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De Leros à Istanbul
mai-juin 2012
C’était
prévu, c’était promis, en 2012 Troll changerait de zone de navigation. Il
mettrait du nord dans son cap, irait se frotter aux frimas bataves, aux
paysages brouillardeux passés à l’estompe, aux canaux enjambés par des ponts
Vangoghiens.
Mais,
une fois de plus le bleu profond des eaux, les tavernes aux chaises paillées, les odeurs de garigue entamèrent un irrésistible
chant des sirènes: Troll, envouté, trainera donc une année de plus ses
ailerons dans les eaux hellènes et ottomanes.
Troll fume des joints
Un malade pas imaginaire
Depuis
septembre Troll, en renfort du FMI et de la BCE, veillait au chevet de la Grèce
malade. Perché sur son ber du chantier Agmar, sur l’île de Leros, entouré de
nombreux copains européens les
discussions allaient bon train : « Le chantier survivra-t-il à la
tourmente ? Quitterons-nous un jour ces esplanades poussiéreuses pour
retrouver la douceur de ces eaux qui nous lustre la peau ? » Tout à
coup, un ami de longue date, un frère Danubien, vint ranger sa belgitude sur
son bâbord. « Que deviens-tu l’ami ? » « Tiens mais que
vois-je, ami Troll, aurais-tu quelque problèmes urinaires ? » « Pas
que je sache. Mon patron m’a inspecté fort doctement en septembre et me délivra
un certificat de bonne santé » « Oh mais pourtant, je vois, sortant de ton appendice caudal
bâbord, une fuite huileuse de fâcheuse apparence. Un suintement qui ne présage
rien de bon ».
C’est
ainsi qu’aussitôt un pigeon courriélien s’envola, gagna de l’altitude pour
passer la redoutable barrière des Alpes et atterrir en un petit village de
raccards pour apporter la funeste nouvelle : « Troll peu à peu se
vidait de son huile étambote ».
Cette
nouvelle mit en émoi une partie du vieux continent. En particulier les parents
bataves du grand malade, immédiatement alertés, se mirent en quête du précieux
remède, une médecine qui s’avéra extrêmement rare, de fabrication étasunienne,
de nature céramico-carbonée. Les concepteurs étambiens furent consultés et dans
un premier temps se montrèrent impuissants. Le médecin chef avait pris sa
retraite, le jeune interne se montrant inexpérimenté fut bientôt remplacé par
un chef de clinique ou d’atelier, on ne sait plus, qui finit après trois mois
de réflexions par localiser le remède tout en refusant, d’en donner les
composants, les joints fuyards, voulant sans doute garder jalousement le
monopole de la connaissance. Le temps passait, passait. Troll, blessé, vidé de
sa substance voyait son moral s’altérer, au fur et à mesure que les chances de
navigation s’estompaient. Les pigeons voyageurs ne cessaient de s’envoler du
petit village vers les polders bordés de moulins ailés, les cornets d’Edison
retentirent d’imprécations, de menaces de voyages de représailles, de mains
armées d’arbalètes. Et soudain, quelques jours avant l’irrémédiable, avant
l’envol vers le pays hellène, du fond de l’horizon surgit une cigogne porteuse
du précieux paquet, du précieux remède, le petit joint qui soulagerait Troll.
En attente de soins
Leros
Michali,
le responsable technique, monsieur l’ingénieur comme il aime se faire appeler
avec humour, le regard rieur, écoute mes explications concernant la fuite sur
l’arbre d’hélice bâbord. A ses côtés Thomas, son second hambourgeois suit
placidement la discussion, une de plus entre un yachty impatient de voir son
bébé à nouveau flotter et le boss surchargé de demandes urgentes, en
compétition avec les super-urgentes ou les urgentissimes. « Vous voyez
cette liste de travaux à réaliser aujourd’hui ? Et bien, je sais déjà que
nous n’en réaliserons pas la moitié ! » « Quand voulez vous que
nous intervenions ? » Je m’essayais à une réponse logique :« Il
me semble que le démontage est urgent, car, au cas où nous découvririons un
incident imprévu, une pièce à commander, une pièce à usiner… ».
« D’accord ! Autant commencer tout de suite ! » une réponse
qui tenait du miracle. Une heure plus
tard Michaeli et Thomas étaient à l’œuvre. Tirée par un extracteur hydraulique
et un effort de 15 tonnes, l’hélice se libéra de son frettage conique dans un
bruit de coup de canon. Pendu au bout d’une rallonge de deux mètres, Thomas réussit
le dévissage du porte joint. Les joints malades extraits, le tube d’étambot,
qui n’avait pas apprécié les entrées intempestives d’eau de mer, se fit rincer
au fuel et la phase de remontage suivit avec les nouveaux joints tout beaux,
tout neufs. Au bout de deux jours l’arbre d’hélice bâbord pouvait à nouveau
dialoguer d’égal à égal avec le tribord. Et le voisin – Marone - se pencha pour
admirer : « Bravo, tu es nettement mieux comme ça ! ».
Aujourd’hui
le Captain fête son anniversaire. Et que fait-il pour fêter ces 70 printemps
(oui vous avez bien lu, soixante dix ou septante suivant la situation géographique
de l’interlocuteur) ? Eh bien, il passe l’anti-fouling de Troll . 80 m2 de peinture passée bras
en extension, couché sur le dos, sur le côté, accroupi. Ce soir là, pas de fitness,
c’est déjà fait, mais une invitation à dîner orchestrée par le second- Cat - au
restaurant Mylos, que nous aimons appeler Moulin Bleu, accompagnés des fidèles
amis Jean-Marie et Kali, le vaillant équipage de Marone. Les champignons
aillés, les raviolis aux épinards, le carpaccio de poulpe, les filets de bonite
grillés sentant bon les herbes des collines, le tout arrosé d’un blanc de
Limnos et d’un rouge de Crête, ambiance chaleureuse, le tout fut sublime.
Un anniversaire pictural
Pourquoi
Leros ? Quel dieu de l’Olympe inspira TROLL pour passer son hiver à Leros,
cette poussière du Dodécanèse, loin de
sa base ottomane, en pleine tourmente politico-financière hellène? C’est
simple, Troll aime Leros, son charme naturel, ses villages sans sophistication,
peu touristiques qui ont gardé leur authenticité, son histoire ancienne et
récente, son port naturel de Lakki, le port naturel le plus profond de la Méditerranée,
son doux mélange italo-grec, la boulangerie de Agia Marina et ses gâteaux au yogourt
et sirop, le délicieux « Moulin bleu » et son patron à la
personnalité raimusienne.
