dimanche 31 août 2014

Troll chez les Bataves


 1.  De Cuijk à Amsterdam

Troll nous attendait attristé par son environnement industriel de Cuijk. De vieilles péniches en mal de propriétaires sur fond de grues et de tapis transbordeurs veillaient sur sa coque pourtant lustrée mais déjà défraîchie par quelques jours de pluies chargées de sable saharien, l’ennemi no1 des briqueurs néerlandais.
Pluie, brume et froid, une trilogie qui pousse à une extension hôtelière d’un confort encore terrestre, pas encore tout à fait nautique.


Mook-Groningen
La cambuse remplie, le cap est mis sur la marina d’Eldorado, un nom prometteur, à 3km de Cuijk, blottie au bord d’un lac accessible par un furo étroit bordé de saules, sans le moindre singe-hurleur, sans jaguar rugissant, en somme une première étape tout à fait raisonnable. Un joli site pour accueillir les amis rochellois Alain et Monique, toujours prêts à en découdre avec Eole et Poséidon.

 Du côté de l'Eldorado

Un petit tour de Meuse, une écluse, une vraie, le modèle anti-Frecynet et Troll caracole sur le Rhin, cinq km/h de courant dans le nez. Les monstres de 100m doublent sans vergogne notre Troll qui se fait soudain tout petit la tête rentrée dans les épaules. D’autres, semblant repousser tout le fleuve de leur étrave, croisent à contre sens, tout panneau bleu déployé. Une aventure de courte durée avant d’embouquer la rivière Ijssel qui nous poussera jusqu’à l’Ijsselmeer, la nouvelle appellation du Zuiderzee de notre école primaire.

Sur l'Ijsel

 


Sept villes hanséatiques jalonnent cette rivière. Troll s’attardera dans deux d’entre elles : Doesburg et Kampen. Deux ports miniatures où gros Troll joue des coudes et des épaules pour y trouver sa place. Doesburg c’est la musique qui s’impose. Le carillon qui tombe du beffroi toutes les demi-heures et « Elvis » un autochtone tombé d’une BD US 1950, coiffé et gominé comme le King, sillonnant la ville au volant de sa Cadillac décapotable rouge vermillon, « Blue suède shoes » à tue-tête pour finir se stationner devant son mi-bistro, mi-musée où trônent des Juxbox rutilants et autres statues à l’échelle de l’idole.

 Doesburg

L’accès au port de Kampen, blotti au fond d’un goulet sera tout particulièrement acrobatique. Troll docile, obéit imperturbable aux signes de Wiebe, un « Havenmeister » très précis. Quatre « Kampen Kogge » se balancent dans le bassin rappelant qu’au 14ème siècle les chantiers navals du port inventaient ce type de bateau qui allait révolutionner le commerce de la région. Quand on voit ces grosses barques ventrues,  on est bien loin du commerce à grand coup de porte-containers… Rues pavées, façades Renaissance, portes de la ville  en forme de tours à clochetons, ici la brique est reine. C’est le noooooordddd.

Dans le port de Kampen avec un chausse-pied

 

 
Kampen

 


Troll sort de l’Ijssel, embouque un chenal piqueté de rouge et vert, prend un virage sec sur bâbord et bientôt navigue sur le Vossemeer suivi du Drontermeer, deux canaux qui séparent le Flevoland de la « terre ferme », enfin, ferme on suppose car dans ce pays, la terre n’est jamais très ferme. Un petit furo à gauche et c’est Elburg, la destination du jour. Elburg, nom d’une ville mais aussi d’un broker renommé batave. Broker ? Broker ? Et oui, nous ne vous avons pas encore tout dit. L’âge de la retraite nautique approche et le vaillant équipage, après quarante années de croisières a décidé de raccrocher les cirés dans la penderie et de ranger les démanilleurs dans un tiroir.


Mat dressé, Troll trône tout fier devant Elburg Yacht Brokers. Arend saute à bord armé de son bloc note et de son appareil  photos. L’équipage s’éclipse discrètement laissant au Captain le champ libre pour les négociations. Cabine après cabine les objets personnels disparaissent pour permettre des photos « configuration salon nautique ». Imperturbable Arend prend des notes car ce soir il préparera un exposé, devant ses collègues brokers, programmé pour le lendemain à 7.30. Et le lendemain, le grand chef Rob vient exposer au Captain, la stratégie de la société et, last but not least », leur estimation de Troll qui s’en trouve très vexé. Que voulez-vous voilà ce qui arrive lorsque l’on a une trop haute estime de soi. « Tartuffe ! » aurait clamé Molière.
Cap au nord, direction Lemmer. Prononcez Lemmerrrrrr et vous passerez peut-être pour un Frison. Troll gambade sur l’Isjelmeer clapotant, repérant au loin les bouées colorées se détachant sur un fond grisouille bas comme le pays. L’écluse, une vieille dame moyenâgeuse, protège l’entrée dans la ville. Un pont levant en panne, une catastrophe nationale dans ce pays avide de perfection, pousse Troll vers un bout de quai dégagé par un capitaine du canal compatissant.

 
 Lemmer

A peine amarrés, Marga, débarque à bord, dynamique et enthousiaste vantant les mérites des bateaux Steeler, pré-selectionnés par le Captain, toujours en mal de projet et pensant à l’ « After Troll ». L’équipage emboite le pas de la pétulante Sales Manager et se retouve bientôt à bord d’un NG40 en cours de finition. Un bien joli « canote » de 12m.
Avec son canal bordé de maisons de poupées et de bistros style pub anglais, Lemmer s’offre pleine de charme, moitié romantique moitié « branché ».
Bien que la  route soit encore longue vers le grand nord, Troll part musarder au nord de la Frise en évitant la voie directe du Princess Margriet Canal, ses barges, ses chalands et autres porte-containers. A la place, un canal  ondule au milieu des prairies, des vaches frisonnes aux longs poils ambrés, d’anciens moulins aux ailes voilées qui rappellent aux nombreuses modernes éoliennes que « moi, mesdames de mon temps… ». Des iris jaunes et des angéliques blanches pointent leur nez au-dessus des herbes pas encore coupées. Ici et là au bord de l’eau, des menthes aquatiques bleues forment la toile de fond de toute une faune volatile, grèbes huppées, canards colvert et petits échassiers.



 
 Encore un sypathique compagnon de voyage

Les villes traversées rappellent aux plaisanciers de passage que la ligue hanséatique n’est pas loin et que les coutumes du moyen-âge sont encore présentes. « Manant nautique au premier pont de la ville tu déposeras ton écot, tu acquitteras l’octroi ». Du pont descend un sabot bleu décoré de fleurs, au bout d’une canne à pêche brandie par le pontier-percepteur. Lesté de cinq pièces d’un Euro, le sabot s’envole prestement vers les caisses de la ville.
La halte sera Zoutkamp, port de pêche sur la mer du nord. Troll à couple d’un crevettier jaune change d’univers. C’est la Pentecôte et à Zoutcamp, c’est la fête de la crevette. La flotte de pêche arbore le grand-pavois, les caisses de bières s’amoncellent, la musique monte en décibel. 



A Zootkamp la fête de la crevette bat son plein


 Que pourrais je bien faire pour épater "miss crevette"

En ce dimanche de Pentecôte Troll laisse derrière lui les fêtards de Zoutkamp cuver leurs caisses de bières et commence la patiente attente de l’ouverture des innombrables ponts qui, eux aussi, conjuguent le verbe festoyer à tous les temps et tous les modes. Le joli Ring Kanaal qui ceinture Groningen enchaine ses vieux ponts vanghoguiens à bascule manoeuvrés par l’unique préposé de corvée qui pédale cheveux au vent et lunettes bleues style John Lenon au bout des nasaux, de pont en pont. Rouge, rouge-vert, barrières routières abaissées, pont levé, vert, Troll s’engouffre. La cérémonie se reproduit jusqu’au « Trompbrug » 17 ème et dernier pont à saluer Troll. Sur tribord, sur le quai du Oosterhaven, le port de plaisance de Groningen, s’agite une énergique blonde qui désigne une superbe place que Troll s’accapare immédiatement en embouquant en marche arrière le « Schuitendiep ».
Depuis quelques jours déjà, le Captain ressasse le futur programme nordique : nord de l’Allemagne, canal de Kiel, iles danoises, Suède, éventuellement Norvège, Götakanal…. En se demandant si ce n’est pas un programme un peu ambitieux pour cet équipage de septuagénaires. Un second qui commence à trouver que les vagues sont belles uniquement en photos et un Captain moins sûr de sa résistance… Groningen restera marqué comme l’escale du changement. Pour la première fois en quarante ans + de croisière, le Captain change complètement le programme.

