mardi 5 octobre 2010

De Marmaris à Porto Heli par le sud de la mer Egée

Simi

Les maisons d’un pastel ligurien, dégoulinent des collines vers les quais de Gialos, long sanglot pleurant ses morts de l’absurde. C’est le 8 mai. Il y a 65 ans les armées allemandes d’occupation des Dodécanèses signaient leur reddition ici à Gialos, le port de Simi, ici comme ailleurs. Des représentants, de toutes les îles, notables, officiers de l’armée de terre ou de la marine se succèdent au dépôt de gerbes sous l’œil protecteur des popes-évêques, inévitable présence à toute manifestation officielle ou fête hellène. La foule jusqu’alors retenue, silencieuse et recueillie s’agite et applaudit : un vieillard s’avance, droit, rigide, faciès fermé et dépose sa gerbe en pensant intensément à tous ses copains disparus presqu’adolescents. La musique militaire s’anime, les fusillers marins défilent, les enfants des écoles suivent, école de garçons, école de filles, pantalon ou jupe bleu foncé, chemise blanche.

Aujourd’hui on commémore l’absurdité.

Commémoration

Insensibles à l’histoire, insensibles à l’époque, éternelles sont les odeurs des touffes de thym bleu, ou d’origan fleuri de blanc, les petites crevettes de Symi trempées quelques secondes dans l’huile brulante aromatisée, croustillantes et fondant dans la bouche avec un soupçon de saveur pimentée.

Sur les vestiges d’un chantier naval jadis prospère, quelques coques abandonnées, d’autres en réfection rappellent très timidement qu’il y a un peu plus d’un siècle sortaient annuellement des cales des chantiers de l’île plus de 500 bateaux à voiles de commerce. Symi, Hydra, Galaxidi, même histoire : tués par la marine à vapeur.

Simi

Troll oscille au mouillage face au monastère endormi de Panormitis. Le grand désert de la mi-journée. Pas tout à fait. Au fond du petit magasin de bondieuseries, un homme somnole en faisant machinalement osciller son « petit Jésus » endormi. « Chut ! » et il quitte sa boutique pour éviter de réveiller le chérubin. « Kalimera ! » « Kalimera ! » « Est-il possible de visiter l’église du monastère pour admirer l’icône miraculeuse de Saint Michel ? » (Quel faux-cul !) « C’est fermé jusqu’à 17 heures mais je vais vous ouvrir». La lourde clé grince et 4 mécréants s’engouffrent dans un univers d’icônes, de fresques-BD racontant la vie du Christ (il ne faut pas oublier que l’alphabétisation du bon peuple est récente. Les BD, tout le monde comprend). Du plafond pendent de nombreuses tamatas, ex-voto en forme de bras, de jambes et bien sûr, de bateaux en or et argent qui rappellent une fois encore que le sentiment qui prévaut au cœur de la tempête a toujours été la trouille. Tout au fond trône l’icône en argent de Saint-Michel, icône baladeuse qui fit suivant la légende, toute seule, de nombreux aller et retour entre Gialos et Panormitis jusqu’au jour où la construction du monastère dédié à l’archange fut décidée. On raconte encore que si l’on jette à la mer, n’importe où dans le monde, une bouteille avec un message pour Michel « Salut Michel… qu’est ce que tu deviens etc. » et bien cette bouteille viendra inévitablement s’échouer à Panormitis. Tout est sûrement vrai si l’on considère les innombrables pèlerins qui viennent se recueillir tous les ans.

Panormitis

Alimnia et Khalki

Alimnia

Alimnia île déserte, île désertée.

En 1975 H.M. Denham signale encore 25 habitants dans le petit hameau qui offre aujourd’hui ses maisons ouvertes aux quelques meubles épars, lits défoncés, tables et chaises tri-jambistes, un four dans lequel on est presqu’étonné de ne pas trouver de belle miches toute chaude, une insolite chapelle à la serrure « ficelée » qui semble encore parfois visitée, cierges récemment consumés, assiette remplie de menues pièces – recueillement des descendants.