Leros côté nature
Le Moulin bleu
En route pour la croisière 2012
Au
mois de mai fais ce qu’il te plait. Et ce qui nous plait c’est, une fois encore,
de rallier Lipsi, avec nos fidèles équipers Alain et Monique, Lipsi,
l’île magique aux 33 chapelles à dôme
bleu, aux sentiers parfumés de garigue, aux baies incitant les plus courageux à
une baignade printanière et bien fraîche. Sitôt amarré le capitaine se rend au
Calypso pour saluer les propriétaires de l’établissement. Nicholas, lance
« J’ai vu le gros bateau vert arriver et je me suis dit : mon ami est
de retour ». Michel, le père, version gargantuesque de Raimu, l’ancien
chauffeur de taxi de Sydney, est mort. Son énorme rire ne résonnera plus entre
les tables du Calypso qui, ce soir, s’animera au son d’un bouzouki accompagnant
une voix aussi blanche que les façades.
Lipsi
A Arki
la sauvageonne, hors saison, le magasin de fanfreluche est encore fermé, les
bistrots entrouverts mais reste, éternelle, la traditionnelle marche vers la
chapelle mirador et son panorama assuré sur les îles environnantes - poussières
d’Egée encore et toujours.
Arki
Arki
A Agathonisos où Troll
s’accroche au ponton des gardes-côtes absents avec l’accord temporellement
limité par un « to morrow big-ship, please leave
before noon ».
Et
ce sera Samos, la patrie de Pythagore, qui dresse sur le quai
son bras de bronze vers le ciel, tentant une fois de plus d’expliquer aux plaisanciers son théorème du triangle
rectangle « Le carré de l’hypoténuse etc etc… » . Mais le grand homme
s’interrompt dans sa démonstration car il vient d’apercevoir Kowekara, se
glisser dans le port le long de son copain Troll, très fier de compter un
tourdumondiste parmi ses amis. Alain seul à bord rejoint les quatre Trolliens
assistés de Chantal et d’Emile - deux Valaisans bourlinguant à bord de leur
Endurance- attablés en pleine comparaison gustative : Samos contre Malvoisie.
Pythagorion
Le
lendemain nous abandonnerons les Dodécanèses et le Valais pour le Brésil car à
bord de Kowekara la Caipirhinia coule à flot.
On
arrive à Ikaria, au miniport d’Ayios Kirikos au sud-est de l’île
restée pour nous, depuis des décennies, l’objet d’un véto meltémien. Haute et
sévère, vue de loin, verte quand on la côtoie, et que l’on parcourt ses routes
bordées d’à-pic qui chatouillent le cœur.
Troll
se case derrière un autre bateau battant pavillon suisse. Deux bateaux de
plaisance et le port est plein. L’épicier, muni de son sésame,
déverrouille la borne électrique ; une
voiture aux freins incertains est réservée, Troll est prêt à découvrir Ikaria
et percer les mystères du vol d’Icare : trop près du soleil ? Non,
probablement victime d’un coup de Meltem.
Ayios Kirikos
Ce soir c’est la fête des mères. Les élèves des classes primaires y vont de leurs petits compliments, les filles tous yeux timides baissés, les garçons bravaches défiant du regard celle qui les a mis au monde. Les rondes succèdent aux farandoles. Les équipières reçoivent chacune leur rose rouge, félicitations de fils naturels.
Sur
la côte nord, le port d’Evdhilos, a vu la manne bruxelloise tomber du ciel. Ses
digues sont rallongées, les quais, flambants neuf. C’est aujourd’hui un abri
parfait… désert !
Evdhilos hors saison
Evdhilos
Deux vieux copains
Retour de pêche
Nouvelle promotion immobilière: début des travaux
Un
couple d’italiens, fraichement échappés d’un EMS, vient placer son voilier à
couple de Troll. Son capitaine, jambes flageolantes, emboite le pas de la fringante
coast-guard, le modèle « queue de cheval » autoritaire.
Qu’il
est bon au lever du soleil de consulter son courrier E-mailien sous les
muriers, face à la mer.
L’appareillage
approche et Troll piaffe, prisonnier de son cordon ombilicalo-électrique car
l’épicerie affiche porte close et à Kirikos : pas d‘épicier pas
d’électricité. Ce matin là, l’épicier avait sous-traité l’opération. Adieu
belle Ikaria.
Une
autre coast-guard à la queue de cheval réglementaire, attend le capitaine dans
son bureau encombré de dossiers poussiéreux. Point positif, la vue sur la baie
et le port de Mesta est belle. Troll avait choisi Mesta au sud ouest de l’ile
de Chios.
Vous avez dit port ? Oui oui, de splendides quais en béton dignes de
Rotterdam (là, l’auteur exagère un peu) avec pare-battage amortisseurs, pour
accueillir des cargos musclés, tout est neuf. Et queue de cheval de reprendre
devant mon air interloqué et interrogateur : « A quoi sert ce port
désert ? A rien ! Il est conçu pour d’énormes navires qui ne
viendront jamais, il n’y a rien ici, aucune structure industrielle, rien !
Les pêcheurs et les plaisanciers qui eux ont besoin de s’amarrer ne le peuvent
pas car tout est beaucoup trop gros. Vous comprenez, la spécialité grecque
c’est de construire des choses parfaitement inutiles en faisant en sorte que ça
coûte très très cher. Bien entendu tout a été payé par l’Europe (sic) » De
toute manière les journaux sont remplis de cette déficience grecque mais si les
Grecs eux-mêmes commencent à s’en rendre compte alors tout espoir n’est peut-être
pas perdu.
Un port inutile...
...et inadapté
Que
ces observations économico-politiques ne nous empêchent pas de flâner dans les
villages de Pyrghi et de Mesta du Mastichoria.
