Amarré au « quai d’honneur » de Porto Heli, ce quai où viennent se pavaner les grosses unités athéniennes, où les armateurs se saluent d’un discret mouvement de tête en se rendant chez Stavros qui a prévu pour ce soir un mérou grillé aux ceps de vigne. L’inévitable Tony, sa casquette d’amiral vissée sur la tête, nous joue la suite de « Some like it hot », « Tony le vendeur d’eau ».
Après deux kilomètres abattus pédestrement sous un soleil saharien à la recherche d’un bain bienfaisant, surgit, au détour d’une pinède, une villa avec plage privée, ponton équipé d’une superbe échelle en inox plongeant dans les eaux cristallines. Un regard à gauche, un regard à droite, personne ! Que c’est bon de passer ces quelques jours dans notre luxueuse villa de Grèce… Douche d’eau douce pour le rinçage, trois cormorans se sèchent au soleil ailes déployées.
Le restaurant est réputé, sa décoration très design, le soleil plonge dans la mer derrière Spetsai : bon anniversaire Alain !
Le catamaran volant géant rouge est là tout près, presqu’à couple de Troll. Alain et Monique transfèrent leurs bagages. Direction le Pirée. Troll essuie une petite larme d’embruns.
Ce soir Troll reçoit la petite et chaleureuse communauté britannique : Steve, Jenny Peter and Charles. Steve est encore sous le choc de la disparition de sa Rosy, Jenny et son optimisme communicatif maintient la cohésion du groupe, Charles, plus brit que brit saupoudre la conversation de traits d’humour, Peter lance des plaisanteries en cockney incompréhensibles.
Troll finit par s’arracher au quai des Who’s Who pour venir se mouiller au milieu de la rade, entouré de la jonque de Peter, Jenny and Charles, du cotre aurique de sa majesté déchue Constantin et d’Alibi, le petit troller de Guy et Annie, au design très original.
Et si nous allions faire un tour dans le golfe d’Argolide ?
Longue baie, fermée par une île, Koiladhia – petit bourg port de pêche actif – se préoccupe peu du tourisme, ses nuisances collatérales en sont complètement absentes : pas de musique bruyante, pas de souvenirs « made in China », seulement l’essentiel. Et comme disait Charles « Imaginez ! Il y a maintenant un Bancomat ! C’est le début de la fin ! ». Une massive église aux multiples coupoles domine le village aux rues désertées en ce milieu de journée surchauffée où même l’air retient son souffle. Au Cybercafé on ne sait plus ce que nous sommes venus chercher : la communication ou l’air conditionné. Vous avez dit Cybercafé ? Charles a raison c’est le début de la fin.
En remontant le golfe, plus au nord, juste avant Nauplie, une faille dans la roche laisse entrapercevoir une autre baie, un autre village : Kaidari. Troll se trouve une place en bout de quai, amarré à deux bites d’amarrage arrachées du quai, descellées et branlantes, probablement dans cet état depuis des lustres et jamais réparées. De l’autre coté du quai, des bateaux de pêche débarquent des poissons calibrés et rembarquent des granulés dont raffolent les dorades standards qui grossissent en un temps record. Comment ça fonctionne ? Des chalutiers partent au large pêcher la blanchaille, tout petits poissons qui terminent leur carrière dans une usine sous forme de granulés qui à leur tour, Canigou et ronron des dorades, sont déversés dans les parcs d’aquaculture. Bilan 6 tonnes de poissons sauvages pour produire une tonne de dorades d’élevage… cherchez l’erreur !
Traversée du golfe : direction Astrou. Dominée par une citadelle franque, le gros bourg s’étire autour du port mi-plaisance mi-pêche prolongé, à la manière antique par un théâtre regardant la mer. Ce soir, le théâtre accueille un mariage : tables et chaises recouvertes de satin blanc, réminiscence d’une longue période ottomane. La musique sera-elle lancinante ? Serons-nous envoutés par des mélopées baklavesques dégoulinantes de miel ? Et non, ce sera Sydney Bechet qui n’aura finalement joué toute sa vie que « Petite Fleur », Harry Belafonte et son calypso et quelques autres mièvreries éternelles. Au milieu de familles tri-générationnelles, de solitaires, de veuves qui se rappellent le temps ou ce cher Costas pouvait encore défier Ioannis au jacquet, à la terrasse d’une ouzeri, la fraicheur se répand peu à peu.
Pendant la nuit un vent de 25 noeuds s’amuse à pousser devant lui des trains de vagues qui se fracassent contre la jetée du port, projetant leurs embruns solides sur le dos de ce pauvre Troll qui se réveille au petit jour, couvert de sel, blanc comme un boulanger.
Un dernier mouillage à « La Bergerie » au milieu des goélands gouailleurs qui crient « Tiens les revoilà ! » en jetant leur fiente dans l’eau turquoise.
Le farniente Porto-heliesque touche à sa fin : cap au nord, cap sur l’Eubée.
Combien de fois avons-nous fait cette route Porto-Heli Poros à bord de Francesca, de Captain Smith ou de Troll ? On se sent un peu chez soi : un tour au fond du jardin. Dhokos, Hydra, Ermioni, le rocher-grenouille défilent avec leur chapelet d’anecdotes récits seulement interrompu par le bruit de la chaîne qui se déroule au fond du chenal de Poros face aux tabernas désertes sous la canicule tandis que devant l’étrave passe un incessant défilé de bateaux de plaisance et de ferry.
A une table voisine, un Peter O’Toole aux cheveux jaunes et regard bleu délavé raconte sa vie à un jeune éphèbe, cheveux d’ébène frisés, au regard indifférent. Un habitué ouvre un placard prend une nappe en papier, deux assiettes et les couverts et s’installe tandis que sa compagne œil vitreux et sourire figé laisse glisser son dos vouté vers une chaise incertaine. La patronne nous ouvre les bras et la prochaine fois nous serrera sur son cœur. « O Karavolos », notre taverne favorite de Poros nichée dans une ruelle au bout de quelques escaliers blanchis à la chaux, derrière le « Cinéma » qui n’a plus projeté de film depuis les années 50, loin, loin, de l’agitation frénétique des quais, un lieu où le papoutzaki enchante les papilles. Et le défilé fellinien continue. Un petit homme sec, d’âge mûr, accompagné de deux femmes d’âge tout aussi mûr, fait son entrée, pantalon blanc, ceinture blanche, chemise blanche, chaussures blanches, montre au bracelet d’or, chevalière rehaussée d’une émeraude et se lance dans un numéro de charme dont se délecte la patronne roucoulante. Une de ses oreilles captant quelques bribes de langues française l’entraine dans un volte face et il lance dans ce français inimitable qui fleure bon l’Orient de l’époque des mandats. « Je suis un surrrrvivant de la communauté grrrrecque d’Alexandrrrie. Une sorte de dinosaure qui aurait échappé à la disparition de la race ! Nasser ne nous a pas détruit, il nous a tout prrrris ! Mes parents émigrèrent et vinrent s’installer à Toulouse, j’avais 10 ans. Pour résumé : je descends des Ptolémée. J’adorrre venir à Poros et venir dans cette taverne authentique avec mes deux femmes. Vous voyez, une brune et une blonde. Le bonheurrrr suprême. » Les deux femmes qui comme lui approchait des 80ans sourirent à peine. Ce n’était pas la générale mais au moins la centième.
