1 -
Partie maritime
Prologue
Après
de nombreuses années, depuis le milieu des années 70, successivement à bord de
trois voiliers puis de Troll, un troller au long cours, le captain et son
second décident de voguer vers des horizons nouveaux, des paysages qui
respirent une autre poésie, des cultures moins marquées d’hellénisme. Des
horizons plus brumeux, des ciels plus pastel, moins contrastés mais hélas plus
frais. Et puis, le chantier qui créa Troll fut quitté il y a 6 années déjà,
probablement le bon moment de boucler la boucle entamé alors sur le Rhin, le
Danube et la Mer Noire.
La
première partie de cette Longue Route, maritime fut peu à peu modifiée,
peaufinée, améliorée et enfin optimisée au fil des caprices météorologique, ou
même quelquefois politiques.
La
seconde partie, canalo-fluviale, vit également un certain nombres d’adaptations
décidées en cours de route.
Pendant
cinq mois, Catherine, le second, pris quotidiennement des notes fixant ainsi la
mémoire de l’aventure, la base du rédigé du captain.
142
jours de bourlingages dont 82 jours de navigation ; 1927 milles en mer,
1524 km sur les fleuves, rivières et canaux ; 221 écluses dont 146
« Fréciney » « tight fit » ; sept pays, des dizaines
d’îles … croisés des tas de gens sympas, oui, ce fut une Longue Route.
Bonne
lecture
Fin avril, à la marina
Yatmarin de Marmaris l’effervescence est, comme chaque année, de nouveau au
rendez-vous. Les yachties, sortis de leurs hibernations nordiques, encore
blancs d’hivers brouillardeux, peaufinent leurs bébés abandonnés l’automne
précédent, et qui, bientôt, les conduiront vers de nouveaux horizons, vers de
nouveaux rêves. Troll alterne nettoyages
et entretiens divers, Alain de « Kowekara » se débat avec
quelques problèmes techniques liés aux panneaux solaires et à la récente
réfection du moteur, Alain et
Marie-Christine briquent leur « Boreal » tout fier de sa nouvelle
peinture, René parcourt la marina sur sa speedy trottinette, navette entre
shipchandler et son Ovni « Oniro Mas ». Ca brique, ça ponce, ça
vernis, ça vidange à tout va. Ligne après ligne des listes, qui paraissaient
infinies, sont biffées ou marquées « fait », « done »,
« gemacht »…
Et, comme chaque année, le
miracle arrive, tout est prêt pour l’appareillage. Allah Ismar Ladik la
Turquie. Cap sur Simi. Alain et Monique fidèles parmi les fidèles, sont à bord.
Mise à l'eau à Yatmarin
Simi
Les minarets ont disparu
dans le sillage tandis que résonnent les cloches de la Pâque orthodoxe. D’habitude
colorée et paisible, Simi a fait place à une Simi survoltée sans doute par la
résurrection : pétards incessants, militaires tirant au canon jusqu’à deux
heures du matin, motards consommant à longueur de quai les subventions
européennes en jetant en bas du lit et des couchettes grecs et touristes. Kalo
Pasqua ! Pendant ces journées festives le port est gratuit car le chef des
coast guards est parti pour le week-end avec au fond de sa poche la clé du
placard où se trouve le formulaire « droit de port ». La facture du
manque à gagner va être envoyée à Merkel, c’est promis ! L’épicier
œnologue veille sur le pas de sa porte. « Ah, une chance vous êtes
ouvert ! » « Mon épicerie est ouverte 365 jours par an, sauf une
exception, le vendredi saint après-midi » « Mais nous sommes vendredi
Saint après-midi ! » « Alors c’est une exception à la règle ! »
Nysiros
Puis
ce fut Nisiros la volcanique et ses
villages montagnards surplombant la Chaldera.
Mike,
un Grec de NY de retour au pays, nous loue une voiture pour redécouvrir les
mystères de l’île et nous abreuve de conseils pour apporter du sang neuf à
cette nouvelle visite de l’île. Le cratère principal est délaissé au profit de raidillons caillouteux menant à trois
cratères secondaires, mélange de jaune, vert, rose et beige au gré de la
fantaisie éruptive, fumerolles sulfureuses, un début du monde apaisé. Une église récente d’un blanc cycladique, Elias
Profitis, s’accroche au sommet de l’Eagle Nest plongeant sur le cratère, un don
des anciens de Nysiros devenus New yorkais. Eagle rappelle la passion de Mike, la
sauvegarde des aigles et, il n’est pas peu fier de rappeler que depuis son
retour de NY, aucun aigle n’a été tué.
Au
petit matin, le moteur tribord reste endormi. Pas de démarreur. La panne
détectée, le Captain fait appel à Mike
qui, technicien-électro formé à NY, répare en un rien de temps à son atelier le
solénoïde défaillant.
Nysiros - Port de Palon
Le cap est mis sur
Astypalia 4o milles vers l’ouest, par temps gris, plombé, et vent debout.
Il y a 35 ans nous avions
énormément apprécié cette halte salvatrice après une longue traversée depuis
Santorin sur la fin, mouvementée, agitée de meltem. Pas de port à l’époque mais
un mouillage forain salvateur où Francesca tirait fermement sur sa chaîne.
Aujourd’hui, le port récent mais mal entretenu illustre une municipalité négligente.
Sikinos
Sikinos, île égéenne
cycladique, cache ses 15km x 5 km entre ses deux sœurs Ios et Folegandros. Montagneuse,
aride, trois villages blancs piquètent son flanc levantin. Le port minuscule et
presque désert accueille Troll qui s’y glisse et se blottit le long d’une
pimpante jetée aux dalles jointoyées de blanc. Quelques barques de pêche
alignées, leurs filets jaune safran, bien arrangés, bien démêlés, attendent
leurs maîtres sans doute lilliputiens.
Un taxi improvisé nous
hisse de 300m vers Chora Kastro, « la capitale » à 4km. Le kastro
devenu place rectangulaire immaculée plantée de palmiers émergeant d’un sol de
galets gris et blanc, bordé de bancs de pierre, confidents des vieilles
Sikinotes qui papotent. Au bout de la place, la mairie, par secrétaire de
mairie interposée, accueille le voyageur en sa salle du conseil municipal fraîchement
restaurée, plafond de poutres huilées soutenant des dalles schisteuses
gris-vert, sol dallé, murs chaulés affichant les merveilles de l’île. Comme
dans « Don Camillo », face au royaume de Pepone, trône l’inévitable
église au dôme bleu où officie le Fernandel-pope local. Sous une treille qui
enjambe la ruelle, champs Elysées locaux, quelques tables et autres chaises
paillées pour se rassasier de crêpes, qui aujourd’hui ne seront pas bretonnes
mais polonaises, élaborées par une Varsovienne égarée sous le soleil grec, et
déguster un verre de vin de Sikinos, célèbre paraît-t-il depuis l’antiquité
dont la couleur indéfinissable ne permet aucun classement sûr. Le pope, au
faciès « tombeur de ses dames » propulse lestement sa robe bleu nuit
entre les tables. Un artiste qui paraît-il, armé de son violon, fait danser
sous les tonnelles. Un pêcheur à califourchon sur sa vétuste chaise raconte sa
vie à la table voisine, Etats-Unis, Brésil, ses embarquements sur de multiples
cargos, en alternant anglais, espagnol et portugais, dialogue soutenu dans les
mêmes langues par le voisin. Deux randonneurs allemands qui devaient déjà
marcher dans le coin avant l’occupation italienne complètent la terrasse. A
l’intérieur, trois joueurs abattent leurs cartes sans bouger un cil sous l’œil
attentif de deux autres clients connaisseurs. Odyssée Elytis, prix Nobel de
littérature, tombé amoureux de l’île, avait souhaité construire une chapelle.
C’est fait, la municipalité s’en est chargée.
Sur le quai quelques
voitures et randonneurs attendent le ferry de 17.30. Le ferry ne viendra pas.
Grève ? Panne ? C’est aussi ça la poésie grecque !
Sikinos - Le port
Folegandros
Il y a trois ans,
Folegandros nous avait énormément séduits. Une fois amarrés à la minuscule
jetée de Karavostasi, nous refaisons la même balade : en bus
brinquebalant, montée à Chora, toute pimpante, toute colorée, presque trop apprêtée,
préparée pour séduire le touriste en mal d’image d’Epinal cycladique. Montée à
pied au monastère blanc, là-haut sur la montagne. La rampe est large avec un
bon dénivelé, la marche des septuagénaires est lente mais sûre et le spectacle
magnifique vers la mer et les îles avoisinantes dont on découvre le profil
bleu, à travers une brume diffuse. Le soir, au port, nous irons diner à la
taberna de Mme Malboufos qui nous promet une cuisine époustouflante : il
suffit de dire ce que l’on veut. Pas de carte avec les prix ? On vous donnera
les prix après !
Le poisson
« tout frais » est présenté caché dans un papier pas étanche aux
odeurs. Le vin « du grand-père » s’avère imbuvable et est remplacé.
Retenez le nom de cette sublime auberge, c’est juste à côté de l’épicerie du
port.
Folegandros
Jolie
traversée Folegandros-Milos par temps calme.
A
Milos amarrage au quai des ferries d’Adamas aidés par un personnage de bande
dessinée, Miltos », grosse barbe blanche, casquette d’amiral. L’homme, pas
tout jeune, efficace et rigolard s’affaire.
Traditionnelle
montée à Plaka, la ville haute, pour contempler en musique soft le coucher de
soleil sur le cratère depuis la terrasse du café Utopia. Et bien non, le café
Utopia n’a pas encore ouvert. L’ouzo sera dégusté dans un patio au milieu de
plantes vertes.
Le
lendemain, visite de l’île à bord d’une poubelle à quatre roues louée à un
homme à l’obséquiosité digne de de Oliviere de Tintin : le musée des
mines, Sarakiniko, un désert de minerai blanc, jaune, rose, beige au bord d’une
mer indigo, petit village de pêcheur aux garages à bateaux de couleur, au bord
du cratère.
Milos
Au
départ de Milos, Troll vise Hydra à 70
milles au nord-nord-ouest. Mais, après s’être fait secoué pendant 9 heures
« au près », mer hachée et vent entre 25 et 30 nœuds, le cap est légèrement
changé et Troll plonge finalement son ancre au cœur de la grande baie de
Porto-Heli, une autre Grèce, plus verte, moins ventée, plus paisible retrouvée
avec plaisir.