Les
térébynthes lentisques, petits arbres chétifs et torturés à force d’incisions
millénaires laissant pleurer une gomme transparente qui finira en composant de
la peinture de votre salon ou ingrédient de votre dentifrice. Les larmes se
mêlent au pied des arbres à la poussière ocre. Tout l’hiver sera nécessaire aux
femmes des villages pour séparer le « grain de l’ivraie ». Une
curieuse méthode qui fonctionne depuis des siècles, alors pourquoi donc
changer. A Pyrghi, pendant que les femmes trient, les hommes enduisent les
maisons d’enduit gris foncé, à peine sec recouvert d’un enduit blanc puis,
munis de gabarits en forme de losange, carré, rectangle, ou circulaires,
grattent la dernière couche, et donnent naissance à une décoration géométrique
mondriano-vasaleresque, la xysta.
La xysta
Sur la place principale de Mesta, village au pittoresque cachet des temps médiévaux, village musée, nous retrouvons avec plaisir le délicieux bistro O Messaionas où le second fêtait son anniversaire il y a deux ans.
Abandonnant
les villages à leur mastic, Troll poursuit sa quête du nord en pointant son
étrave vers Psara une autre île de légendes, une île du bout du
monde, une île au passé tragique. Pendant la guerre d’indépendance, au début
des années 1820, l’île avait réussi à construire et rassembler une puissante
flotte, la troisième derrière celles d’Hydra et de Spetsai, dont la spécialité
était de lancer des bateaux Kamikazes contre la flotte ottomane. Les Ottomans,
exaspérés, débarquèrent sur l’île un genre de commando de marines au cœur
tendre. Résultat : 30'000 morts, 300 survivants ! Aujourd’hui avec
ses 500 bergers et pêcheurs Psara somnole. La Psara florissante, ses armateurs
et ses chantiers navals est un peu difficile
à imaginer. Mais ainsi naissent les légendes. « Je suis de haute
noblesse et mon grand-père était un héros ».
Psara
La route qui enserre Psara la désolée ondule sous les roues de notre limousine, sorte de triporteur brinqueballant, à la benne chargée non pas de sacs de ciment mais de quatre intrépides explorateurs qui comptent et re-comptent leurs vertèbres à chaque nid de poule. A chaque halte bienfaitrice, le chauffeur-livreur qui parle couramment le grec nous abreuve d’explications sibyllines, Pourtant, quand on pratique les prix de la côte d’azur, on devrait apprendre le français. De belles plages désertes, des collines dénudées entrecoupées de vallées aux maigres cultures, un monastère hanté par des chats noirs galeux, métamorphose de moines disparus, des éoliennes bruxelloises en bien piteux état. Psara, une île oubliée.
Pour un tel taxi réserver longtemps à l'avance!
Si Psara est l’oreille gauche de Chios, Iounissa en est l’oreille droite, autre histoire d’armateur mais celle-ci contemporaine et florissante. La famille Lemos, originaire d’Iounissa est à la tête de la plus grosse flotte de marine marchande de Grèce. A côté, Les Niarchos et autre Onassis font, parait-il, figure d’économiquement faible. Le petit musée maritime, une merveille du genre, retrace l’épopée familiale et abrite une collection de maquettes de navire fin 18ème début 19ème réalisées en ivoire par les marins français faits prisonniers par les sujets de la perfide Albion lors des nombreux combats navals contre l’ogre corse et qui croupissaient dans leurs geôles-pontons du côté de Southampton. Le cimetière, autre réalisation insolite est à la mesure de la gloire familiale : imposants caveaux de famille en marbre blanc, alignés le long d’allées tapissées de gravier tout aussi blanc, des pins parasols, plus bas une mer turquoise. La version luxe de la chanson de Brassens « La Supplique ».
Iounissa
...pauvres cendres de conséquences...
Mi-mai,
pas d’alignement des yachts de luxe des armateurs. Le quai estival bien équipé
a fait place à une zone sinistrée : bornes électriques comme détruites à
coup de masse, tuyauteries déconnectées… « Que s’est il
passé ? » demande le capitaine à la queue de cheval-coast guard de
service. « C’est toujours comme ça. En hiver c’est détruit et avant l’été
on reconstruit… ». Chez nous aussi, on démolit tout pendant l’hiver, on
casse les vitrines, arrache les rails de tram et en été on reconstruit. Non, je
ne l’ai pas dit, mais ça m’a démangé !
Troll a cinq ans!
Quand
on lit que Plomarion sur l’île de Lesbos est la capitale
mondiale de l’Ouzo, que le meilleur Ouzo, le BARBAGIANNH
est fabriqué à Plomarion, et qu’en prime leur distillerie se visite, alors que
fait-on ? Evident ! Troll met le cap sur l’île de Lesbos, cap sur
Plomarion !
De
loin, la ville, étagée le long de vertes collines, apparaît coquette, façades
blanches, toits à quatre pans ottomans rougis de tuiles. Passé le musoir
d’entrée, c’est la désillusion, la ville semble sinistrée. La marina
municipale, il y a deux ans bien équipée, remplie de bateaux de plaisance est
aujourd’hui envahie de bateaux en fin de course, mélangés à des barques de
pêche minuscules, bornes électrique détruites, tuyauterie arrachées. Ce n’est
pas la ville, c’est la Grèce qui est sinistrée.
Ploumarion, l'heure de la politique et de l'ouzo
Ploumarion, le charme sauvegardé
Le coeur de Ploumarion: la distillerie BARBAGIANNH
Le
célèbre ouzo, aussitôt dégusté sous un platane au cœur d’une place pavée garnie
de chaises paillées qui ne savent plus très bien, depuis tant de temps, à quel
bistro elles appartiennent, le navigateur reprend la mer. Cap sur la marina
toute neuve de Mytilène, inaugurée il y a deux ans. Le capitaine, toujours
prévoyant, téléphone à la dite marina pour réserver une place et bien lui en
prit : TROLL poussant son museau entre les jetées découvrit une marina…
vide. 250 places disponibles, 6 bateaux de passage amarrés!!! En deux ans,
une partie de la marina s’est ensablée, personne ne drague, tous les locaux des
futurs magasins sont vides, pas de travel-lift pour caréner. Mais rassurez-vous
ça va changer. La belle marina change de mains : la société turque SETUR
vient de la racheter. L’empire ottoman est de retour. La marina va sous peu pouvoir
fonctionner.
La marina déserte de Mytilene
L’accueil
est un accueil coast-guardien musclé plein de nouveauté. La queue de cheval
n’est pas brune mais rousse, ce qui laisse présager des formalités originales.
