lundi 29 octobre 2012

Un treck en Cappadoce




 Septembre 2012
Il est sur terre des lieux dont les noms font fantasmer, rêver des histoires merveilleuses, patrimoines de l'imaginaire collectif. Santiago, Tamarcande, Belem, Manaus, Lhassa...
Cappadoce est de ceux-la.
Un pays où se côtoient et se mélangent mystères hittites, ermites artistes qui barbouillent des fresques icônesques, un pays habité dit-on par des fées qui se réunissent et échangent leurs philtres en devisant en rond autour de leurs cheminées et par une sorte de Hobbits à l'habitat conico-troglodytique. Suffisamment d'enchantement pour brûler d'aller s'immerger dans cette contrée que même Tolkien n'avait pas imaginé.
Hélas, la réalité fait vite place au désenchantement, car que devient un tel endroit magique dans notre civilisation "je prends-je jette" où même la magie se consomme. Comment voir ces lieux sans le prisme déformant des dizaines de bus sur les parkings, des enfilades de boutiques de souvenirs. Comment retrouver,  tout au moins en partie, cette Cappadoce d'il y a cinquante ans ou les visites d'églises troglodytes se discutaient avec le paysan propriétaire qui allait chercher la grosse clé de ferraille que lui avait confié son grand-père et qui la tenait lui-même de son grand-père qui la tenait ... Et faisait grincer les gonds de la lourde porte en bois qui protégeait le trésor.  Une époque où la route d'Ankara était encore partiellement une piste et où les seuls véhicules que Pierre et moi croisions étaient des charrettes à roue de bois tirées par un âne.
Comment essayer de poser un vrai regard?
Se replacer à l'époque où tout cet habitat était peuplé de milliers de gens pour lesquels le seul moyen d'accès au village passait par la marche. Pourquoi ne pas marcher sur leurs pas loin des routes d'accès encombrées? Le mot "marche" faisant un  peu ringard, ce fut un "trekking" qui fut retenu pour une immersion en Cappadoce. Et c'est ainsi qu'au sein d'un groupe de 9 marcheurs de 23 à 70 +++ ans - presque aussi bien que Tintin - accrochés aux semelles d'un guide franco-turc, aussi sportif qu'érudit, nous avons parcouru pendant une semaine, à raison de 3 à 7 heures de marche par jour, les vallées blanches, roses, rouges, des pigeons, d'Ihlara et bien d'autres vallons verdoyants encore. La sueur coula à flot, les rotules protestèrent, les cuisses retrouvèrent avec plaisir les douches chaudes du soir. Un tel périple au pays des merveilles ne se raconte pas mais doit se sentir, se voir. Aussi, lancez le diaporama et laissez-vous emporter par la magie de la Cappadoce:

https://picasaweb.google.com/gbachy/TRECKENCAPPADOCE?feat=email


Une autre poignée de poussières égéennes

2

d'Istanbul à Marmaris

Juin-Juillet 2012



Troll avait atteint Istanbul en faisant du nord depuis Leros, "poussé" par un calme plat de 45 jours, un temps trollien s'il en est. La mode étant maintenant "cap au sud", le meltem se réveilla en se disant "le prix du fioul ne cesse d'augmenter, alors, donnons un petit coup de pouce aux deux Perkins". Un coup de pouce c'est bien, mais 30 nœuds c'est trop. Quatre jours d'attente d'accalmie quand on se prélasse dans une belle marina à Istanbul, on peut connaître pire situation.
Le père meltem calmé et devenu un doux zéphyr, Troll appareille et se met   à slalomer entre les portes-containers et autres pétroliers à l'ancre en attente de Bosphorisation. Bientôt , dans son sillage, s'estompe la sublime porte, dorée par un soleil encore timide - pastel de rose strié de verticalitées minaresques. Suit un long schuss de 75 miles jusqu'au port de Marmara et son paisible amarrage face aux kiosques à tchai.

