvre une des spécificités d’Israël : l’Hébreu. Car si partout dans le monde les documents sont établis dans l’écriture locale mais aussi en écriture romaine : les Grecs, les Russes, les Arabes, et certains beaucoup plus nombreux, savent bien que d’autres peuvent avoir des difficultés à lire leur écriture, les Israéliens, non. On vous donne à signer sans aucune explication des contrats entièrement rédigés en hébreu. Vous ne comprenez rien ? Normal, vous ne faites pas partie du club. Nous serons confrontés à ce problème tout au long de notre séjour : si vous ne savez pas lire « Toilettes » écrit en hébreu vous n’avez qu’à faire pipi dans vos culottes… Le captain est concentré derrière son volant pris dans une circulation autoroutière très « à l’italienne ». Alain, carte sur les genoux assure la navigation dans cette succession d’échangeurs autour de Tel-Aviv. C’est le matin et la rentrée des bureaux bat son plein: la montée vers Jérusalem se fait au pas. La ville sainte dépassée, c’est la longue descente vers la mer Morte qui commence.

Descente vers la mer Morte

Sur la gauche défile le trop fameux mur isolant la communauté palestinienne du reste du pays. Aucune érection de mur, aucun découpage artificiel n’a jamais fonctionné dans l’Histoire - et à chaque fois des esprits soi-disant éclairés recommencent indéfiniment les mêmes erreurs, engendrant les mêmes ressentiments et les mêmes frustrations. Au mur des lamentations s’ajoute maintenant le mur de la honte.

Un mur de trop!

L’univers est ocre et minéral, empilement de strates, sédimentations du fond des mers : nous venons de dépasser la côte « niveau de la mer » et continuons notre plongeon vers le point le plus bas du globe, aujourd’hui, 417 m sous le niveau de la mer. Mais ce niveau ne cesse de baisser depuis 50 années. Sécheresse et désolation, c’est le désert de Judée biblique. David s’y cacha du roi Saül. Jésus y jeûna 40 jours et 40 nuits. Un panneau indique la ville de Ramallah sur notre gauche, nous continuons tout droit, et après un dernier "check point" la route pratiquement déserte vient buter contre la mer Morte, La descente se termine, sur notre gauche un panneau indique Jéricho, ville sous administration palestinienne. Ce n'est pas un ruisseau, mais il n'a rien d'un fleuve. Sous le pont Allenby, à la frontière entre la Jordanie et Israël, le mythique Jourdain achève, épuisé, les derniers mètres qui le séparent de la mer Morte, sa destination finale. Largement exploité, le Jourdain ne joue plus son rôle, celui d'alimenter la mer la plus salée au monde. Une étude, financée par la banque mondiale, a démarré pour non seulement sauver la mer Morte mais résoudre en même temps les problèmes de l’eau. Concrètement, le plan est pharaonique : il faut imaginer une première usine installée au bord de la mer Rouge afin de pomper l'eau, puis la construction d'un canal qui l'acheminera sur quelque 180 kilomètres jusqu'à la mer Morte. Le dénivelé de plus de 400m permettra de créer une centrale électrique et ainsi faire tourner une usine de désalinisation. Résoudre le problème de l’eau de la région tout en faisant s'asseoir autour de la table Israéliens, Jordaniens et représentants de l'Autorité palestinienne. Voilà un beau projet plus intelligent que le mur. Aujourd’hui, en attendant mieux, au bas de la route, dans une ambiance surchauffée, la mer Morte continue sa lente évaporation.

La mer Morte vue de la navette

La mer Morte vue de la route


Il y a 2000 ans la petite ville de Qumran devait se trouver proche du bord de la mer Morte aujourd’hui une trentaine de mètres plus bas. Pendant environ deux siècles, de 130 avant JC à 70 après JC, le site fut habité par une communauté appelée Esséniens. Célibataires, végétariens, ils pratiquaient un mode de vie très austère selon les prescriptions de la Torah. Etude, lecture, écriture et bains rituels par immersion rythmaient leur quotidien. Pas vraiment une bande de joyeux drilles. Enfin, grâce à eux, nous sont parvenus les plus anciens écrits bibliques : « les manuscrits de la mer Morte ».
Un petit chemin fléché guide le visiteur ruisselant à travers le site : la salle des assemblées, qui sert aussi de réfectoire, avec la cuisine, la bibliothèque, l'atelier de céramique avec les fours, les bassins à escaliers destinés à des bains fréquents de purification. On est frappé par le système très élaboré combinant bassins et canaux pour permettre la collecte saisonnière, la conservation et la distribution de l'eau.