Nous aussi « O Karavolos » « J’adorrre ! »
L’Eubée
Le temple de Poséidon se dresse en sentinelle face à la mer Egée surveillant l’est, tout comme le lieutenant Drogo surveillait le nord, et jette un regard suspicieux vers ce petit bateau vert en route vers l’Eubée, peut être un des navires de Xerxès survivant de la bataille de Salamine. Trente cinq années plus tôt, Francesca se balançait au mouillage sous Sounion tandis que son capitaine et son second, suivis de leurs trois mousses-enfants escaladaient le cap vers le temple. Les mousses ont pris de l’âge et du poids et Troll l’héritier, fait du nord pour accueillir l’un d’eux accompagné à son tour de deux mousses. Ainsi pousse le vent.
En Grèce, les points d’eau sont rares et quand le niveau des soutes est bas il ne faut pas hésiter à faire quelques sacrifices. Troll décide de mettre le cap sur la marina Olympic de Lavrion : « un point d’eau à chaque place d’amarrage » dit Heikell le gourou nautique. Guide nautique que l’on pourrait compléter comme suit : Olympic Marina, surnommé Trou les Trous et jumelé avec la marina d’Offenbach. Pendilles rafistolées et emmêlées et pleines de coquillages tranchants. Marinero délicat ne voulant pas se salir les mains en tendant les dites pendilles ceci explique cela. Bornes électriques aléatoires. Heureusement l’eau coule. Tout ça pour la modique somme de 70 Euros pour la nuit. Il est vrai que c’est une marina de luxe pour riches Athéniens, que l’eau du port est irisée de fuel, que l’environnement est délabré, que la WIFI annoncée ne fonctionne pas. Tout ça bien sûr n’a pas de prix. Services prétentieux assortis de prestations inexistantes. Olympic-désolation.
A quelques miles au nord, Troll ancré au milieu de la baie de Porto Rafti se prépare pour l’arrivée de Pascal, Isabelle, Alexandre et Evrard.
Porto Rafti c’est Athènes sur mer : les Athéniens ont réussi le tour de force de transformer un splendide site naturel et son petit port de pêche en un amoncellement bétonné hétéroclite en transplantant de la capitale ce qu’il y a de plus affreux architecturalement.
Troll part se remettre ou se consoler à Voufalo, baie circulaire fermée par une langue de sable, un mini Marigot Bay où les oliviers remplacent les cocotiers et le Sirtaki, le Reggae. A la taberna, sur la plage, deux postes de télévision sécurisés par deux énormes cadenas - « Chérie, tu as fermé le bateau ? » - diffusent Argentine –Mexique. La tablée pousse des cris pour souligner les plus belles actions. Alexandre explique les finesses du jeu. Evrard qui fourmille d’idées ramasse sur la terrasse tout ce qu’il trouve et, plus c’est sale, plus c’est intéressant.
Et même si le charme d’Aleverion est largement atténué par les hautes cheminées de la Grèce industrieuse qui crachent leurs fumerolles, le Mundial lui, s’est déplacé de la Taberna de Voufalo au Kafeion local.
Troll, accoutumé aux écluses de toutes tailles, ne connaissait pas encore les ponts tournants. A Chalkis ce pont est le passage obligé à l’endroit où l’île d’Eubée touche presque le continent. Large seulement de 40 mètres le passage est sujet à un courant violent pouvant atteindre sept à huit nœuds et qui ne permet le passage qu’à l’étale quatre fois par 24 heures dont une seule, la nuit, est utilisée afin de ne pas trop perturber le trafic routier. Cependant l’horaire n’est pas précis et suit des règles toujours incomprises aujourd’hui. Aristote qui n’a pas la réputation d’être un idiot ne réussit jamais à trouver une explication à ces décalages temporels. Troll vient s’amarrer à un ponton de la nouvelle marina située au sud du pont et le capitaine saute sur son fidèle destrier Brompton, cap sur les Coast Guards, pour inscrire Troll sur la liste des bateaux en transit. « Le pont sera ouvert vingt minutes à l’étale quelque part entre 22.00 et 24.00 » précise, si l’on peut dire, l’officier de quart. « On ne connaît pas plus précisément l’heure de l’étale ? » demande le naïf capitaine. « Non c’est impossible ! Tenez-vous prêt à 21.30. On vous appellera sur le canal 12 ». Donc aucun progrès depuis Aristote.
A 20.00, Troll quitte la marina avec le projet de s’amarrer le long du quai, à une centaine de mètres avant le pont. Autre naïveté du Capitaine. Lors de la tentative d’amarrage, courant et contre-courant violents prennent Troll en tenaille. A petite vitesse le bateau est comme fou et inmanoeuvrable. Catherine sauve l’ancre d’un choc fatal avec un pare-battage, Pascal reprend à bord l’amarre lancée à un plaisancier-samaritain, le Captain lance les machines en arrière toute et Troll se dégage du quai aimanté pour venir se mouiller à l’endroit prescrit par les Coast Guards loin des courants sournois. A 22.30 le pont disparaît, avalé par la berge. « Troll, Troll, Troll. It’s your turn. Go through the bridge ! ». Sur une eau lisse Troll glisse à travers l’étroit passage salué au passage par une foule de badauds agglutinés sur les quais assistant au passage de la petite armada. Rapidement amarré au quai nord, Troll découvre la vie trépidante des noctambules qui déambulent le long des quais. Alors que nous nous apprêtons à plonger dans nos bannettes, Evrard, enfile ses chaussures et, du haut de ses huit ans, annonce doctement : « Je pars explorer la ville ! ». Si vous ne trouvez pas normal de partir en exploration à minuit à cet âge, c’est que vous êtes vieux-jeu.
Chalcis mériterait une halte plus longue pour approfondir l’ancien quartier ottoman juste entrevu, ou flâner au pied des murailles du château vénitien, ou sur les quais à l’heure où tout somnole pour humer leur côté danubien. Dans une autre vie peut-être…
Troll mouille son ancre sur la rive continentale dans la baie de Jean le Théologien puis devant les îles Atlantis, occasions d’innombrables sauts pour les jeunes générations. Skala Atlantis, bourg au charme désuet, instantané des années 50, autre Salina laissée au bord du chemin par le temps qui court.
Loutra Adhipsou, réputé depuis l’antiquité pour ses bains chauds sulfureux accueille Troll à l’entrée de son petit port de pêche ; une place sur mesure, bien protégée, bien ventilée, devant une magnifique borne offrant eau et électricité. Qui au fond de la classe vient de dire « ça ne fonctionne sûrement pas » ? Tu as raison : bien sûr ça ne fonctionne pas. Un contemporain, appuyé sur sa canne noueuse, vient saluer le capitaine en se présentant – ancien commandant de la marchande et commente les bornes inopérationelles : « Vous voyez, cette installation de plusieurs dizaines de bornes électriques et eau tout autour du port a coûté une fortune à la municipalité. Elles ne seront probablement jamais raccordées. Pourquoi ? A mon avis il n’y a qu’une seule réponse : l’imbécillité grecque ! » (sic) Tous les matins le copain-commandant viendra me saluer « Good morning Captain ! How are you this morning? », et chaque soir: « Good evening Captain ! How was your day?” Troll était devenu son but de promenade.
Le jeune équipage débarque ici pour rejoindre le Club Med de Grigolimano tout proche et tellement plus ludique que Troll un petit peu scrogneugneu. Le dîner d’adieu au Club sera fabuleux et au passage nous recommandons tout particulièrement le foie de canard tiédi accompagné de sa confiture de figues. On en pleurerait !