Le yacht de Sa Majesté Michel
La jonque de Jenny-Peter-Charles ancrée à 100 m de Troll pousse à une visite. Un tour d’annexe, personne ne bouge. Quelques coups sur la coque assortis d’un retentissant « JENNNNYYY !!!+ fait tout son effet. Charles, l’ancien officier de marine, fidèle à son humour lance « Désolé nous faisions le ménage… » Jenny et Peter apparaissent, échanges des dernières nouvelles des amis communs accumulés au fil des milles pendant vingt ans… Leur bateau vient d’être remis à l‘eau. Un an et demi passé sur un ber pour réparer la coque en ferrociment fissurée. L’inséparable trio et leur chat résistèrent sans sourciller à cette vie sans confort, perchés sur leurs étançons métalliques. Sportifs les British! Mais avaient-ils une autre solution ?
A
Hydra, le port et la ville sont toujours aussi jolis, les maisons des armateurs
de mieux en mieux rénovées. En faisant abstraction des coques (surtout multi),
des mats, des chaises et des parasols, on imagine les quais bordés de bateaux
de commerce, le large quai pavé, brillant d’usure que bordaient des échoppes
remplies alors de tellement d’odeurs de Méditerranée.
A Poros, nous nous amarrons dans la partie sud de la ville, le long du canal. Costas l’habituel fournisseur de fuel est sur le quai. Le Captain négocie le prix du litre et fait le plein. Costas, ravi de revoir son fidèle client, lui offre un pot de pâte verte miracle qui devient rouge au contact de l’eau. Un bon moyen de détecter le fuel frelaté.
Incontournable
dîner au restaurant Karavalos, toujours fidèle à sa réputation.
Paleo
Epidavros, le vieux port d’Epidaure qui dans l’Antiquité vit passer les
« curistes » en route vers le sanctuaire-centre de soins, aujourd’hui
petite station balnéaire avec sociétés de location de voiliers, barque de pêche
colorées, pêcheurs qui s’interpellent en criant (le grec ça ne se parle pas ça se
gueule) ses restaurants de poissons garantis tellement frais que la prochaine
étape des annonces sera « pas encore pêchés ». Amarrés le long de la
courte digue sous le feu d’entrée, se déroule, aux pieds de Troll, un mariage
avec popes, pourtant devenus bien rares, grands-mères claudicantes et le cousin
riche qui arrive d’Athènes au volant de sa rutilante Mercédès. Les témoins qui,
à la table des mariés, abandonnent peu à peu veston puis cravates, tandis que
l’indispensable musique traditionnelle devient disco. Faute de combattants, à
trois heures du matin, la sono est coupée, au grand plaisir de Troll qui rouvre
ses hublots.
Palea Epidavros
Flânerie
le long des allées du site « médical » antique empreint d’une grande
sérénité, bordées de vestiges hospitaliers ou ludiques, le fabuleux théâtre qui
perpétue les spectacles et accueille toujours les pièces de Sophocle et
d’Eschyle, où joua Jacques Lacarière avec ses copains étudiants hellénistes de
la Sorbonne. En le relisant on l’imagine son entrée sur scène en Xerxès en
haillon défait à Salamine par les Athéniens.
Théatre d'Epidaure
Troll
glisse le long de l’Argolide chargée de légendes et d’Histoire avant
d’embouquer les trois km du canal de Corinthe, toutes formalités
administratives accomplies. Les falaises calcaires défilent de part et d’autre
enjambées par les ponts routiers et ferrés.
Canal de Corinthe
Traversée du canal de Corinthe:
Le
golfe de Corinthe comme à son habitude est agité par son perpétuel vent d’ouest
et les abris sont peu nombreux. La baie de Vathy est envisagée mais les restes
de notre civilisation consommatrice, sacs plastiques, vieilles bouteilles etc.
jonchent les rives et le plan d’eau. La mer crie au secours et Troll s’enfuit
jusqu’à la baie Isidore à 20 milles dans l’ouest à deux pas d’Andikira qui
reste pour nous le port du sourd-muet, de Péchiney et des Grecs francophones.
Et ça ne rate pas, les amarres sont prises par un Français de la Maurienne
retraité de Péchiney. L’industriel français a revendu son usine d’aluminium aux
Canadiens, qui l’ont revendue aux Sud-Africains, qui l’ont revendue aux Grecs.
La bauxite locale n’est plus utilisée. Des cargos viennent décharger de la
bauxite du Ghana. Il paraît que c’est plus économique…. Le fric c’est super ! Le chômage tout le
monde s’en fout ! La baie Isidore a reçu de Bruxelles un joli cadeau, un
beau petit port que Troll apprécie.
Galaxidhi,
la base idéale pour visiter Delphes un port très bien protégé- les armateurs du
19ème siècle connaissaient leur métier. Le vent d’ouest persiste et signe et
les prévisions météo ne sont pas très encourageantes 7, 8 et même 9 Beaufort
d’ouest sont annoncés pour les deux jours qui viennent.
Delphes
c’est toujours un plaisir. Le site qui mélange subtilement douceur et sévérité,
la lente montée sur les chemins aux dalles usées de cothurnes en baskets, le silence recueilli, le souvenir des
oracles d’une pythie qui fumait de drôles de mélanges, oracles à l’origine de
bien des batailles, de bien des victoires, les yeux et les cils de l’Aurige,
les mèches bouclées d’Antinoë qui plaisait tant à Hadrien et peut-être aussi à
Marguerite Yourcenar.
Galaxidhi
Delphes
Un détour par Saint-Luc ou plus exactement par Ossias Lukas où la mythologie grecque fait place à la mythologie chrétienne. Les saints remplacent les dieux de l’Olympe, même quête de mystère et d’expliquer l’inexplicable.
D’escale
culturelle, Galaxidhi devient escale technique par la force d’un vent qui
insiste, fait siffler les haubans et claquer les drisses. L’épicier du quai qui
s’avère être un cousin de de Oliviere, pratique au fond d’une officine aussi
sombre que le monde d’Hadès et aussi sale que les écuries Augias, et cache son
tiroir-caisse comme Harpagon sa cassette, n’affiche aucun prix, ne délivre
aucun ticket, une monnaie qui tarde à revenir - un paroissien pas très
orthodoxe. Des clients de passage qui ne reviendront jamais : un vrai
rêve.
Il
vente, il pleut, les voiliers font le dos rond attendant l’accalmie. Quelques-uns
appareillent poussés par les impératifs des fins de location. Troll se rallie à
la majorité. L’équipage hiberne et parcourt nonchalamment les salles du musée
maritime exaltant la grandeur passée de Galaxidhi. Avant la victoire des
navires à vapeur, la flotte comptait 400 navires marchands. Aujourd’hui 15
bateaux de plaisance et le port est plein…
Par
un vent plus clément Troll s’élance en direction de Missolonghi, ravi de
pouvoir enfin se sortir de ce trou à rats de Golfe de Corinthe. « One pile
to your starboard two piles to port » les instructions sont claires, Troll
passe sous le pont Rion arachnéen et quelques sept heures plus tard remonte le
chenal bordé de baraques de pêcheurs sur pilotis pour venir s’amarrer à la
récente marina de Missolonghi souvent très décriée.
L’accueil est chaleureux,
les installations direction de la marina superbes, les sanitaires impeccables,
le petit bistro rassembleur de yachties sympathique. Un saut en taxi à l’entrée
du chenal, mélange des côtes du Maine et de Salina la Roumaine, sur un fond de
soleil en fin de course. Le tenancier du bistro commande une voiture pour nous
amener au restaurant de son frère dans la vieille ville où le jeune Byron
mourut lors du siège de la ville, non pas en héros sur les remparts comme le
dit la légende mais malade, d’une mauvaise grippe. Les anguilles grillées de la
lagune ravissent nos papilles gustatives.
Le pont Rion
Missolonghi, la lagune
La mer Ionienne
Tout
comme Ulysse, Troll est ravi de redécouvrir Ithaque devant son étrave. De gris,
le ciel et la mer sont devenus bleus pour fêter l’évènement, l’arrivée au joli
port de Kioni. Amarrage près d’un petit bateau, version moderne du Francesca d’antan,
un peu inquiété de la proximité de ce gros voisin. Le « dont be afraid, we
are a bit big but we are so nice » lancé par le second détend l’atmosphère,
et les deux bataves sourient.
Kioni,
village charmant, quai aux dalles usées, lustrées, terrasses de cafés, plan
d’eau animé par les incessantes arrivées de voiliers. « Voilà mes beaux
légumes, mes belles tomates, mes belles courgettes … » crie le maraîcher
depuis son pick-up rouge brinquebalant. Dans un mélange de grec et d’italien,
agrémenté d’éclats de rire et de tapes dans le dos, la cambuse de Troll se remplit de vivres frais,
directement du jardin du paysan aux mains calleuses et terreuses.
Kioni
La
route montagneuse taillée dans la roche calcaire serpente au milieu d’un
paysage débordant de vert, oliviers et pins se disputent le terrain, bien loin
des caillouteuses Cyclades. Le fjord de Vathy se découvre et joue les coquettes
devant l’abondance inévitable de clichés carte postale. A Stavros, de la
terrasse de son palais, Ulysse surveillait les deux côtés de son île et surtout
Polis, son port, d’où il appareilla pour rejoindre la flotte d’Agamemnon pour
aller, dix ans plus tard, inventer le coup du cheval qui permis la prise de
Troie et, au bout vingt années, rentrer retrouver sa Pénélope, dix années
d’errance de de drague des plus belles nanas de l’époque, Calypso, Circé et
combien d’autre qu’Homère n’osa même pas citer. Au bord du port, un couple
installé à Ithaque, leur Saint-luc, leur retraite à eux, monsieur le professeur
est très bavard, son épouse tout autant. Les deux monologues permettent
d’apprendre que la maison abandonnée qui nous faisait déjà rêver il y a vingt
ans a finalement été vendue. Magnifiquement restaurée face à la plus célèbre
fontaine d’Ithaque – la meilleure eau de l’île – les terrasses offrent des vues
époustouflantes sur la mer Ionienne bleu indigo. Le verger- forêt vierge- a
fait place à un parc piqueté d’orangers, de citronniers et d’oliviers. Devant
cette merveille, le Captain admire son projet enfin réalisé.