Istanbul dans le sillage
Ce matin, le meltem se lève du mauvais pied: 25 nœuds dans l'avant-port, des rafales à 35 nœuds au nord de l'îlot Koutali, la cuillère, qui défile sur bâbord. Il y a juste un siècle, le vent, la tempête et les bourrasques de neige avaient du être redoutables pour couler le .... qui ramenait  à Istanbul toute la fine fleur des capitaines de l'île. Tous périrent et la florissante Koutali sombra dans la léthargie.
Devant l'étrave, une longue file de cargos, "pare-choc contre pare-choc" sortent du détroit des Dardanelles, comme une longue file de chenilles processionnaires. Vent portant, courant portant, Troll se régale.
À nouveau, Çannakale fait partager sa mémoire de 1915: mouilleur de mine Numret, film de fiction, " Galipoli", retraçant les évènements   vus à travers les jumelles australiennes, projeté à l'hôtel Anzac (Australia-New-Zélande-Army-Corp), film aux dialogues sentant bon le bush australien mais qui mériterait un sous-titrage en ... anglais.

16 mines pour changer le cours de la guerre
Entraînés par un courant de quatre nœuds, le loch-GPS affiche fièrement 12 nœuds sur le fond. La péninsule de Galipoli défile sur notre tribord, parsemée de monuments commémoratifs et de cimetières de jeunes sacrifiés. Troll lance un "Allah ismar ladik" suivi d 'un retentissant "kalimera": la Turquie s 'estompe dans le sillage tandis que Limnos brumeuse sort peu à peu de l'horizon. Au revoir les Mehmets, bonjour  les Giorgios.
Les églises bleues vont bientôt remplacer les mosquées aux minarets filiformes, le son des  cloches, l'appel des muezzins. 
Alignements, passage de bouées, évitement de bancs de sable, Troll pousse son étrave vers le port de Moudros, et, sans doute insensible aux changements culturels et fervent partisan de l'harmonie entre les peuples, vient s'amarrer au nouveau ponton du port en arborant le pavillon... turc, un oubli qui aurait été sans aucun doute fatal en 1915, lorsque la flotte alliée se pavanait à l'ancre face au port. Churchill sur le balcon de sa demeure-QG en aurait avalé sa longue vue. L'accueil chaleureux des pêcheurs ne fut en rien troublé par ce quasi incident diplomatique. C'est la fête au village. Sur les quais, une estrade où toute la jeunesse locale, entourée de leurs familles admiratives, enchaînent les tubes des quarante dernières années. On s'époumone dans les saxos, trompettes et autres clarinettes, on gratte et regratte les guitares, on frappe les xylophones, entourés de longue tables de bois chargées de carafes de vin et de sardines grillees fumantes, fraîchement tombées des braseros qui grésillent alentour. À la table officielle préside monsieur le maire entouré de deux popes qui trinquent allègrement à cette jeunesse, fierté du village car, la Grèce, faut-il le rappeler, a sauté l'année 1905. Ici, pas de séparation de l'église et de l'état.
Moudros c'est aussi les souvenirs qui font l'Histoire: les cimetières, alignement de tombes ou bien peu de Johnny et de  Mehmet dépassent les trente ans, souvenir de la reddition turque sans condition de 1918.
Le meltem ourle les vagues de dentelle blanche et pousse Troll vers Myrina, la capitale de l'île, désuette petite ville provinciale. La terre battue des quais a fait  place à un superbe revêtement de pavés style pré-mai68. Ruelles bordées de maisons ottomanes, bazar animé, un kastro- géno-venitien bien sûr - veillant au grain de ses 100 mètres dominateurs et générateurs de souffles courts.