Si vous ne savez pas ce que sont un fitobalnea antioxydant, l’aroma thérapie, les bains de Caracalla, un raffermissement du visage par ampoule, un bain hynulaire, un lomi-lomi, un panta-lar, un rasul oriental ou encore un massage suédois alors il est grand temps que vous veniez parfaire votre culture aux Thermes de Sylla de Loutra Adhipsou. Une blonde vaporeuse au sourire ravageur, la médecin-chef du centre thermal vient d’apposer sa signature en bas du document : les deux marins grisonnants sont déclarés bons pour le service et sont autorisés à aller faire trempette dans les piscines des thermes bon chic-bon genre, à se faire secouer les vertèbres par des jets subaquatiques ou se faire presque énuqués par des jets puissants propulsant leur eau à 34oC. Entourés par les façades de l’hôtel thermal de luxe aux couleurs pastel, enveloppés de peignoirs blancs douillets et coiffés de bonnets transparents, nous rejouons la scène du Grand Hôtel de « Mort à Venise » en saluant au passage ce cher Gustav d’un discret mouvement de tête.
Troll, toujours amarré à l’entrée du port de pêche de Loutra attend l’arrivée du mousse no2 qui, à son tour dirige un équipage fort de un second et de trois mousses. Oui, vous avez bien compté, le rôle d’équipage de Troll comporte maintenant 7 noms : de 4 à 70 ans, Troll fait mieux que Tintin.
La mer est d’huile, Eole et Poséidon se sont mis d’accord : ce sera un amarinage en douceur.
A quelques milles, devant le Club Med, Troll annonce : « Une drôle de libellule droit devant ! » La libellule grossit et se métamorphose en Hobby Cat monté par Pascal et Alexandre. Les deux frères et les cousins se saluent. La libellule se perd dans le sillage.
Les Sporades du nord
Le golfe de Volos, dentelé de criques ourlées de pinèdes, paysage doux, ondulé, un endroit où il serait bon de musarder. Seulement voilà, les Sporades sont à moins de 40 milles et lorsqu’on lit que Koukounaries, la plus belle plage de sable fin de la mer Egée, offre une formidable protection contre le meltem et pousse à lever l’ancre et à abandonner la jolie baie de Vathoudi.
C’est vrai, Koukounaries possède une plage magnifique sur fond de pinède. Un seul petit problème : d’autres étaient aussi au courant et ce fut un festival de ski nautique, de jets skis, de bananes flottantes chargées d’adolescents tirées par des hors bords pétaradants et réussissant à couvrir les DB de l’inévitable fond musical. Au coucher du soleil ça se calme - enfin presque – mais cette fois c’est la nature qui s’en mêle : 35 nœuds de vent. Appareillage au milieu de la nuit pour éviter une collision avec un voisin qui est en bout de chaîne et ne peut pas rallonger. Changement de mouillage avec projecteur, radar et GPS. Ca souffle et ça ressoufle. Le Capitaine et son second font des quarts. L’ancre tient. « Stiiiille Nacht, Heilige Nacht, alles schläft… ».
Le port de Skiathos a mauvaise réputation et Troll se dit : »Allons voir si ça n’est pas un peu exagéré ». Une magnifique place se présente au milieu du quai principal. Marche arrière, la chaîne d’ancre file, le capitaine du bateau voisin prend les amarres. Tout baigne ! Surgit alors un play-boy : « Je suis le Capitaine du Port » et montre en vitesse une carte aussitôt replacée dans sa poche - son permis de conduire sans-doute - et ajoute « Nous attendons ce soir 40 bateaux pour un mariage. Mais pour demain je peux vous arranger quelque chose ». Le coup du mariage, on nous l’avait déjà fait ailleurs. Le playboy griffonne son no de portable sur le dos d’un ticket de caisse pour pouvoir l’appeler le lendemain. « Mais je peux vous appeler à la capitainerie sur le 77 » « Non, non, la VHF ne fonctionne pas ». Scenario fictif no 2 : le capitaine répond « Et pour 50 Euros le mariage ne peut-il pas être différé ». La réponse aurait sans doute été « Pas de problème, vous pouvez rester où vous êtes ». Les amarres sont larguées et l’ancre à peine replacée dans son davier, replonge dans la partie de la baie allouée aux mouillages forains. Voilà cinq minutes que Troll se balance tranquillement face à la ville blanche. Soudain, un bruit épouvantable : un avion charter britannique passe au ras du mat prêt à déverser 200 Londoniens tout blancs et à rembarquer 200 autres tout bronzés. Et bien ce n’était que les hors-d’œuvres, une petite mise en jambe. A 22.00, la taverne en face du mouillage qui paraissait si paisible s’anime. C’est une disco mais pas le genre disco pour gamins timides, non, non une disco vrai de vrai avec lumières tournantes et tout et tout qui déverse dans la baie ses 140 dB, de quoi ? de musique-bruit obsessionnelle, trois percussions qui se répètent à l’infini jusqu’à cinq heures du matin. Non la réputation de Skiathos n’est pas surfaite.
Découvrir le petit port romantique de Patitiri sur l’île d’Alonissos est un vrai bonheur après l’enfer de Skiathos. Une dizaine de bateaux de plaisance cohabitent harmonieusement avec les bateaux de pêche et les bateaux-promenades qui tous les matins à dix heures appareillent chargés de chapeaux de toiles, de paille et de casquettes vers les hauts lieux du Parc National des Sporades où les plus chanceux apercevront peut-être un des derniers phoques moines.
La ville haute, détruite par le séisme de 1965, est aujourd’hui restauré en partie par des Européens du nord tombés amoureux du site. Ruelles tortueuses, maisons souvent couvertes de lauzes schisteuses grises, places ombragées de platanes.
Pour dormir tranquille en mouillage forain, la palme d’or revient sans aucune hésitation à la baie Planitis au nord de l’île de Pelago, sorte de lagon en forme de papillon seulement accessible par une passe de 80 mètres qui devient parait-il impraticable par fort Meltem. Deux jours de baignades, de sauts depuis le toit du bateau. Julien comptabilise ses sauts : 20 … 30. Estelle fait son premier tour du bateau à la nage sans manchettes ni aide extérieure et nous annonce du haut de ses quatre ans que les bouées-manchettes sont « pour les petits », pendant que le Capitaine se fait cuire des bigorneaux, seul adepte de cette délicatesse culinaire.
Les activités de collage, dessins, pièces de théâtre et de Music-Hall et autres ramassages de trésors touchent à leur fin. Les trois petits mousses et leurs parents reprennent la longue route vers le nord en enchainant catamaran volant, taxi et avion.
La vieille génération entre en hibernation – si c’est possible par 30 à 330 C – et dort à Planitis. Pour quelques jours Troll va naviguer en équipage TRES réduit. Un pare-battage sournois s’est attaqué au second et lui a étiré un ligament de l’épaule : bras immobilisé et fortes douleurs. Seul le pouce de la main droite reste valide pour appuyer sur le boitier de commande du guindeau.
la Chalcidique
Tout comme le Péloponnèse, la Chalcidique se présente comme une main amputée du pouce et de l’auriculaire. Troll quitte les Sporades du nord et son lac de Planitis et met le cap au 340, sur le majeur, Synthonia, la péninsule verdoyante. 48 milles à courir jusqu’à la marina de Porto Carras choisie comme halte technique avec en priorité une vidange complète des réservoirs d’eau qui depuis le plein de Patitiri délivrent un liquide à mi-chemin entre l’eau de Javel et l’eau New-yorkaise. Porto Carras, une autre marina de luxe « à la Grecque » mais cette fois ci un qualificatif mérité. Oh bien sûr le débit d’eau n’est pas très violent – il faudra huit heures pour remplir les réservoirs – soit, calcul fait 4.5 litres/minute. Non Troll n’insiste pas nous ne pourrons pas te rincer. En revanche le « cinq étoiles » de la marina ne manque pas d’eau : deux piscines avec cascades et débordement, un vrai bonheur par ces 30oC qui persistent.