Ithaque - Golfe de Vathy
Sur
le quai, derrière Troll, la comédie musicale « Cat » se joue en
continu, une superproduction avec des dizaines d’acteurs qui sautent et
plongent en miaulant dans trois énormes poubelles. Lors du second acte appelé
« The boats » les chats continuent de nuit leur sarabande sur le pont
des bateaux. Les vedettes sont, de l’avis des critiques, les 6 chats élancés
descendus tout droit de fresques égyptiennes.
Calme
plat, mer légèrement plissée, dix nœuds de vent, Troll se régale lassé des
sauts dans les vagues et des embruns salés qui grattent. Meganisi, l’île-amibe
offre ses criques boisées, aux eaux turquoises, aux courageux nageurs pas
rebutés par la fraîcheur de l’eau. Le captain admire son équipage braver les
éléments mais ne veut pas quitter son navire pour des questions de sécurité et
se sacrifie encore (faux-cul !). Après un salut à l’île Skorpios propriété
de la famille Onassis et vendue depuis deux semaines par la fille d’Aristote à
un milliardaire russe, le fjord de Vliko se découvre, mouillage hyper protégé
propice aux bonnes nuits profondes pour ces nombreux plaisanciers à têtes blanches
qui parsèment le mouillage.
C’est
l’année des ouvrages d’art : le canal de Corinthe, le pont Rion enjambant
le golfe du même nom, le chenal de Missolonghi et maintenant le chenal de
Levkas et son pont levant-tournant. Le pont se lève, le pont tourne et Troll
embouque l’entrée du golfe d’Ambracie, fief des commerçants de Venise, un bon
abri sur la route de l’orient. Vonitsa, naguère port si accueillant, est bondé
de bateaux-ventouses, peuplés de britanniques retraités. Pas de place pour
Troll. Une première ! En échange, Troll se balance au mouillage, caché
derrière l’île Koukounitsa. La nuit
vient, au loin entre les feuillages de l’île, le château vénitien s’éclaire et
diffuse ses mystères et son histoire.
Quarante
milles à courir, sous un ciel gris et une mer qui a le tracassin, jusqu’à la
baie Lakka au nord de Paxos. Sous l’île, la houle d’ouest disparait faisant
place à une mer plate, alors que le ciel redevient bleu-vacances. Baie ronde,
eaux turquoises, une dizaine de voiliers au mouillage, village blanc blotti au
fond de la baie. Tout est serein.
Silence
seulement troublé par la corne de brume de Troll en phase finale d’une
réparation entamée il y a trois jours car le Captain et le Midship, deux têtus
s’il en est, ont décidé de comprendre le comportement aléatoire de cet
équipement high-tech. Ce soir-là Nios-Nios sera notre cantine, sélectionnée
après étude de marché approfondie sur internet. Un patron aux fourneaux, deux
aides, un maître d’hôtel Louis de Funos, agité, souriant et grimaçant « Ma
biiiiiiche…. » Le repas se choisit à la cuisine, de Funos soulève les
couvercles métalliques, hume les fumets, s’extasie, commente devant nos yeux
presque révulsés. Sous la tonnelle, sur une table nappée de carreaux, se succèdent
cœurs d’artichaut fourrés aux champignons, citrons farcis d’un hachi de
légumes, un kleftiko (chevreau cuit dans son jus emballé de papier sulfurisé),
un skorpios (rascasse) cuite dans les épices, des tranches d’espadon aillées et
de sardines grillées. Nuit au sommeil profond pour les trois quart de
l’équipage, les 25% restant, trouvant que Troll se comportait nuitamment en
« roule ma poule ».
La
houle, tout d’abord vaincue par les stabilisateurs en phase tango chaloupé,
disparait peu à peu, cassée par l’île de Corfou, qui défile sur bâbord. Troll
prend son allure favorite, la glisse. Les remparts de la ville, un jour
vénitienne, nous saluent. Troll s’engouffre dans Gouvia Marina, havre protégé,
aseptisé et sans saveur. Un shipchandler, denrée rare au pays de la moussaka,
accolé aux bureaux de la marina. Tentons le coup. « Bonjour madame,
avez-vous par hasard un solénoïde de ce modèle en stock » lance le captain
incrédule. « Laissez-moi voir » réplique madame la shipchandler dans
un français aussi parfait que roucoulant. Et là, le miracle s’accomplit, le
genre Gouvia-Lourdes, la femme se retourne tend le bras vers une étagère, et
dépose devant deux yeux près à sortir de leurs orbites, un solénoïde
parfaitement identique. Mike avait prévenu «In Corfou you will find
it ! ». Le Perkins bâbord en fut tout ému.
Corfou
Corfou
Dommage
de quitter la belle Grèce sur une telle image, une Grèce qui s’estompe dans le
sillage. Un lever de soleil éclairant les premiers paquebots géants qui font
route vers Corfou pour y déverser le lot quotidien de milliers de touristes qui
viendront acheter leur bol d’olivier « so cheap ».
La Calabre et le
dessous de la semelle italienne
L’Italie,
88 milles à courir. Tous les navigateurs répètent en cœur « en Grèce plus
de poissons ». A bord de Troll même rengaine. Aucune prise à la traine
depuis des années. Mais en Italie ? Peut-être est-ce différent. Alain,
grand pêcheur devant l’éternel, passe à confesse et lance ses lignes. Et
soudain sort du «cockpit un « poisson » retentissant. Moteurs en
avant lente, stabilisateurs en stand-by, la longue remontée de la bête
commence. Lent va et vient de la canne plantée dans le baudrier, Alain s’arc-boute.
Le captain, le croc à la main s’apprête à lancer les banderilles. La bête est
magnifique : une dorade coryphène de 1m, turquoise et jaune doré qui
virent au gris au contact de l’air. Jusqu’au bout un compagnon reste présent
aux côtés de la victime. Une vision qui tempère un petit peu l’enthousiasme du
pêcheur le plus endurci.
Dorade coryphène
« Iassas »
la Grèce « Bon giorno » l’Italie. A Santa Maria di Leuca, l’escalier
monumental, l’accès à l’Italie, voulu par Mussolini, et qu’il aimait gravir
dans un geste théâtral, bordé de troupes et en musique, prenant ainsi
possession de son empire.
Troll,
amarré au fond de ce port rouleur, regarde du coin de l’œil cet étalement de
vanité dérisoire. Place aux gelati, aux dolce, aux foccacie, aux filles plus aguicheuses.
Un contraste de 88 milles.
"Vivo il Duce"
Troll
boude Crotone et sa traditionnelle mafia et lui préfère Le Castella, port
minuscule où il se faufile le long du quai entre un bateau à moteur pourri et
un catamaran au propriétaire inquiet mais serviable. 10cm devant, 10cm derrière,
mais c’est beaucoup trop ! Ville
endormie, ville pauvre calabraise. Quelques bateaux de pêche, beaucoup de
maisons et d’immeubles désertés, un superbe château franc sur un rocher serti
de mer.
Rocella Ionnica, un bon moyen de couper la longue route vers la Sicile. Un port isolé, éloigné du village du même nom. L’approvisionnement en eau ne fonctionne plus, les bornes électriques sont en panne mais les sourires des Calabrais compensent tout.
La Sicile
Dernière
longue étape vers la Sicile. Cap sur l’Etna, devant l’étrave à 85 milles, encore
invisible mais Troll sent le volcan. Les
quarts se succèdent une heure toutes les quatre heures, le captain peaufine la météo,
le second tricote une chaussette rouge, commande d’un petit fils, les deux
lignes de traîne sont à l’eau. Et soudain le traditionnel
« poisson ! » retentit. Deux germons bien dodus sont vite ramenés à bord. La matanza commence. Le pont de Troll vire au
rouge, rouge du sang des poissons, rouge de la passion des pêcheurs. Ça n’a pas
traîné et pourtant si !
Nous
ne verrons pas l’Etna, le phare des anciens, avant longtemps, gommé par un ciel
grisouillant. Il finit par émerger de la brume, cône noirâtre sur fond
d’estompe.
L'Etna
Cette
côte sicilienne se raconte sur trois plans : au premier plan des plages
bordées de villes laides à l’urbanisme anarchique, au second une campagne
souriante parsemée de vergers et de vignes et au troisième, la montagne, l’imposant
Etna, dominateur. Au milieu de ce fatras urbain côtier sans âme, une exception,
un petit joyau, Taormina.
Taormina
Taormina
Le vieux
centre-ville de Taormina, se prête à la
flânerie à l'ombre de ses ruelles, à la dégustation d’un granite sous
les bougainvilliers, attablés face à la mer, ou encore à découvrir, assis sur
les gradins, le spectaculaire théâtre gréco-romain, auquel l’Etna d'un côté et à la mer Ionienne prêtent
leurs décors.
Face à la marina de Riposto, la Mama épicière ne nous racontera plus sa jeunesse tunisienne et le captain ne pourra plus évoquer ses souvenirs marocains : la nona n’est plus. Ses petits-fils Massimo et Salvatore perpétuent la tradition familiale. La vieille épicerie d’antan a fait place à une rutilente épicerie fine. L’épicerie de Panisse a fait place à Fauchon.
Arbres
fruitiers, vignes et pins alternent le long de la route étroite qui peu à peu
gravit les pentes de l’Etna. La luxuriante végétation fait bientôt place à des
arbres torturés, distordus, sortes de diablotins veillant sur le malin
ensommeillé. La température côtière n’est plus qu’un souvenir, les fourrures
polaires sont enfilées à 2000 m avant de continuer l’ascension confortablement
installés dans une cabine du teleferico puis au fond d’un puissant 4x4 16
places pour finalement atteindre les origines de la création, la planète à ses
débuts, au temps où le magma n’en finissait pas de se répandre. Amoncellements
de scories, installations ensevelies, refuge dont on n’aperçoit plus qu’une
fenêtre du 2ème étage, fruit de l’éruption de 2012, fumerolles - vapeurs d’eau
ou gaz moins sympathiques.
sur l'Etna
Le tour du volcan se termine par une enquête Agatachrystienne du style « Mais qui a caché le pont romain ? ». Un pont à l’architecture vantée par tant de guide. Après d’infinis « Sempre dritto ! » « Due kilometri, a destra » et autre « Retornarle in dietro » voilà cette merveille devant nous. Romain ? Que nenni ! Moyenâgeux à souhait, fruit d’architectes arabes, l’occupant du moment. Au pied du pont, une pierre tombale, deux photos de jeunes d’une vingtaine d’années, Francesco et Anna-Maria emportés par la crue du fleuve en 2004. Catherine, à nouveau à la Dante Alleghieri, traduit le texte de la pierre tombale : « Arrachés à la vie et à l’affection de leurs proches respectifs, à l’occasion du triste évènement du 1er mai 2004, ce tombeau pour vous en rappeler la mémoire et éviter que les eaux tumultueuses dévalant des sommets ne puissent répéter d’autres tragédies. »
Le pont tragique
La ville
moderne ne se regarde pas, elle se subit. Orthygia la ville ancienne surgit
ocre dans le soleil couchant, le fort veillant sur le destin de la ville. Troll
laisse tomber son ancre dans la grande baie face au grand quai surplombé de
maisons patriciennes vénitiennes. Syracuse s’apprivoise par pallier. Ses
ruelles, ses palais bordant la rue …
Rade de Syracuse
La place
de cathédrale, immense, harmonieuse, presqu’austère en contraste avec le
baroque de la façade sacrée. Sur les marches devant le parvis une mendiante, à
quelques pas un jeune accordéoniste, à ses pieds un ciboire pour recueillir les
oboles. Un cappuccino fume dans nos tasses face au Duomo. En haut de la tour
une horloge sans aiguilles. Temps éternel, temps savouré. L’harmonie. On
regarde les gens vivre.