Entre Zootkamp et Groningen



Le pontonnier aux lunettes bleues

 Groningen, le Oost Haven

L’équipage réuni dans le cockpit autour d’une bonne bouteille écoute avec recueillement la docte parole  du Captain. Troll restera en Hollande et écumera les canaux bataves. Adieu rêves de paysages scandinaves où nous croiserons dans une autre vie. L’équipage fait preuve d’un flegme presque britannique « Ou tu iras nous irons ! » et le second ne poussa pas un ouf retentissant parce que ce n’est pas dans sa nature, mais tout le monde l’entendit quand même.

 
Groningen la tour de la pesée

Groningen-Grou

Les Hollandais sont des gens étonnants, sûrement parents des « Watermen » de la Chesapeake bay. Mi-homme, mi-batracien le Néerlandais évolue dans un univers semi-aquatique où l’on ne connait jamais avec certitude  la limite entre la terre et l’eau, où lors d’un passage d’écluse de la mer vers la terre, le bateau descend, où les maisons proprettes au gazon d’une  précision millimétrique, assurément tondu au laser, se réfugient derrière de puissante digue. Le Hollandais vit dans l’eau, le Hollandais respecte l’eau, le Hollandais craint l’eau.
Notre quête d’aventure aquatique reprend à Gröningen, où le court des choses s’est inversé, Troll n’ira pas à Delfzijl, le cap ondulant est mis vers Leeuwarden, la capitale de la Frise. Le long du canal, les adolescents blonds perchés sur leurs hautes bicyclettes, prennent le chemin de l’école ou de l’université et croisent la génération des parents qui reprennent le travail. La trêve de Pentecôte est terminée. Les écluses et ponts basculants, levant ou tournant re-fonctionnent normalement, Troll s’avance de son pas de sénateur sur le canal Van Starkenborgh. Une mini marina-camping au gazon rasé de près offre sa halte champêtre le long de son micro-canal privé.

 Amarrage à Stroobos

Ce soir, la chorale de Stroobos donne un concert. La vingtaine de choristes vêtus de noir, accompagnés par un accordéoniste, ancien marinier tombé de sa péniche, et entrainés par une cheffe hyper survoltée, enchainent chansons de marins, paysannes et … montagnardes. Quand arrive « Etoile des neiges », le second (prononcez seconde) se saisit du micro et remplace la gutturale langue frisonne par la douce langue de Molière, sous les applaudissements des bataves, bien entendu.

La chorale de Stroobos

Cat en vedette américaine


 


Leeuwarden, capitale de la Frise, fortifiée par Charles-Quint, une enceinte en épis à la Vauban aujourd’hui remplacés par le Stadsgracht, le canal entourant la ville, coupé de ponts levant-levis, bordés de parcs, où s’amarrent les plaisanciers, hommes de l’eau. Troll a l’impression d’être amarré au milieu du Bois de Boulogne. En entrant dans la ville, Troll commet la faute la plus grave, immaginable en pays batave : il ne s’acquitte pas du péage lors du passage du premier pont. La monnaie n’était pas prête et le petit sabot coloré repart dans les airs vide, oh scandale ! Avant le pont suivant, un officiel oblige Troll à se ranger le long du quai pour déposer les cinq Euros sacrés.

 
Troll au bois de Boulogne

  
Leeuwarden

Sur les berges, la blonde jeunesse se bronze en maillot de bain, l’équipage de Troll, prudemment garde ses fourrures polaires. Ce soir c’est la fête : le Midship fête ses 75 printemps. Un dîner Indien marquera l’évènement. Les effluves de masala, garam masala ou panch phoran enchantent nos cellules olfactives, tandis que poulet tandoori, et dhal de mouton, enchantent nos papilles gustatives. Longue vie au Midship !
200 marches plus haut, la vue sur la ville se découvre du haut de la Oldehove, une puissante tour gothique en briques, à l’air penché sur ce sol sablonneux instable. Bientôt, la Grote Kerk Straat, le Eelwal et le Weerd dévoilent leurs secrets: ruelles piétonnes, quai le long du vieux canal et incontournable Waag, la tour de la pesée où trônait la balance municipale, garante de la marche honnête des affaires. Au Musée de la Frise, une construction récente de belle architecture, défilent l’histoire de la région, la lutte contre les eaux et … la vie de Mata Hari, native du bourg, espionne ( ?) et fusillée dans le bois de Vincennes en 1917. Dans trois ans, les archives seront accessibles et, peut-être, connaîtra-t-on les dessous de cette rocambolesque histoire, les dessous de Mata Hari en revanche, eux, étaient connus de bien des hommes. Pendant les visites, les jardiniers des parcs s’activent, une pelouse de 8 mm c’est intolérable, et Troll, vert de naissance se retrouve moucheté d’herbes fraîches verte bien entendu, ton sur ton.
Les amarres sont larguées, Troll quitte le Bois de Boulogne. Il est 9.00, heure du début de la journée pour les pontiers qui depuis des lustres ne tournent plus de manivelles mais appuient sur un bouton « Auf », « Zu ». Troll se lance lentement, le canal est très étroit (16) et le pont placé dans un virage par des ingénieurs hydrauliciens sadiques. Les piles de pont défilent paisiblement lorsqu’une furie se met à hurler « schneller ! schneller ». Méprisant, Troll passe imperturbable. Par cette belle journée ensoleillée (gros titres dans la presse néerlandaise) Troll a choisi un canal bucolique au milieu des prés, des vaches qui depuis belle lurette ne regardent plus passer les trains, les moutons décorés à la bombe fluo, des chevaux, des fermes aux toits de chaume sans oublier la faune volatile, sternes, canards, hérons, aigrettes, huitriers pies, avocettes, foulques macroules.

Quelques ponts ouvrants et sans attente plus loin le canal s’ouvre sur un lac. Une jolie brise appuie Troll sur un ponton de bois. Le décor est, aux homards près, très « Maine ». C’est Grouw ou Grou suivant que vous soyez Néerlandais ou Frison. De toute manière ça se prononce Gro.



A Grou, la tradition vélique


 


Hendrick, le jeune patron du chantier Pikmeerkruiser, chantier créé par grand-papa il y a cinquante ans, vient chercher l’équipage car, vous l’aurez bien compris, le captain continue à élucubrer sur « L’after Troll ». Des jolis canotes et un sympathique petit chantier qui, en mal de commandes, tire un peu la langue comme beaucoup. La soirée sera passée au restaurant « Theehuis » qui pour la circonstance a déplacé ses pontons au Brésil : Les Pays-Bas affrontent la redoutable équipe espagnole. L’équipage Franco-suisse ne perd pas une seconde de ce match incroyable qui vit l’écrasante victoire batave 5-1, très content d’être à Grou au milieu de l’allégresse générale.
Face à Grou des dériveurs au gréement aurique tirent des bords dans cette lumière nordique qui, le soir, prend des heures à s’estomper.
Un petit coup sur le canal de la Princesse Margriet et Troll débouche sur la Sneekmeer, enfin, mer il faut le dire vite, le petit lac, tout au plus. A droite toute, et c’est le Koukensleat, un bout de canal qui s’enfonce dans Sneek.
Sneek, la mecque du yachting frison. Des chantiers navals et des marinas à perte de vue. Avant la ville, sur bâbord, flottent des drapeaux au nom « de Valk », autre broker bien connu. Troll a rendez-vous. Tout penaud, il s’engage dans le port à reculons, en tirant sur sa laisse, comme un chien que l’on conduit chez le vétérinaire. « Ils vont encore chercher à me vendre ! Mais en quoi ai-je pu les décevoir ?... »
Le broker-maquignon est là sur le ponton et, le regard concupiscent, prend les amarres. Discussions, discussions, questions, réponses, re-discussions. Les éléments sont là. Le choix du broker flotte encore entre deux eaux.
Le long du Koopsmansgracht, entre les ponts Oppenhuizerbrug et van Harinxmabrug, (n’essayez pas de prononcer, c’est sans espoir) Troll se remet de ses émotions.