Aujourd’hui, au programme, tour de la presqu’île de Sithonia : le capitaine promène sont second handicapé. Paysage de maquis avec ses pins maritimes et parasols, plages de sable fin, criques dentelées, échappées grandiose sur le Mont Athos, l’index, qui culmine à 2300 mètres.
Troll, posé sur une eau turquoise, ancre bien plantée dans le sable, derrière l’île de Dhiaporos au fond du golfe de Singitikos se recueille avant d’appréhender la prochaine étape, longer la péninsule d’Akti et les énigmatiques monastères du Mont Athos, une légende en soi. Depuis 10 siècles cette péninsule austère vit à l’écart du monde. La communauté monastique vit sans route, sans électricité, refusant en bloc tout apport du monde moderne. Pendant des siècles, la Sainte Montagne fut le lieu saint de l’orient orthodoxe, une presqu’île légendaire où les moines vivent hors du monde et hors du temps. Sorte d’état dans l’état depuis 1926, la « Sainte Communauté » ou république théocratique administre les 20 monastères. Séparation de l’Eglise et de l’Etat ? Je ne vois pas de quoi vous vouez parler.
Saint Panteleimon, ultime vestige de la Sainte Russie d’avant 1917, immenses églises coiffées de bulbes d’argent, longs bâtiments percés d’innombrables fenêtres, véritables casernes pour rappeler que la manne tsariste faisait vivre ici 1500 soldats de Dieu. Combien en reste-t-il aujourd’hui ? 10 ? 20 ? Et pourtant des grues et des échafaudages attestent que la Russie poutinienne se préoccupe à nouveau du sort de ces bâtiments. Moscou a bien le projet de construire une énorme église orthodoxe à deux pas de la tour Eiffel. Alors pourquoi ne pas retaper son bien au Mont Athos ?
Plus loin, le monastère de Simon-Pierre, accroché à un piton rocheux, ses murs s’élançant sur une hauteur de dix étages, relié à la falaise par un pont qui défit toute les règles de construction. Sa construction, au milieu du 13ème siècle sous la direction de Simon-Pierre fut extrêmement difficile et nombreux ouvriers finirent leur vie au fond du ravin. Un jour, Simon-Pierre voulant remercier ses ouvriers pour leur courage alla chercher du raki et des verres et, en revenant vers eux, chuta dans le vide. Pendant sa chute il fit une prière et l’Archange Gabriel arrêta l’ermite dans sa chute, le fit remonter dans les airs et du plateau rempli de verres qu’il tenait, pas une goutte n’était tombée. Une « sacrée » histoire quand même ! Situation exceptionnelle, isolement angoissant, entre ciel et terre, citadelle silencieuse habitée de moines soldats face à l’infidèle pouvant à tout moment déferler depuis l’Anatolie – « Le désert des Tartares ».
Saint Dyonisius transporte dans l’espace et dans le temps : sa construction en surplomb au dessus d’une falaise évoque un temple bouddhique de Lhassa, seule la présence de la mer ramène à Akti.
Au sud de Saint Paul commence le pays des ermites. Les bâtiments s’étagent sur un versant abrupt et pourtant couvert d’arbres. Petites chapelles, terrasses ombragées, treilles, arbres fruitiers, vivre au cœur de l’harmonie favorise probablement d’avantage la communication avec Dieu, que prostré au fond d’une grotte obscure. Plus on approche du cap Pines, extrémité de la Péninsule, plus les besoins d’isolement se font sentir. Les abris se dispersent, leur accès devient de plus en plus difficile, quelquefois une simple plateforme s’accroche dans une anfractuosité de rocher, accessible par une simple corde, fragile cordon ombilical reliant l’ermite au monde.
Limnos
Le retour au siècle s’opère sur l’île de Limnos à 63 milles, le retour au monde des hommes, loin du divin. En ce milieu d’après-midi, Myrina somnole dans un air en suspension, immobile et tiède, qui prend bien soin de ne pas troubler la sieste. Pas âme qui vive sur les quais pour prendre les amarres. Chaîne d’ancre déroulée, Troll vient gentiment s’appuyer le long d’un petit caïque. Sur le pont, un couple profondément endormi. Le capitaine lance un bout sur le pont du caïque en prévision d’un amarrage à couple provisoire (je rappelle ici au lecteur qu’à ce moment l’équipage de Troll est très très réduit). L’homme ouvre un œil… puis deux. « Pouvez-vous me prendre les amarres ? » « Of course ! » Deux minutes plus tard, Troll est solidement amarré au quai de Myrina. « Thanks a lot ! » « Dont even mention it ! » Tiens, un grec qui vit aux US. « Welcome in Limnos ! ».
Hephaistos, forgeron dont les ateliers se situaient dans le volcan de Limnos, était moche et boiteux et pourtant, toujours entouré de superbes femmes dont évidemment Aphrodite, la super nana de la mythologie. Le Serge Ginsburg de l’Olympe en quelque sorte. Pendant des éons la forge du dieu rejeta des cendres fertiles sur l’île et en fit un paysage de cultures bien différent de ses sœurs cycladiques pelées et austères. Neuf siècles durant, Limnos servit de grenier à Constantinople alimentant l’empire byzantin en blé, orge, vin et miel. Le client a changé mais les champs de céréales, arasés et brulés par le soleil de cette fin juillet ondulent toujours au gré des douces collines.
Limnos, vu d’avion, ressemble à un âne qui marche vers l’est. Entre ses pattes, la baie de Moudros abritait en 1915 la flotte alliée prête à en découdre avec les Turcs. 500 navires de guerre anglais et français au mouillage. On connaît la suite : 500'000 morts plus tard les alliés était obligés d’évacuer la presqu’île de Galipoli, après une année de combats, ils avaient progressé de 500 mètres. Cyniquement : 1000 morts par mètre ! Au bord du golfe de Moudros, Nea Koutali, village de pêcheurs d’éponges baille au soleil. Une pancarte « Museum » laisse présager le récit de la sinistre bataille. Au croisement de deux rues désertes où seule manque la musique de Moricone, une petite bâtisse : « Musée de l’éponge ». Costas, un solide vieillard, insiste beaucoup pour que nous entrions et finalement nous propulse dans une pièce remplie d’éponges de tous types, de toutes formes, de photos de plongeurs, de combinaisons et casques équipant les « semelles de plomb » et tout un amoncellement hétéroclite, coquillages, minéraux etc. Sa femme, touffe de cheveux jaune, coiffée façon éponge, présente dans un anglais hésitant son mari, 86 ans, le dernier plongeur survivant de Nea Koutali, puis explique l’origine des différentes éponges, les lieux de pêche de son plongeur de mari : Limnos, Samos, Kalymnos et même en Lybie, et poursuit avec la façon de transformer l’animal noirâtre et dur en une jolie éponge jaune clair et souple. La nôtre, qui naquit à Samos, finira sur un bord de baignoire dans les Alpes valaisannes. Costas nous conduit alors au vrai musée de Nea Koutali qui n’a rien à voir avec le massacre des Dardanelles mais conte une bien émouvante histoire.
La voix est douce, distinguée, légèrement rocailleuse, juste ce qu’il faut, petit mélange de français du Liban ou des écoles de bonnes sœurs d’Alexandrie. Ni l’un ni l’autre : une langue apprise à l’adolescence dans un collège huppé des bords du lac Léman. C’est de là que la conservatrice du Musée de Nea Koutali tire sa belle expression française.