Syracuse
Troll à l’ancre face à la ville, l’annexe amarrée au pied d’un pont, face à un terrain de basket-kayak. Deux équipes de deux Kayakeurs s’affrontent. Passes avec les mains, passes avec les pagaies. Renversement du kayak adverse autorisé. Le sport est viril, musclé.
Ce matin-là,
la Syracuse baroque fait place à la Syracuse antique, celle d’Archimède et des
tyrans Denis et Gelon. Archimède reste au fond de nos mémoires le découvreur de
la poussée hydrostatique ou peut-être aussi de machines de guerre opposées aux
Athéniens pendant le siège de la ville mais qui connait ses travaux sur le
nombre P ou sur le calcul infinitésimal. Même sa mort est
hors du commun. Comme le rapporte Plutarque « un
soldat romain croisa
Archimède alors que celui-ci traçait des figures géométriques sur le sol, non
conscient de la prise de la ville par l’ennemi. Troublé dans sa concentration
par le soldat, Archimède lui aurait lancé « Ne dérange pas mes
cercles ! » (Μη μου τους κύκλους τάραττε).
Le soldat, vexé de ne pas voir obtempérer le vieillard de 75 ans, le tua d’un
coup d’épée. En hommage à son génie, Marcellus lui fit de grandes funérailles
et fit dresser un tombeau décoré de sculptures représentant ses travaux»
Denis, lui,
moins intellectuel, utilisait le fouet pour activer la cadence dans les
carrières….
Quand on est à Syracuse, une
visite de la ville baroque voisine de Noto s’impose. Détruite, rasée par le
formidable tremblement de terre qui toucha la Sicile orientale en 1693, Noto
fut reconstruite en une unique opération urbanistique, guidée deux architectes,
Rosario Gagliardi et à Giovanni Battista Landolina . Il en résulte une ville au
style complètement homogène, dégageant une superbe harmonie. Mais ceux qui
payent décident et les nobles propriétaires terriens et de pêcheries mirent
quelques conditions aux travaux des architectes, car enfin le client est roi.
« Mes chers amis le plan de la ville s’articulera autour de trois rues
parallèles. Celle du haut, la nôtre, verra s’aligner nos palais que nous
voulons somptueux à l’intérieur mais sans ostentation à l’extérieur. La rue
intermédiaire sera dévolue au clergé et à la haute bourgeoisie. Nous y voulons
voir les collèges les plus prestigieux pour nos fils, tenus par les disciples
d’Ignace ou de Dominique, la cathédrale et quelques églises de belles factures.
Qu’il soit bien mentionné, de manière discrète, il va de soi, nos dons mis à
disposition. Quant à la troisième rue, réservez-la aux petits bourgeois et
quelques métayers. Veillez bien sûr à éviter que nous croisions
malencontreusement ces manants. » Ainsi fut fait en ces temps égalitaires.
Le résultat est superbe.
Noto
il palazzo Nicolacci
Comme il
ne faut jamais oublier, même lors d’apnées culturelles, que notre véhicule est
nautique, nous poussons en voiture jusqu’au cap Palo afin de voir l’état de la
mer au sud et à l’ouest du cap, notre futur trajet vers Malte. La météo une fois
de plus s’avère très fiable. Syracuse est bien dans une bulle de beau temps.
Au-delà du cap, la mer écume. Dans le
port de Palo c’est carnaval, les barques dansent, fond des bonds,
roulent, les chalutiers rentrent en catastrophe en utilisant des manœuvres
d’amarres impressionnantes de précisions.
Palo
Malte
et Gozo
Syracuse
s’éloigne. Archimède à la pointe du Castello Maniace agite son mouchoir. Non,
ça n’est pas anachronique, un génie, c’est éternel.
Onze
heures à courir jusqu’à Gozo finalement choisi comme base de visite de
l’archipel maltais. Les marinas de Valetta ne pouvant recevoir Troll en cette
fin de semaine. Une heure de houle raisonnable suivi de dix heures d’eaux
lisses avant de passer les musoirs du port de Mgaar, d’où les ferries de
liaison avec l’île de Malte ne cessent de rentrer et sortir, très discrètement,
sans génération de vagues, très british, un port constellé de luzzu, petites
barques colorées, aux ophthalmoi[1] soigneusement peints,
ornant des proues insolites. La marina est flambant neuve et peu encombrée.
Formalités d’immigration cordiales et souriantes. « Bondjour, Welcome in
Gozo ». Bistrots italiens, pub anglais équipés des traditionnelles
manettes en céramique, distribuant les bières locales mais également
l’incontournable Guinness, sans doute pour satisfaire les sujets de sa
gracieuse majesté, passant leur retraite loin du fog londonien. Au coin du bar,
une anglaise très distinguée, robe
plissée année 50 et chapeau de paille, sirote son Gin Tonic, canne appuyée
contre le comptoir. Premiers contacts avec une langue insolite, mélange de
tellement d’idiomes issus de tellement de rivages : phénicien,
carthaginois, arabe, italien… Si vous voyez écrit « Kkieket Tas-Salvatagg »
c’est tout simplement « Gilet de sauvetage » ou « tipjip difiża” signifie bien sûr “défense de fumer”.
Utilisé pendant des années, le calcaire doré l’emporte sur le béton qui le détrona dans les années 50. Aujourdhui, le matériau noble, la pierre de taille redevient à la mode. Ce matériau donne à l’île cette couleur “jaune désert” presqu’uniforme. Près du village de Siggiewi nous visiterons "The Limestone Heritage", une ancienne carrière de globigérine, aménagée en un musée thématique sur la pierre locale, un voyage fascinant à travers l'histoire de l'extraction et du travail de la pierre calcaire dans les îles maltaises. Certaines sont des carrières actives alors que d’autres sont maintenant inutilisées et sont remplies de champs et de vergers. Des villages au loin émergent des dômes, des innombrables églises, 365, une par jour pour les 400'000 habitants, qui rappellent que 94% des habitants sont catholiques et pratiquants. On ne reste pas occupé pendant deux siècles et demi par les Chevaliers de Saint-Jean impunément.
Historiquement et culturellement, les îles maltaises sont principalement
connues par le rayonnement de l'Ordre militaire et hospitalier de Malte et les
mystères qui entourent cet ordre ; après ses implantations successives à
Jérusalem, Saint-Jean d'Acre, Chypre et Rhodes, celui-ci s'y érigea pendant des
siècles comme le rempart spirituel et guerrier de la Chrétienté face à la
puissance musulmane turque.
Et
c’est à Mdina, ville vieille de 400 ans que les templiers s’installèrent à leur
arrivée.
L'histoire
de Mdina remonte à plus de 4000 ans. Cette ville revendique les origines de la
chrétienté maltaise, car c'était ici qu'en 60 avant J.C. l'apôtre St Paul est
dit avoir vécu après s'être échoué sur l'archipel. Mdina atmosphère
intemporelle nommée au moyen-âge « La ville noble ».
Elle abritait alors, comme aujourd'hui paraît-il,
les nobles familles de Malte, dont certaines descendent des suzerains normands,
siciliens et espagnols qui ont établi leur demeure à Mdina à partir du 12ème
siècle. Leurs impressionnants palais longent ses rues étroites et ombragées. Pierres dorées,
portes d’accès monumentales, ponts
enjambant les douves, palais pour le grand-maître, le tout magnifiquement
restauré, une ville
fortifiée contre
l’Ottoman, extraordinaire
par son mélange d'architecture médiévale et baroque.
Mdina, une bonne entrée en matière avant d’appréhender le cœur de l’histoire maltaise des templiers : Valetta.
De Gozo à
Valetta, une demi-heure de ferry suivie d’une heure et vingt minutes de bus.
Si les
Maltais nomment la ville Valetta la langue Française garde la mémoire deJeanParizoz de La Vallette (1494-1568) grand maître de
l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem, en la nommant La Valette.
Si la capitale de la république de Malte a été successivement dominée par les Phéniciens, les Grecs, les Carthaginois, les Romains, les Byzantins et les Arabes, la ville est une fois encore liée à l'histoire de l'ordre militaire et charitable de Saint-Jean-de-Jérusalem.
Entrons
dans la ville par la porte principale,
la City Gate. Inaugurée pendant les cérémonies de l'Indépendance en 1964 ;
elle fait partie d'un projet non encore réalisé, le réaménagement de l'entrée
de la ville avec la reconstruction de l'Opéra royal, détruit lors de
bombardements en 1942.
Cette
reconstruction, en particulier le nouveau parlement et le théâtre, confiée à
l’architecte Renzo Piano (Beaubourg) ne cesse d’alimenter la controverse depuis
des années. Intégrer l’architecture moderne au sein d’une ville renaissance, un
sacré défi. La fin des travaux est planifiée pour 2014. Actuellement grues et
échafaudages encombrent les débuts de
Republic street, l’artère principale embrasse toute la longueur de La Valette,
de la porte de la ville jusqu'au fort Saint-Elme.