 

 
Lemmer


Au musée de la Marine, les habitudes insolites bataves se dévoilent encore et encore : l’art de transporter à la voile les vaches de champ en champ, comment patine-t-on en course, de ville en ville à travers la frise, lorsque l’hiver est rigoureux, comment les défunts sont transportés sur des brancards aux couleurs de leur guilde jusqu’à l’église… et bien d’autres habitudes étranges.

 C'est dimanche

En mal de grands espaces Troll décide de rallier Makkum, port de pêche au bord de Ijsselmeer, qui n’est plus appelé  Zuiderzee depuis 1932, année de l’inauguration de la grande digue, mais ça on vous l’a déjà dit. De Sneek à Makkum les canaux sont pittoresques, bucoliques mais de petit gabarit. Soudain, « Bang !». Troll touche un OFNI (objet flottant non identifié). Probablement le stabilisateur bâbord a dû recevoir le choc apparemment sans gravité. Champs bien soignés, jolies fermes bien pimpantes aux longs toits touchant presque terre. Les ponts levis se succèdent rapidement levés à notre arrivée. Rouge, rouge-vert, vert et Troll salue le pontonnier.

 

 

Amarrage le long d’un quai fleuri, face à de coquettes maisons. C’est Makkum. En aval de l’écluse les bateaux traditionnels se balancent amarrés à leurs gros pieux. La grande digue dont on parle tant barre l’horizon au septentrion. Douze kilomètres de marche au milieu des moutons, et la voici devant nous imposante, protectrice, repoussant une mer du nord toute grise.

 

 

Au coeur de Makkum




A Makkum on pêche encore

 
Belle marche en direction de la Groote Dijk
Makkum-Stavoren

Vert-rouge, l’écluse est préparée pour Troll, impatient de se dégourdir les pattes en mer. Enfin presque. Ici la mer est intérieure, grand lac blotti derrière la Grote Dijk. Le petit sabot décoré descend au bout de sa ligne et repart souriant lesté de ses cinq Euros. Un force cinq assorti d’un typique crachin, petit clapot, les stabilisateurs reprennent du service. Un bruit de coincement, longue plainte du stabilisateur bâbord blessé sur le Van Panhuyskanal. Axe plié ? Desserrement de la boulonnerie ?


 Encore une amitié passagère de Troll

Sans stabilisateur, Troll berce son équipage et, tiré par les alignements de bouées rouges et vertes, s’engouffre dans l’étroit canal de Workum rendu jadis célèbre par ses pêcheurs d’anguilles. D’étroit, le canal bordé de façades à pignon, devient ruisseau. Troll serre les fesses, embouque une écluse, descend de cinq centimètres… et vient s’amarrer le long du quai, devant les bureaux de la marina Kuperus, magnifiquement accueilli par Gert et Terry les marineros-patrons du chantier-marina Workumois.

Amarré à Workum

 
La passe d'entrée de Workum

Les Hollandais sont des gens étonnants. Les handicapés font ici partie de la société, complètement intégrés. Les équipements pour faciliter la circulation des fauteuils roulants sont omniprésents, les jeunes générations poussant les anciens. Des fauteuils électriques autonomes sillonnent les nombreuses rues piétonnes. Plus nombreux les handicapés ? Non tout simplement partie intégrante de la société. Même les navigateurs fanatiques et handicapés trouvent une solution : des plans inclinés pour accéder au cockpit, des potences pour se hisser à bord ou encore une compagne costaud – et ici ce n’est pas rare – pour vous installer à la barre !
Ici à la marina Kuperus, le handicapé est canin. Un jeune bichon paralysé de l’arrière train, équipé d’un attelage sorte de calèche miniature, gambade derrière une balle en courant de ses deux pattes avant valides. 

 
 Chien batave paraplégique

Une rue principale, bordée de maisons marchandes aux frontons cintrés ou droits certaines encore équipées de poutre à palan, rappellent que la Grote Straat était encore un canal au 18 ème siècle. La grand place bordée de l’hôtel de ville et l’église flanquée d’une tour monumentale en brique rouge offre ses terrasses certainement accueillante lorsque l’été n’aura plus honte de son nom. Une maison parmi les autres, mélange d’ancien et de moderne, c’est le Musée Jospie Huisman, ce ferrailleur-chiffonnier devenu un peintre d’un extraordinaire talent dont l’intérêt pour les gens simples et les objets déclassés se traduit sur ses toiles colorées qui prennent aux tripes.

Workum

 Jospie Huisman, autoportrait

Les émotions artistiques font place cet après-midi à un suspense mécanique. Wim, pompier-sauveteur-plongeur à Den Helder est pour quelques jours dans sa maison familiale de Bolsward, débarque avec son équipement et plonge sous la coque de Troll dans les eaux glauques du canal. Après une demi-heure d’inspection le plongeur annonce son diagnostic : l’axe du stabilisateur ne semble pas plié, l’aileron ne touche pas la coque. Donc très probablement un desserrement de la boulonnerie. Prochaine étape : inspection à la prochaine sortie de l’eau de Troll.
Ce soir-là, l’évènement c’est le match France-Suisse en huitième de finale du Mundial. Pour le Captain et son second franco-suisses, une certitude, ce soir ils seront vainqueurs, quoi qu’il arrive. Au restaurant chicos « De Golden Leeuw », sur la Grand-Place, devant trois soles meunières, quatre paires d’yeux ne ratent pas une passe. L’occasion également de rencontrer un charmant couple suisso-néerlandais, antiquaires au bord d’une rue pavée, à deux pas.
Workum, un mélange de nostalgie, d’hospitalité et de culture. Un rêve, non ?
Un joyeux été ! Il grisouille, il pleuviote, on frissonne…ici, en réalité, on frisone.
Les canaux se transforment en lacs, les lacs en canaux. De l’eau dessous, de l’eau dessus, un festival aquatique. Des bateaux de tous types, à voile, à moteur, des vieux gréements, des modernes, les Hollandais partent en vacances. Les rives de roseaux alternent avec les pelouses ajustées. Un petit bonjour à gauche un grand salut à droite, les civilités bataves battent leur plein. Troll quitte le chenal principal en bout de la Hegemerrrrr et embouque la passe d’entrée du port de Heegerwaal. Un marinero cycliste fait de grands signes et désigne un magnifique appontement, car, Troll est attendu grâce à Gert qui a si gentiment tout organisé.


 
 L'entrée du Passanten Haven de Heeg

Amarres frappées, électricité connectée, formalités remplies, l’équipage apprécie cette marina toute récente, impeccablement équipée et encore une fois à l’accueil exceptionnel. Le capitaine du port a l’accent british rocailleux du bush. Deux ans en Australie, ça marque. Un bateau rétro glisse le long de Troll, c’est « Casablanca ». Humphrey Bogart est à la barre, Laurence Bacall prépare les amarres… Le long des canaux de Heeg, s’alignent les gros bateaux ventrus aux larges dérives qui depuis quelques décennies ne transportent plus d’anguilles mais servent de modèles aux milliers de photographes amateurs qui l’un après l’autre se dit « Oh, ça va faire une bonne photo ». Les terrasses le long des quais sont aujourd’hui remplies car en ce deuxième jour de l’été, il ne pleut pas, un évènement si rare. Les ponts se lèvent, les ponts se ferment. Les dériveurs rentrent de leurs régates sur le « De Fluezen », les kayakistes plantent leurs dernières pellées de la journée.