« Laissez-moi vous conter l’histoire de Nea Koutali. Koutali était toute petite île plantée au milieu de la mer de Marmara - pas plus de deux milles sur un demi- mille – au cœur de l’empire Ottoman mais uniquement peuplée de Grecs. A la fin du 19ème siècle, nous étions 1850 à habiter l’île qui tirait ses richesses du commerce maritime, de pêche, de conserveries mais aussi de pêche aux éponges. Vous devez comprendre que de nombreuses familles étaient très instruites, très cultivées et souvent envoyaient leurs enfants étudier en Angleterre ou en France. Mais il y eut deux catastrophes. En janvier 1862, le vaisseau Bouba rentrait à Constantinople avec à son bord pratiquement tous les capitaines de la flotte marchande de Koutali qui venaient de passer sur l’île Noël en famille et rentraient vers leurs navires ancrés dans le Bosphore. Une terrible tempête survint et le Bouba sombra. La marine de commerce de Koutali, privée de commandement, disparut.
Et puis en 1922, ce fut « la grande catastrophe ». Les Turcs appellent ça pudiquement « L’échange de population ». Les 1850 habitants de l’île furent déportés et installés dans des baraquements provisoires ici au bord du golfe de Moudros et, instruits et travailleurs, créèrent rapidement ce petit bourg qu’ils appelèrent Nea Koutali où vous êtes aujourd’hui. Maintenant je vous laisse visiter le musée par vous-même. » Etonnante et raffinée conservatrice.
A l’est de l’île, du haut de sa falaise, Poliochni surveille Troie, de l’autre côté du détroit, cette nouvelle cité qui vient de s’établir. C’était il y a 4000 ans, Hélène que l’on disait belle, n’avait pas encore été enlevée. Pour l’heure seul le bon fonctionnement du commerce du cuivre et de la métallurgie du bronze et de l’or aux bijoux raffinés, comptait. Les clients à travers la mer Egée ne manquaient pas. Au détour d’une rue dallée, il est émouvant de découvrir un Bouleutérion, la chambre du conseil, où l’on venait débattre assis sur ces marches taillées du fonctionnement de la cité : une des plus anciennes organisations sociales démocratiques connue.
Mais à Limnos le présent a aussi ses charmes : déambuler dans la rue principale piétonne de Myrina, sorte de bazar ottoman bordé de maisons aux surplombs de bois, marchand de légume occupant le même local peut-être depuis des siècles, ce verre de blanc de Limnos fruité servi bien frais les pieds trempant dans le port de pêche.
Lesbos
La lune s'est couchée, et les Pléiades. Il est minuit. L'heure passe, et je dors seule
. Les étoiles autour de la lune radieuse voilent de nouveau leur clair visage, lorsque, dans son plein, elle illumine la terre de son plus vif éclat.
Ainsi versifiait Sappho, la poétesse de Lesbos, vers 600 avant JC.. Les étoiles autour de la lune radieuse voilent de nouveau leur clair visage, lorsque, dans son plein, elle illumine la terre de son plus vif éclat.
Allongés dans le cockpit, au dessus de nos têtes les mêmes étoiles, pâlottes qui ceinturent une autre lune pleine : la voie lactée gommée au profit d’une colline de Mythimna inondée de lumière. 2600 années se sont écoulées et d’autres lumières se mêlent à la fête : château byzantin sous les feux des projecteurs, guirlandes d’ampoules colorées égaillant les tavernes.
Au début de l’après-midi, deux Coast Guards aux gestes lents comme il sied en cette heure de la journée nous avaient pris les amarres en nous recommandant de venir les voir avec les papiers du bateau : la côte turque est, il est vrai bien visible de l’autre côté du détroit. Ils reviendront prévenir que des bourrasques orageuses sont attendues et que leur conseil est de ne pas quitter le bord, sage recommandation dans ce port où les fonds sont de mauvaise tenue.
A l’heure où Phoebus a fini sa course et ou les pores dermiques ont finis de dégorger il est temps de commencer la montée tortueuse dans le lassis de ruelles pavées et d’escaliers torturés, bordés de maisons ottomanes aux étages boisés, avant de déboucher, haletants, sur l’esplanade d’un château byzanto-geno-ottoman - comme il se doit. Après l’effort, la récompense d’une taverne bien nommée Panorama, dominant une mer scintillante silencieuse en dégustant des fleurs de courgettes préparées par la Nonna et le Papou du jeune serveur en première année d’Ingénierie mécanique.
Quelques courses de première nécessité au bord du port de pêche où il est plus facile de trouver une taverne où un magasin de souvenirs qu’un épicier. Et pourtant si, il y en a encore un qui résiste, le style Babaorum. Après quelques petits achats nous demandons « Avez-vous du pain ? » « Psaumi ? » Tout en répondant par la négative le vieil épicier plonge sous son comptoir en extrait un magnifique pain en nous faisant comprendre que c’est son pain mais qu’il nous l’offre. Autre époque !
Il fait chaud, très chaud et l’humidité se joint à la fête : Catherine est ravie car ses cheveux frisottent enfin.
La nuit lunaire s’installe. Du bateau voisin sortent des chants masculins portés par une guitare.
Ayvalik
Oui, la Turquie c’est tout près, alors cap sur la Turquie.
Ayvalik blotti au fond d’un presque-lac accessible par un chenal balisé c’est un autre monde : caïques, mosquées, embouteillages klaxonnants, charrettes à bras chargées de légumes, femmes aux pantalons fleuris, hommes à casquettes et grosses moustaches, bain de foule dans les souks où se mélangent vêtements, sacs ceintures, fruits et légumes, des centaines de tables au bord de l’eau où l’on sirote son Tchai. Pour nous, assis entre un moustachu et une dame enrubannée, ce sera un Adana Kebab arrosé d’un Ayran pour madame et d’une Efes pour monsieur. En face, les caïques se préparent à emmener leurs clients sur les plages avoisinantes aux sons tonitruants d’une musique discoteco-ottomane.
Autre monde : à la marina, l’eau et l’électricité sur le quai fonctionnent.
« Twins », un mini Troll de même couleur vert jade sort du port en faisant un détour vers l’étrave du grand frère, tandis que sa propriétaire lance « Je vous présente sa petite sœur ! ».
A Ayvalik il est difficile de résister à la tentation de Bergame et c’est ainsi qu’une voiture aubergine se met en route pour affronter l’Histoire. Une haute colline ocre émergeant d’une plaine fertile, verte sous une chape de brume de chaleur. Sur la colline, étalés sur des centaines de mètres, des stèles, des colonnes des temples, des agoras, un immense théâtre vertigineux et le soleil, le soleil, le soleil : il est midi en ce dernier jour de juillet, le moment idéal pour une visite comme il est recommandé dans tous les guides. Indépendamment du thermomètre, ce site est trop déshumanisé, trop minéral loin des Nera ou Aphrodisias où l’on se plait à imaginer la vie des citadins hellénistiques tout en cheminant au milieu des oliviers.
« Bienvenue à la coopérative de tapis de Bergame. Entrez, entrez ! Regardez c’est gratuit ! Juste pour le plaisir des yeux. » Commence un cours accéléré sur la tradition de cette coopérative qui sert d’école pour les futures noueuses de tapis ; les différents matériaux, laine, soie et même coton ; les différents colorants de nature minérale ou végétale, les tapis à brins noués, les kilim tissés, le nombre de nœuds – 1 million par m2 dans un tapis de soie – un m2 représente un an de travail … et c’est ainsi que assommés de chiffres et d’informations nous nous trouvons propulsés dans la pièce principale de la coopérative, le saint du saint, la pièce où va se dérouler la vente. Un plateau arrive chargé du traditionnel thé sans lequel, aucune palabre, aucune négociation ne peut intervenir. Les tapis sont déroulés à nos pied par deux malabars souriants mais muets qui choisissent l’objet à étaler en scrutant les mouvements de sourcils de notre guide qui lui scrute les nôtres pour orienter le choix et sélectionner le rapala.