La ville est bâtie
sur la côte nord-est de l'île de Malte, sur la pointe de
lapresqu'île de Xibberas entourée de deux havres naturels : le Marsamxett Harbour
au nord, et le Grand Harbour au sud. La vue du Grand Harbour depuis les jardins Lower Barraca est époustouflante,
découpage de darses, alignement de quais, une ruche maritime chargée de
siècles. On comprend, après le grand siège de Malte par les Ottomans en 1565,
le désir de transformer les lieux en une citadelle invincible, une ville forte
capable de contenir toutes futures interventions militaires.
La Cathédrale Saint-Jean , autrefois appelée
l'église des chevaliers nous sera interdite de visite : office en cours.
Il est vrai que dimanche n’est pas un jour idéal pour visiter la Valette. Alors
refuge sous un parasol, face à l’édifice pieux, pour rafraîchir l’estomac d’une
bière « Cisk » et le i-Pad des
dernières informations météo.
L'ancienPalais des Grands Maîtres, aujourd’hui Palais
de la république, où le Président a ses bureaux et où siège le Parlement, plus
laïc, plus accessible, dévoile ses richesses.
En parcourant les
pièces du palais des grands maîtres de l’Ordre de Saint-Jean, cet immense couloir richement décoré, de
peintures, d’armes et d’armures, une sorte de galerie des glaces sans glaces,
ce balcon doré de la salle où siégeait
le grand maître, les peintures mettant en scène les principaux palais et
monuments historiques de Malte, les murs richement ornementés de peintures
héraldiques représentant les blasons des grands maîtres, ces plafonds à
caissons trônant à 6-7 mètres au-dessus des têtes, les sols en mosaïque de
marbre, on ne peut s’empêcher de se demander où est passé la règle de Saint
Benoit, pièce fondatrice de l’Ordre. On se posait la même question en visitant
la riche abbaye baroque bénédictine de
Melk le long du Danube.
L’armurerie
installée dans ce palais, à l’origine un simple arsenal collectif, dans lequel
venaient puiser les chevaliers, présente, d’une manière didactique, l’évolution
de l’armure depuis son invention jusqu’à son abandon par les cuirassiers de
l’empire à Waterloo.
Les grands maîtres
et les dignitaires, pour lesquels posséder une armure richement ornée étaient
un symbole de leur autorité et de leur souveraineté. Celles des grands maîtres
Alof de Wignacourt et de La Valette sont particulièrement impressionnantes.
Les constructions de
l'ordre des chevaliers s'intègrent harmonieusement au réseau régulier dessiné
par les rues, en particulier les auberges des régions d’origine des chevaliers,
auberge de Castille et de León, auberge de Provence. Pas exactement le petit hôtel et restaurant rustique qui vous accueille
au bord de la route lorsque vous partez en vacances mais plutôt des sortes de
clubs très selects où se retrouvaient les chevaliers de même origine.
De plus, l'état de
préservation exceptionnel de son patrimoine où les constructions n'ont pas subi
d'altération majeure, fait de La Valette un exemple unique de conservation
historique. Une telle homogénéité fait penser à Noto la Sicilienne.
Le bateau n’est pas
le meilleur moyen pour visiter la ville. Un vol d’avion et une auberge, une vraie
celle-là, au milieu des remparts, une semaine de flânerie pour s’imprégner de
l’histoire voilà probablement l’idéal.
Bien
des millénaires plus tôt une civilisation mystérieuse s’implanta sur les îles
maltaises se lançant dans des constructions impressionnantes laissant une des architectures les plus monumentales
de l'histoire de l'Humanité, vers 3700 avant JC.
Tarxien,
Hagar Qim, Ggantija ou Mnajdra, les plus anciens temples mégalithiques du
monde, 1000 ans avant l’Egypte. Ainsi, à une époque où la Mésopotamie
inventait l'écriture, où l'agriculture connaissait ses débuts et où les
premiers menhirs et dolmens apparaissaient le long des côtes atlantiques, des
peuples venus du continent , après avoir
découvert un archipel formé de roches sédimentaires de plus de 20 millions
d'années, entreprenaient alors d'en extraire d'énormes blocs de calcaire, puis
de les tailler, les transporter, pour enfin les lever et les assembler avec
habileté en structures appelées par tradition "temples", aux formes
et plans particulièrement élaborés. « Temple » car lorsque
l’ignorance arrive, le mystique n’est pas loin. Et si ces constructions
constituaient les palais des chefs tout simplement ? On ne sait rien de ce
peuple de bâtisseurs, ni exactement d’où il venait, ni pourquoi il disparut trois
ou quatre siècles plus tard. Encore belle illustration du thème « le dérisoire
et l’éphémère ». Au loin une Méditerranée bleu indigo, moins éphémère.
Hagar Qim
Aujourd’hui
Jo nous fait visiter Gozo, son île.
Au
cœur de Gharb, charmant bourg doré, dont la moitié des habitants sont d’espèces
migratrices européennes à la retraite fuyant les frimas hivernaux nordiques,
une maison de 28 pièces du 18ème siècle bourrée d’objets utilitaires
hétéroclites retrace la vie quotidienne des habitants, le musée folklorique du
lieu. La propriétaire, caissière, assise derrière une antique table branlante
tend ses billets l’œil vitreux, absent puis en un instant, tout s’anime, les
yeux, les bras, l’histoire de la maison est en marche, les descriptions de la
visite s’enchaînent, le commentaire achevé, la position assise reprise, le même
regard absent fixe à nouveau le mur de la pièce.
Un
vieux pub années 50 mélange de british et d’orient, bar usé par des générations
de coudes, escaliers de pierres, terrasse ombragée sur le toit, là c’est
l’orient. Fraîcheur ventée et eau glacée bienfaitrice. La tour cubique de la
cathédrale émerge des toits plats des maisons ocre. Peut-être les fonds ont-ils
manqué pour réaliser une coupole traditionnelle. Je peux vous faire réaliser
quelques économies avait indiqué l’architecte « réalisons un toit plat.
Une peinture en trompe l’œil donnera l’impression d’une coupole » Le
résultat est saisissant.
Comme
sur l’ile de Malte, le mystérieux peuple de bâtisseurs mégalithiques se lança
dans des constructions titanesques, gigantesques blocs assemblés en contours
elliptiques. Palais, abris, temples, peu importe, l’ensemble de Ggantija est
impressionnant.
Retour en
Sicile
Une
longue traversée de 70 milles n’est pas superflue pour digérer les 5000 ans de
l’histoire maltaise juste entrevus. Traversée paisible par mer plate. Les
moteurs ronronnent, les lignes trainent leurs faux calamars colorés qui
plaisent beaucoup à un thon de 10kg qui avant de réaliser ce qui lui arrive, au
terme d’une courte Matanza, se retrouve au congélateur transformé en beaux
steaks.
A
mi-parcours le pavillon rouge et blanc maltais fait place au pavillon tricolore
italien pendant qu’une bande de dauphins bruns à bec jaune, sautent sous
l’étrave pour saluer la cérémonie officielle. « Addiju »
Malte, « Bon giorno » l’Italie.
Au
milieu de l’après-midi, les digues massives du port de Licata sont en vue.
Autre amer caractéristique, au-dessus du port, manifestation de puissances et
de pouvoirs passés, d’immenses tombeaux visibles de plusieurs milles, ornent la
colline.
Dès le
musoir passé, une deuxième rangée de digues protège la partie marina de cet
ensemble portuaire. Une extraordinaire protection de toutes les houles et de
tous les vents
Un
marinero vole sur son semi-rigide à notre rencontre et nous escorte jusqu’à
notre ponton. Les pontons de bois exotique sont rutilants, les bornes eau-électricité
et les taquets d’amarrage en inox, de jolis bâtiments bas, des gazons anglais
au pied de palmiers, des voiturettes de golf pour les marineros qui proposent
également de transporter les clients. A l’arrière, un centre commercial pour
l’avitaillement.
Pour
l’instant deux pontons "plaisances" et deux pontons "petits
bateaux locaux" sont en place. 12 autres pontons sont prévus pour
accueillir en fin de projet 1500 bateaux.
Et pour
finir les éloges, un accueil exceptionnellement aimable.
De plus
une très bonne base pour explorer le sud de la Sicile.
Voilà
pour le côté face. Côté pile, une fois passée l’enceinte de la marina on se
trouve confronté à une ville tristounette, sans aucune âme, le prototype du
genre « routard passe ton chemin ». Probablement un jugement
superficiel.
Et
l’équipage au grand complet se lança sur les routes siciliennes. La façon de
conduire musclée des Italiens est bien connue mais celle des Siciliens,
« Mama Mia ! ». En respectant la vitesse de 90 km/h sur une
nationale sicilienne, le lot commun est de se faire dépasser à 150 sur une
ligne continue de préférence dans un virage sans visibilité. On peut même
imaginer le commentaire « Hai visto, bambina, questo è ovviamente un nonno senile”.
campagne sicilienne
La campagne
sicilienne, jaunie de soleil ondule au fil de douces collines, poésie bien loin
de cette côte défigurée par un urbanisme anarchisant.
Une dizaine de dépassements musclés plus tard, la ville de Piazza Amerina est
traversée ou plus exactement, parcourue en tous sens à la recherche des
panneaux indicateurs “Villa Romana di Casale”. A force de demander notre route,
notre connaissance de la langue sicilienne s’améliore à chaque carrefour.
Hadrien s’était
fait construire sa fameuse villa, à deux pas de Rome, y rassemblant la
diversité des arts de son empire. Longtemps attribuée à un collègue de
Dioclétien, il est aujourd'hui admis que son commanditaire devait être un
personnage proche du pouvoir impérial dont le nom est resté cependant inconnu. Ce personnage mystérieux, sans doute las des embouteillages romains et
passioné par les animaux sauvages, décida de se faire construire un modeste
pavillon de chasse de 58 pièces avec thermes, théatre, moult salles de
réception et, la moquette faisant un petit peu cheap, fit appel à une équipe
d’artistes carthaginois réputés pour leurs réalisations de mosaïques. Et le
résultat est ex-tra-ordinaire. Des scènes de chasse, de capture d’animaux
vivants (lions, buffles, antilopes..), leur transfert jusqu’à Rome pour les
présenter aux jeux du cirque, leur débarquement à Ostie, tout est raconté,
expliqué, aux fil des pièces sur une gigantesque BD. Sous nos yeux la vie
romaine au 3éme siècle. Fabuleux.
Quelque soit le commanditaire c’est ensemble reste la plus fabuleuse collection
de mosaïques du monde romain.