 
 Heeg, la capitale de l'anguille


Une régate de vieux gréements ventrus aux dérives sans âge, aux voiles blanches et lie de vin sur fond de moulins et de vaches, ça ne se rate pas. Après six kilomètres de marche voici Oudega. Vue de loin les voiles glissent sur les champs et tirent des bords en prenant bien soin d’éviter les vaches. Trois tours du jeu de bouées, trois passages devant le bateau-Start, Les jeunes bataves bordent les écoutes, les palans sont souqués, six gaillards aux gros bras changent de bord et rétablissent l’équilibre. Le no 4 prend une option hardie et finit second. L’équipage admire, nostalgique la beauté des gestes avant de reprendre la route, six kilomètres, deux par rotule et deux pour les hanches.

Frise = vaches + moulins + vieux gréements



Stavoren, troisième port de meeerrrr après Makkum et Workum est maintenant au bout de l’étrave. Troll, dans sa zigzagodromie, fait à nouveau de l’ouest. Successions de lacs reliés par de courts tronçons de canaux, innombrables marinas, des milliers de bateaux d’une diversité invraisemblable, des pontons pour amarrages bucoliques au milieu des roseaux, Troll progresse sans bruit, moteurs à 1000 tours/min sous le regard impassible de hérons cendrés ou de cygnes blasés. Au bout du large  Johan Friso kanal, devant nous, l’écluse J.M.Frisosluis, récemment inaugurée par le nouveau roi Willem, le point de passage obligé pour tous ceux qui veulent quitter les lacs frisons et se rendre sur l’Ijsselmeer. Troll embouque sur tribord le Binnenhaven où un magnifique amarrage se présente le long du quai équipé de prises électriques et de point d’eau comme il se doit.

 

 Stavoren, le canal

Stavoren, encore une petite ville proprette, autrefois port de pêche aujourd’hui grand port de plaisance. Ici les bateaux à moteur des eaux intérieures font place à une immense majorité de voiliers prêts à en découdre en régate sur l’Ijsselmeer, un immense plan d’eau bien protégé. Dans le port de Stavoren, une femme immobile regarde vers l’Ijsselmeer. Cette statue évoque la légende de cette riche femme de négociants qui devint mendiante. Ce soir- là à la pizzeria, les clients portent perruques orange, lunettes orange, T-Shirts orange. Non ce n’est pas carnaval mais l’équipe batave est en train d’éliminer des Chiliens teigneux qui souffrent. C’est le Mundial, je le précise pour les intellectuels qui ne le sauraient toujours pas.
Devant Troll s’amarre une péniche d’une vingtaine de mètres rutilante et fleurie de pétunias blancs. Le capitaine australien, et sa seconde américaine, parcourt l’Europe depuis deux ans, très ennuyé de ne pouvoir explorer l’Allemagne qui ne reconnait pas son permis de navigation british. Messieurs les commissaires de Bruxelles, vous feriez bien de vous pencher sur l’unification des permis de navigation plutôt que de légiférer sur le taux de moisissure du Roquefort…

 
Le vieux port de Stavoren


Collée à l’écluse, un kiosque traditionnel vante la qualité de ses « Hollandse nieuwe » , car ici ce n’est pas le Beaujolais nouveau qui est arrivé mais le hareng nouveau qui se déguste cru. Les bras chargés de harengs, d’anguilles fumées et de cabillauds frits assorti de frites, l’équipage regagne le bord soigner son taux de cholestérol.

Stavoren-Alkmaar

Les Hollandais sont des gens étonnants. Il est de notoriété publique que la Suisse, surtout allemande, est un pays très propre. Faux ! Archi-faux ! A côté des Hollandais, les Helvètes sont de vulgaires souillons. Aux Pays-Bas, les toilettes publiques ressemblent à des salles de soins d’un hôpital haut de gamme. Les murs sont repeints de la veille, les sols astiqués à s’en décoller les rétines, jamais une serrure défectueuse, jamais une patère volée… Devant Troll, sur la route, un Batave à genoux nettoie avec une petite brosse les joints des pavés devant sa maison, un petit grain de poussière avait attiré son regard.
Aujourd’hui Troll est tout excité. Depuis deux jours il entend l’équipage parler de « traversée » et il se dit qu’enfin la navigation va à nouveau être digne de lui. Une traversée oui, mais pas exactement une transat ou une transpac. Ici on parle de trans-Ijsselmeer, un plan d’eau douce de 14km. Deux heures, pas de quoi publier. L’écluse flambant neuve accueille Troll et deux compagnons. Une vertigineuse descente de 20 centimètres, Troll fait ses adieux à la Frise et vogue sur l’Ijsselmeer, cap sur… la Hollande.

 
Un copain de passage 


Au Binnenhaven d'Enkhuizen




Enkhuizen


Oui en Hollande car ici, la Hollande n’est qu’un morceau des Pays-Bas, essayez de dire à un Ecossais qu’il est Anglais., il n’est pas sûr que vous pourrez finir votre phrase. Ici c’est pareil, un Hollandais n’est pas Frison. Qu’on se le dise ! Sur la « mer » bleu-gris naviguent des vieux gréements parés de voiles lie de vin. Troll pare les jetées du port municipal d’Enkhuizen en rentrant les épaules pour éviter un beaupré sans fin qui empiète sur la passe étroite. C’est midi, VHF canal 2, une voix féminine lance « Placez vous où vous voulez ». Ca, au moins c’est clair. Les places le long du quai sont nombreuses, les amarres sont lancées sur un ponton magnifiquement équipé comme d’habitude. Enkhuizen abrite une sorte de « Mystic Seaport » batave, l’incontournable « Zuiderzee Museum ». Douze entrepôts du 17ème siècle ayant appartenu à la VOC, la Compagnie des Indes Orientales, abritent le musée intérieur qui retrace l’histoire aquatique du Zuiderzee, la construction des digues, les énormes tempêtes, celle en particulier de 1916 qui entraina la construction de la Grote Dijk. Des simulations 3D de tempêtes on s’extrait étonné de ne pas ressortir trempé. Dans le grand Schepenhall sont rassemblés d’anciens voiliers ayant vogué sur le Zuiderzee, les botters, bateaux de pêche à fond plat ou encore les Ijsvlet d’Urk qui glissaient sur la mer gelée. Le musée extérieur, reconstitution de trois villages de pêcheurs aux maisonnettes de poupées, démontées dans des villages autour du Zuiderzee et remontées ici. Chambres minuscules, mobilier minimum.  Des artisans au travail, tissant des filets, des commerces d’antan, la pharmacienne propose ses onguents et autres poudres de perlin-pinpin, la blanchisseuse étend son linge fraîchement lavé sur des cordes d’étendage dont le détoronage remplace les pinces à linge pas encore inventées. Dans un coin, de la soude et de l’huile de tournesol car il faut bien fabriquer son savon. Trônant au milieu de sa forge la belle forgeronne actionne son soufflet, un anneau rougi est posé sur l’enclume, une commande du Captain est en cours, une pièce essentielle de la future station météo de Saint-Luc.

Mystic Seaport batave

La station météo de Saint-Luc sur l'enclume

Certains promènent leur chien, aujourd’hui on promène Troll, d’Enkhuizen à Medemblik, un Troll ravi de naviguer en eau libre. Prononcer ME-DEM-BLIK en appuyant bien sur le BLIK et vous passerez pour un batave.

Quatre monstres en face de Medemblik

A Medemblik

Sur la digue, deux compères fument des anguilles. Le grand costaud à la langue bien pendue assure le marketing dans une langue franco-anglo-allemande très matinée de néerlandais, une langue nouvelle, compréhensible de tous, version locale de l’esperanto. Son comparse, muet pour compenser, fraîchement tombé d’un tableau de Bruegel, écarte la toile qui ferme la caisse pour faire admirer les anguilles, suspendues par la queue dans la fumée d’un feu de bois de poirier. Le poirier, voilà le secret. Ce soir là quatre anguilles, pêchées sur les bords de l’Ijsselmeer finiront leur carrière à bord de Troll, arrosées et dégraissées par un Jonge Bols bien glacé, bien entendu.