Myrina

 

Mais où peut bien se trouver la maison d'où Churchill pilotait son grand fiasco des Dardanelles ? Chaque habitant interrogé renvoie au village de Portiano. L'enquête converge. Sur la place du village, une épicerie, donc un épicière et qui en plus manie parfaitement la langue de Goethe. "Première rue à droite, et c'est à 100 mètres sur votre gauche". La bâtisse est imposante, bien soignée. Jusque là rien d'étonnant. Une hampe de drapeau et flotte au vent ... le drapeau français... Une plaque sur la façade : Consulat de France. Dans un cas aussi improbable, les passeports helvétiques disparaissent au fond du sac, laissant place au gaulois, moustaches de Vercingetorix au vent. Un battant de cloche est activé et , une minute plus tard arrive, le regard interrogateur, madame le consul de France, qui, présentations faites, fait grincer le portail et nous accueille ... chez elle, anciennement chez Churchill, sous sa tonnelle bleue. Histoire de la maison de famille de son mari, construite en 1900, réquisitionnée par Churchill en 1915 pour son exceptionnel confort à cette époque -eau courante et toilettes- un luxe.  


Chez Churchill
Un siècle est balayé: les Grecs qui se sortent toujours des situations les plus impossibles, corruption latente, presque gangrenée, activités occultes, financements et prêts détournés ... Tout est passé en revue, sans pessimisme puisque... les Grecs s'en sortent toujours. Cadre idyllique, bucolique, mélange de politique et de jardin potager.



En flânant dans Limnos


Le soleil se lève derrière Myrina, le port somnole,  Troll part sur la pointe des ailerons, les eaux scintillent, le meltem ronfle d'un sommeil profond. Gros blocs rocheux, les Sporades sortent de la mer. Kira Panaya et son fjord de Panitis est devant l'étrave, Troll embouque la passe qui s'ouvre sur un véritable lac, désert.
L'ancre plonge, déposée par un guindeau presque honteux d'interrompre le silence. Ce soir la, la sérénité du lieu ne sera troublée qu'une seconde fois par un bouchon du champagne "Cardinaud" qui finit sa course dans le cockpit sous les étoiles tandis que des bollets se tortillent dans la poêle. Sur la rive aucun bêlement ne sort de l'enclos. La hutte de berger, vide, se découpe blanche de lune sur la roche ocre qui lentement vire au sépia.

 
Panitis sur Kyria Panaya
À regret Troll s'arrache à ce bout du monde et rejoint un petit coin de civilisation -enfin, sans exagération -car Patitiri n'est pas NY et le seul changement perceptible en deux ans est la transformation de la délicieuse boulangerie en "Rent a Car"... Sur la colline, le village refuge anti-pirate s'est depuis longtemps transformé en village accueille-touristes, déployant le long de ses ruelles dallées ses estaminets et tabernas aux toits schisteux , vantant leurs inévitables Stifádo, Pastitsio, Keftedakia frites ou autres moussakas pas toujours digestes.

Patitiri
Skopelos, l'île voisine, c'est l'anti-Skiathos. Les adeptes de la bronzette et des discos décibeliennes, fraîchement débarqués de Liverpool ou de Manchester, font place ici aux randonneurs, aux amateurs de nature ou d' icônes cachees au fond des monastères. Troll, accueilli par un Allemand, plus grec qu'un grec depuis tant d'années d'immersion, se colle contre un quai côté vieux port, dominé par une église modèle affiche "Passez vos vacances en Grèce". Au bout d'un enchevêtrement de ruelles en escalier, se découvre une terrasse-bar prête à se jeter dans la mer bleue nuit frangée d'un blanc meltemique, sans oublier une musique jazzy-bobo indispensable, tandis qu'un médecin homéopathe défend avec conviction sa profession devant les yeux perplexes d'indécrotables adeptes de la rigueur scientifique.