Villa Romana di Casale
Au bout de deux
kilomètres de piste terreuse se découvre la Vecchia Messeria, cette vieille
ferme retapée et transformée en un agroturismo haut de game par Stefano. Avec nostalgie nous retrouvons ce
merveilleux site rafiné découvert il y a huit ans deux années après son
ouverture. L’endroit semble désert lorsque vient à notre rencontre un Sicilien
défensif et rapeux à l’oeil ténébreux, du genre “touche pas à ma soeur!” . “Non
il n’est pas possible de déjeûner, la cuisine est fermée, nous ne servons que
le soir....” Alors Stefano apparut. Le Captain le salua, lui expliqua notre
visite en 2005, à ses débuts, nos souvenirs de son long séjour en Belgique...
Le visage de Stefano s’éclaira se tourna vers le, second couteau, donna ses
ordres, une table fut dressée, et commença un défilé de petits plats plus
rafinés les uns que les autres, ce n’étaient que les hors d’oeuvre, les
antipastis, bientôt suivis par le primi piatti, le tout arrosé d’un excellent
vin. Pouce! Le truculent Stefano vint alors discuter et tout y passa: son
installation dans cette superbe campagne, ses réalisations en restauration en
Belgique, à Moscou, en Amérique du sud, le désastre de la politique italienne, ses nouvelles
réalisations hôtelières à Piazza Amerina...
Et pour finir le
conte de fée: “combien vous doit-on?” “Oh, ce que vous voulez...”
A Caltagirone,
c’est simple, on est céramiste ou chômeur. Le long des ruelles de la vieille
ville, le long de l’escalier monumental aux marches couvertes de carreaux ...
de céramiques... s’alignent les échoppes d’artistes. A mi pente un vieil
artiste prend son temps, explique sa technique, l’origine de l’argile, présente
ses réalisation bleus ou corail. La vente l’ennuie mais son métier le passionne.
Il nous explique qu’après tellement d’envahissements de son île, par les Arabes,
les Catalans, les nNormands... le vrai
Sicilien n’existe pas. Et depuis le débarquement américain de 1943, il y
a même des Siciliens grands et blonds aux yeux bleus! Ces assujettissements successifs,
nous ont appris la souplesse et la conciliation.
Caltagirone
Aujourd’hui,
départ pour Agrigente et sa vallée des temples. Temples jaunes sous un soleil
qui tape. Alain se liquéfie, cherche l’ombre, Catherine se cache sous son
ombrelle, Monique trotte et Gérard galope au milieu des pierres historiques,
tout étonné qu’on ne le suive pas, lui et son guide vert. Le plaisir au milieu
de ces vieilles pierres est de sentir, de palper dans le silence, la pérénité
du temps. Au diable les historiens, les architectes, les dieux honorés. Sous
son ombrelle, Catherine jouit du silence.
Agrigente
Troll longe la
côte sicilienne fumante de soleil. L’oeil gomme les vilaines constructions du
littoral et plonge vers l’intérieur extraordinairement beau, décor des frères
Taviani.
Sciacca
A
Sciacca, Troll choisit un amarrage à la Lega Navale cet organisme public qui,
sous le haut patronage du Président de la République, promeut l'amour de la mer,
l'esprit marin et la connaissance des questions maritimes.
Avec un tel programme Troll se sent à la maison.
Sciacca
La canicule ambiante incite
l’équipage à visiter la ville perchée au sommet d’un long escalier à … six heures du matin. Belles façades baroques
– églises et palais - autre façades délabrées, places ou s’affairent les maraîchers,
un front de mer suspendu au-dessus du port, les ramblas locaux ou déambule et
se salue la population dès que il Sole disparait derrière l’horizon. Un
capuccino et un croissant collant plus tard, redescente vers le port où
chalutiers et bateaux de plaisance cohabitent harmonieusement, remarquable quand on pense que
Sciacca est le premier port de pêche d’Italie
Favignana
Ce
matin la diane sonne dès l’aube afin de bénéficier des dernières brises douces avant
le réveil de mi-journée des vents d’ouest. A 6 heures Troll sort du port sur
une mer grise déjà piquetée de moutons blancs, et met le cap sur Favignana à 30
milles au vent.
Favignana
est connue pour son antique tradition de pêche au thon rouge migrant entre
Sicile et Tunisie au moyen de madragues, ces filets de pêche fixe, d'inspiration
arabe. Chaque année au mois de mai, commence la Matanza, le massacre des
thons pris au piège. Les eaux virent au
rouge. Les Grecs et les Phéniciens pratiquaient déjà cette technique de pêche.
Favignana
Troll
pointe son museau dans un port bien rempli. La seule partie fermée et bien
protégée est très exiguë et chercher à y
entrer semble bien relever de l’exploit sinon de la provocation. Et pourtant un
tel abri avec cette mauvaise météo est bien tentant. Un pêcheur sur la digue
nous fait un signe encourageant. Troll se lance tête baissée dans la passe.
Dans le coin opposé une place le long du quai paraît possible. Un demi-tour
balaye le plan d’eau. Le balcon avant tutoie l’arrière d’un bateau de pêche.
Marche arrière moteurs inversés, propulseur, Troll se faufile, les amarres sont
lancées. Le pêcheur lance au Captain un « Bravissimo » retentissant.
Pfffff… La place est magnifique et permettra de faire le dos rond en attendant
que le vent tombe avant d’entamer la traversée vers la Sardaigne. Et le vent va
forcir encore, la mer rentre dans le port formant un ressac qui transforme les
bateaux en yo-yo. Pour Troll bien protégé cela reste raisonnable, sauf pour les
sommeils légers.
Balades
le long des rues dallées, lustrées, interrompues de places carrées, d’églises
roses, d’anciennes conserveries de thons, du palais des anciens propriétaires
industriels transformé en mairie-office du tourisme, de village de pêcheurs
Favignana est devenu un village pour Romains et Milanais bobos qui côtoient
encore quelques figures burinées aux grosses moustaches, casquette délavée
vissée sur le crâne ou quelques vieilles claudicantes tout de noir vêtues,
accentuant le contraste avec quelques jeunes élégantes, sac négligemment posé
sur l’épaule, qui effleurent à peine d’un pas sûr les dalles luisantes.
« Madame câpre », chapeau fleuri sur la tête, pousse son vélo
croulant sous le poids des bocaux de câpres protégés par un parasol fleuri.
« Madame câpre » palabre, sourit, interpelle et bien sûr vend ses
câpres et ses bourgeons floraux en distillant ses meilleures recettes.
Et
le vent commença à faiblir.
Traversée
Sicile-Sardaigne
Ce
mercredi 27 juin à 8 h. du matin, Troll quitteson petit nid douillet du port de
l’île sicilienne de Favignana prêt à courir les 160 milles qui nous séparent de
la Sardaigne.
La
mer devient vite houleuse, dure, et le creux de 1,50 à 2,50 mètres à 20 degrés
de l’étrave font sauter Troll, le bousculant, et brassant en même temps, nos
estomacs. Jean-Marie avait prévu la Java bleue, ce fut la Java bleue. Nous
remontons au vent et les embruns balaient l’avant du bateau en y laissant leur
trace salée. Non, ce n’est pas la navigation directe habituelle que Troll
affectionne, mais plutôt une perpétuelle négociation de la mer et du vent comme
en voilier, résultant en une longue trajectoire courbe.
une trajectoire courbe
Les
quarts (d’une heure chacun) se succèdent dans le silence du carré. Pendant que
l’un d’entre nous est au pilotage et
devant les instruments, les trois autres se reposent sur leur couchette et
essaient de dormir.
Huit
heures plus tard, la mer commence à se tasser, les embruns disparaissent, le
soleil nous réchauffe. Il n’y a plus que 10 nœuds de vent assortis de la traditionnelle
houle traditionnelle.
A
18 heures, nous sommes 5 à bord : une hirondelle tête bleu noir, plastron
blanc, capuchon brun et longues ailes croisées, entre dans le carré, volette,
puis s’installe dans le coin élevé de la
bibliothèque. A 100 km des côtes aussi bien siciliennes que sardes, l’oiseau
fatigué devait s’essouffler. De temps en
temps, il sort par une porte, tourne autour du bateau sans doute à la recherche
d’insectes puis revient par une autre porte, s’installer à nouveau sur les
livres.
Quelques
puffins tournent autour du bateau, magnifiques voiliers, effleurant la crête
des vagues de la pointe de l’aile. Nos seuls voisins.
L’horizon
bleu et le soleil jaune se rejoignent et nous nous préparons à la navigation de
nuit. Les quarts de nuit se font à deux et pendant 4 h d’affilée. Le premier
équipage verra la lune monter au-dessus de l’horizon ; le second équipage,
observera le soleil flamboyant sortir de l’eau.
A
l’approche de la Sardaigne, les sens s’inversent, les odeurs résineuses de
l’île précèdent la vision de la côte. La Sardaigne ça se sent.
Le
soleil se lève sur la poupe au moment de l’entrée dans la marina de Porto
Corallo au sud d’Arbatax. Une magnifique tour aragonaise s’illumine droit
devant. Il est 6 h. du matin, ce jeudi 28 juin, après 22 h. de navigation L’hirondelle
sort timidement de la bibliothèque, volette, tombe et épuisée, meurt. Dommage,
j’aurais aimé la voir s’envoler vers vous et vous annoncer, si ce n’est le
printemps, au moins un bel été.
L’équipage
se presse sur le pont pour ne pas rater l’arrivée. Un gardien de nuit aussi endormi
que le port et tout sourire nous prend les amarres.
Un
solide petit déjeuner type « british » nous remet sur pied suivi d’un
dessalage général.
La
marina de Porto Corallo, aux pontons bien équipés est encore actuellement
complètement isolée et détachée de toute activité. Le village de Villaputzu est
à 5km, un joli village de vacances à trois km.
Aucune infrastructure, ni shipchandler, ni ateliers ne sont encore
disponibles. Les bus de liaison avec le village sont rares et aléatoires. L’environnement
de plages de sable et de collines boisées est pourtant magnifique. Les
investisseurs ne sont pas encore au rendez-vous mais ça ne saurait tarder promet
Stephano le jeune patron de la marina, ancien officier de la marine marchande
recyclé dans la plaisance.
Débarquement,
embarquement : dimanche, les amis Alain et Monique vont nous quitter après
deux mois qui ont passé si vite ; Didier France et leurs trois
moussaillons embarquent.
Troll est Sarde.