Bronson en plein fumure

 Bientôt dans l'assiette

A la fin du 19ème siècle la reine Wilhelmine, le genre indestructible, la version batave de Victoria, charge l’ingénieur Cornelis Lely d’étudier un moyen de fermer le Zuiderzee et de conjurer les dégats occasionnés au pays par les violentes tempêtes de mer du nord, une idée qui remontait au 17ème siècle. L’ingénieur présenta son projet à la jeune reine qui fut séduite mais l’opposition des bataves fut virulente. Les écolos du moment se joignirent aux conservateurs pour dénoncer une atteinte aux lois de la nature, les pêcheurs ne voulaient pas se voir limiter l’accès à leurs sites de pêche. Une guerre des anciens et des modernes de plus. « Une traversée sous la rade ? Et bien non alors ». Un air mille fois entendu. Oui mais dame nature se mit de la partie en 1916. Une terrifiante tempête suivie d’immenses inondations mirent les protestations en sourdine et le projet fut voté en 1918. Commencée en 1927, la digue du nord, longue de 32km, large de 90m et haute de 7 m fut achevée en 1932. Solennellement, Wilhelmine, toujours aux commandes déclara que  le Zuiderzee n’existait plus et que l’Ijsselmeer était née. L’équipage admire la réalisation des tenaces bataves.

La Groote Dijk
Presqu’exactement 3 siècles avant l’adoption de la loi pour la construction de la digue, Willem Cornelis Schouten contournait la pointe extrême du continent sud-américain et la nomma Cap Horn du nom de Hoorn de sa ville natale. Aujourd’hui, l’équipage de Troll se pique d’histoire et de culture et vient saluer le héros ou tout au moins son buste en bronze en bout de la digue face à la Hoofdtoren qui protège l’entrée du port. 

Hoorn, l'entrée du Binnenhaven

Il est bon de flâner dans le vieux quartier de Hoorn en ce samedi où le marché animé rappelle qu’à Hoorn, fondatrice de la VOC, depuis des siècles le commerce est roi. Un immense orgue de barbarie enchaîne ses tubes mélancoliques, la grand place de la Rode steen, n’est pas aujourd’hui couverte de sang comme au temps des exécutions capitales, mais de sable où de blondes gazelles s’affrontent avec force « han » et « hiap ! » lors d’un tournoi de volley sous le regard impassible de Jan Pierszoon Coen, le gouverneur général des Indes Néerlandaises, aux si belles baccantes salvadordalienne, qui semblent dire « Elles sont bien mignonnes ces petites ! ». Petites, petites… entre 1.80 et 1.90 m tout de même !

C'est jour de marché à Hoorn


Les Pays-Bas vus d'avion



 Les belles façades se succèdent, un long chapelet de fresques, de sculptures vantant les mérites d’autres maîtres de céans, la maison du Bossu, le teigneux amiral de Hennin qui en fit voir de toute les couleurs aux Espagnols mais qui finalement fut défait, celle du navigateur-écrivain Willem Bontekoe, auteur du récit de ses aventures rocambolesques, paru en 1646 et qui n’a pas pris une ride.

Hoorn

La maison du Bossu

Inévitable Compagnie des Indes Orientales

Plus modestement, Troll, seul et sans escadre reprend sa route vers le Nord. L’objectif du jour est Den Helder, la pointe extrême de la Hollande en traversant le Wieringermeer Polder, créé lors de la réalisation de la Grote Dijk. A la sortie de Medemblik, deux écluses font descendre Troll de 5m, car, vous l’avez compris depuis longtemps, un polder, est le fond d’une ancienne mer donc  plus bas que le niveau de la mer. Je sens qu’il n’y en a que deux qui suivent ! Troll dépasse Middenmeer aux alignements de bateaux-ventouses, « Sausalito-sur-polder, et embouque le West-friesche vaart. Les ponts s’ouvrent et se referment sur notre poupe. Une écluse, Troll remonte de 5m et sort du Polder. Un coup de barre à droite et voici le Waardkanal. Cinq kilomètres plus loin, un pont, banal vous me direz, non, pas banal, ce pont affiche DEUX feux rouges et ne fonctionne pas. Le Westerbrug ne fonctionne pas le dimanche qu’on se le dise ! Demi-tour toute pour découvrir à Kolhoorn un superbe amarrage le long d’une pelouse, en attente du lundi et du retour du pontonnier parti aux champignons. Que ce pontonnier soit béni et honoré car, grâce à lui,  à Kolhoorn, ce fut une soirée inoubliable.
Au milieu de Kolhoorn, un bazard, genre épicerie du far-west, le magasin où l’on trouve de tout, des nasses pour pêcher, des pelles, des cordages, des cigarettes dans un indescriptible désordre. Derrière le comptoir, le proprio qui a sûrement fait de la figuration dans les films de Sergio Leone, la cigarette fraîchement roulée au coin des lèvres, lance un « Welcome », car l’épicier-shipchandler est le capitaine du port. Kolhorn fait dans l’authentique. Face au canal  une belle auberge attire l’œil car il faut bien trouver un point de chute en cette journée mémorable où les Pays-Bas vont affronter le redoutable Chili. La veille à Medemblik, Peter le sympathique loueur de voitures avait prévenu le Captain « Demain est un jour historique pour mon pays » Le Captain cherchait au fond de sa mémoire quel évènement de bravoure batave devait être célébré lorsque tomba « Oui, demain nous affrontons le Chili ».
L’auberge est sympathique, sorte de pub anglais. Des serveuses souriantes virevoltent à la terrasse. « Est-il possible de voir chez vous ce soir le match du Mundial à la télévision ? » lance le Captain à une jolie blonde. « Une minute, je vais demander ». La cheffe arrive, dynamique, Milène Demongeot au temps de sa splendeur. « Il faut que je demande à la patronne » Et la patronne arrive. Le genre mi-Melina Mercouri-mi- cyclone tropical. Le sourire à la fois généreux et carnassier c’est Martha LA patronne, cheveux blonds au vent et poitrine volontaire, la cinquantaine conquérante. « Une minute, je vais téléphoner à mon mari » et le verdict tomba « Aucun problème vous pouvez venir ».
Un quart d’heure avant le début du match, le vaillant équipage, fanatique de foot, une fois tous les quatre ans, pousse la porte de l’auberge t’Anker, accueilli par une Melina Mercouri en pleine forme (en réalité la pleine forme est très probablement son état naturel). Au bout de la salle, un écran de télévision face à une table ou sont attablés quatre personnes. « Ca ne vous ennuie pas de partager la table avec le personnel ? » En fait de personnel il s’agissait de son mari, le propriétaire des lieux, un cousin d’Argentine, la maître d’hôtel- Milène Demongeot- et de temps à autre le chef des cuisines. Bien sûr, Melina nous rejoindra. Et le match démarra. Le vin du Languedoc était excellent, des plateaux dégustations de fromages délicieux passaient et repassaient, pendant la mi-temps le chef disparut en cuisine et le « Catch of the day » excellent apparut comme par magie. Mais le spectacle était dans la salle. A chaque but ou tentative de but batave, Melina et Milène explosaient, sautaient de leurs chaises, propulsées dans les airs par un enthousiasme plus latin que nordique, éclats de rires, vivats, bras en V,  toute la table est hilare. En aparté le mari, très calme, nous lance « Vous voyez, c’est elle la patronne, moi je ne suis que le mari ». Et les Bataves gagnèrent. 4 secondes après, le coup de sifflet final, les bouchons de champagne sautaient.
Quel accueil, quelle soirée !