Quram


Caverne et manuscrit

Un univers ocre et minéral


Desséchées par le soleil, mangées par le sel les douches s’alignent le long de la grève qui ne cesse de s’éloigner. Quelques rares touristes se risquent à essayer la théorie d’Archimède version mer Morte avant de se lancer sous ces douches surchauffées mais salvatrices.

Douches salvatrices


Version plus élaborée, plus luxueuse, une succession d’hôtels 5 étoiles offrant aux curistes les bienfaits des eaux hyper-salées Dès l’Antiquité, la mer Morte était connue pour ses vertus curatives, voire miraculeuses. La belle Cléopâtre y faisait même fabriquer ses crèmes et onguents de beauté, c’est tout dire. Aujourd’hui des cliniques spécialisées et des hôtels haut de gamme proposent des cures pour soigner les affections de la peau, comme le psoriasis et certains problèmes articulaires et osseux et, comme il faut bien attirer la clientèle, les eaux se sont découvert de nouvelles vertus, celles d’effacer stress et fatigue. Lorsque la situation au Moyen Orient se tend une cure anti-stress n’est peut-être pas inutile. Il fait vraiment trop chaud. Si on allait faire un tour à la montagne. Un téléphérique fabriqué en Suisse ça paraît prometteur. Peut-être même y a-t-il de la neige ? Dans la benne, une équipe d’évangélistes entonnent les chants religieux les plus divers du Gospel américain aux chants liturgiques traditionnels en passant par des rythmes africains non recyclés aux US. Une femme grisonnante qui pourrait être la mère de Golda Meir ondule en battant le rythme sur sa fesse qui palpite. Une jeune black mène le groupe avec fougue. On tente un « Where do you come from ? » « From Geneva. The Evangelist Church of the UN ». Œil interloqué de deux genevois. Hérode le grand se dit un jour « Si ça tourne mal soit avec mon peuple, soit avec les Egyptiens autant avoir un point de chute bien défendu, imprenable où se réfugier. Et qui plus est, que ce soit une sympathique résidence secondaire » Le site fut bien choisi : à l'est, la falaise dévale en à pic sur près de 450 mètres vers la mer Morte. A l'ouest, elle domine d'une centaine de mètres le terrain environnant. Et cent ans plus tard ça a mal tourné. Après la chute de Jérusalem et la destruction du Temple en l’an 70 de notre ère, des rebelles fuyant Jérusalem prennent Massada comme base pour harceler les troupes romaines. En l'an 73 le gouverneur romain Flavius Silva marcha contre Massada avec la Dixième légion. 15’000 hommes pour venir à bout de ces irréductibles. Les Romains dressent des camps au pied de Massada, construisent une rampe de milliers de tonnes de pierres et de terre battue contre le flanc ouest de la forteresse et au printemps 74, font monter un bélier mobile pour opérer une brèche dans la muraille de la forteresse. La victoire fut amère : sous les yeux des vainqueurs, les cadavres d’un millier d'hommes, de femmes et d'enfants qui ont préféré le suicide collectif à la reddition et à la captivité, « Piètre victoire » comme le reconnut Flavius Josèphe. Ce lieu est majestueux et désolé. Tout est fait pour rappeler la tragédie, susciter le recueillement et l’émotion et faciliter le travail de l’imagination. Et c’est tellement rare d’avoir en main un récit, presque journalistique, de l’époque. Celui de l’historien Flavius Josèphe nous raconte l’histoire dans tous ses détails. Sur le plateau se succèdent tout d’abord les moyens de survie : l'approvisionnement en eau fourni par un réseau de vastes réservoirs creusés à même le roc, qui s'emplissaient en hiver des eaux de pluie dévalant en flots ce versant de la montagne ; les entrepôts où l’on conservait de grandes quantités d'huile, de vin, de graines et autres denrées alimentaires mais aussi les armes. Côté habitat un vaste établissement de bains et des cantonnements confortables pour les officiers et leurs familles. Et le grand chef Hérode s’était fait construire une élégante villa, ou plutôt un palais, sur le bord septentrional de la falaise. Vue splendide, intimité et sécurité maximale avaient été le cahier des charges de l’architecte. Très réussi ! En contrebas, le tracé des camps romains est bien présent ainsi que la rampe qui fut fatale aux assiégés, ce qui ajoute encore à la véracité du site. Ce lieu est majestueux et désolé. Tout est fait pour rappeler la tragédie, susciter le recueillement et l’émotion et faciliter le travail de l’imagination. Et c’est tellement rare d’avoir en main un récit, presque journalistique, de l’époque. Celui de l’historien Flavius Josèphe nous raconte l’histoire dans tous ses détails. Sur le plateau se succèdent tout d’abord les moyens de survie : l'approvisionnement en eau fourni par un réseau de vastes réservoirs creusés à même le roc, qui s'emplissaient en hiver des eaux de pluie dévalant en flots ce versant de la montagne ; les entrepôts où l’on conservait de grandes quantités d'huile, de vin, de graines et autres denrées alimentaires mais aussi les armes. Côté habitat un vaste établissement de bains et des cantonnements confortables pour les officiers et leurs familles. Et le grand chef Hérode s’était fait construire une élégante villa, ou plutôt un palais, sur le bord septentrional de la falaise. Vue splendide, intimité et sécurité maximale avaient été le cahier des charges de l’architecte. Très réussi ! En contrebas, le tracé des camps romains est bien présent ainsi que la rampe qui fut fatale aux assiégés, ce qui ajoute encore à la véracité du site.