  
Skopelos

Troll à Skopelos


Pinèdes vert pâle, plage de sable blanc rehaussant le turquoise des eaux, contraste lumineux au côté des monastères, devenus musées faute de combattants, et habités par quelques paleo-nones tristes,édentées, velues et claudiquantes dont le vocabulaire schakespearien se limite à l'énumération des prix des bibelots de pacotille "made in china", icônes, maquettes de monastère en plastique ou autre bondieuserie revue et corrigée à Schangaï, ou encore ces légendaires confitures "du monastère" que l'on retrouvera moins cher dans tous les magasins de souvenirs de la ville. Et Moïse reçut les 10 commandements, sans oublier le quatrième " tu ne mentiras pas". Pour ce mensonge ma bonne nonne : 2 Paters et 3 Aves!
Le meltem a fait la bringue toute la nuit en chantant à tue-tête accompagné par un quatuor d'amarres de belle section:  un concert hautement apprécié par le sommeil de l'équipage. Ni les monastères, ni le vent du nord ne peuvent avoir raison des sens gustatifs de tout équipage admis à bord de Troll. Ce soir ce sera Anna qui nous régalera de sa merveilleuse cuisine.  

Le tournage de "Mama Mia"
Cinquante milles à courir jusqu'à la rive nord de l'Eubée, jusqu'au port d'Orei récemment aménagé et célèbre pour son taureau hellénistique de marbre qui se retrouva au fond d'un chalut il y a une cinquantaine d'années. On imagine le pêcheur racontant aux copains sa prise devant son verre d'ouzo. "mais, puisque je vous le dis, un taureau en marbre de 3 tonnes" "Giorgios tu bois trop, tu vas tomber malade!"
Aujourd'hui le taureau, sous sa cloche de verre fait la renommée d'Orei. Ce même Orei faillit être fatal au Captain qui, en pleine envolée lyrique sur la découverte du boson de Higgs, rata un trottoir et finit dans un vol plané mémorable au milieu de gravas et de crottes de chiens. L'épicier et son aide se précipitèrent et il s'en fallut d'un cheveu, d'Ariane bien entendu, qu'une tonitruante ambulance ne déboule du bout de la rue. Fier, le Captain repartit sur ses jambes un peu sanguinolantes et raides en distillant, un peu sonné,  de manière plus qu'approximative une fin d'histoire du prof. Higgs et de son copain Bozon.

 Orei

L'île d'Eubée
Troll glisse sur une eau lisse le long de l'Eubée et finit sa course à Chalkis, le point de contact entre l'Eubée et la Grèce continentale assuré par un pont tournant qui ne tourne qu'une fois toutes les 24 heures, à l'étale, de nuit aux alentours de minuit.
"Messire priorité à la gente pédestre et motorisée; la gente nautique peut attendre."
Les kayackeurs jouent avec courant et vortex pendant que les plaisanciers alignés le long du quai animé et bruyant attendent le sésame délivré par les tout puissants coast-guards. Vers 23.30 le message tant attendu sort de la VHF, le pont disparaît avalé par la terre, "Troll it's your turn. Go through the bridge".

A Chalkis en attente "d'éclusage"

Une demi-heure plus tard Troll prenait possession de sa place, réservée dans l'apres-midi, devant le yacht club de Chalkis. Un amarrage dans le noir, au feeling, entre les bateaux de la marina. Aucun bateau coulé? Bon,alors on peut aller dormir.
Tous les cinéphiles connaissent le "Taxi Mauve" mais connaissez-vous John le Newyorkais et son taxi jaune. Rond, rigolard, à l'accent de Brooklin gouailleur c'est John, chef d'entreprise, "long distance trip in Greece" et qui en prime sait tout juste lire et ne sait pas écrire. "J'ai arrêté très tôt l 'école" . Formidable bonhomme! Pour la cinquième fois Troll sera son fidèle client. Et c'est ainsi que de la belle Mercedes jaune qui se gara entre Troll et le  "chalkis yacht club" sortirent Christian et Monique laissant leur place à Patrick et Myriam. Je t'échange Anvers contre la Nouvelle -Calédonie. Pour le business je choisis la première solution  mais pour le climat, la seconde.
Cap au sud, Troll embouque le canal d'Eubee, la Grèce continentale sur tribord, la longue île sur bâbord. Voufalo, un port naturel tout rond, un petit Marigot Bay hellène, avec sa langue de sable ou les cocotiers ont fait place aux tamaris. Quelques tavernes désertées, mobilier éparpillé, tentes  et autres protections solaires ne tenant plus que par habitude. Voufalo, un si joli endroit, cherche repreneur.