Exit les tapis, les kilims entrent en scène, la valse continue pour cerner coloris et taille. Ca y est le poisson est ferré. Un kilim plait, un prix est lancé. Un « Beaucoup trop cher » lancé en français entre les acheteurs provoque une réaction à la baisse. Le processus itératif est en marche. Quelques secondes seulement après un « OK » le petit kilim tissé sur les pentes du Mont Ararat est emballé. Il finira sur d’autres pentes alpestres celles-là.
Troll est prêt à appareiller ou presque : annexe sous les bossoirs, passerelle en position verticale. Il ne reste plus qu’à ramener les deux amarres arrière à bord. . M… l’une n’est pas en double mais affublée d’un splendide nœud de chaise ! Donc manœuvre inverse : redescente de l’annexe, redescente de la passerelle. Le second voulant limiter les efforts réalisés par le Captain dans cette chaleur persistante se lance dans une manœuvre acrobatique de descente sur le quai qui se termine par un splendide mouvement de balancelle de l’annexe et un second au fond du port… dans une eau limpide comme il se doit au milieu des bateaux. Les lunettes n’ayant pas eu la bonne idée de rester tranquillement à leur place gisent au fond du port ce qui permet au capitaine de plonger pour les récupérer et de bénéficier ainsi des eaux cristallines portuaires. Une séquence de Papi et Mami dans « Les pieds nickelés font du yachting ».
Trois jours au mouillage sous l’ile d’Ali Bey nous remettrons de cette aventure.
Lesbos again
Sur la côte est de Lesbos le choix entre les abris sûrs ne sont pas légions. Mytilène la bruyante ou le minuscule port de Thermi, déjà connu de Captain Smith, mais difficile d’accès à cause d’une jetée antique immergée qui en interdit une partie de l’entrée. Troll décide de tenter l’entrée à Thermi. Des dauphins sautent et nous disent « Oui c’est le bon choix » car, oh miracle, les coast guards ont balisés l’entrée du petit port de deux magnifiques bouées rouge et verte éclairantes, flambant neuves. Le quai inchangé, désert, s’offre à Troll qui réalise un demi-tour touche-touche entre les barques de pêche pour venir s’y accoster, nez vers le large, seul.
En fin d’après midi, les deux taverniers commencent à éparpiller leurs tables le long du quai. Troll est à la terrasse d’un restaurant. Nous y resterons 6 jours en attendant Eric et Arthur !
Le soir les terrasses des deux tavernes sont bondées et pour quelques jours les clients ne bénéficieront plus d’une belle vue sur la mer mais d’une vue imprenable sur Troll, somme toute une vue qui n’a pas de prix ! Une petite femme, cheveux blancs frisottés, pas loin de 80 ans et son amie ne partage pas du tout cet avis et manifeste sa désapprobation en fusillant le capitaine du regard. La déférence des autres clients à son égard montre que nous avons affaire à une personnalité locale. Tous les soirs les deux femmes reprenent position à la même table en jetant un regard sourcilleux à Troll. Au fil des jours Troll fait de plus en plus parti du décor et on se prend à se demander depuis combien d’année il est amarré là. Et vient le jour du départ. La veille au soir le capitaine fait porter aux deux amies deux verres d’Ouzo au moment de l’apéritif. La frisottée vient se répandre en remerciements et le capitaine en excuses pour avoir ainsi entravé la vue de l’horizon en indiquant que le lendemain matin Troll larguerait les amarres. Cinq minutes plus tard la femme revient avec un présent, un komboloï aux perles de verre bleues, ce chapelet de patience oriental, dont elle fait présent au capitaine qui se lève et embrasse la chère dame qui essuie une larme.
Oinoussa
Troll pointe un museau curieux à l’intérieur du Port de Mandraki. « Oh, Oh » se dit il « du beau monde ! » Une belle brochette de yachts, modèle Port-Canto ou Antibes-jetée extérieure s’alignent le long du petit quai. Miracle, un trou libre mais bloqué par une annexe dans laquelle saute un Philippin qui nous fait signe de venir nous amarrer. La chaîne d’ancre se dépose tranquillement dans les eaux cristallines et peu profondes les amarres sont frappées sur de belles bites d’amarrage. Un « Welcome in Oinoussa » retentit du presque paquebot voisin.
Oinoussa est une île très très spéciale. Comment une si petite île de 14 km2 a pu donner naissance à une telle quantité de familles d’armateurs : les Lemos, Pateras, Hadjipateras, Kollakis et Lyras, tous sont originaires de ce petit village. Et même s’ils vivent tous auprès de leurs bureaux londoniens, new-yorkais voire genevois, les armateurs Oinoussians gardent une très forte attache à leur île et ne manquent pas une occasion de venir y passer les mois d’été à bord de leurs yachts. Pour eux, Oinoussa est leur vraie patrie.
Et notre voisin si hospitalier était l’un de ceux-là ou plus exactement sa femme, l’une de celles-là qui nous parlait beaucoup de cet oncle à l’origine du musée maritime local – une petite merveille – cet oncle qui n’était autre que le fameux Costa Lemos dont la statue en bronze orne le quai au milieu de cinq autres bustes ou statue de ses amis-rivaux. On nous vante le dynamisme de l’île, le nouveau monastère financé par madame, un nouveau stade, le club nautique où nous sommes les bienvenus, un nouveau cimetière, le réaménagement des quais et bien sûr son Académie Navale qui ne manquera pas au passage de former quelques nouveaux armateurs. Chacune de ces familles a tenu à offrir quelque chose à son île natale.
Hélas, trois fois hélas il nous faut rallier Chios des le lendemain car la météo n’est pas très encourageante pour le surlendemain et Aegean Airlines ne modifiera pas son horaire pour Eric et Arthur même si on leur vante les mérites de Oinoussa.
Chios
La marina de Chios quel contraste ! Gravats à gauche, tas de poussière à droite, encore une belle perspective de jumelage avec Offenbach, notre référence en la matière. Cette « marina » construite il y a environ 20 ans, non terminée, non entretenue est en phase de décomposition. Ferry, tas de rouille abandonnés en train de lentement sombrer. 300 places d’amarrage étaient prévues, quatre ou cinq sont utilisables en bout de jetée, amarrage en long. Troll fait un créneau entre deux voiliers dont un bateau canadien bien sympathique, « Louisiana ». Gérard et Suzanne nous parleront de leur « Belle Province ».
C’est le 15 août et le second fête son 17ème anniversaire. Le Capitaine organise un tour de l’île pour jeunes de 7 à 71 ans susceptible d’intéresser l’équipage à l’instar de Tintin.
La route serpente au milieu de pinèdes en s’élevant découvrant des falaises rouge et ocre. Quelques cyprés annoncent le monastère habituellement solitaire de Néa Moni, blotti au fond d’un vallon boisé. Mais aujourd’hui c’est la fête de la Vierge et des centaines de voitures encombrent les bas-côtés de la route d’accès. Notre ferveur religieuse légendaire nous incite à reprendre la route vers le nord en direction de l’insolite village d’Anavatos. Perché sur un piton rocheux, ce village fortifié fut abandonné en 1822 par ses habitants lors des massacres perpétrés par les Ottomans. 400 d’entre eux se jetèrent même du haut de la falaise pour éviter de tomber entre leurs mains sanguinaires. Une ville fantôme dans un site sauvage et austère.