 En route vers Den Helder

A l’heure où blanchit la campagne Troll piaffe d’impatience devant le pont mycologue qui arbore encore et toujours deux magnifiques amanites rouge écarlate. D’une voiture sort un pontonnier vêtu de son gilet fluo. Un geste de la main, le feu rouge devient unique, rouge-vert, le pont se lève, vert, Troll s’élance, cap sur Den Helder atteint après un lac, une écluse et quelques dizaines de bouées rouge et verte. « Marine WV », le long du Koopvaarders binnenhaven, voilà une bonne adresse lorsque l’on fait escale à Den Helder.  Amarrage le long d’un ponton équipé, faut.il encore le préciser, d’électricité et d’eau, des sanitaires rutilants, une salle de réunion/bar avec télévision, incontournable en cette période de Mundial où toutes les rues du pays sont orange. Et, last but not least, un accueil encore une fois chaleureux "Vous êtes ici chez vous etc… ».
En visitant la ville, sans centre historique ancien, où tous les bâtiments remontent tout au plus aux années 50, on se dit que les Allemands et les alliés ont du rivaliser d’ingéniosité pour raser ce plus grand port de guerre des Pays-Bas. Aujourd’hui encore les bâtiments de la royale mouillent en rade tandis qu’au musée de la marine deux anciens sous-off sous mariniers répondent laconiquement aux éternelles mêmes questions de ceux qui naviguent en surface. Le plus étonnant c’est qu’après avoir vécu une vingtaine d’années dans cet univers claustrophobique, ils éprouvent encore le besoin de s’y replonger bénévolement en tant que guide.
« Package » en main, l’équipage embarque à bord du Ferry, bus local, en direction de l’île de Texel  à 5 km au large. Troll proteste « Et moi ? Je n’ai pas le droit d’aller voir l’île, d’aller m’amarrer à Oudeschild? » « Non, cette place au WV est tellement belle et unique, il ne faut pas la lâcher ! »
Package = billets de ferry + Bicyclettes sur l’île pour la journée + une soupe avec du pain dans un bistro + cafés à bord du Ferry… que demande le peuple.

En route vers Texel

A l’arrivée du ferry, à ‘t Hornje, un gros hangar rempli de… bicyclettes. Et voici quatre septuagénaires en route pour de nouvelles aventures perchés sur leurs montures bataves. Car il faut préciser qu’un vélo batave est très différent des modèles rencontrés sous d’autres latitudes. Pas du tout le modèle « Baisse la tête, tu auras l’air d’un coureur » : Très haut sur pattes, grandes roues, guidon rehaussé donnant l’impression de singer mademoiselle de Longbec, et surtout pas de freins… au guidon mais freinage uniquement par rétro-pédalage qui rend les arrêts acrobatiques. Résultat : cinq chutes et quelques égratignures. A Den Hoorn un café brocante réconforte les cycliste-bataves amateurs en phase « 1 » de l’expérience, la phase « familiarisation ». Quelques centaines de coups de pédales plus loin, ne pas rater la Bakkenweg qui s’enfonce dans la pinède car au bout de la route, la récompense, une plage de sable blanc qui file jusqu’à l’horizon. Les rouleaux d’une mer du nord grise qui s’écrasent sur la grève. Une équipe de jeunes marins de la royale se forgent le caractère en crawlant dans la vague, en courant sur le sable dur, version texelienne des « Chariots de Feu ».

"Les chariots de feu"

 En plein Mundial!

Des dizaines de pistes cyclables partent dans toutes les directions, un véritable écheveau à démêler pour atteindre L’Ecomare un musée de la mer très prometteur et bien décevant. Den Burg, Oudeschild, où Troll rêvait tant de venir s’amarrer et le Ferry « Package » ramènent quatre cyclistes avec 35 km dans les mollets à bord de Troll qui lance « Alors, c’était bien ? ».


 Que seraient les Pas-Bas sans bicyclette?

Les Hollandais sont des gens étonnants. Vous l’avez noté, il manquait un chapitre vélocipédique. Les Pays-Bas : plus d’un vélo par habitant, c’est certain. Des milliers de km de pistes cyclables, et, attention une piste cyclable n’est pas une piste piétonne. Si vous, piétons, ignorez cette importante distinction, vous finirez à l’hôpital. Donc des centaines, des milliers de cyclistes. Et les parkings pour vélos sont innombrables et bondés. Autour des gares, autour des supermarchés, sur plusieurs étages, sur des barges flottantes le long des canaux… et tous ces vélos sont semblables, cadre féminin, hauts sur roues, haut guidon et même couleur noire. Alors, le grand mystère quand on descend de son train, comment retrouve-t-on son engin ? Mystère. Si j’habitais ce pays, j’achèterais un vélo jaune canari, juste pour le retrouver.
Le nord, c’est bien, mais de temps à autre on se prend à rêver de sud, de garigue, de serpolets et de cigales qui chantent, alors, aujourd’hui Troll fait du Sud cap sur Alkmaar, pas exactement la Sicile mais quand même, c’est dans la bonne direction. 

 Entre Den Helder et Alkmaar

De Den Helder à Alkmaar, le Noordhollanschkanaal, presque  rectiligne, monotone dans cette grisouille ambiante. Le rayon de soleil, sera le jeune Havenmeister. D’Alkmaar qui, Troll à peine amarré le long de Bierkade, vient nous prodiguer ses conseils pour un meilleur amarrage. Le choix entre le quai Voormeer à la place d’un bateau qui devrait appareiller sous peu et une place dans le bassin Turfmark, blotti derrière le pont du même nom, un pont à la largeur freycinienne qui fait trembler Troll.  Le dit pont se lève et Troll s’éponge le front. Un demi-tour dans le bassin, un mètre devant, un mètre derrière et l’amarrage est pris le long du quai équipé de bittes d’amarrage en inox rutilantes, frappées aux armes de la ville, prises électriques masquées, alimentation gérée par microprocesseur, poubelles gérées itou, un amarrage fin de 21ème siècle, si l’humanité existe encore. Dans le bassin, micro-port, un port tellement petit qu’il ne figure pas sur les cartes nautiques,  un autre bateau battant pavillon… suisse. A 10 mètres, de l’autre côté du quai, le restaurant « Babylon » et sa WIFI. Une place de rêve. Troll y restera trois jours.

Troll à Babylone...

Pour les éternels incrédules qui ne croient pas à l'existence de ponts bas nous conseillons de regarder la video suivante:


 

Ca passe juste!

 Ici aussi, c'est juste!

La Grande église, Grote San Lorentzkerk, aujourd’hui  musée, où se mariaient en 1785 Jan van Meberthort et Sofia de Gruyst comme le raconte Papy Georges dans son roman bref « Le collier de la reine Hortense ». Les grandes orgues de van Kampen qui résonnèrent alors, rempliront la semaine prochaine les voutes de sonates de Bach, comme l’annoncent les affiches. L’équipage hume Alkmaar, ses quais bordés de maisons anciennement marchandes, la grosse tour de la pesée, la Waag, le garant de l’honnêteté commerçante, qui carillonne toutes les heures pendant que des automates disputent un tournoi. Au musée du fromage on apprendra qu’une vache mange tous les jours 50 kg d’herbe et boit 100 litres d’eau pour produire 30 litres de lait qui donneront 3 kg de fromage. On apprend aussi sa maturation, du fromage jeune, favori des enfants, au fromage vieux de deux ans favori du grand-père.


Alkmaar

Alkmaar, la capitainerie

 Mais le clou, c’est le marché du fromage qui se tient tous les vendredi depuis 1622 sur la place Waagplein au pied de la tour Waag. Dès le matin les Zetters (placeurs) alignent environ 1000 fromages d’Edam et de Gouda qu’ils empilent avec soin. A 10 heures la cloche retentit, c‘est le début du marché. Les estimeurs vêtus de leur blouse beige gouttent les fromages et négocient le prix du kg avec les acheteurs. Marchés conclu, les deux personnages se tapent longuement la main. Les porteurs de fromages interviennent alors, vêtus de blanc et portant chapeaux de paille aux quatre couleurs des quatre compagnies, vert, bleu rouge et jaune, chargent les fromages vendus sur des brancard qu’ils emportent en cadence à la pesée par lot d’environ 100kg. Finalement, les fromages vendus et pesés sont chargés sur des charrettes, alors que les bateaux à fond plat attendent les chargements sur le canal voisin (dernière action parfaitement anachronique : les fromages embarquent à bord de… camionettes). Un cérémonial qui dure depuis quatre siècles mais qui, depuis 1945 n’est plus qu’une grande pièce de théâtre.