Elles le furent. Formulaire médical où le capitaine doit attester sur son
honneur n’avoir pas de rats à bord, de cas récents de peste, de choléra, de
diphtérie, de fièvre jaune… qu’aucun décès n’est survenu à bord depuis la
dernière escale etc. Le capitaine s’étant montré particulièrement désagréable
et misogyne, un officier de blanc vêtu et galonné d’or, fut dépêché vers Troll pour effectuer trois jours plus
tard les formalités de départ du port. La proximité de la Turquie et la multiplicité des immigrations
clandestines rendent les autorités tatillonnes et nerveuses. Heureusement, la
souriante gréco-belge des bureaux de la marina compense le climat rébarbatif
des officiels.
A
Oinnoussa les amarres de Troll avaient été reçues par un couple catalan
bourlingueur, à Ploumarion le même couple nous amarrait au quai, ce soir Carmen
et Pepe sont à bord de Troll sirotant leur ouzo. Une nouvelle sympathique
rencontre.
Skala Sykaminias
Deux autres vieux copains
Brocante nautique à Lesbos
Lesbos, montagneuse et verdoyante, l’ île
d'émeraude, couverte de onze millions d'oliviers, d’ arbres
fruitiers, de forêts de pins
méditerranéens, de châtaigniers et de chênes
défile tout au long d’une route quasi alpine,
parfois empierrée, souvent goudronnée. Route jalonnée par Skala Sikaminia, adorable
port de pêche miniature, Mithymna coiffée de son imposant kastro byzantin,
rénovée et point de rencontre d’artistes et d’écrivains, Kaloni le centre de la
pêche à la sardine, Agiassos accroché à la montagne, Thermis qui n’arrive pas à
distinguer quai d’amarrage et tables des bistrots.
Troll s’impatiente et veut faire du nord, au revoir
les Papadopoulos, cap sur les Mehmet, cap sur Ayvalik et sa
marina Setur, au bout du chenal au fond du « lagon ».
Il pleut, pleut et repleut sur Ayvalik. Journée de
bricolage où le nid installé dans la cheminée du chauffage par des moineaux de
Leros culottés est supprimé, vide, sans
oisillon mort de faim. Il faudra songer à boucher toutes sorties avec des
chiffons lors de l’hivernage prochain. Puis se fut le tour de dorades aux vis
corrodées et des essuies glaces-essuies rien.
« Pourriez vous nous indiquer un atelier de
mécanique capable d’extraire ces vis de cette dorade ? »
L’interlocuteur mono glotte reste silencieux. Intervient alors un homme qui,
dans un anglais impeccable propose son aide. Yavuz désigne son bateau encore
sur son ber. Et le capitaine reconnaît immédiatement « Twins » le
fils de Troll, admiré il y a deux ans au mouillage d’ Ali bey. « Suivez-moi,
je vais vous montrer quelque chose » lance le Captain qui à son tour désigne
Troll. « Ah oui, il y a deux ans… » se rappelle Yavuz.
Yavuz vient d’entrer en scène.
Notre nouvel ange gardien trouve un atelier pour les
dorades, un réparateur d’essuie-glaces en dehors de la ville, convie l’équipage
à la soirée d’inauguration du nouveau restaurant de la marina : un accueil
chaleureux à la saveur ottomane.
Une météo plus clémente et c’est un départ vers
Pergame, un comptoir commercial créé par Alexandre. Depuis l’immense théâtre,
la vue plonge sur la ville qui perpétue
le commerce antique et sur la plaine ondulante
et cultivée. La ville flamboyante, rivale d’Alexandrie, abritait une des plus
belles bibliothèques de l’antiquité. Le parchemin (le mot
« parchemin » vient de Pergame) avait remplacé le papyrus égyptien
sous embargo (déjà !!!). Lorsqu’
Antoine prit la ville, il offrit
le contenu de la bibliothèque à sa chérie Cléopâtre qui ne se consolait
pas de l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie. Aujourd’hui il ne reste pas
grand-chose de cette fabuleuse bibliothèque. Quelques soubassements, quelques
marches. Mais depuis, au début du 20ème siècle, les archéologues allemands ont sévis et pour
visiter Pergame, rien ne vaut le Pergamon Museum de Berlin.
Vertigineux théatre
Dans la boutique de Tokyo les vendeurs avaient dit:
"Pour visiter Pergame tout le monde porte ça!"
Troll ressort du lagon et vient se mouiller au creux
de l’île Ali Bey. Les plages sont jonchées de détritus en plastique
multicolores. Foie gras et vin de Samos, côtes d’agneau accompagnées de pommes
risolées à la graisse de canard : on oublie les misères de la planète
polluée.
C’est la pentecôte et Troll continue sa quête du nord.
Au programme, l’ile de Boczaada. 50 milles à courir.
Incursion dans le port de Babakale sous le cap Baba. Nouvelles digues, un bon
abri en cas de Meltem ombrageux.. Une belle promenade sur une mer lisse ou
presque.
Sherif Ali, un ami de Yavuz, prévenu de notre arrivée,
nous prend les amarres.
Troll fête ce soir ses 10'000 milles depuis son départ
batave de Katwijk en 2007 et une soirée restaurant est programmée qui s’avérera
un désastre : calamars à moitié avariés poursuivis par un nuage de mouches
qui prennent nos céphalopodes pour cibles. Nuit gastro-agitée à
laquelle les quatre marins survécurent.
Autre désillusion, le prix de l’amarrage s’avère exorbitant.
Le captain fait appel à Sherif Ali et, « O miracolo », la facture
tombe d’un facteur deux avec excuses en prime pour l’erreur.
En route vers Çannakale. Troll double
Kowekara, sous voile, silencieux, Marie-Jo penchée sur son I-pad qui fait
zim-zim- boum-boum à chaque point gagnant. Evrard aurait apprécié.
Kowekara embouque les Dardanelles
A la queue le leu
29 navires sur l'écran...
Troll musarde à la recherche de contre-courants pour
éviter le flot volgo-danubien qui, de mer Noire en Bosphore se rue vers l’Egée.
Mais, direz-vous, que devient toute cette eau supplémentaire descendant des
Alpes et de l’Oural, qui vient s’additionner au flot qui, par Gibraltar arrive
de l’Atlantique en faisant frétiller les eaux devant Tarifa ? Les eaux en
perpétuelle ascension auraient dues, depuis des lustres, avoir englouti dans un
néo-déluge Marseille, Gènes et Barcelone. Et bien, non, les eaux s’évaporent
tout simplement !
Cargos, porte containers et pétroliers se croisent en deux
longues files indiennes.
A Çannakale Troll apprécie la toute simple Marina 1950
où l’on peut presque sauter à pieds-joints du cockpit dans le bureau de la
capitainerie.
L’équipage déambule dans le vieux Çannakale aux
réminiscences ottomanes, Terrasses bondées, çai aux verres tulipés à perte de
vue. Au bout d’un ponton le « pas peu fier » mouilleur de mines Nusret,
celui là même qui, en 1915, mit en déroute la flotte alliée franco-britannique.
Un jeune élève matelot nous fait visiter. Une reconstitution animée retrace les
évènements.
En route vers Troie, lieu d’une autre bataille qui, si
l’on croit ce farceur d’Homère, dura dix ans. Le Capitain pense à Achille, ses
douleurs à la cheville le reprennent. La plaine qui alors faisait la richesse
de Priam continue de produire, céréales, coton et agrumes, plaine parsemée de
villages de pierres sèches. Les femmes, portant pantalons bouffants fleuris, progressent
en lignes dans les champs de coton. Assos la touristique, Babakale la
laborieuse, ponctuent note route.
Ulysse est à gauche...
Troie: la rampe d'accès principale
"C'est simple: suivez le chapeau bleu devant vous!"
Assos
Troll continue à jouer à « Mais où sont donc les
contre-courants » et finit par sortir des Dardanelles et voguer sur la mer
de Marmara.
A Karabiga, c’est la Turquie
profonde. La pêche, rien que la pêche : le port est bourré de barques,
l’extérieur est libre mais sur le quai s’alignent des tas de filets jaunes
orange, bleus. Soudain des bras s’agitent, et nous indiquent une place le long
du quai, la place d’un bateau en pêche qui ne revient pas avant trois jours
nous dit Hassan le plongeur-pécheur de moules. Quelques instants plus tard, le
Captain, le Midship, Hassan et son frère sont attablés au bistrot du port et
sirotent un çai, au milieu de tables
occupées par des moustachus, casquettes vissées sur la tête depuis 1923. On
parle pêche, organisation de la municipalité, on commande de prometteuses
crevettes-gambas qui seront péchées pendant la nuit.
Troll discute pêche au gros...
... pendant qu'Hasan va pêcher les moules
Le soleil à peine couché, notre voisin, un ferry
chargé de camions, appareille en direction de Sarkoy sur la rive européenne, un
raccourci routier de près de 400
km. Vers une heure du matin il sera de retour
déchargeant son nouveau lot de camions. A cinq heures, c’est le tour du muezzin
de faire son ramdam.
Les mouillages forains sont rares dans la région,
aussi Pasa Limani est accueilli avec plaisir. Deux voiliers british sont déjà à
l’ancre, posés sur une eau lisse. Iles aux formes douces, quelques vignes, un
village dispersé, éclaté et d’apparence désert, deux mosquées pour assurer la
version stéréo du chant cinq fois quotidien.
Le quai est vert de platanes rafraichissants, bordé de
kiosques à çai où s’attablent les joueurs de tavla, jetant les dés, faisant
sonner les pions, concentrés sur leur stratégie. Dans le port, nage le pélican
à bec jaune qui, il y a cinq ans, jouait
avec son copain, le chien de même couleur. Le Captain prend un çai avec un
nostalgique de son Allemagne natale rentré au pays des ancêtres. L’équipage
s’immerge dans la vie locale : un restaurant au döner kebab dont on ne
sait pas trop si la viande tourne ou a tourné. Eternel dilemme. Le tout arrosé
d’eau, entouré de foulards et de casquettes kémaliens. Pour le lecteur qui
aurait encore quelques doutes, nous sommes à Erdek.
A Erdek
Le copain chien jaune n'est plus...
Asmali, sur l’île de Marmara, un autre
village du bout du monde, décalé, où les pendules ont dû s’arrêter au milieu du
vingtième siècle, où la courtoisie, le sens de l’hospitalité et la gentillesse
s’accordent au rythme lent du temps qui passe.
Mélange de maisons récentes colorées de rose et de
jaune et de yali boisées, décrépies proches de leur dernier soupir. Quelques
bateaux de pêche, les plus petits rentrent
aux premières lueurs de l’aube, les gros sont immobilisés par une
législation pro-alvin jusqu`à début octobre. Du haut du minaret, cinq fois réitéré, le
chant du muezzin se répand sur le hameau, glisse sur les eaux du port, hérisse
les amateurs de cloches. Un sentier s’entremêle aux oliviers, noués de
rhumatismes, qui laissent entrevoir parcimonieusement le turquoise marmarien tandis que les cistes,
arums, figuiers et origan flattent les cellules olfactives. Le mot magique
avait été prononcé : « Gözeleme ». La table avait retrouvé la
nappe de la grand-mère, quatre couverts en place, quatre clients, quatre hôtes
de marque, un évènement pour ce kafeieon d’un autre âge. Les Gözleme-crèpes
garnies d’épinard et de persil plat accompagnent un muezzin- cette fois garde
champêtre- qui annonce le décès du postier.
Marmara
Port de Marmara
Marmara, l’île du marbre blanc veiné de gris bleuté. L’ancienne Proconnèse prospéra à l’époque
hellénistique, puis à l’époque romaine, grâce à l’exportation de ce marbre que
l’on retrouve dans toute l’Europe de l’Ouest, et au Proche-Orient. Même le
fameux tombeau du roi Mausole (mausolée), à Halicarnasse,
aujourd’hui Bodrum, était recouvert de marbre de Proconnèse. Certaines églises
du Tessin en sont recouvertes, et bientôt les historiens pourront rajouter
certaines salles de bains de Saint-Luc. Mais la capitale de l’île, Maramara
Limani, port où Troll converse avec son copain Kowekara, a une insolite
particularité : son maire est francophone pour avoir, il y a plus de 40
ans passé une année à la faculté de droit de la Sorbonne. Bientôt, les deux
Alain, Gérard et le maire sirotent leur çai sur le quai, les trois premiers écoutant le magistrat expliquer les tendances
politiques nationales et locales, les projets pour sa commune, en particulier
la future marina dont les travaux débuteront en octobre, l’opposition
intéressée de pêcheurs, l’exploitation des carrières de marbre et de dolomite… Un coup de
téléphone et un minibus municipal est affrété pour le lendemain matin avec
chauffeur et garde du corps « mon lieutenant ». En route pour une
visite de l’île : carrières abandonnées aux blocs erratiques, usine très
moderne où les blocs se transforment en dalles, carrelages et autres piliers.
Une firme dirigée par un jeune ingénieur des mines de l’université d’Istanbul
maniant un anglais impeccable, quatrième génération de marbriers, dont
l’ancêtre maniait masse et pic. Au fond de la pièce, le grand-père, discret,
veille au grain. Au port voisin de Saylar, les cargos en stand-by attendent
leur tour pour embarquer les précieuses plaques de marbres qui iront décorer le
hammam d’un émir du golfe. Le long des quais s’alignent de nombreuses
sculptures contemporaines, fruits du travail d’artistes du monde entier, à qui
la société marbrière confie un bloc pour laisser, comme au temps de la
renaissance, s’exprimer les masses et massettes, les pointes, les
ciseaux plats, les râpes ou les gradines à grains d'orge.
Tandis que les épouses s’affairent « en
cuisine » autour de boulgour, ratatouille et autre labné au miel, les capitaines
discutent, discutent et rediscutent… machisme ? Mais non nous sommes
presque au Moyen-Orient !
En route vers les îles des Princes, Troll, ou plutôt son capitaine commet une faute de navigation qui ne plait pas du tout, mais pas du tout à la gente coastguardesque, aux Sehil Guvenlik locaux. Troll passe à 2.2 milles de l’île de Imraldi et non à 3 Miles comme prescrit. Le canot rapide nous donne l’ordre de mettre en panne. Deux uniformes sont bientôt à bord. Le galonné parle anglais. Ordre de sortir de la zone interdite. Contrôle d’identité et des papiers du bateau, changement de cap, contrôle de nos dire, par radio et ordinateur à terre. Ici tout est informatisé, il vaut mieux ne pas essayer de raconter des fables. Tout est Ok. Nos visiteurs s’en vont, l’officier se retourne et en levant l’index précise avec un grand sourire « 3 milles ! ». Une minute plus tard le bateau-fusée revient. De nouveau à couple. Zut un nouveau problème. Mais non, l’officier avait oublié ses Ray-ban. Un truc fatal pour le dragage des filles le samedi suivant. Non, nous n’avions pas l’intention de faire évader un dangereux terroriste du pénitencier de Imraldi Adasi.
Des milliers de salles de bain en gestation
A Saylar même les digues sont en marbre
Amateur d'art
En route vers les îles des Princes, Troll, ou plutôt son capitaine commet une faute de navigation qui ne plait pas du tout, mais pas du tout à la gente coastguardesque, aux Sehil Guvenlik locaux. Troll passe à 2.2 milles de l’île de Imraldi et non à 3 Miles comme prescrit. Le canot rapide nous donne l’ordre de mettre en panne. Deux uniformes sont bientôt à bord. Le galonné parle anglais. Ordre de sortir de la zone interdite. Contrôle d’identité et des papiers du bateau, changement de cap, contrôle de nos dire, par radio et ordinateur à terre. Ici tout est informatisé, il vaut mieux ne pas essayer de raconter des fables. Tout est Ok. Nos visiteurs s’en vont, l’officier se retourne et en levant l’index précise avec un grand sourire « 3 milles ! ». Une minute plus tard le bateau-fusée revient. De nouveau à couple. Zut un nouveau problème. Mais non, l’officier avait oublié ses Ray-ban. Un truc fatal pour le dragage des filles le samedi suivant. Non, nous n’avions pas l’intention de faire évader un dangereux terroriste du pénitencier de Imraldi Adasi.
Halte d’un soir à Katirli, grand port presque vide.
Troll le long du quai attire les promeneurs qui s’approchent souriant en
lançant des « Holzgediniz », « bienvenue ». Au loin les Iles
des Princes, notre but du lendemain s’éteignent, douces collines,
dans le couchant.
Îles des Princes
Au XIXe siècle, elles servent de lieu de
villégiature aux riches familles d'Istanbul - on y trouve toujours aujourd'hui
des villas de style victorien, notamment sur Büyükada,
la "grande île" ainsi que des yalis retapés par des bobos
stambouliotes. Aujourd’hui encore, de nombreux Stambouliotes de souche et
nantis y ont une maison, voire un yali, pour passer l'été, de façon plus
fraîche ! Ces îles, souvent désertes l’hiver, se repeuplent dès le retour des
beaux jours. Chacune des îles a une communauté prépondérante :
arménienne, grecque, musulmane ou juive. Et ces maisons sont l’occasion de
rassembler la diaspora une fois l’an. « Je suis vraiment ravie de faire
connaissance du petit Ismael qui nous arrive d’Australie… »
Yali
Parking fleurant bon le crotin
"Fouette cocher!"
Cap
sur Istanbul,
cap sur Constantinople, à nous Byzance !
Après de nombreuses hésitations notre choix s’était
porté sur la marina Kalamis, située sur la rive asiatique d’Istanbul, très bien
placée pour visiter la ville : un quart d’heure de taxi suivi de 20
minutes de Vapur et l’on plonge dans le cœur de Constantinople. Sur la
passerelle supérieure ombragée du vapur, bien calés sur des banc de bois
lustrés par des millions de fessiers, en sirotant un çai servi dans un verre
tulipé, la traversée de Kadikoy à la place Eminonü est un émerveillement
permanent : la Mosquée Bleue, Sainte Sophie et le palais Topkapi défilent
sur notre bâbord. A tribord s’offrent la tour de Galata, le palais Dolmabahçe qui
trempe ses pieds dans le Bosphore. Le tout au milieu d’un enchevêtrement de
ferries, de vapurs, de cargos et de pétroliers embouquant le Bosphore, de
« water-Taxi », de catamarans express. Istanbul une ruche, une
fourmilière ou 15 millions d’insectes se croisent, se recroisent, plongent dans
des passages souterrains, enjambent les avenues par des passerelles, sautent
dans un des multiples taxis qui saupoudrent la ville de jaune, se déversent des
multiples vapurs, va et vient incessant entre côte asiatique et européenne,
affrontent les gigantesques embouteillages en sautant, motorisés, suspendus au
dessus du Bosphore sur des ponts arachnéens.
La mosquée bleue et Sainte-Sophie
Palais Topkapi
Le pont de Galata, l'entrée de la corne d'or
"Rappelez-vous, vous avez deux heures pour visiter la ville!"
Il faut s'appeler Pei pour oser!
De la chute de Rome à la prise de la ville de
Constantinople par les Ottomans l’empire byzantin dura mille ans. Quand Mehmet
II, dit le conquérant, prit la ville en 1453, il trouva que le palais du
Basileus faisait un peu pavillon de banlieue et se lança dans la construction
d’une demeure digne de sa grandeur sultanesque, bien vite nommée Palais Topkapi,
« la porte des canons ». 70 hectares, cinq km de remparts, nombreux bâtiments
disposés autour de quatre cours principales, salles officielles dont le Divan
qui n’a rien à voir avec une salle de repos mais abrite le conseil des
ministres, bibliothèques, appartements privés, harem pour caser les femmes, les
favorites et les servantes encadrées par une armée d’eunuques plus noirs que
l’ébène sous l’œil suspicieux et autoritaire de la « reine mère »,
celle que le vénéré Sultan appelle Môman,
des cuisines capables de servir 5000 repas. Inutile de préciser que le chef
cuisinier n’avait pas intérêt à servir un plat raté à sa Divine Majesté.
Certains de ces despotes avaient l’habitude de faire placer en bout de piques,
sur les remparts surplombant la porte principale, quelques têtes fraîchement
coupées qui avaient déplu : « C’est qui le chef ici ?
Hein ? ». Le tout, dominant la Corne d'Or,
le Bosphore
et la mer de Marmara.
Topkapi
Les cuisines
"Aicha, ce soir le sultan te rendra visite. Soit la plus belle!"
Le grand Vizir vient d'arriver, la séance peut commencer
Et puis, un jour une favorite plus aimée que les
autres dit à son sérénissime amour « Dis Chéri, tu ne trouves pas
que le palais est très humide et sent un peu le moisi » « Mais si ma
biquette, on va trouver autre chose et déménager ». Et c’est ainsi qu’en1853, le sultan Abdülmecid Ier
décida de déplacer sa cour vers le palais de Dolmabahçe, premier palais de style
européen de la ville, équipé d’un chauffage central pour faire plaisir à la
biquette. Et Ataturk arriva sur son beau destrier. Le palais Topkapi devint
musée et le petit peuple planétaire, débarqué de l’aéroport ou d’un des HLM
flottants tout blanc, quelquefois habilement pilotés par un intrépide
commandant italien, en d’interminables queues, ne se lasse pas d’admirer les gros cailloux,
diamants, émeraudes et rubis que se plaisaient à accumuler les sultans qui
avaient l’esprit collectionneur.
Le palais Dolmabahçe
Il n'y a pas d'age pour s'intéresser à l'histoire
Une petite réflexion
politico-historique, venue à l’esprit en parcourant les allées des jardins du
palais Topkapi où cheminait jadis Soliman 1er : au début du
16ème siècle régnait en l’Europe une
sacrée brochette de personnalités visionnaires:
en France, François 1er (1494 – 1547),
en Angleterre, Henry VIII (1491 –1547),
et sur le Saint Empire romain germanique, Charles-Quint
(1500 – 1558),
des personnalités contemporaines, assez éloignées des
seconds couteaux qui « règnent » aujourd’hui sur l’Europe.
Cent cinquante ans après la pose de la
première pierre de Topkapi, Ahmet 1er convoqua son architecte préféré
et lui dit. « Je veux un bâtiment qui impressionne, avec 6 minarets, pas 7
comme à la Mecque, sinon Mahomet, jaloux, va me maudire. Autre détail, je tiens
à me rendre à cheval dans ma loge à l’étage »
« Grand commandeur des croyants, tout sera fait
selon ton désir ».
En six ans seulement l’édifice fut terminé car son
altesse sérénissime avait dit également: « Sainte Sophie fut
construite en 5 ans il y a mille ans, tu te dois de faire mieux ! »
Ainsi fut fait, ou presque, et cette merveille
architecturale, couverte de faïences bleues d’Iznik accueille aujourd’hui dans
une atmosphère feutrée et recueillie, sur des moquettes moelleuses piquetées de
tulipes et d’œillets, les hordes polyglottes épuisées échappées du Topkapi.
Sainte-Sophie , si vous prononcez ce mot magique pratiquement tout
le monde occidental répondra Istanbul. Si un seul monument de la ville est
connu alors, ce sera celui-là. « Sainte Sagesse », Ayasofya. En 527 Justinien accède au pouvoir, devient
empereur. Grand sens de l’État et de
l’idée impériale, forte capacité de travail, une relative simplicité de mœurs
assez rare pour l’époque : il est végétarien et ne boit pas de vin, et
possède une grande culture et de grandes qualités intellectuelles, très simple, très
proche du peuple, Justinien sera un
grand empereur. Conquérant, législateur et bâtisseur, il offre à sa femme
Théodora, l’ancienne courtisane, une modeste chapelle afin qu’elle puisse se
repentir de sa vie passée un petit peu olé-olé. Une chapelle qui nécessitera deux
architectes, Anthémius de Tralles et Isidore de
Milet, pas vraiment des étudiants de première année, cent maîtres
maçons et dix mille ouvriers.
Elle sera achevée en cinq ans et tient debout
depuis 1500 ans malgré les incessantes sautes d’humeur de la faille
anatolienne : tremblements de terre en 553 ,557, 558, 740, 869, 989 etc. un
construction faites d’arcs boutants massifs, impressionnant. Seules les voutes
avaient la mauvaise idée de descendre au niveau du sol mais aussitôt
reconstruites. Massive à l’extérieur mais majestueuses à l’intérieur.
Sainte-Sophie
Les queues de visiteurs, bigarrées, véritable
présentation de mode du foklore planétaire, se dispersent dans l’immensité du
bâtiment sous les regards protecteurs de Justinien et Théodora. Dans un coin de
la galerie supérieure, une pierre tombale marquée « Dandolo » sans
date, ce doge de Venise, aveugle et presque centenaire, qui marchanda à la fin
du 13ème siècle, avec les croisés, le sac de Byzance, la
rivale honnie, contre un transport de troupe vers les lieux Saints. Les croisés
s’en donnèrent à cœur joie en pillant la ville et violant les nonnes sorties
des couvents, tout ça au nom de la vraie croix bien entendu.