Voufalo
 
À la sortie du canal, devenu depuis de nombreux milles un bras de mer, les premières Cyclades sortent de la brume de chaleur bientôt balayée par un meltem enjoué. Gaverion sur Andros c'est facile à trouver: suivez les ferries! Le nôtre est bleu, un Blue Ferry, les monstres redoutés de la mer Egée. Des coast guards nous désignent une place le long du quai marchand, prennent les amarres, nous souhaitent la bienvenue. Charmants ces Coast Guards. Apparemment le trafic de plaisanciers à Gavrion est inexistant et quand un extraterrestre arrive, on le dorlote. Nous allons rapidement comprendre la raison de notre solitude. Le ballet incessant des ferries et leurs propulseurs de quelques centaines de chevaux génèrent  une soupe clapoteuse et des courants traversiers puissants. Les amarres pleurent, les amares grincent, les parres-battages se souviennent des crêpes bretonnes de leur enfance. Sans oublier le quai si calme sur lequel se déversent tout à coup des centaines de badauds qui veulent tous voir le "very  nice boat". Pour la version nuit rajouter une bonne louche de musique disco, le genre de musique utilisée naguère par les nourrices pour bercer les tout-petits. Non, nous ne visiterons pas Andros, malheureusement. Mais l'erreur etait notre. Nous cherchions un vrai port authentique. La bonne option pour visiter Andros est de faire escale à Batsi, à trois milles au sud est.
Cap sur Syros et le joli petit port de Foinikas blotti au fond d'une grande baie magnifiquement protégée du meltem. Collines et vallons jaunis par le soleil de juillet piquetées de cubes blancs. Mais Syros n'est pas qu'une simple palette de couleurs. Puissant port de la Méditerranée orientale au 19ème siècle, avec ses chantiers navals, ses entrepôts plaque tournante du commerce dans la région.

 
 Ermoupolis





 Le théatre Appolon


La Scala à l'échelle 1/2

 Quand on dit commerce, on pense à Hermès donc la capitale s'appellera Ermoupolis. Une capitale qui respire encore les splendeurs passées.  Une mairie imposante, néo-classique, aux énormes patios à colonnades, grandes pièces éclairées de larges fenêtres, l'administration locale est gâtée. À deux pas, le théâtre Apollon - après Hermès et le business un petit peu de beauté, le soir, ne nous fera pas de mal - la Scala de Milan à l'échelle 1/2 par le même architecte. A Syros, aujourd'hui assoupie, on ne se refusait rien en cette 2eme moitié du 19ème siècle. Syros, un petit air de Manaus. La porte du théâtre est poussée. Pouvons-nous visiter? "Please, no problem" . Tout est là. Le plafond peint aux allégories olympiennes, les sièges dorés, drapés de velours rouge, les coursives peintes gris pastel, avec à l'étage du poulailler un petit musée consacré aux vedettes du belcanto et du théâtre cycladique. "donnez-vous par hasard un spectacle ce soir?" "oh oui ce soir nous avons un récital spécial Bethoven avec au piano Dimitris Sgouros" dit-elle, en écartant les bras et en levant les yeux au ciel, toute émue d'avoir osé prononcer le nom du grand homme. Et le capitaine faux-cul, n'ayant aucune idée de l'existence de ce virtuose, lança un "Qu'elle chance nous avons!". Le soir même, quatre nordiques se pressaient vers la galerie du poulailler, vers les dernières places disponibles, la fine fleur de Syros ayant depuis bien longtemps réservé leurs places certainement marquées de la même plaque en laiton que leur prie-Dieu à la basilique Saint-Georges, au sommet de la colline Ano Syros. Et l'évènement était d'importance: la séance d 'ouverture du 8eme festival international de musique classique des Cyclades. L'organisateur, Peter Tiboris, un Grec de la diaspora hellène des US, également créateur du festival, chef d'orchestre, compositeur et pourvoyeur des fonds nécessaires à cette manifestation, prit la parole en anglais, sa langue grecque s'étant  quelque peu diluée dans le slang de Brooklin. Les sponsors des US furent vivement remerciés pour leur soutien. La prestation fut prestigieuse, Sgouros et son smoking blanc ovationné, le chœur, mélange de chœurs d'une dizaine d'universités américaines, de chœurs albanais, australiens, neo-zélandais, j'allais presqu'oublier, un chœur d'Athènes, plus de 200 choristes - impressionnant - trop nombreux pour cette scène de la maquette de la Scala, les chanteuses occupaient les loges, repoussant leurs occupants vers les travées de l'orchestre. Lorsque l'"Hymne à la joie" s'envola, un frisson parcourut l'assistance. Debouts, il y eu 10 rappels.
La soirée fut tellement magique que l'apparition sur scène, quarante ans après son décès, de Markos Vamvakaris avec son bouzouki sous le bras pour nous jouer un de ses fameux airs de rembetiko n'aurait étonné personne.
Naoussa, ce village de pêcheurs, qui naguère pêchaient les poissons qui finissaient en soupe ou au feu de bois, chalutent aujourd'hui au moyen de filets à larges mailles, le parisien désabusé, la Milanaise élégante, la British "rare" et bientôt "well done". Tout ce petit monde déambule de boutique de fringues en boutique de bijoux du style  "venez voir nous les réalisons devant vous". Les rues sont dallées, étroites, éclairées par le blanc cru des anciennes maisons de pêcheurs. Même la chapelle est transformée en Fanfreluche shop. Mais, étonnament, malgré ce déchaînement de consommation, le village garde son charme.  Voilà pour Naoussa côté jardin. Allons jeter un coup d'oeil à Naoussa côté cour, côté port, côté marina. 

 
 Naoussa

À bâbord un Australien adepte de la planète verte qui, dès l'aube, parcourt le quai ramassant les cadavres de bières et autres canettes accumulées pendant la nuit par les adolescents qui ont refait le monde sous les étoiles mais pas dans le même sens que notre Aussie.
À tribord se joue en boucle une pièce écrite par Aldomovar. Dans le rôle principal une Catalane forte en gueule, la quarantaine bien en chair, le style "Hombre, soy el capo!" la mise en scène ne prévoit apparemment pas de second rôle mais quelques figurants, un intellectuel portant bésicles empruntés à Littré, plongé dans un bouquin aussi écorné qu 'épais, un couple aux mains emmêlées, une ancienne tenancière de bistrot, déjà derrière son bar pendant la guerre civile, deux personnages indifférents au débat, assis sur le roof, genoux sous le menton, et enfin, l'interlocuteur de la passonaria, la victime expiatoire, le skipper du voilier, un grec, adonis imperturbable, sans oublier dans un coin, prostrée, la compagne du bellâtre, l'hotesse en charge de la cambuse dont le défaut principal est sans aucun doute de rater la paella.

La scène se passe sur le pont et dans le cockpit du voilier.

Le texte est en anglais et pour certaines interjections en espagnol le bloggeur en donne ici la version française.

La Catalane s'adressant au skipper
Il y'a une chose que vous ne devez jamais oublier: c'est moi qui commande. Vous, vous êtes le skipper mais moi je décide ce que l'on fait. Vous voyez ce que je veux dire! (interjection appuyée par un doigt pointé vers le skipper) Il est par exemple hors de question que nous restions une minute de plus dans ce port de m... Lorsque que je loue un bateau c'est pour naviguer, sinon je vais à l'hôtel. Donc, à partir de maintenant, on navigue. Vous voyez ce que je veux dire (doigt pointé vers le skipper).
(le lettreux tourne une page)

Le skipper
Je comprends, mais je reste le skipper, le seul maître à bord, pour des questions de sécurité!