Alimnia, village déserté

Plus loin deux baraquements sans toit qui abritaient des hommes de troupe de la Wehrmacht, dominés dans tous les sens du terme par la « villa » de l’officier. « Mein Liebling, voilà bientôt une année que je t’ai quittée pour rejoindre cette affectation de Alimnia, un site magnifique de roches rouges, de pinèdes et d’oliveraies. Face à ma terrasse le soleil transforme les pierres du vieux château médiéval perché sur la montagne en braises incandescentes. Mein Liebling, lorsque nous aurons gagné cette guerre, nous reviendrons en ce lieu, si désolé sans toi.

dein Hans

Alimnia Juni 1942

Suit une description de la vie de garnison dans l’île, du troc avec les gens du village qui fournissent œufs, laitages et légumes.

La nuit tombe sur le mouillage désert. Aucun bruit, aucune lumière, rien que la quiétude du temps qui passe.

A cinq milles c’est Khalki, la sœur jumelle d’Alimnia qui, avec ses 300 habitants fait figure de métropole. « Bleu, bleu le ciel de Proveeeeeence ». Bleu, blanc le village de Nimporio – port de Khalki . Maisons blanches, parasols bleus, drapeau blanc et bleu. Une métropole blanc et bleu qui s’est offert de beaux pontons tout neuf, dansant un sympathique sirtaki au moindre clapot. Des bornes électriques ? Certes ! Raccordées ? Que nenni Messire !

Au début du 20ème siècle Khalki vivait de la pêche aux éponges et des crevettes, le modèle « Symi », vous en salivez encore. Aujourd’hui, à Khalki, les crevettes arrivent surgelées du sud-est asiatique et viennent finir leur carrière toutes molles au milieu d’un riz trop cuit. Et puis, comme souvent, la misère inspire l’aventure. Presque tous les habitants émigrèrent vers la Floride pour y faire fortune. Vous voyez ? Un truc du style « Dimitris est installé à Miami et est milliardaire ! » « Quoi ? Cet imbécile de Dimitris ? » « Alors on part tous ! » Aujourd’hui certains descendants reviennent au pays et retapent la maison des ancêtres, mélangés à d’autres amateurs de vieilles pierres venus d’Europe du nord. Peu à peu le front de mer redevient pimpant comme à l’époque des armateurs. Une belle bâtisse de style vénitien, attend tranquillement un repreneur, mais, non ! ce ne serait pas raisonnable !

Khalki

Karpathos

Petit conte mythologique pour enfants sages

Zeus enfant donnait bien du souci à sa mère Rhéa. Pour faire court, Zeus était un affreux gamin. Un jour, Rhéa lui expliqua en simplifiant beaucoup l’origine de sa famille et ses ramifications compliquées. L’histoire de son frère Hadès, grand patron du royaume des morts le fascina et tout particulièrement son chien Cerbère. Vous pensez, un chien à trois têtes, voilà de quoi enflammer l’imagination du petit Zeus. Dès le lendemain il décide de faire une blague à l’affreux clébard. Avec de l’argile il se met à façonner un énorme os, bien sûr énorme puisque c’est Zeus qui le fabrique. Une fois le travail achevé, le voici qui appelle : « Cerbère, Cerbère, gentil toutou, regarde le beau nonos que gentil Zeus a préparé pour toi » Cerbère sort une tête, puis deux, puis trois. Six yeux exorbités fixent ce futur festin. Zeus brandit l’os, le fait tournoyer et le lance loin, très loin vers la mer Egée. Cerbère bondit dans le ciel et trois mâchoires salivantes se referment sur le projectile osseux. Mais la proie trop lourde lui échappe et vient s’abimer dans la mer dans un bruit épouvantable. L’île de Karpathos était née. Et si vous regardez attentivement une carte de l’île vous verrez encore distinctement les trois morsures de Cerbère, celle du nord ayant même créé l’île de Sabia.

Bon, d’accord c’est de la mythologie un peu tirée par les cheveux mais que ne raconterions nous pas pour endormir ces chers petits.

Karpathos défile sur notre tribord, roche rouge piquetée de pins, posée sur une mer lissée à la spatule. L’étrave hésite entre Pigadia, le port principal de l’île, et Diafani, un minuscule port au nord. C’est finalement la batterie du générateur qui présente des signes d’essoufflement dignes de Violetta qui décide du choix de la destination : ce sera Pigadia. Bientôt se profile le port, encastré au sud-est de la baie de Vrantis. Troll passe son museau entre les deux jetées : des quais pour bateaux de commerce, un quai réservé aux bateaux baladeurs de touristes, un bassin intérieur rempli de bateaux de pêche. Un quai libre, les amarres sont lancées à deux pêcheurs. Troll est à quai. « Kalimera » « Do you speak english ? » « No ! Greek ! » répond le pêcheur. Le Captain se lance alors dans une conversation moitié sourd-muet moitié onomatopées : « Batterie… Pfffff…. Kaput… » Trois borborygmes plus tard une camionnette brinquebalante emmène le Captain vers le nord, vers l’eldorado des batteries neuves. Le pêcheur en gestes éloquents s’excuse de sentir le poisson, somme toute normal pour un pêcheur. La batterie achetée, le vendeur anglophone précise « Ne donnez surtout rien au pêcheur, il serait vexé » Tout simplement la solidarité de la mer. Et la conversation gestuelle reprend son cours sur le chemin du retour. Et si un point reste obscur, pas de problème, on plante les freins Et l’on rugit « Maria ! » Maria sort de son bistro et traduit. « Efcharisto Poly Maria ! ».

La nouvelle batterie s’avère de trop faible capacité pour démarrer le générateur. Pas de problème. Tout le quai est déjà informé. La solution se met en place. Un ancien commandant de la marine marchande intervient, fait venir un mécano-électro, géant bedonnant, crâne rasé, à l’éternel sourire, mono-glotte, ravi de visiter les entrailles de Troll qui, après un « Kalo » retentissant pose son diagnostic sans appel en désignant la batterie : « Micro ! » et ressort. Le commandant informe que le géant sera de retour dans 15 minutes avec une batterie digne de ce nom. Un quart d’heure plus tard la nouvelle batterie est à poste. Problème résolu. En Grèce, pas de marina qui fonctionne, pas de magasins d’accastillage mais une débrouillardise et solidarité à toute épreuve. Le commandant ne manque pas de nous remettre deux cartes de visite : un loueur de voitures sans oublier son neveu, bien sûr le meilleur restaurant de Pigadia. Un neveu plus américain que grec mais servant heureusement une cuisine plus grecque qu’américaine.

Karpathos, le port de commerce

La route accrochée à la roche rouge ondule en 3D entre pins et lauriers roses. Trois à quatre cent mètres plus bas la belle bleue est aujourd’hui un pastel estompé de brumes légères. Une piste prend le relai en direction d’Olympos ce village isolé où peu de choses ont paraît-il changé depuis l’époque médiévale. Mais ce village préservé sait se faire désirer. A la sortie d’un virage, plus de piste. Disparu, un tronçon d’une centaine de mètres, taillé dans la roche friable a décidé de se laissé glisser le long des pentes abruptes. Des bulldozers et des camions s’affairent. De loin Olympos nous crie « Revenez demain ! ».

Lefkos, petite crique, port de pêche naturel minimaliste. Quelques barques colorées ondulent accrochées au débarcadère. Au large la mer bleu nuit mouchetée de blanc. Une poignée de maisons et de tavernes. Andros et sa femme, tous deux americano-grecs de Baltimore - « Le plus grand aquarium du monde ! » - nous régalent de croquettes de poisson, de croquettes de courgettes et nous font découvrir les feuilles de câpriers au vinaigre. Petites chaises bleues paillées, eau turquoise translucide on ne se lasse pas.