Autre couleur, autre guilde

100 kg de Gouda transportés en cadence

Marché conclu!

D’Alkmaar à Amsterdam

Le jeune « Hafenmeister » juché sur le pont d’opérette surveille Troll qui quitte son amarrage le long de Turfmarkt. Rouge vert, le pont se lève, vert, Troll se lance entre les piles, cinq centimètres sur bâbord, cinq centimètres sur tribord, une vraie frécinette.
La route est sud sur le Noordhollandsch kanaal, dont la monotonie est bientôt rompue par la traversée de l’Alkmaarder Meer, bien entendu bordée de marinas. Meer ? Plutôt un petit lac. Au milieu de  constructions modernes qui rappellent que la grande ville n’est plus très loin s’organise la résistance : un village aux maisons de bois vertes, de nombreux moulins rappellent qu’au 17 et 18ème siècles, la région de Zaan comptait jusqu’à 600 moulins utilisés pour le sciage du bois, alimentant une prospère industrie de chantiers navals. On raconte même que le Tsar Pierre le Grand était venu incognito y faire un stage chez un charpentier de marine. Lui au moins avait compris que les métiers manuels sont tout aussi importants que les métiers intellectuels. Ca y est, je refais de la politique.
Quand une ville comme Amsterdam pointe au bout de l’étrave, la question du point d’amarrage est aigue. Le Captain avait jeté son dévolu sur la Six Marina, idéalement placée de l’autre côté du Nordzeekanaal, face à la gare et accessible par un mini-ferry toutes les 6 minutes. Oui mais voilà, la marina est petite, bourrée en été et sans réservation de place possible. Et quand on dit « bourrée », ce n’est pas une tournure de langage. Les trois hafenmeisters qui se relaient au fil des heures et des jours ont un principe commun « On ne refuse jamais un bateau ! » Ce généreux principe entraine inévitablement, en ces journées de vacances estivales, un encombrement hallucinant. Gros Troll pointe son nez et se dit « Houlala ça va être coton ! » et se mit immédiatement  à repenser à Attila et sa minuscule marina hongroise initialement prévue pour des canoés et des kayaks… La Hafenmeisterin indique une place tout à fait acrobatique, un amarrage transverse au cul de quatre bateaux. Suivent des conciliabules bataves, des déplacements de bateaux et soudain, une magnifique place, une place royale, se libère le long d’un ponton. Troll y restera neuf jours.

La Six Marina est bourrée

 A bord du petit ferry bleu, à l'assaut d'Amsterdam

Un réseau de canaux dessinant une gigantesque toile d’araignée, des façades de briques hautes et étroites aux frontons variés, une foule jeune bigarée, colorée, des dizaines de milliers de vélos qui évitent en slalomant les touristes imprudents, des bateaux de toutes formes, de toute nature, de toutes époques, des trams qui repoussent la foule à grands coups de clochette, Amsterdam trépide.
Amsterdam ça se respire, ça se vit.
Au coin d’une rue saxo et contrebasse ajoutent une touche de couleur au ciel grisouille, un petit air Frisco, le soleil en moins.

L’équipage croise et recroise les canaux semi circulaires, Singel, Herengracht, Keizersgracht, Prinzengracht, les meilleurs points de repère pour ne pas s’égarer dans la ville.
Au sud du Singelgracht, la Museum plein, magnétise le tourisme  cosmopolite. Devant les Rijk et Van Gogh museum les files de visiteurs s’étirent.

Musée de la marine

Au musée Rijk, à la peinture flamande incontournable, 400 chefs d’œuvre du siècle d’or s’alignent de salle en salle, Rembrant et sa « Ronde de nuit » qui est en fait une « Ronde de jour » patinée par les ans, Vermeer et sa Laitière, qui n’en finit pas de verser son pot depuis 356 ans, et beaucoup, beaucoup d’autres tableaux qui illustraient les manuels scolaires de notre tendre enfance. Mais un tableau inconnu retint notre attention. En 1671, Gerrit Adriaensz Berckheyde, plantait son chevalet sur le pont de la Regullierstraat qui enjambe le Herrengracht, et fixa sur sa toile, pour l’éternité, ce canal et son Goudenbocht, le virage d’or. Munis d’une reproduction de ce tableau l’équipage-Sherlock Holmes, avec l’aide d’un élégant Amsterdamois qui s’apprêtait à récupérer sa bicyclette, retrouva l’emplacement du chevalet, précisément l’emplacement de sa bicyclette. Les maisons aux belles façades étaient toujours bien en place, seuls les arbres avaient poussé…

Le Goudenbocht peint par Gerrit Adriaensz Berckheyde en 1671

Devant les quelques centaines de mètre de touristes qui, sous la pluie, constellation colorée de parapluies, on se prend à penser au contraste entre un artiste, un peu fou, malade et mal-aimé, qui, au cours de sa vie, n’a réussi à vendre que deux toiles et qui aujourd’hui attire une foule en pamoison devant son talent. Ou se niche la vérité ? Combien d’autres artistes talentueux resteront à jamais inconnus?
Aujourd’hui, c’est la pose, « j’veux pas d’visite » dirait Lynda Lemay, les amis Rochelais préparent leurs bagages. Demain ce sera pour eux Amsterdam-Paris-La-Rochelle, la fin de leur huitième croisière à bord de Troll, quelques milliers de milles de formidable entente et complicité.
Trois journées d’activités ménagères et techniques, de balades en tram bleu grinçant, une visite au musée du cinéma, bâtiment futuriste au bord du Kanaal, au contenu pas à la hauteur du contenant, dégustation d’un Rijstaffel parfaitement incongru en période de régime… le train-train.


Le marché au fleurs

 

 
 Pas d'Amsterdam sans vitrine

Pendant ce temps, le port déjà plein depuis longtemps, continue son remplissage. Troll a maintenant un compagnon à couple digne de lui une petite merveille de 17 m, sorte de plan Alden construit en bois dans un chantier allemand, une sorte de Stradivarius flottant. Le grand Mikado est maintenant complet, plus rien ne bouge, on peut traverser le port à pieds !



2.                 D’Amsterdam à Elburg


Retour en Frise

Du petit ferry bleu débarquent Patrick et Myriam les amis des antipodes, en provenance de Biarritz via Stockholm. Original, non ?

Si on vous dit que c'est plein!

Entre Troll et la sortie du port, un barrage compact. Le soir. Le Captain part en reconnaissance pour une campagne d’information et prévenir ces quelques plaisanciers encore sereins que demain, gros Troll part se dégourdir les jambes sur la Markenmeerrrrr. Un voilier du groupe prévoit un départ très matinal ce qui permettra de commencer dès l’aube une belle partie de Hashi. Le 1 passe en B6, le 2 glisse en H8, le 3 recule en G4 etc…
Et Troll, telle une grosse limace progresse, pare-battage contre pare-battage. Les spectateurs s’attroupent  sur les pontons, attendant la catastrophe. « Non ce n’est pas possible, il ne passera jamais ! » Mais c’est sans connaître Troll disciple d’Attila pour qui « Là où passe Troll, pas une algue ne repousse». Et Troll se retrouva ainsi dans le Kanaal sans une égratignure, sans couler le moindre bateau.
Après ça il ne manquait plus que de passer Cap Horn enfin, presque ! Alors, cap sur Hoorn.
Une écluse et une vingtaine de milles plus loin, Troll pointe son nez dans la passe défendant le Binnenhaven, le port intérieur de Hoorn où venaient s’aligner les vaisseaux de la Compagnie des Indes et vient s’amarrer le long du quai, face aux anciens entrepôts … à coté du vaisseau de Willem Schouten. Non là, je rêve !