Le camp romain


Le palais d'Hérode


Une même punition matinale nous est infligée : le trafic automobile universel du début de la journée avec cette fois ci en récompense au bout de la route : Jérusalem. Jérusalem « la trois fois sainte » ou Jérusalem « la controverse » ? La « trois fois sainte » par son mur des Lamentations et les vestiges du Temple; par l’église du Saint-Sépulcre ; par le dôme du Rocher et la Mosquée Al-Aqsa. La « controverse » où le Conseil de sécurité, dans sa résolution 478, déclare que la loi israélienne établissant Jérusalem capitale « éternelle et indivisible » est nulle et non avenue, et constitue une violation du droit international. Pour le simple touriste l’Histoire de la ville sainte prime en sentant ici où là des traces du quotidien de la controverse et pour ça rien ne vaut la vieille ville et son gigantesque enchevêtrement culturel. Quand on consulte une carte de la vieille ville de Jérusalem, ce qui frappe en premier c’est ce découpage religieux strict, coupé au cordeau, symbole d’exclusion de sectarisme : quartier musulman, quartier juif, quartier chrétien, quartier arménien. Ceux-ci sont aussi chrétiens mais se considèrent comme différents. Tous sont différents mais hélas ici différent semble vouloir dire « mieux ». L’accès se fait par la Jérusalem moderne, juive, riche mais froide, souvent nouvellement construite. Entrons par la porte de Damas à deux pas de la place Musrara, le cœur de Jérusalem-Est, de loin la porte la plus animée. Sur la petite esplanade devant la porte, un marché populaire bondé de monde se prolonge à l'intérieur de la vieille ville avec ses odeurs d’épices, de légumes, de plats cuisinés, de viandes crues, foisonnant de couleurs et de gens qui haranguent le chaland. Des femmes arabes transportent des cartons aux inscriptions hébraïques : le commerce est athée. Des couples, elle en tchador, lui en jeans font les boutiques de la rue Al-Wad.

La rue Al-Wad







Une rue d’apparence comme les autres mais que les Chrétiens vénèrent : la via Dolorosa. La montée du Christ vers le calvaire et ses 14 stations. Personne ne sait où tous ces lieux saints se situent exactement depuis que les Romains rasèrent la ville. Il fallut de plus attendre trois siècles pour que la religion chrétienne soit acceptée et que l’on se préoccupe de ces lieux. Et pourtant, les stations du chemin de croix sont des endroits marqués très précisément et censés indiquer certains moments de la progression de Jésus jusqu'à la crucifixion. Stations accompagnées de chapelles et autels qui célèbrent ces « faits ». L’ascension se termine par le Saint Sépulcre, et le tombeau de Jésus. Au passage il est même possible de goûter à deux des multiples variantes du christianisme : le couvent des frères éthiopiens, et une communauté copte qui sont en conflit perpétuel concernant les titres de propriété de la chapelle des Éthiopiens. Il parait qu’en 2002, onze moines se sont retrouvés à l’hôpital.