Levkos

Pourtant si calme, le port de Pigadia se hérisse en pleine nuit d’un méchant clapot qui fait danser Troll contre son quai commercial rugueux. Les belles housses protectrices des pare-battages, tricotées dans la banlieue de Shangai par Melle Li se démaillent peu à peu. Aidés par le Capitaine du bateau commercial voisin, Troll s’arrache à l’agression minérale. Nouvel amarrage sous le vent d’un autre quai. Cap sur Olympos. Cap routier bien entendu.

La piste est à nouveau « praticable ». Les cent mètres disparus ont fait place à un cordon de trois mètres de large taillés dans la falaise fragile. A gauche une paroi qui se délite prête à s’écrouler sur la piste, à droite de la bordure non stabilisée trois cent mètre d’à-pic. C’est drôle, personne ne parle dans la voiture. Trois paires d’yeux sont fermées, une paire grande ouverte. Cent mètres plus loin quatre « Pffffff…. » S’exhalent spontanément. Olympos surgit soudain au sortir d’un virage, blanche, dégringolant de la montagne. Mélange de maisons médiévales et modernes, à peine entretenues, s’épaulant blotties les unes contre les autres dans un dédale d’escaliers et de venelles étroites. Les femmes portent encore le costume traditionnel : pantalon blanc et tunique brodée et fleurie, mais souvent la boutique de souvenirs n’est pas loin où sont présentées les broderies réalisées par la même Melle Li.

En route vers Olympos

Plus de route !

Olympos

Olympiade

Cette fois au petit jour Troll s’amuse à faire du yo-yo en essayant d’achever le détricotage des housses de pare-battages. Appareillage. Troll se dirige vers son troisième mouillage de Pigadia, le minuscule « port de plaisance », la « marina » locale. Gros Troll joue des fesses, pousse ses petits frères qui gentiment s’écartent car eux savent bien que le lendemain le vent ne tombera pas et que 25 nœuds balaieront le port.

Karpathos, la mini-marina

Kasos

Si Karpathos est en dehors des circuits touristiques traditionnels, l’île de Kasos a dû tout simplement être oubliée des cartes.

Casé à Kasos

Ici on se doit d’accueillir l’étranger qui arrive, l’étranger qui fait l’honneur de s’arrêter, l’étranger qui a pris la peine de s’éloigner des sentiers balisés pour venir dire bonjour. Derrière la jetée du port de pêche de Fry, l’alignement ininterrompu des superstructures des pointus colorés ne présagent pas beaucoup de place pour y glisser Troll. Soudain un pêcheur agite les bras et désigne son bateau. Propose-t-il une place à couple ? Non, il appareille. Il ne part pas pêcher il laisse sa place et vient se placer le long de la jetée à l’extérieur du port. Deux autres pêcheurs déplacent deux autres bateaux libérant une vingtaine de mètres de quai. Troll fait connaissance de l’hospitalité de Kasos. De l’autre côté de la jetée, le jeune pêcheur, ré-amarré côté mer, queue de cheval au vent démêle tranquillement son filet. A notre « Efcharisto Poly » répond un sourire et un geste de la main.

C’est la-mi journée. Le village à maisons cubiques blanches s’est assoupi en ouvrant un œil à chaque volée de cloches qui s’enfuit de l’église bleu ciel. Le bassin intérieur, port originel lilliputien est tellement petit que l’on a du mal à imaginer comment Denham a réussi à rentrer son ketch de 13 mètres. Après tout Troll est bien rentré dans la marina Attila de Etzergom en Hongrie.

En découvrant avec étonnement, au détour d’un chemin, un petit aéroport on se rend compte que Kasos n’a pas complètement été oublié. Un vol par semaine de vingt minutes depuis Rhodes. Mais pour l’instant ça semble confidentiel.