Vers le sud, les pinèdes s’étiolent et font place peu à peu à de curieux petits arbres, les lentisques. Nous arrivons au pays du mastic. Le lentisque c’est un petit peu l’hévéa local. Une entaille le long du tronc et voici une pâte blanchâtre qui se met à couler mais qui n’a rien à voir avec le latex. Il s’agit d’une résine aromatique, le mastic, d’où l’on tire des solvants (térébenthine), des alcools, des sucreries et autres pâtisserie orientales – le modèle « colle-aux-dents ». Mesta, Olympi et Pyrgi et vingt autres villages, les Mastichochoria, tirèrent pendant des siècles leur prospérité de cette gomme magique.
Mesta, village médiéval dont les maisons extérieures faisaient office de remparts, ressemble à un labyrinthe, parcouru de boyaux étroits, de passages voutés qui s’entremêlent et finissent toujours par mener à une jolie petite place ombragée où une sympathique et appétissante taverne s’offre à quatre estomacs festifs. La fêtée se régalera d’un paputsaki seulement concurrencé par celui de la Mama de « Los Karavolos » à Poros.
Le voisin c’est Pirgi l’Arlequin aux maisons ornées de motifs géométriques noirs et blancs : du Vasarely au sommet de sa forme. Les murs extérieurs sont couverts d’un enduit à base de sable noir, puis de blanc de chaux. Les motifs sont ensuite grattés, ou griffés (xysta) comme disent les locaux, révélant la couche noire. Assis sur leurs chaises cannées, quelques vieux somnolent adossés à leur façade vasarelesque.
Les calories accumulées pendant la journée seront abandonnées dans une eau turquoise (ça devient lassant, il faudra trouver un autre adjectif) bordée d’une plage de galets noirs basaltiques sur lesquels il ne fait pas bon marcher pieds nus. Paysage géologique étrange cohabitation du basalte des galets avec des falaises sédimentaires ocre.
Havuz Adasi
Le subconscient pilote notre conscient en bien des occasions. Côté conscient, le mélange des générations est un mélange de bonheur et de stress. Bonheur de voir tranquillement s’épanouir les bourgeons en devenir, stress de mal vivre un nouveau style de préhension du monde manipulé par le marketing et ses corollaires, modes et schémas. Est-il indispensable de changer de crème solaire suivant la position anatomique de l’épiderme ? La diététique doit elle systématiquement prendre le pas sur la formation du goût ? L’hygiène doit il rendre esclave du propre au détriment de l’immunité acquise au contact d’autres modes de vie ? Le dorlotement est il vraiment une bonne façon de former le caractère ? La qualité du réseau est-elle plus où moins importante que la qualité de l’eau ? And « last but not least » faut-il vraiment que ces chérubins soient perpétuellement aux commandes de notre vie quotidienne ?
Quelques jours de questions rentrées conduisent tout naturellement, non pas aux soins intensifs, mais à vivre une étape décompressive au pays des « Havuz Adasi », les Îles-Piscines.
La première île de Loutra Adipsou nous apporta le bonheur des jets aquatiques sulfureux et autres massages fluides, la seconde fut, à Sigacik, l’enchantement d’une piscine débordante où venait se mirer Troll, lui aussi en phase Zen, enfin, à Kushadasi, l’île des oiseaux, les contractures accumulées fondirent tranquillement en alternant longueurs de bassin et jus d’oranges pressées.
Les Dodécanèses
Nota : que les esprits grincheux me pardonnent d’avoir incorporé Samos dans le chapitre « Dodécanèses ».
Fin août, la phrase « Tiens, 2010 restera une année sans meltem ! » à peine prononcée, Eole remet les ventilateurs en route. Sans doute se dit-il que Troll attend de vaillants navigateurs genevois expérimentés et que c’est le moment de se défouler un peu. Le turboprop aborde la piste par fort vent de travers, pose une roue rebondit, pose l’autre, rebondit et finalement se plaque au sol en enchainant les embardées. Premier contact avec le meltem pour Didier et Chantal, les deux équipiers tout blanc qui débarquent.
Pas de passage à Samos sans un pèlerinage à Oi Psarades, ce fabuleux restaurant de poissons qui nous régale encore une fois de blanchaille, supions et autres calamars farcis au fromage… Les vagues viennent mourir sur les roches rouges qui se prennent pour l’Esterel, au loin une brumeuse côte turque.
Le meltem s’accroche à Troll qui tous stabilisateurs déployés le regarde d’un air méprisant. Des creux de deux bons mètres de travers jalonnent la route de Patmos et l’émeuvent à peine. Au loin sur le pas de sa caverne Saint Jean nous regarde progresser en se disant que le moment est peut-être venu de réviser à la baisse les passages les plus effroyables de « L’Apocalypse ».
L’air est frais, suspendu pour quelque temps au dessus du monastère tout juste ouvert. Les bateaux de croisière n’ont pas encore déversé leurs milliers de passagers. L’heure est au calme, à la sérénité. Les passages interdits ne sont pas encore verrouillés et les cellules de moines défilent, ici du linge qui sèche, là un atelier de rénovation d’icônes, un radiateur électrique qui attend l’hiver.
Quelques milles et c’est l’incontournable, l’authentique Lipsos qui est en train de passer directement de l’ère pré-industrielle à la période post industrielle écologique sans transition. Un chef de port nommé récemment prend les amarres explique qu’à Lipsos la révolution verte est en marche :pour le tri des déchets il nous remet des sacs de plastique biodégradables, précise-t-il immédiatement, blanc pour les déchets organiques, vert pour les déchets en plastique, rouge pour le métal, jaune pour le papier et bleu pour le verre. Aucun équipage n’oserait quitter son bateau sans avoir scrupuleusement trié ses déchets. Opération suivante : empilement des dits sacs dans la benne d’un pick-up après-guerre qui s’éloigne vers la montagne en pétaradant. On se prend à imaginer une unité de retraitement logée au fond d’un vallon généreusement subventionné par une commission de Bruxelles. Toujours prêts à répandre la bonne parole et épauler notre prochain, nous avons enquêté, fouillé l’île. Cette troisième étape fut la plus éprouvante : pas de retraitement mais un grand tas de sacs de couleurs tous mélangés, petites taches pointillistes cachées au flanc de la colline. Autre indice préoccupant : devant les restaurants, le matin, s’alignent les détritus tous mélangés car les restaurateurs, eux, savent.
Tri ou pas tri Lipsos reste le petit joyau aux 33 chapelles bleues et blanches, à son restaurant Calypso au si chaleureux accueil, à la petite boulangerie nostalgie de notre enfance, au bistro sur la place qui se demande comment faire pour caser une quatrième table. Lipsos tu nous manqueras lorsque Troll naviguera sur d’autres eaux.
En juillet 1923, à Lausanne la conférence touche à sa fin, le traité est prêt à la signature. Mussolini, le tout nouveau premier ministre italien jubile. : grâce à l'appui britannique, la présence italienne dans les Dodécanèses, occupées depuis 1912 est reconnue. Ce sera le traité des grands chambardements de cette région que Troll sillonne en tous sens : la légitimité du régime d'Atatürk installé à Ankara est reconnue, les frontières de la Turquie moderne sont définies. La Turquie renonce à ses anciennes provinces arabes et reconnaît l'appropriation de Chypre par les Britanniques et du Dodécanèse par l'Italie. La Turquie moderne est donc limitée à l'Anatolie (occidentale et orientale) et la Thrace orientale. S'ensuivent des échanges de populations grecques et turques (1,6 million de Grecs ottomans contre 385 000 musulmans de Grèce), la « grande catastrophe des Grecs ».