La catalane
Bien entendu!
Maintenant nous allons à Naxos! Un arrêt d'une heure ou deux pour visiter la ville. Puis, nous repartons naviguer!

Le skipper
Ok allons à Naxos...

Le lecteur aura compris que, pour alléger le propos, seul le début de la pièce est transcrit ici.

Et c 'est ainsi que Troll vit disparaître à l'horizon la bruyante Catalane en se disant: " pauvre skipper!"
La pièce d'Almodovar à peine terminée Naoussa s'apprête à recevoir la fameuse troupe de "Hair" . Pire que le festival d'Avignon ce Naoussa!
La place libérée n'eut pas le temps de refroidir. Un bateau belge et sa petite famille flamande s'amarre: papa, maman fiston et son copain. Une jolie petite famille sympathique! Oui mais voilà, la version idyllique,  le style "Mélodie du bonheur" n'allait pas durer. Les gentils voisins se transforment en exhibitionnistes qui se pavanent à poil dans leur cockpit à deux mètres du notre. Madame se rase les jambes face au quai exhibant sa foufoune aux badeaux de passage "tu as vu chérie, c'est une vrai blonde" sans parler de ses lolos siliconés. Le chirurgien avait du faire un prix - trois pour le prix de deux - à voir le membre du monsieur qui avait dû recevoir le surplus de silicone de madame. Pendant le spectacle les deux adolescents discutaient sur le pont dans une indifférence totale. On doit être vieux-jeux.
Oui, le Naoussa  2012 est un bon millésime.
Koufonisia est une île mystérieuse, pas celle de Jules Verne, mais presque. Un minuscule îlot roccailleux, un port qui a du mal à être géré, aux bornes électriques au fonctionnement aléatoire, des habitants charmants, tenanciers de "poussada", de tabernas, et le plus grand mystère de cet îlot reste: où peuvent bien disparaître les nombreux touristes sac-à-dos qui débarquent de "Blue Ferries" monstrueux, à des heures  ou même les chats errants dorment depuis longtemps? Peut-être l'île, telle l'hydre des légendes, les avale, les confie à Charon le passeur d’Hadès. Au matin plus aucune trace, les ruelles sont désertes. Et si l'explication était à trouver du côté du cimetière marin blanc et fleuri plongeant dans la mer?

Koufonisia
 
Un autre îlot hors norme vient se placer bien à propos sur la route orientale de Troll: Levitha. Ici, pas de mystère, mais une organisation bien huilée qui tourne. De bonnes bouées d'amarrage au fond du fjord étroit, une ferme-taverne autarcique au bout du chemin pierreux, des dorades qui grillent au feu de bois sous la main experte du grand-père, le Naoussa Boutari 2007 jamais en rupture de stock, la spatule en bois de Maria qui tourne les légumes du potager dans la casserole cabossée, tout ça sous le regard attentif du jeune  maître de céant,  au look d'étudiant reconverti. Le genre "fuyons la capitale, partons élever des moutons en Ardèche". Leur slogan est simple: "Une île, une famille!"
À Leros, seulement 25 milles vers le soleil levant, Troll  bien amarré  à la marina Evros, change de style et, se pique de mondanités, très fier d'être soudain reconnu, . Avec Claude et Marie-France d'Esterel, la conversation oscille entre l'hypocampe - celui de l'encéphale, pas l'animal marin - les dernières découvertes cernoises et  la nature prodigue de belles huîtres pêchées... on ne vous dira pas où - un ramasseur de champignons divulgue-t-il ses secrets? Le tout arrosé d'un blanc de Limnos...
Et puis se furent Georges et Jacqueline, nos voisins de Saint-Luc, dans une forme éblouissante qui partagent un bon moment dans le cockpit de Troll tandis que Valérie et François, autres Lucquerans navigateurs se balancent a Lipsos, à bord de leur Luna Rossa,  à peine à 10 milles. Ce jour-là, Saint-Luc est le centre du monde. Ce n'est pas une nouvelle, mais une simple confirmation, nous le savions déjà.
Et Gus le capitaine d'Indigo avec son fidèle second Carol, débarqua de son annexe , ingénieur métallurgiste de Chicago et se montre très intéressé par les derniers exploits du Cern. Voilà 10 années qu'ils n'ont pas quitte leur bateau, pas revu leur maison de Chicago à deux pas de Fermilab.
Dernières mondanités  au Moulin Bleu, derniers adieux à Leros. Enfin... depuis le temps qu'on le dit...
Une nuit à la marina de Cos, un bon dîner pour clore ces deux semaines  a travers la mer Egee et voilà nos Anversois sautant dans leur taxi pour retrouver les frimas nordiques. Les mouchoirs sont agités, 50 % de l'équipage disparaît à l 'horizon, la moitié restante appareille aussitôt vers Nisiros et son port de Pali sympathique et calme. 