Milos nous cuisinera les traditionnelles crevettes de Symi et un ragout de seiches puis, sortira son ordinateur pour nous montrer des photos de la tempête de Noël 2006 et des gigantesques vagues qui balayérent le port. Voilà pourquoi aujourd’hui un énorme travail de construction a été entrepris où les tétrapodes de béton s’enchevêtrent, protecteurs.

La Crète

L’Harmonie et le Chaos

Au début était le Chaos. L’univers naissait de convulsions et de bouleversements incessants, le temps n’existait pas, Nyx, la nuit, règnait partout, à l’infini. Le Big-bang mythologique est en pleine gestation. Chaos, le dieu de l’origine du monde, engendra Gaia, la terre, large et solide, le support de toutes choses. Et Gaia, à son tour enfanta, Cronos, le grand ordonnateur du temps, une notion bien difficile à concevoir pour un dieu par nature immortel. Car pour qui vit l’immortalité, quel sens peut avoir passé, présent et avenir ?

A l’époque, le nombre des protagonistes étant très limité, Cronos épousa sa sœur Rhéa, à qui il s’empressa de faire quantité d’enfants. Mais Gaia sa mère l’avait prévenu « Un de tes fils te détrônera ! » Très ennuyeux de se faire voler son trône lorsque l’on a l’espoir de régner pour l’éternité ! Cronos se met donc à manger tous les nouveaux nés malgré les suppliques de dame Rhéa. A la 7ème grossesse Rhéa décide de sauver son enfant, s’enfuit en Crête et donne naissance, au fin fond d’une grotte profonde et verte de mousses humides, à un charmant divin bambin qu’à l’instant elle nomme Zeus en toute simplicité. Le grand chef était né et sous sa direction éclairée, le Chaos allait pouvoir enfin faire place au Cosmos, à l’Harmonie.

L’Harmonie et la beauté s’emparaient du monde et la Crète en était le modèle.

Ici le lecteur se rend compte que l’auteur est enfin retombé sur ses pieds : le récit peut enfin se poursuivre en Crête.

Peu à peu Gaia se peupla, de Titans et de Héros tout d’abord qui firent bientôt place à des gens normaux, des gens comme vous et moi. Et Zeus veillait à l’Harmonie de tout ce petit monde qui cohabitait à la surface de Gaia. Quand il était jeune, sur une plage du nord de la Crête, le petit Zeus s’amusait à jeter des cailloux dans la mer et à faire des ricochets. Aujourd’hui encore ces cailloux rappellent ce haut fait. On les nomme Cyclades, Dodécanèses ou Sporades. Mais sa préférée reste et restera toujours son île natale, la Crête.

C’est ainsi que l’Harmonie s’empara de la Crête.

Palais raffinés ornés de fresques hiéroglyphiques aux couleurs pastel, pièces d’apparats et de réceptions hérissées de colonnes rougies par le murex phénicien, vases d’albâtre gravés, autres vases taillés dans du quartz agrémentés de perles d’ivoire et d’or, coupe-tête de taureau en stéatite encornée d’or, poteries agrémentées de poulpes, d’oursins, de fleurs, de plumes ou de feuilles, déesse au seins nus brandissant des serpents porte chance… beautés amoncelées !

Cnosos repeint par Evans

Cnosos, la salle du trône

Malia

Zakros

Zakros, Malia, Cnossos, Phaistos échangent et commercent le long de routes dallées de basalte. Nul besoin d’enceintes, de remparts ou de mâchicoulis : l’harmonie règne. Zeus veille ! Ou tout au moins Zeus croit veiller car c’est sans compter sur son fils Héphaïstos qui en a par-dessus la tête de ce père autoritaire « Fait ci ! Fait pas ça ! » Et un beau jour le jeune Héphaïstos, récemment promu dieu du feu et des forgerons, décide de se venger de ce père omnipotent et de le frapper là où ça fera mal : en Crête. L’affreux gamin met en route la grande forge de Santorin demande à son cousin Eole de souffler, et encore souffler. La forge Santorin, chauffée à blanc explose, libérant une gigantesque vague qui, tel un cheval au galop prend la direction de la Crête. S’en était fini de la beauté et de l’harmonie Minoenne. La vague submergea toutes les cités, l’onde thermique acheva la destruction. L’art faisait place à la nature, les survivants bien contents de s’accommoder d’un banal quotidien rural.