De retour à Rome, Benito ordonne la création d’une base navale dans les Dodécanèses. Ce sera Porto Lago, aujourd’hui Lakki, sur l’île de Leros.
Le dictateur tombe amoureux de ce site splendide charge ses architectes de construire une ville dans le plus pur style art déco typique du régime fasciste, aux larges avenues permettant les parades, aux villas cossues pour loger les civils gravitant autour de la base militaire, sans oublier bien sûr une villa pour lui-même.
Survient la seconde guerre mondiale. La position stratégique et la configuration de ce port naturel exceptionnel associé au réseau de fortifications permettaient aux Italiens de contrôler la mer Egée, l’entrée des Dardanelles et les portes de l’orient. Lors de la reddition de l’Italie et la chute de Mussolini en 1943, les armées allemandes s’emparent de toutes les îles de la mer Egée. Une operation de libération de l’ile de Leros et la prise de Lakki fut montée par la Royal Navy un fait d’arme qui inspira Alistair MacLean pour son roman « Les canons de Navaronne ».
Dans les années 50 l’île abrite des sanatoriums et des prisons, exploitées avec beaucoup d’humanité, comme on peut imaginer, pendant le régime des colonels, à la fin des années 60.
Leros, une si petite île, chargée de tant d’histoire.
Pendant des dizaines d’années, la plupart de ces bâtiments, endommagés par la guerre, furent laissés à l’abandon mais ne furent heureusement pas démolis. Aujourd’hui, avec l’aide de l’UNESCO, la restauration a commencé. L’école, le cinéma et quelques villas sont aussi pimpants qu’à l’époque des visions impériales du grand mégalomane. Déambuler au milieu de cette architecture art-déco qui n’en finit jamais de s’arrondir, chargée de corniches en demi-ronde, de hautes et étroites ouvertures néo-romanes, de piliers pour ne pas oublier l’empire, le vrai. Retour dans un passé de livre d’histoire, avec un œil de Sherlock Holmes à la recherche du moindre indice, masqués par la végétation, un garage, un magasin grande surface, ou une poissonnerie.
Mais Leros c’est aussi l’adorable et authentique Platanos, le chef lieu de l'île qui avec Panteli, le fief des pêcheurs et Aya Marina celui des ferries déchargeant indifféremment femmes en noir, touristes bagarrés et popes joviaux, ne forment plus aujourd’hui qu’un seul gros bourg, toujours surveillé par un imposant kastro byzantin; c’est encore cette fabuleuse taverne du Moulin, « Mylos », le moulin bleu qui sort de l’eau où les papilles s’affolent au contact de produits de la mer ou du potager savamment cuisinés ; c’est aussi cet entrelacé de criques et de baies qui incite à la baignade ou cette image d’Epinal grecque de la traditionnelle petite chapelle blanche et bleue perchée sur un îlot rocheux ; ou encore cette autre chapelle de Partheni aux murs recouverts de fresques d’un peintre incarcéré par les colonels.
Mais Leros ne serait pas Leros sans la truculente Maria qui une fois encore nous servira son ouzo accompagné de « micro mezzés » en commentant les manœuvres hasardeuses d’un voilier tentant de mouiller son ancre devant sa taverne « Capitaine premier prix d’imbécilité ! » « Six personnes, six Capitaines » etc. puis enchaine une chanson qui aurait mérité un accompagnement bouzoukesque.
Troll quitte Leros et sa bonne marina Evros et met cap direct sur Kos tandis que sur tribord défile Kalymnos et sur bâbord Turgutreis chargé de souvenirs.
« Bienvenue mes disciples, à cette visite quotidienne de nos malades. Comme d’habitude, par cette leçon orale, je ferai part de mes préceptes, et je vous rappelle que ceci est l’essentiel de mon enseignement. Ecoutez bien. Allons-y ! » Ainsi parlait Hippocrate à ses élèves par une belle journée de mai de l’an 390 BC (ça, il ne pouvait pas le savoir) en montant lentement les marches liant l’école de médecine à la stoa entourée des chambres de malades.
« Bonjour Maitre. Je me sens mieux ce matin. Encore quelques spasmes mais supportables » « Tres bien ! Continuez de lui donner la décoction d’anémone pendant 3 jours ! » « Oh Maître je suis tout ballonné et mes intestins sont toujours bloqués » « Que l’on double la dose de potion d’huile d’aloès ! » Quelques cellules de malades plus loin « Après les troubles digestifs voici maintenant, chers disciples, les maladies de peau. Vous voyez ce malade est atteint d’excéma. Je le traite avec un onguent récemment arrivé d’orient à base d’huile de cèdre ».
2300 années plus tard quatre visiteurs parcourent la stoa en passant devant les cellules des malades de l’Antiquité. Peu de choses ont changé dans l’organisation hospitalière : la salle d’observation à l’arrivée des malades, leur orientation vers une zone précise suivant le premier diagnostique, les visites du professeur entouré de ses élèves. Mais ici dans ce site sublime au milieu des pinèdes qui domine la mer d’un bleu seul connu de la Méditerranée, tout est harmonie.
Dans les montagnes de Kos dans les hauts du petit village de Zia officie un autre médecin, Costas, bien vivant celui-là, et spécialisé dans le traitement des gourmets à coup de grillades et surtout de Moussaka « la meilleure d’Europe » clame-t-il, une sorte de Zorba des fourneaux. Sa taverne de poupée couverte d’une belle treille domine deux cognassiers, au loin les pinèdes et la mer. « Magnifique endroit ! » « Mais c’est bien pour ça que je suis là ! No stress ! »
Tout frais sorti d’une planche en couleurs d’une belle encyclopédie un Evzone s’agite debout sur une chaise paillée. Tout est là :
le béret–le fario- de feutre rouge, au gland de soie noire; la chemise, blanche, aux manches très évasées; gilet, arborant des broderies ; la jupe, la fustanelle, coupée dans 30 mètres de tissu blanc et composée de 400 plis qui symbolisent 400 années noires de servitude sous l’occupation turque ; les hauts-de-chausses, et les collants en laine blanche ; les tsarochia ces sabots à pompons. Seul le fusil et les cartouchières sont absents remplacés par un long bâton de berger. L’Evzone garde contre quelques pièces sonnantes et trébuchantes l’entrée de la forteresse-prison dAntimacheia où régnait jadis le grand maître des chevaliers de Rhodes Pierre d’Aubusson. Pierres ocres au milieu d’un paysage ocre, ton sur ton.
Tout au sud de l’ile, loin des bruits de la ville, s’étirent de longues plages de sable fin, serpentent des routes abruptes au milieu de pinèdes menant vers quelques monastères perdus aux incontournables murs bleu et blanc. Au loin Nisiros, calme volcan surgi de la mer.
Didier et Chantal sautent dans leur taxi garé au pied de Troll, première étape vers Genève. Le Capitaine et son second larguent les amarres tandis que du bateau voisin part un retentissant « Cé qu'è lainô, le Maitre dé bataille,
» immédiatement enchainé par le second : « Que se moqué et se ri dé canaille» puis en cœur : « A bin fai vi, pè on desande nai,
Qu'il étivé patron dé Genevoi. » Le capitaine, qui préfère Miles Davis, échappa aux 67 autres couplets de ce chant national de la République et Canton de Genève écrit en patois en 1603.
Troll retrouve Symi où quatre mois plus tôt embarquaient « les Nouchka » pour une traversée de la mer Egée Est-Ouest. Demain ce sera Marmaris. La caverne où hiverne Troll.
La boucle est bouclée, la fin du tour de manège.
Et Troll s’écria : « Un altro giro ».
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