Pali 



Pali nostalgique
 
Depuis trois ans, depuis Porto Heli, nous avions  perdu de vue l'original petit troller Alibi. Dès le musoir  du port dépassé, une coque café au lait à l'air buté attire notre attention "Tiens, voilà Alibi!" pendant que de leur côté, Nanou et Guy se disaient, "tiens voilà Troll!". Il faudra deux longs apéros pour répondre à la difficile  question: "qu'avons nous fait depuis trois ans?"
À Nisiros on est vulcanologue et, si on ne l'est pas encore, on le devient. À cheval sur un fidèle destrier nommé Honda ou Yamaha, on ne sait plus très bien, cheveux au vent, nous voilà chevauchant le long des pentes du volcan (ça, c'est pour le côté jeune et dynamique) en direction de ... le village le plus haut perché qui abrite un formidable musée didactique sur la vulcanologie (ça, c'est pour le côté intello). Pour ne pas oublier le côté gastronomique, le naguère fameux boulanger de Pali se laisse un peu aller: le pain est redevenu le pain compact d'antan et le cake qui faisait courir toute la plaisance méditerranéenne est légèrement rance. Qui sait, Pomponette est peut-être partie batifoler avec Pompom et le moral n'y est plus.


Symi en fin d'après-midi n'en finit pas de déployer ses charmes, ses couleurs plus pastel que jamais, tandis que sur le plan d'eau la valse des ancrages bat son plein. Les chaînes jouent à un concours de tricotage du style une maille à l'endroit, une maille à l'envers. Peter Pan et Tapis Volant, tombés amoureux, leurs chaines emmélées, ne peuvent plus se quitter, tandis que Perle d'Azur et Papy cool, un vieux couple sans doute, s'engueulent "non! Cette ancre est la mienne!"
Les traditionnelles crevettes de Symi seront dégustées ce soir là chez “Tholos”, une terrasse au bord de l'eau face à la ville qui reçoit ses derniers rayons de soleil. Crevettes rose corail, purée de poivrons jaunes, purée d'aubergine ficelle, fêta blanche, et menthe verte sur fond de façades ocre. Féerie de couleur.


  
Symi

Non, nous n'irons plus au restaurant "O Miracolis". Sacha, son serveur-marathonien-homme orchestre, est parti retrouver sa Biélorussie natale. Et, sans Sacha, plus de miracle!
Bientôt Troll retrouvera MARMARIS, sa base arrière où il attendra sagement son équipage qui s'en va prendre le frais en montagne avant de se lancer dans une nouvelle aventure, celle là pas nautique du tout: un treck en Capadoce. Mais ceci est une autre histoire. On vous la racontera si vous êtes sages.

Mise à l'eau le 24 avril 2013!