Mais l’éternelle lutte entre Chaos et Harmonie perdure et se respire encore en ce 21ème siècle naissant.

Harmonie des vestiges de ces sublimes cités anéanties où l’on imagine, à l’heure où les ombres du couchant rehaussent les murs amputés, où les empilements pierreux prennent formes humaines ou animales : la ville pour un instant furtif reprend vie.

Harmonie des campagnes verdoyantes rythmées de murets, illustrations des champs dépierrés par des siècles de sueur.

Harmonie de l’attachement à la terre.

Harmonie du centenaire Manolis qui sculpte sa millième ou millionième cuillère en bois d’olivier. Enfin… il ne sait plus.

Manolis et sa millionième cuillère

L'épouse de Manolis qui veille au grain

Harmonie préservée par le relief ingrat, les ravins profonds, les gorges étroites où s’enfouissent de petits villages sans âge, étagés comme les grains d’un chapelet le long de la trace muletière.

Et Zeus contempla sa Crête intérieure et fût content.

Baie Spinalonga

Les gorges crètoises: le bonheur des randonneurs

La Canée

Mais cette Harmonie déplaisait à Chaos, le grand-père insupportable qui décida de faire de la côte son domaine. Alors déferla sur cette côte, sur cet ancien paradis Minoen, le Chaos moderne à la grande joie du premier des dieux : béton anarchique, urbanisme sauvage, alignements de parasols sur des plages-rôtissoires pour nordiques, pour l’instant encore rose car fraichement déversé mais bientôt rôtis à point, fast food « à la grecque », discos kitchs, enseignes « Guinness » ou « Irish Stout ». La jeunesse de Dublin, de Liverpool ou de Manchester est heureuse : soleil le jour, décibels la nuit ! « Where have you been? » « I think it was Greece, as we changed flight in Athens! » .

Heureuse la jeunesse, Chaos est ravi.


Chaos-Harmonie, le combat n’est pas prêt de cesser.


Cythère

Droit devant l’étrave, se profile la masse de Cythère débordée par un gros rocher en forme de pain de sucre, la version egéenne du Diamant martiniquais. On se prend à rêver que de l’eau bouillonne écumante libérant Aphrodite, la déesse de la beauté et de l’amour. Mais comment naître de l’écume de la mer vous demandez-vous ? Et bien, c’est très simple. On s’appelle Cronos et on prend le temps de couper les parties génitales de son père, à la demande de sa mère il est vrai, et de les jeter à la mer. Ca flotte, ça bouillonne, ça écume et Aphrodite en jaillit. Tout simple, non ? Il suffit d’appartenir à une famille normale. Boticelli a placé Venus-Aphrodite dans une coquille Saint-Jacques, cette histoire de testicules à la mer ne plaisant pas du tout au Vatican. Troll, tout émoustillé cherche un mouillage favorable. Chalkis et Aviemonas sont écartés par la faute de vent de sud-ouest au profit de Diakofti rade ventée mais bien protégée de la mer houleuse. Diakofti : un quai de ferry, quelques maisons dispersées. Comment visiter l’île à partir de coin désert. Comme pour la naissance d’Aphrodite, c’est tout simple. Matériel nécessaire : une paire de jumelles. Sur le quai, une pancarte verte « Rent a Car » avec no de téléphone associé. « Nous sommes en bateau à Diakofti, est il possible de louer une voiture pour la journée ? » « Vous voyez la voiture verte sous la pancarte ? Elle est ouverte et les clés sont sous le tapis du coffre. Prenez la voiture et vous viendrez signer le contrat en passant à Chalkis. » Et voilà ! A la grecque ! Pas de contrat, pas de nom donné. Tu prends la voiture et tu t’en vas. « C’est-t-y pas plus simple comme ça ??? ». Une heure plus tard, vers le centre de l’île, une voiture nous croise et fait signe de nous arrêter. C’est notre loueur. Serrage de main « Bienvenue à Cythère ! ». Sur le capot de la voiture le contrat est vite rempli « Bonne visite de l’île ! ». A Chalkis, ascension de la forteresse vénitienne, déjeuner chez Magos qui, comme dit ici ne fait pas la cuisine mais des miracles. Normal, Magos veut dire magicien. Paysage vallonné de garigues alternant avec des terrains clos de murs, amoncellements séculaires. Ports de pêche miniatures.

Diakofti

Kapsali

Cythère n’est pas toujours lieu d’harmonie, de beauté et d’amour. Sur la grève git un oiseau brisé, voilier d’une douzaine de mètres, fissuré, craquelé, abandonné pillé. Voici son histoire. En 2007 quelques passeurs véreux volent un bateau sur la côte turque et « chargent » 42 clandestins en provenance d’Irak et d’Afghanistan. Oui vous avez bien lu quarante-deux miséreux en route pour l’Europe, la terre promise entassés sur un bateau de 12m. A cours de fuel, le bateau fait halte à Cythère. Intervention de la police. Arrestations. Cinq mois le bateau saisi restera amarré au quai du ferry. Un jour de grande tempête les amarres lâchent et le bateau se trouve projeté au pied de la falaise.

Comme quoi l’intervention d’Aphrodite n’est pas systématique.

Le Péloponnèse

La Polynésie approche avec ses inévitables plages de sable blanc ou rose, Elephonisos, parcelle des Tuamotous égarée au sud du Péloponnèse. Tout y est, même un grain tropical déstalinisant, qui s’abat sur Troll aplatissant la mer qui se met à bouillir sous les impacts aqueux. Les poissons alertés par le vacarme viennent voir ce qui se passe en surface. Un beau germon, thonidé d’un mètre, curieux, voit passer devant lui un superbe petit calamar multicolore qu’il s’empresse d’ingurgiter. Hélas pour lui au bout du calamar il y avait un hameçon, au bout de l’hameçon, cinquante mètres de fil, précédés par une canne à pêche sur laquelle Alain s’arque boute. Pauvre germon, le combat était inégal. 18 tranches au congélateur voilà aujourd’hui ta destinée.

Elephonisos

La pluie et le ciel bas et gris ont gommé les couleurs. Les envies de baignades font place à des envies de soupe. Adieu les Tuamotous, cap sur Monemvasia la médiévale.

La « marina » n’est plus qu’un lointain souvenir. Disparus, les pontons flottants, arrachées leurs chaînes d’amarrage non entretenues emportés par quelques tempêtes hivernales. Seul survivant, un ponton en béton le long duquel une file de voiliers sont alignés face au rocher-forteresse flamboyant de Monemvasia. Troll repère un trou, un peu le genre d’une place pour une smart où l’on veut garer une Volvo break. « Merci d’avancer ou de reculer votre bateau de 2 ou trois mètres » « No problem ! » Troll fait un créneau digne de l’examen du permis de conduire sous l’œil d’une famille de tortues garetta-garetta intriguées par ce curieux bateau sans voile.

Monemvasia, sorte de maquette au 1/3 du rocher de Gibraltar, site naturellement fortifié, protégé par des falaises de plus de 200 mètres. Les Francs en firent un port sur la route de la Palestine, les Byzantins un port de commerce entre la Méditerranée occidentale et Constantinople, les Ottomans et les Vénitiens se la disputèrent, à nouveau turque pour finalement devenir grecque en 1821 puis… touristique en 1970. L’alternance stéréotypée de la région.