L’église du Saint Sépulcre est une extraordinaire illustration des schismes successifs qui ont marqué l’histoire de la Chrétienté. Depuis le 16ème siècle, le contrôle de l'église a alterné entre les Franciscains et les Orthodoxes. Les luttes sans fins entre les communautés aboutirent au milieu du 19ème à une division territoriale de l’église entre l’Église orthodoxe grecque, l’Église catholique romaine et l'Église apostolique arménienne, les Coptes orthodoxes, les Éthiopiens orthodoxes et les Syriaques orthodoxes. Cette répartition engendra une étonnante juxtaposition de chapelles et de lieux saints meublés et décorés selon les coutumes et les rites de la communauté religieuse qui en détient la possession. Mais ce n’était pas suffisant : le partage inclut aussi une répartition des heures de prière et de procession… Et Jésus dit « Aimez vous les uns les autres… » Mais l’heure de la réconciliation vient des pèlerins qui, indépendamment de toute appartenance communautaire, armés d’une ferveur impressionnante, se jettent par terre avec leurs crucifix pour embrasser la dalle où Jésus a pleuré ses dernières larmes… avant de se lancer dans une interminable attente de quelques heures pour se recueillir quelques secondes sur la pierre où Il fut déposé. Même si Jésus n’a pas exactement été crucifié où on le montre avec une « inébranlable certitude », ce n’est certainement pas très loin de là et, quelle importance.

Le Saint-Sépulcre


Savez vous qu’il y a des vrais et des faux shekels ? Non ? Alors vous n’êtes vraiment pas restés longtemps en Israël. Presque systématiquement, si vous ne maniez pas couramment l’hébreu, vous vous retrouvez avec une extraordinaire collection de fausses pièces que vous pourrez toujours jeter dans une poubelle avant de quitter le pays. Résultat : un touriste n’a jamais de petite monnaie. Des crampes d’estomac se font sentir et mettent en route l’habituel processus de recherche de la « bonne auberge ». Nous optons pour le quartier arabe, plus chaleureux où nous avons repéré un restaurant paraît-il sympathique, bon et semble-t-il à deux pas de l’Eglise du Saint Sépulcre. A plusieurs reprises, nous demandons notre chemin ce qui permet de constater qu’une certaine tension existe bel et bien entre juifs et musulmans. Demander à un juif le chemin d’un resto arabe nous vaut systématiquement un « NO ! » et un départ précipité de l’interlocuteur. Mais c’est fascinant, troublant et insolite de passer ainsi d’un style à un autre, de changer d’atmosphère, de changer de regard et de monde en quelques pas, mais c’est aussi terrible de voir des communautés qui exacerbent ainsi leurs différences alors qu’ils sont voisins depuis si longtemps. La police et les contrôles sont omniprésents. De nombreux jeunes militaires des deux sexes patrouillent mais sans agressivité, très décontractés. L’accès à la plateforme de la grande Mosquée nous est refusé une première fois car ce n’est pas le bon créneau horaire. Cette zone ainsi que le mur des Lamentations est très chaude et hyper-surveillée : fouille et tunnel X style aéroport. Face au Mur des dizaines de juifs en prière, une majorité d’orthodoxes mais pas uniquement. Un professeur de Yeshiva exhorte ses élèves et leur fait scander « Israel ! Israel ! Israel ! », ce qui fait un petit peu froid dans le dos. Il n’en reste pas moins que voir tous ces types qui prient, tous ces petits papiers de prière enfilés dans les fentes du mur est très impressionnant : le lieu le plus sacré de la religion juive, une sorte de synagogue à ciel ouvert.