La Sardaigne
Bien
protégé des vents de nord-ouest par l’énorme digue sarde, Troll fait paisiblement
du nord le long d’une côte sablonneuse sur fond de reliefs rocheux rougeâtre et
découvre un port d’Arbatax tout pimpant.
Quatre caddies remplis à ras bord poussés cahin-caha par les sept membres de l’équipage – la gamme
complète des lecteurs de Tintin – embarquent et se déversent dans les placards,
tiroirs, racks à bouteilles et autres cambuses. Les légumes sont sardes, l’eau
est sarde, le vin est sarde, tout est sarde.
La Tavolara
Coda Cavallo. Beaucoup de souvenirs. A bord de Francesca, une baie déserte et sauvage agrémentée d’un barbecue sur la plage en compagnie de trois British convoyant d’Angleterre leur minuscule catamaran à Malte « Not a boat, a swimming platform ! ». Trois marins qui nous paraissaient bien vieux à travers nos yeux de trente ans. Les premières constructions découvertes à bord de Pyxidis. Un village de vacances discrètement intégré dans la colline vu depuis le pont de Captain Smith. Mais toujours cette magnifique baie, presque toujours déserte, face à l’ile de la Tavolara immense bloc sévère qui se colore si bien dans le soleil couchant.
La Tavolara
Les
enfants sautent et plongent du toit du bateau dans l’eau turquoise.
La
Tavolara défile sur notre tribord alors que Troll est pris en chasse par un
superbe sloop qui mètre après mètre gagne du terrain. Troll file à 8 nœuds, le
radar indique une vitesse de 9 nœuds pour notre poursuivant. Au près dans 15
nœuds de vent réel, sacré bateau. Bientôt bord à bord, les capitaines se
saluent, très grande classe. Il ne manquait que Beken pour fixer
l’évènement : « Mrs Marietta » passant « Troll ».
Le
vent tombe derrière le cap Figari, Mrs Marietta roule son immense génois et
fait ronronner son diesel. Le charme est rompu.
Le golfe de Marinella, une petite merveille de
la nature encore grandement préservée, un ponton, quelques places libres, le
Circolo Nautico Marinella accueille Troll pour une nuit. Nous resterons une
semaine dans ce cadre qui remet la Polynésie à sa place. Des vacances de rêve
pour la jeune génération : plage de sable, plongeoirs superbes de granit
rose dans un écrin de garigue parfumée. Au fond du golfe la micheline bleue et
blanche se faufile entre les bosquets.
golfe de Marinella
L’équipage
déserte et part à la conquête de la Sardaigne par les voies terrestres, le
capitaine et son second, devenus orphelins enfourchent un scooter, et se
plongent dans la culture primitive sarde, un flash-back de près de 4000 ans,
les tombes des géants de Li Lolghi et de Codu Ecchju. Menhirs immenses,
galeries, zones funéraires et habitat nuragique, les archéologues novices
imaginent, reconstruisent, admirent l’ingéniosité des premiers sardes.
tombes des géants de Codu Ecchju
On
déambule, on regarde. Non ce n’est pas notre truc.
Un
jeune couple du nord de l’hexagone nous interpelle. « Nous avons deux
questions : Connaissez-vous un endroit pas trop cher pour déjeûner ?
Où peut-on trouver un bus pour rejoindre la Magdalena ? » Pas
exactement le bon endroit pour routard désargenté.
La Sardaigne dorée
La Maddalena
Un archipel protégé
Du fait de l’énorme augmentation des activités nautiques dans cette partie nord-est de la Sardaigne, la réglementation s’est considérablement renforcée. Par exemple, à l'intérieur du « Parco nazionale Archipelago di La Maddalena », entre les mois de mai et octobre, il est nécessaire de se munir de l'autorisation adéquate accordée par la direction du parc pour pratiquer les mouillages forains et accepter les contrôles des coast guards concernant les installations de traitement des eaux noires.
La Maddalena
La Corse
Une
météo annonçant de grands calmes dans la région des Bouches de Bonifacio, ça ne
se rate pas. Cap au nord, cap sur Bunifaziu (il vaut mieux s’intégrer tout de suite).
La platitude des Lavezzi peine à surgir de la mer, archipel granitique
difficilement repérable et redoutable par gros temps, lieu de tellement de
naufrages dont le plus célèbre, celui de « La Sémillante » en 1855
raconté par Daudet dans les « lettres de mon Moulin ».
Au dernier moment,
l’entrée du fjord se découvre déjà annoncée par les incessantes entrées et
sorties de plaisanciers et ferries. Troll s’engouffre. Un appel VHF et un pneumatique
envoyé par la capitainerie vient à notre rencontre. Deux jeunes nous font signe
de les suivre. Entrée en marche arrière entre quelques étraves et lignes de mouillage,
passage au ras d’un bateau de pêche qui n’a plus vu le large depuis bien
longtemps. Troll cule à quai. Les amarres sont frappées. « Vous n’aviez
rien de plus petit ? » demande le Captain « Si, si on peut vous
trouver encore plus difficile… ». L’ambiance est excellente loin de
l’agressivité insulaire traditionnelle. La place est magnifique au pied de
l’escalier qui mène à la ville haute. Malgré le nouvel alignement uniforme,
moins spontané, des restaurants et boutiques le long du quai, le décor est
toujours aussi spectaculaire.
Bonifacio
A travers
les ruelles étroites surplombées de nombreux arcboutants-aqueducs, les maisons
aux hautes façades grises ou ocre surplombent les inévitables boutiques de
souvenirs et restaurants fleurant bon l’aïoli.
Beaucoup
d’églises pour sans doute prier pour que les interminables sièges prennent fin
et la rue des Deux Empereurs, pour rappeler que Charles Quint et Napoléon Bonaparte, sont
passés par là.
Troll n‘aime pas la Corse et le fait savoir : les batteries alimentant le propulseur sont en fin de vie après leurs 6 années de service intensif, et le pilote automatique montre des symptômes d’alcoolique transformant Troll en fêtard imbibé en fin de soirée du genre 2g/litre. Dans deux jours, à Ajaccio, il y aura de la réparation dans l’air.
En
attendant ce sera la pédale douce sur le joystick du propulseur et la navigation
à l’ancienne, sans pilote.
L’ancre
trouve un petit trou au milieu d’une multitude de bateaux au mouillage de Campo
Moro, le lieu de vacances de prédilection de l’Oncle Jacques, il y a bien des
années. Le temps est calme, la mer lisse.
Troll prend peu à peu conscience que le mois de juillet est un mois de vacances et que le temps des mouillages déserts et de pléthore de places dans les ports est révolu. Le temps des suppliques est arrivé « Excusez-moi de vous déranger, n’auriez-vous pas, par le plus grand des hasards une place pour notre modeste embarcation de 16m… » le style obséquieux dont de Funès avait le secret. « Mettez-vous à l’ancre et on vous dira ce soir à six heures si nous avons une place. La priorité absolue est donnée aux bateaux de location ! » En résumé, pour faire court, vous êtes propriétaire de bateau alors allez-vous faire foutre. A 18.30 une place sortit d’un chapeau à la marina Tino Rossi que nous rallions à 2000 t/min en chantant « O Katarina Bella Chichi... ».
Marina Tino Rossi
Ajaccio
sera avant tout une escale technique, les batteries, alimentant propulseur et guindeau, ayant décidé de se
faire enterrer dans le caveau des Bonaparte et le pilote automatique de
s’adonner à l’alcoolisme. Le décès des batteries est confirmé par un
électricien-médecin légiste. Le même type de batterie étant introuvable en
Corse un autre modèle est acheté au ship de la marina. Une réparation sans
problème. Pour le pilote, le Captain diagnostique une usure des balais du
moteur électrique entrainant la pompe hydraulique. Miracolo, des balais neufs
sont en stock à bord. Un torticoli et deux crampes aux cuisses plus tard, les
balais sont remplacés et le pilote est sorti avec succès de sa cure de
désintoxication.
Pour
fêter la guérison de Troll l’équipage sirote, sur une terrasse face au port,
une bouteille de Patrimonio blanc en écoutant un groupe jazzy-manouche
excellent.
Cargèse
restera le bon souvenir de la Corse.
Un
port qui mélange harmonieusement pêche et plaisance, une bonne protection et
surtout un accueil chaleureux. Le village domine le port 100 m plus haut. Deux clochers se font face : une église catholique,
face à une église grecque de rite oriental. Au cimetière marin, à mi-pente de
nombreux noms grecs gravés sur les tombes. Mais quelle est cette
histoire ?
Cargèse
Les
Corses les accueillirent à coup de lance-pierre. Peu à peu les relations
s’améliorèrent, les grecs conservèrent leurs traditions orthodoxes et leur rite byzantin grec, totalement
préservé jusqu'à nos jours. Les deux rites latin et orthodoxe coexistent
aujourd’hui et les deux églises se font face.
C’est
ainsi que certains Cargésois jouent à la pétanque en émaillant leur
commentaires de mots grecs.
Cargèse - l'église orthodoxe grecque
Pour rappeler qu’aujourd’hui c’est la république qui prévaut, un feu d’artifice s’envole de la baie, c’est le 14 juillet. L’équipage dine chez Charlotte. Oh la belle bleue, oh la belle rouge.
Après
Cargèse, l’image du Corse, renfermé et agressif avait disparu. L’embellie fut
de courte durée car voici Calvi.
En
été, le port de Calvi est traditionnellement pris d’assaut et une arrivée en
milieu de journée est conseillée enfin, était conseillée. Le Captain prend la
précaution de téléphoner à la Capitainerie : plusieurs tentatives, aucune
réponse. A 20, 15, 10, 5 milles et à l’entrée du port appel en VHF : pas
de réponse. Troll va donc s’amarrer au ponton marqué « Ponton
d’accueil ». Un jeune blanc bec surgit « Qu’est-ce que vous faites
l » « je cherche une place pour deux nuits » « Une nuit
maximum !!! » « OK alors une nuit ! » « Il n’y a
pas de place ! » «Fallait-il réserver ? » « on ne
réserve pas les places » « Mais là devant, il y a au moins 4 ou 5
places libres » « Elles sont réservées ( ???) et de toute façon
vous seriez incapable de rentrer avec votre bateau dans une de ces
places » Bien sûr de lui ce petit con !
Troll
sort du port, prend une bouée en rade car il est même interdit de mouiller.
Bouée à un prix exorbitant. Le racket continu.