Mille ans après sa construction, ce n’est pas Sainte
Sophie qui s’écroula mais l’empire Byzantin. Mehmet II pris la ville. Il avait
21 ans ! C’était en 1453 et Constantinople devint ottomane, musulmane et
Istanbul. Sainte Sophie devint mosquée, jusqu’à ce qu’Ataturk décida de la
transformer en musée.
Le
palais de Dolmabahçe
Comme nous l’avons vu plus haut le Palais Topkapi commençait à sentir sérieusement
le moisi et les rhumatismes des favorites n’étaient pas favorables aux ébats
nocturnes. Donc, c’est décidé, on
déménage ! Abdülmecit, premier du nom, récupère un terrain au bord du
Bosphore, l’agrandit en remblayant la baie devant le futur Palais, d’où le nom
de dolma, « rempli » et bahçe, « jardins ».
Abdul avait pensé à le nommer « les pieds dans l’eau » mais
finalement Dolmabahçe ça sonnait mieux. Il
engage les meilleurs architectes du moment, fait livrer quatre tonnes
d’or en feuille en guise de papier peint, choisit le Crystal comme matériau du
grand escalier, pour voir « sous les jupes des filles » comme chante
Souchon. Tout le monde y va de son petit présent pour la pendaison de crémaillère :
Victoria fait livrer un lustre de 4.5 tonnes en Crystal muni de 750 bougies
pour orner la salle d’apparat de 2000 m2… et puisqu’il faut citer quelques
chiffres : Le palais a une superficie de 45 000 m² et
comporte 285 pièces, 44 salles, 6 bains (hammams) et 68
cabinets de toilette. C'est le plus grand palais en Turquie en considérant que
le bâtiment monobloc occupe 15 000
m². Le dernier à y habiter, Abdülmecit II,
quitta le palais en 1924, sans oublier sa fille, mère de mon copain Ibrahim
(voir plus bas), poussé dehors par Mustafa Kemal Atatürk, le leader et
fondateur de cette république moderne, qui utilisa le palais présidentiel comme
résidence d'été avant d’y mourir en 1938.
Un conte des mille et une nuits
L’histoire commence en 1959 chez les Jésuites, à l’Ecole Saint Louis de Gonzague, « Franklin »
pour les connaisseurs. Le pas encore Captain, plus en culotes courtes, mais pas
depuis très longtemps, comptait parmi ses bons copains un certain Ahmed
Ibrahim. Le veinard ! Musulman, il était dispensé de messe. De surcroît il
était prince. Le prince Ahmed Ibrahim. Inutile de préciser qu’à 16 ans ce genre
de titre laisse parfaitement indifférent et plus tard encore d’avantage.
En revanche ce qui ne laissait pas indifférent était
son cadre familial : un magnifique hôtel particulier à Neuilly donnant sur
le bois de Boulogne, deux Bentley au garage, chauffeur, cuisinier, maître
d’hôtel – « Madame est servie ! ». Une superbe goélette noire –
« Le Cygne » - tout juste sortie des chantiers Camper & Nicholson
– se balançant au quai du vieux Port de Cannes face au Suquet, à bord delaquelle
il était si bon d’aller se baigner et « piqueniquer » aux îles,
emmenés par un équipage stylé de six
hommes. Mais tout ce faste, toute cette
parure, n’était rien à côté de la mère de ce copain, une beauté sortie ou
tombée d’une gravure ottomane, qui, à cette époque, avait à peine 36 ans et me
laissait à la fin de chaque repas, où j’avais le plaisir d’être invité, sous le
choc. Cette extraordinaire beauté s’alliait à un port, une distinction qui subjuguait votre serviteur pourtant déjà presque
marxiste. L’entendre dire avec son accent levantin roucoulant « Nous
sommes rrrrruinés ! Nasserrrrr nous a tout prrrrris ! » Laissait
deviner ce qu’avait dû être le train de vie familial au Caire à l’époque de
Farouk. Au bout de la table, un vieux monsieur, silencieux, triste et renfermé,
le prince Muhammed Ali Ibrahim Beyefendi, le père de mon copain, le cousin de
Farouk. Mais qui était cette envoûtante princesse ? Et bien, ni plus ni
moins que, la princesse Zehra Hanzade Sultan dernière fille du dernier Sultan de l’Empire Ottoman Abdul Medjid II.
« Quand j’étais enfant, nous habitions au
borrrrrd du Bosphorrrrre ». A Istanbul nous avons visité la villa
familiale, une charmante demeure appelée Palais Dolmabahçe. Le grand salon
occupe une surface de 2000 m2… évidemment l’hôtel particulier parisien faisait
un peu purée.
Du fond de mes souvenirs
adolescents me revient également le mariage de la sœur de mon copain, Sabiha
Fazila, organisé à Eden Rock au Cap d’Antibes. A l’issue du dîner fut lancé un
feu d’artifice qui fit ressembler celui de Cannes du 14 juillet à un pétard de
gamins.
Je racontai cette étonnante histoire
à Yavuz et Esen qui, bien que profondément républicains, amateurs et férus
d’Histoire, ont une certaine fascination pour cette période ottomane. Assez étonnés,
ils se lancèrent dans une quête Googelesque à la recherche de nouvelles de la
famille et m’apprirent le lendemain que la sublime princesse de la sublime porte
était décédée à Neuilly en 1998 et que mon copain l’avait suivi l’année
dernière en novembre au Caire. Salut Ibrahim.
Mon copain Ibrahim avec ses parents et sa soeur
Le
catamaran bleu s’éloigne à 40 nœuds cap sur Babakoy.
Alain
et Monique nos fidèles compagnons de voyage volent sur l’eau cap sur La
Rochelle.
1 commentaire:
Bonjour, j'espère que vous allez bien :-)
C'est Rado, le chargé de communication du site http://www.prestige-voyages.com .
Juste une petite relance à propos de la page http://bachytrollaround.blogspot.fr/
Je souhaiterais vous proposer un mis à jour pour améliorer la visibilité de nos sites respectifs.
Bien à vous
cordialement
Rado
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