Adieu Amsterdam!
Hoorn, le Binnenhaven

 

 
 Deux copains de quai

Deuxième flânerie le long des rues aux façades pittoresques, un salut au passage au sieur Jan Coen aux si belles moustaches. 

Cohen et ses belles bacantes

 Les exploits du Bossu

Encore vingt milles au nord et c’est Enkhuizen dont le port montre, cette fois, que l’on est bien au mois de juillet et que les bataves sont de sortie. L’équipage chemine au cœur de la vieille ville et finit sa course culturelle chez un poissonnier/restaurateur. Cabillaud et frites au bord du kanaall. Car ici, vous l’aurez compris,  il est difficile d’être ailleurs qu’au bord d’un kanaal.

La dernière écluse avant Enkhuizen

 Enkhuizen again

Troll quitte la Frise occidentale et met le cap sur la Frise tout court, la seule, la vraie, celle au pavillon portant 7 cœurs rouges. Cap sur Stavoren, une redoutable traversée de 20 milles. Redoutable absolument. Troll eut la très mauvaise idée de passer à travers un nuage dense de moucherons qui, en cette belle journée sans le moindre souffle avaient décidé de passer du stade larvaire au stade adulte volant. L’attaque de Pearl Harbour en décembre 1941 par les Zéros japonais n’est qu’une broutille à côté de l’attaque de Troll par les moucherons bataves. Le nombre d’impact se chiffraient par millions, l’intérieur du bateau fut envahi avant que l’équipage n’eut le temps de réagir.


Un temps de rêve pour les moucherons

 
L'attaque!

A Stavoren, bien amarrés le long du canal, l’aventure se termine par 3 heures de nettoyage au jet pour l’extérieur et d’aspirateur pour l’intérieur.

Stavoren

Ici aussi les vacances bataves sont à leur zénith.
Des bateaux en double, en triple lignes, des tentes de camping sur les pelouses, des enfants qui s’envoient leurs frisbees, des chiens, des chiens et des chiens, des cages à oiseau car une péruche  a aussi droit à ses vacances.


Ijselmeer

 

 
Port de pêche de Stavoren

 
 Entre deux pêches d''anguilles

Troll embouque le Johan Frison Kanaal. Canal entrecoupé de lacs aux innombrables marinas. De belles fermes aux toits qui n’en finissent pas de descendre, de rangées de peupliers derrière lesquels glissent de vieux gréements. Des voiliers modernes, des bateaux moteurs de toutes sortes se croisent sans fin. Un coup de téléphone au copain « Australien » havenmeister de Heeg pour assurer une place en cette saison encombrée. La place sera superbe derrière un couple de charmants Bâlois qui, depuis 20 ans louent un bateau au même endroit. « Et si on changeait ? » « Ah ben non alors ! ».

 Les Bataves sont en vacances

Ce soir là, sur le quai principal, un jeune pêcheur d’anguilles, une « baraque » aux longs cheveux blonds, un des 17 pêcheurs certifiés de la région fume sa pêche. Les poissons, sont enfilés sur une brochette, en série de dix, puis les brochettes déposées en lignes parallèles sur les rebords d’un vieux fût, au dessus d’un feu de bois. Et ici le secret n’est pas le même qu’à Medemblik, le secret c’est le bois de chêne et non de poirier ! Qu’on se le dise ! En attendant la fin du fumage, l’équipage déguste un (un ?) jonge genever bols bien glacé, petits verres remplis à ras bord comme il se doit. Une heure et demie plus tard quatre anguilles bien fumées prenaient le chemin du bord.


Quatre intrépides marins pédalent à travers la campagne frisonne, fiers, dressés, bien raides sur leurs grandes bicyclettes bataves, modèle entre deux guerres, équipées de freins au guidon, entorse la tradition. Un tour d’une trentaine de kilomètres par Workum, l’occasion d’aller saluer Jospie, et le tour du lac de Algeaster, suffisant pour apprécier la campagne frisonne et sentir ses fesses protester.

 Mal aux fesses
Troll quitte le Passanten Haven de Heeg au milieu d‘un impressionnant encombrement nautique, dériveurs en régate, voiliers modernes et traditionnels « fonds plats » sous voile au milieu du chenal, canoés et kayak, les Pays-Bas sont en vacances. Bien vite, le Johan Frisokanaal vacancier fait place à l’industrieux Prinses Margriet Kanaal où les péniches se succèdent sur cette traversée large et directe de la Frise. 

 Ne pas oublier de déposer le péage dans le petit sabot
Entre les trois ponts levant, le long des quais de Lemmer les bateaux de plaisance s’alignent « pare-chocs contre pare-chocs », les terrasses de bistrots débordent. Sagement Troll se tient à l’écart au Binnen Hafen. Ce matin là, il traverse un Lemmer encore endormi. Les trois ponts se lèvent et le saluent, la vieille écluse s’ouvre en grinçant et c’est à nouveau la mer, l’Ijsselmeer.


 
Lemmer endormi

 
 La dernière écluse
Bordent la côte, de gigantesques éoliennes de la nouvelle génération de 6 MW, 200m en bout de pâle, deux fois la hauteur de l’arc de triomphe, des monstres. L’eau est grise, le ciel est gris. Ton sur ton.

Une belle brochette d'ancien modèle

Un monstre en construction

Et voici Urk où Troll s’enfile au fond du port de pêche.
Au premier regard, Urk, la plus ancienne commune du Flevoland, est un port de pêche comme un autre avec ses histoires de pêche aux anguilles, soles ou limandes. Maisons en bois vertes aux volets blancs, chalutiers trapus, peints de couleurs vives, rampes de chantiers navals pour haler les bateaux en maintenance, gros marché au poisson. En somme, un petit port de pêche comme un autre. Eh bien non ! Urk est une ville spéciale qui apparait complètement déserte : c’est dimanche et la loi du Seigneur s’applique très strictement. Car Urk est une ville de tradition protestante aux origines calvinistes strictes, et là, un genevois sait de quoi il parle. Cinq temples, trois variantes évangélistes, se partagent la population : Bethelkerk, De Poort et Petrakerk. La porte ouverte de la Bethelkerk distille des notes de piano.


 

 
 Urk, le port de pêche

Sur la colline (20m ? mais c’est l’Himalaya) des stèles commémorent les marins d’Urk disparus en mer depuis 1815. Sur celles du 19ème siècle on relève beaucoup de noms de mousses de 10 à 14 ans sans doute passés par-dessus bord.
Pas une boutique ouverte, seuls deux restaurants ouvriront ce dimanche soir. Sur la plage ensoleillée quelques dizaines de baigneurs, « attention on relève les noms ! ».
Dans les rues pas âme qui vive, même pas de bicyclette, c’est tout dire ! La capitainerie est fermée et sur son panneau d’affichage, la météo de la semaine, mais rien pour le dimanche. « Ah mais Monsieur vous n’allez quand même pas naviguer ce jour saint ! » Les guides touristiques sont formels « Il vaut mieux planifier votre visite un jour de semaine ou le samedi ».
Pas d’accord car le dimanche soir, à 16.45, la population sort de chez elle. Le culte est à 17.00 et les pasteurs voueraient les retardataires au feu éternel. Hommes en habits noirs sur chemise rayée, femmes en jupes noires et plastrons fleuris et coiffes, enfants en costumes traditionnels de pêcheurs. Un retour au 19ème siècle, une ballade chez les Amishs. On lira que 97 % de la population se rend au culte le dimanche…
Ce soir là pour compenser, l’équipage gueuletonnera au restaurant qui domine le port sûrement tenu par les 3% de mécréants.
Urk, un joli village complètement anachronique.
Ce matin, Troll est triste. C’est sa dernière étape piloté par le Captain et sa Seconde. Au bout du chemin ce sera Elburg Yachting, le broker choisi.
Une dernière fois Troll slalome entre les bouées rouges et vertes, passe sa dernière écluse, une dernière fois cule à quai, une dernière fois lance ses amarres. 

Troll attend son prochain propriétaire
 chez Elburg Yachting