De la place grimpe une rampe provisoire protégée par trois contrôles successifs : l’accès à la plateforme de la grande mosquée. Après l’agitation des ruelles de la vieille ville et de la place du mur des Lamentations, le calme et la sérénité de l’esplanade entourant la mosquée sont les bienvenus. Peu de monde, quelques Musulmans venus se recueillir, d’autres tout simplement se ressourcer. Tourisme inexistant.

La grande mosquée



De la muraille d’enceinte se découvre une magnifique vue sur le jardin des oliviers de l’autre côté de la vallée du Cédron et de la vallée de Josaphat, un ravin profond qui n'a de remarquable que la tradition biblique qui en fait le théâtre futur du Jugement dernier… donc on reviendra. Des hauteurs du Mont des oliviers surplombant le Jardin lui-même où 8 oliviers rivalisent d’ancienneté, le grand cimetière juif et le Dôme de la Mosquée, les trois religions monothéistes sous un même regard, soudain paisibles, sans heurts, sans bruit, sans affrontements, tout simplement tolérantes.

La pendule à nouveau a posé sa grande aiguille sur « départ », le moment de refaire du nord vers Chypre. Le policier des frontières se démène maintenant depuis une bonne demi-heure devant son ordinateur « Il y a un problème ? » « Oui, je ne trouve pas trace de votre entrée en Israël. Je ne peux donc pas vous faire une sortie. Une seule façon de faire : recommencer les formalités d’entrée » Comment dans un pays aussi policé, aussi contrôlé, aussi militaire qu’Israël, un pays où les services secrets connaissent certainement le lieu de naissance de votre arrière-grand père, comment le système informatique peut-il perdre la trace d’immigrants. Mystère. Nous sommes donc entrés deux fois en Israël et sortis une fois ; en toute logique au moment où j’écris ces lignes nous sommes toujours en Israël et le Mossad nous recherche. Une heure plus tard à 2 milles de la côte une voix féminine familière résonne dans la VHF: «Troll, Troll, Troll, this is Israeli Navy what is your position and your heading ? » Bla bla de Troll. “Thank you. Have a nice day”. Nous continuerons à entendre sur la VHF dont la portée est de 30 milles la charmante voix inquisitrice de l’Israeli Navy relayée par avion jusqu’à l’île de Kastellorizo, à 400 milles d’Israël ! C’est peut être aussi le moment de faire quelques commentaires concernant le rallye EMYR. Grace à ce rallye nous avons pu visiter des pays où nous ne serions probablement jamais allés: l’extrême est de la Turquie, Chypre nord, La Syrie, le Liban et Israël. Les passages furent organisés sans tracasseries administratives ; partout nous fûmes magnifiquement reçus ; le tout coiffé par une splendide organisation. Merci Hasan le père fondateur, Dave et Kate pour leur dévouement constant et faisant en sorte que tout problème passe inaperçu. Un grand merci aussi pour les autres organisateurs qui sont derrière dans l’ombre, comme Faruk, et qui ont inlassablement mis leurs talents au service du rallye. Si nous recommandons le rallye ? Sans l’ombre d’une hésitation et avec un OUI sonore! 290 milles à courir jusqu’à Girne sur Chypre nord, 2 nuits, 43 heures de navigation. Les quarts de 4 heures s’enchaînent sans fatigue : Alain et Monique remplacent Gérard et Catherine, qui remplacent Alain et Monique qui remplacent… et dans le jour naissant de cette fin de deuxième nuit le château de Kyrenia sort de l’eau gris-rosé. Voilà, la boucle moyen-orientale est bouclée les prochaines étapes seront turques et réalisées à un rythme lent car il faut bien récupérer un peu après ce rythme intense du rallye. A Girne, Troll toujours assoiffé retrouve sa place au ponton distributeur de fuel. La sympathique petite marina Delta et ses bateaux d’antan nous saluent " tiens, les revoilà…." Alain et Monique reprennent le chemin de La Rochelle et Troll est tout ému de les voir débarquer.

Kyrenia: Troll est de retour


1 commentaire:

Anonyme a dit…

bravo pour ce blog
qui donne un peu la nostalgie de ce temps de l'emyr
bateau arcaloune
caroline laurent arthur et brune

blog du "matheux" arthur sur skyrock
Une-vie-sur-Un-bateau