La ville basse, aujourd’hui sauvée par la réhabilitation des anciennes maisons par des Athéniens ou des Européens du nord séduits par le charme du site. Et Catherine dit une fois de plus au Captain qui médite devant quatre murs lézardés : « Non, ce ne serait pas raisonnable ! ». Ville basse pour la bourgeoisie et le menu peuple, ville haute pour la noblesse et les ecclésiastiques. La ville haute ça se mérite- Rues et escaliers pavés de longues dalles lissées par les siècles, serpentent à flan de falaise sous le soleil de juin. Près du sommet, Sainte Sophie, Sofia, la déesse de la sagesse des anciens, bien trop sage pour se jeter dans le vide tentateur. « Gente dame, nous cherchons la demeure du seigneur de Villehardouin… » « Vous voyez ce château tout en haut ? Eh bien c’est là ! » Un litre de sueur plus tard nos quatre aventuriers contemplent comme naguère Messire Guillaume, de part et d’autre de l’isthme, les deux ports naturels nord et sud de la ville. Aucun galion, aucune nef, aucune galère. Et pourtant, en fermant les yeux, si, si, ils sont tous là au mouillage.

Et continuant le rêve il semble bien que Guillaume nous interpelle « Vous reprendrez bien un verre de Malvoisie ? ». Malheureusement ce n’est qu’un rêve et le cépage produisant ce délicieux vin blanc doux, sorte de Jurançon grec a aujourd’hui complètement disparu. Pour boire du Malvoisie il faut aller dans le Valais ou le nord de l’Italie. C’est tellement bon qu’en 1477, le duc de Clarence, condamné à mort par son frère Edouard VII et interrogé sur la forme de son supplice demanda à être noyé dans un tonneau de malvoisie.

Monenvasia

Le Péloponnèse est une main sans pouce ni auriculaire. Le majeur ? C’est le Magne. Terres arides, battues par le vent, région farouche à l’image de ses habitants réputés pour leur bravoure, leur esprit d’indépendance forcené - les Turcs ne réussirent jamais à occuper complètement cette région – et leur propension à la vendetta entre clans. Le genre Corse « Touche pas à ma sœur !!! » Ce caractère abrupt se retrouve dans l’architecture hérissée de maisons-tours carrées aux petites fenêtres plutôt meurtrières où l’on appuie son mousquet pour faire un carton sur les voisins du clan ennemi. Ennemi depuis si longtemps que l’on ne sait même plus pourquoi. Routes étroites, sinueuses découvrant des caps déchiquetés, des falaises dentelées, des rochers chaotiques. Au milieu de ce désert surgissent, insolite et souriant un petit port où les anchois grillés sont si bons.

Le Magne un petit peu yéménite

La famille caretta-caretta salue Troll qui quitte Monenvasia par ciel gris et mer grise et continue sa lente quête du nord.

Un bout de quai au pied d’une chapelle blanche, quelques barques de pêche : la Grèce-carte postale. L’ancre glisse dans l’eau au ras d’un filet qui clôture une partie de l’anse. De l’autre côté de la baie au pied du cirque de montage, Kiparissi tache blanche dans la lumière sur fond végétal. Aujourd’hui tout est harmonie. Il y a 15 ans c’était le chaos : le capitaine se débattait face à une crise de coliques néphrétiques alors que du restaurant voisin s’envolait une mélopée féminine ottomane anachronique. Un duo mélodramatique…

Kiparisi

C’est la dernière étape de nos vaillants et fidèles amis-équipiers rochelais : une dernière baignade dans l’inévitable baie dite « La Bergerie » où trône sur une colline paillée de jaune et piquetée du vert des oliviers, ces quatre murs autrefois convoités. Un pèlerinage en quelque sorte.

Troll et la bergerie

1 commentaire:

quashadahnke a dit…

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