Petite
visite de la vieille ville, quelques courses en débarquant en annexe. Le soir
tout s’explique, les gros bateaux de 25 à 50 m ont envahi le port. La mafia
locale les accueille à bras ouverts
Le sud de la France
Deux
rêves se réalisent en même temps : la météo prévoit une journée calme mer
plate et vent nul, et Troll quitte la Corse !
100
milles à courir jusqu’à Cannes. Il est cinq heures. Léger éclaircissement du
ciel vers l’est, Troll largue sa bouée de luxe en or massif et met le cap au
305.
Vers 9.00 un curieux bruit sourd suivi d’une vibration provient du compartiment moteur. Une odeur de brûlé submerge la salle des machines, sans aucune trace de feu. A force de toucher et palper, le Captain découvre un réducteur du moteur tribord brûlant. Arrêt du dit moteur. Troll navigue poussé par le moteur bâbord. La pompe hydraulique alimentant les stabilisateurs étant entrainée par le moteur arrêté, plus de stabilisateurs. Heureusement, la mer est plate. Pendant 11 heures Troll continuera sa course sur un moteur. Au moment de la conception de Troll le choix de deux moteurs a vraiment été le bon !
Vers 9.00 un curieux bruit sourd suivi d’une vibration provient du compartiment moteur. Une odeur de brûlé submerge la salle des machines, sans aucune trace de feu. A force de toucher et palper, le Captain découvre un réducteur du moteur tribord brûlant. Arrêt du dit moteur. Troll navigue poussé par le moteur bâbord. La pompe hydraulique alimentant les stabilisateurs étant entrainée par le moteur arrêté, plus de stabilisateurs. Heureusement, la mer est plate. Pendant 11 heures Troll continuera sa course sur un moteur. Au moment de la conception de Troll le choix de deux moteurs a vraiment été le bon !
Troll
navigue au milieu du sanctuaire PELAGOS
cet espace maritime entre l'Itale, Monaco et la France créé pour la
protection des mammifères marins particulèremeint
nombreux dans ce périmètre en période estivale.
Soudain,
un autre bruit, un souffle bruyant, là, juste à côté du bateau, le dos rond
d’une baleine. Puis, plus loin à une cinquantaine de mètres deux autres cétacés
dont les jets de vapeur d’eau sont très visibles. Et puis, alors que le soleil
finit sa course, à l’approche des îles de Lérins, des dizaines de dauphins
viennent jouer devant l’étrave.
Troll
vient mouiller dans le chenal entre Sainte Marguerite et Saint Honorat, très fier de sa
traversée d’unijambiste.
Au
petit matin, la vidange du réducteur malade révèle une huile noire brûlée par
une surchauffe pour l’instant inexpliquée.
Troll
gagne le vieux port de Cannes. Quel contraste avec Calvi ! Accueil par de
jolies marineras, chignons haut-perchés sourire assorti d’un « Bienvenue à
Cannes ! ». Même accueil chaleureux à la Capitainerie. Mais l’heure
n’est pas à l’attendrissement mais plutôt aux préoccupations techniques. Et
mieux qu’un récit littéraire en voici la chronique :
Mardi 16 juillet :
8.45 à 80 miles de Cannes. Bruit sourd et
vibration
9.00
Odeur de brulé dans le compartiment moteur
10.00
Inverseur moteur tribord extrêmement chaud – Arrêt moteur
18.15
Mouillage aux Iles de Lerins
Mercredi 17 :
8.30
vidange inverseur. Huile noire, brulée
9.30
Téléphone à AMC (Agence Maritime Cannoise) – Coordonnées trouvées dans le Bloc
Marine Méditerranée - pour recherche d’un dépanneur
10.45
Amarrage au vieux port de Cannes
11.00
Mise en contact par Thierry (AMC) avec « Marine Transmission » (MT) à
Mandelieu
12.00
Inverseur trouvé par MT chez le fabricant Newage à Coventry (UK)
15.45
Le Captain emmené par Thierry en scooter à Mandelieu chez MT – Commande ferme
de l’inverseur en Angleterre et paiement
Jeudi 18 :
Standby
Vendredi 19 :
16.00
téléphone à MT . Pas de nouvelles de l’envoi de l’inverseur
Samedi 20 et dimanche 21 :
Standby – Weekend
Lundi 22:
9.15
Intervention MT pour le démontage de l’inverseur malade et de l’échangeur
associé – 2 mécanos à bord.
11.30
Fin démontage inverseur. Echangeur de l’inverseur complètement encrassé par un paquet
d’algues qui se sont frayé un chemin à travers le filtre d’entrée Echangeur bâbord
idem !!! on a eu chaud !
18.00
Arrivée nouvel échangeur de Coventry
Mardi 23 :
14.30
arrivée mécanos MT avec nouvel inverseur
18.00
Fin remontage – tests à Quai – tests en mer.
Mercredi
24 :
9.00
En scooter chez MT avec Thierry. Règlement de la main-d’œuvre
10.00
Fin du premier épisode
Pendant
les périodes de Stand-by l’équipage profite de Cannes, rend visite au Cannet
aux maisons de bonne Maman, la Brise et la Fauvette. De la fenêtre du bus le
captain revit sa jeunesse le long du Bd Carnot, le lycée ou Corinne poursuivait
le bac, l’ancien hôtel de Grande Bretagne et plus haut la Mairie du Cannet. Le
cœur du village complètement rénové a remplacé ses maraîchers et épiceries par des
antiquaires et des galeries. La place du village, boisée de platanes, abrite
aujourd’hui des terrasses offrant la cuisine provençale de rigueur, avec vue sur
la baie de Cannes, vue qui, elle n’a pas changé.
En
fin d’après-midi nous établissons nos quartiers dans un bistro du Suquet. Réussissant
l’exploit de rester en dehors du circuit touristique, les deux frères tôliers grisonnants n’ont pas
envie que ça change. Une belle occasion pour évoquer sous le platane, avec
l’accent fleuri, les souvenirs de la Cannes de l’adolescence. Ce soir-là
immersion culturelle sur le parvis du Suquet. La pied-noire Marthe Villalonga
lit L’Etranger, l’œuvre d’un autre pied noir, Camus.
Et
plus tard, un fantastique feu d’artifice illumine la rade. Assis sur le pont de
Troll au milieu du port, l’équipage se régale. A Cannes un feu d’artifice de
cette classe est tiré chaque semaine !
Donc,
si vous tombez en panne avec votre bateau, choisissez Cannes. Ca pourrait être
pire.
Troll
est guéri et dès demain jeudi remettra le cap à l’ouest. Vioune est à bord,
fraîchement débarquée de son TGV.
Mais
les aventures mécaniques ne sont pas terminées.
En
effet non, Troll ne veut décidément pas quitter la mer, ou, peut-être est-ce
l’inverse ???
Apres
8 jours passés dans le Vieux Port de Cannes au pied du Suquet, affairés à
orchestrer un changement d’inverseur et nettoyage d’échangeurs associés, le cap
est mis sur Porquerolles. Trois heures plus tard nous sommes de retour à la
même place du Vieux–Port, des
températures locales suspectes ayant été
détectées par le captain. Intervention immédiate de Christophe et ses deux
équipiers. Pendant deux jours, tout le système de refroidissement, est démonté,
nettoyé, testé à terre et en mer avec mesures de température de tous les points
importants des circuits des deux moteurs. Impeccable.
Cannes - le vieux port
Donc deux jours plus tard re-départ cette fois définitif vers Sanary, à 70 milles, choisi pour réaliser Cannes-Port-Camargue en deux jours. La météo, se lassant des calmes perpétuels qui nous suivent depuis le sud de la Sardaigne annonce du temps frais d’est suivi d’un mistral en voie de réanimation. Troll décide donc de ne pas traîner.
Au petit matin, à l’heure
où le soleil hésite encore à s’élever de la garigue, Troll sort du port de
Sanary. Cap sur Port-Camargue. Vent est d’est, portant, assorti d’une mer qui
pousse. Mais le vent monte, se stabilise à 25 nœuds (30 dans les rafales) et la
mer se creuse-creuse (estimé à 2-3 m de creux). Changement de stratégie : Troll
décide de raccourcir la route de 50 milles et met le cap le cap sur Port-Saint
Louis du Rhône. L’équipage est ravi d’embouquer le canal Saint-Louis et
d’oublier ces vagues grises et turquoises qui nous poursuivent depuis quelques
heures. L’ancre est mouillée dans le bassin des Tellines en attendant 14.00,
l’ouverture de la Capitainerie. En France, le bœuf miroton de midi c’est
sacré ! « N’arrivez pas avec ce vent entre 12.00 et 14.00 ! La
capitainerie est fermée » avait été la réponse VHF d’un capitaine de port
bourru. Le capitaine bourru était une femme qui fumait peut être un peu trop de
Gauloises mais charmantes. La nuit fut
venteuse et humide : 40 nœuds assortis de trombes d’eau. Troll est
dessalé.
Alain et Marie-Christine,
comme nous, partagent leur année entre la mer à bord de leur « Boréal »
et la terre. Leur Saint-Luc à eux, c’est la Camargue et nous découvrons le
magnifique Mas qu’ils rénovent depuis trente ans. Superbes façades, pigeonnier,
bergerie, cheminées au gabarit des taureaux camarguais, poutraison magnifique,
dallage patiné par les bottes de générations de guardians. Une merveille de
chaleur et de convivialité. Découverte de paysages camarguais sur les traces de
Luc Hoffman le fondateur du VWF, mécène,
acteur de la protection de la nature, qui a transformé les 3000 hectares du domaine de la
Tour du Valat, en un
centre de recherche biologique pour la conservation des zones humides
méditerranéennes. Un ami d’Alain.
La partie maritime s’achève
avec 1927 milles au compteur en 44 jours de navigation sur les trois mois de
mer.
Dans deux jours, nous
franchirons l’écluse pour rejoindre une eau douce et lisse. Deux mois de nord
fluvial pendant lesquels le matin, il n'y aura plus d'analyse de la météo,
agréablement remplacée par un tour en vélo pour approvisionner les
croissants... enfin, c’est ce que l’on imagine encore… Mais ceci est une autre
histoire que nous vous conterons bientôt,
[1]
Les ophthalmoi sont des éléments « décoratifs » courants sur les
proues des anciens navires de guerre grecs, encore souvent utilisés sur les
barques du pourtour méditerranéen pour chasser le mauvais œil.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire