2013: La longue route
2. Fleuves, rivières et canaux
2. Fleuves, rivières et canaux
De
quoi est-il question ? Oh, c’est très simple, il reste à rallier Katwijk
en Hollande en empruntant quelques voies navigables : le Rhône,
la Saône,
le canal entre Champagne et Bourgogne, le canal latéral à la Marne, le canal
de l’Aisne à la Marne, le canal latéral à l’Aisne, l’Aisne, le canal
latéral à l’Oise, le canal du Nord, le canal de la
Sensée,
l’Escaut,
la mer en Zeelande, et la Meuse. Bon je vous laisse
car la route va être longue. Alors attachez vos ceintures, on y va !
Le Rhône
Après
trois mois de mer, s’achève avec juillet, la phase salée de
notre périple. Une écluse, au modeste dénivelé de un mètre, se cache derrière
un pont levis bleu roi dans un coin du port Saint-Louis. Vite trouvée, vite
passée, Troll vogue sur un Rhône majestueux, « le chemin qui
marche » des Amérindiens.
Le
cap est mis sur Avignon à 80 km au nord. 80 km agrémentés d’un passage triomphal à Arles où,
rive gauche, Eric, Florence, Arthur, Jules et Antoine pédalent sur la berge aux
côtés de Troll qui lutte contre le courant musclé arlésien et que, rive
droite, sur l’autre berge, Marie-Christine agite les bras tandis qu’Alain,
court pour immortaliser ce passage historique. Oui, ce fut un vrai
triomphe !
La traversée d'Arles
Ce fut
ensuite, l’ascenseur de Beaucaire, la première écluse. 15m de montée en douceur
sous la bienveillance de bollards flottants.
Amarré
aux pieds de la vieille ville d’Avignon, au quai de la Ligne, à une
encablure du pont Saint-Bénézet, celui où l’on danse, l’équipage
Au quai de la Ligne
Pont Saint-Bénézet
profite de la dernière soirée du Festival qui ne veut pas finir : théâtre,
poésie, musique, chanson continuent d’envahir les rues. Les acteurs des
spectacles « OFF » racolent en jouant des séquences alléchantes de
leur future prestation de la soirée. L’équipage se laisse séduire par la
« Compagnie des passeurs » qui interprète une pièce burlesque de
Shakespeare, « Les deux Gentilshommes de Vérone ». Au cœur de la
vieille ville, dans la
Cour du Barouf, un lieu convivial, où tout est provisoire, la scène, les
gradins, mais pas le souvenir d'un
théâtre populaire de qualité. Place du Palais, au pied des marches, une
trentaine de musiciens, fanfare colorée, bigarrée, aux costumes excentriques,
enchaînent les tubes du « Grand orchestre du Splendid ». Un spectacle
qui pousse à rire les plus moroses. Devant nous s’époumone la fanfare de la
faculté de médecine de Reims. Une bande de carabins et carabines en plein
défoulement. Au premier rang, assis sur les pavés, une brochette de Japonais
hilares.
Les carabins de Reims
Vioune saute dans son TGV, tandis que Troll continue
sa quête du nord, cette fois «en escadre», avec Alibi. Les routes des deux bateaux se croisent et se
recroisent depuis le golfe de Corinthe.
Au
fil des écluses, la technique des mariniers en herbe s’affine.
La
troisième, Bollène, constitue le record de dénivelé le long du Rhône, un
ascenseur de 23 m. Au fond de la fosse de 200x12m, aux côtés d’Alibi et du gros
Frelon, Troll se sent tout petit et se remémore les écluses du Main-Donau Kanal
passées il y a 6 ans.
Dans l'écluse de Bollène
Dans
le sillage du Frelon, la grosse péniche rouge, les châteaux rhodaniens défilent
le long des rives, les cigales couvrent le bruit des moteurs. La végétation
basse du sud fait place à des feuillus plus élancés. 80 km et 3 écluses plus
tard, les premiers peupliers apparaissent et c’est Viviers, la capitale du
Vivarais,
au cœur de l’Ardèche. A Viviers se rejoignent les deux branches du
"vieux Rhône" et du bras canalisé, formant un vaste plan d'eau, un
des attraits de la ville. Un port de plaisance, équipé de pontons flottants se
présente, un aimable plaisancier britannique nous prend les amarres tout en
nous mentionnant un concert de musique baroque, orgue et instruments à vent,
prévu le soir même en la cathédrale, dans ce bâtiment exceptionnel du 12ème
siècle dont la taille énorme est bien disproportionnée au milieu de la ville
ancienne. Les paroissiens du Vivarais devaient être bien riches et bien
généreux. Ces investisseurs à la large bourse négligèrent malheureusement les rubriques sono et acoustique et le
résultat est désastreux : un
concert inaudible malgré la qualité des artistes qui s’époumonent à la
trompette, clarinette ou flûte traversière dont les notes se perdent, se
dissolvent entre la nef romane, et le choeur flamboyant.
A Viviers
Viviers
Chez Noël Albert
A
l’autre extrémité de la place, une autre belle bâtisse du 13ème
siècle, ancienne mairie de la ville, racheté par un gourou désireux d’en faire
son fief sectaire, tombe hélas aujourd’hui tranquillement en ruine, cet autre
sieur, celui-ci truand du 20ème siècle, dort en prison, sans
perspective de décapitation. Une place de Viviers haute en couleur.
Un
troisième truand, sur une autre place, dispense quant à lui, ses
apéritifs-tapas à des prix exorbitants.
Le
soir sur le quai deux bistros-guinguettes offrent au choix Rock-and-Roll
+moules frites pour l’un et chansons des années 70 + merguez pour l’autre.
Ambiance musette garantie. On danse, ou plutôt on guinche. Les ampoules rouges
donnent un joli teint aux dames.
En amont, sur le bras ouest du Rhône, se trouve le
port des Ciments Lafarge ; sur le bras est (canal), l'écluse de Châteauneuf-du-Rhône
et le barrage hydroélectrique Raymond Poincaré, au niveau duquel les bateaux
passeront une écluse.
Guy et Nanou, les amis d’Alibi prolongent d’un troisième jour leur séjour à Viviers, l’escadre se disloque. Pour Troll, c’est un jour de chance : à la sortie du mini-port de Viviers il s’accroche aux basques d’un pousseur qui s’essouffle derrière sa barge. Les quatre écluses du jour seront passées de concert, et les attentes réduites au minimum. La technique d’amarrage touche presqu’au professionnalisme et devient de tout repos: un nœud de chaise au bout des deux amarres passé sur le bollard flottant au milieu du bateau. Les deux amarres ramenées et frappées sur les taquets avant et arrière.
Guy et Nanou, les amis d’Alibi prolongent d’un troisième jour leur séjour à Viviers, l’escadre se disloque. Pour Troll, c’est un jour de chance : à la sortie du mini-port de Viviers il s’accroche aux basques d’un pousseur qui s’essouffle derrière sa barge. Les quatre écluses du jour seront passées de concert, et les attentes réduites au minimum. La technique d’amarrage touche presqu’au professionnalisme et devient de tout repos: un nœud de chaise au bout des deux amarres passé sur le bollard flottant au milieu du bateau. Les deux amarres ramenées et frappées sur les taquets avant et arrière.
Sur les berges de plus en
plus de saules et de peupliers, des hérons cendrés, quelques grands cormorans,
tandis que quelques cyclistes courageux, sur le chemin de halage aménagé,
régatent avec Troll. Au loin se profilent les Préalpes et quelques sapins,
tandis que dans le sillage s’estompe la Provence Serait-ce déjà Noël ?
Troll glisse lentement, tout lentement à 10 km/h. C’est Bourg-les Valences, la
dernière écluse de la journée, Troll monte, monte les 13 m, les têtes du
Captain et de son second émergent au ras du quai, accueillies par une
ravissante blonde. « C’est ici le Paradis ?» demande le Captain. Non,
la jolie demoiselle distribue la notice VNF « Comment se comporter dans
une écluse ». Un libellé en rien
paradisiaque. Un travail pour étudiant(e) en vacances.
Deux
km en amont, au départ du canal de dérivation de l’écluse se profile le ponton
de La Roche
de Glun, et Troll se dit « On va me jeter dehors avec
mon surpoids ». Et bien non, l’accueil du « Club de Voile » fut
chaleureux. Le Président, maintint la buvette ouverte pour nous laisser siroter
une bière, et nous conta l’histoire du club, des propriétaires de dériveurs et
de leurs régates et du passage pour certains au « gros » habitable
(environ 5 mètres). Pendant ce temps Troll se montrait très, très discret.
Amarré à son ponton qui lui susurrait dans l’oreille : « ne tire pas
trop fort ».
A
la première écluse du jour, celle de Gervans, l’éclusier se montre très courtois,
hisse Troll avec doigté et tact, vannes à petite ouverture. L’écluse proteste,
grince, miaule. Les bollards flottants réclament un bon graissage. Un petit air
des peintures mécaniques d’Alec Stephani.
Un
bassin encombré de bois flottés, le Rhône déglutit ses dernières crues.
Au-dessus
de l’arborescence feuillue, quelques vignes, quelques cépages de viogner
annoncent le fameux blanc de Condrieu, vignobles parsemés de villages qui « distillent »
l’ennui.
Dans
un ancien méandre du fleuve, sur la rive gauche, Troll vient s’amarrer à la digue
extérieure du port de la petite ville des Roches, qui fait face à sa voisine,
Condrieu, et aux fameux vignobles accrochés aux contreforts de la montagne du
Pilat. Le Capitaine du port est sur la digue, frappe les amarres connecte
l’électricité. Quel accueil ! Mais c’est dimanche. Volets baissés,
restaurants fermés, le capitaine et son second se rabattent sur une pizza
commandée à « l’Escale ». Donc pas de gueuleton arrosé d’un Condrieu
de derrière les fagots mais une pizza, très bonne il est vrai, arrosée d’un vin
provençal.
Le
Captain se remémore les temps lointains de l’installation du SPS l’accélérateur
cernois des années 70 où les nx7km de tuyauteries en inox avaient été réalisés
par… « La Chaudronnerie Des Roches », à deux pas du port.
Lyon
Au
petit jour, un castor vient inspecter la coque de Troll, se disant que, faute
de dauphins, il faut quand même faire bonne figure et montrer que d’autres mammifères
aquatiques sont dignes d’intérêt.
La
lente remontée du fleuve se poursuit. Châteaux sur la rive droite, usines sur
la rive gauche ou l’inverse. Malgré les réglementations industrielles, les eaux
sont bien sales. La ville de Vienne est traversée. Les embouteillages de
l’autoroute du soleil, où s’empilent Lyonnais et Parisiens en quête de chaleur
et de plages, ne font pas vraiment envie. Paisiblement le pousseur Marie Galante déhale le Passaat et nous ouvre
la voie. Pierre Bénite, pour nous la dernière écluse du Rhône, se referme sur
Troll, 12m d’ascension et l’entrée de Lyon se découvre. Encore quatre
kilomètres et arrive la Confluence où les eaux de la Saône se fondent dans
celles du Rhône. Troll embouque la Saône. Les 14 grosses écluses rhodaniennes
passées depuis Port-Saint-Louis sont derrière nous, le Rhône est vaincu! Les
mariniers en herbes se décernent le titre de baron et baronne de l’écluse.
Champagne ! Troll embouque l’entrée du Port de la Confluence, la toute
nouvelle marina au cœur du nouveau quartier ultramoderne lyonnais.
Le futur musée de la Confluence
Quartier de la confluence
Lyon Confluence,
un énorme projet urbanistique, un des plus importants en Europe aujourd’hui.
Lancé en 1995 par Raymond Barre, alors maire de Lyon, ce gigantesque projet
vise à transformer ces 150 hectares d’activités
industrielles et de transport, peu adaptés à un centre-ville, et en plus, en
voie d’abandon, en un quartier intégrant logements, activités, commerces, équipements administratifs, culturels,
de loisirs.
Encore en plein développement ces structures
d’architecture moderne ne laissent pas indifférent. Les architectes se sont
vraiment défoulés. Grandiose et futuriste. On aime.
Le lendemain l’équipage
change de bateau et emprunte le Vaporetto, une navette fluviale de 20 mètres,
genre yacht nouvelle Angleterre des années 50, qui assure la liaison entre le
port de la Confluence et le centre de Lyon, un Vaporetto nettement plus
agréable que le Tram. Sol en tek, plats
bords et entourage des fenêtres en acajou massif, hôtesses en uniforme,
capitaine galonné, très grande classe. Les rives saônoises défilent derrière un rideau de pluie dense,
compact. Les derniers 100 mètres sont parcourus à pied en sautant de porche en
porche ce qui ne fait que retarder notre lente transformation en deux éponges
imbibées.
Port de la confluence - le Vaporetto
Des
deux côtés de la rue des Marronniers,
une petite rue piétonne et pavée, s’alignent les bouchons, ces fameux bistros
lyonnais. Dénommée ainsi en 1723, les arbres ont aujourd’hui disparu. Roger
Planchon, directeur de théâtre, metteur en scène héritier de Jean Vilar, y avait installé en 1952,
crée le Théâtre de la Comédie au numéro 3bis, dans un ancien atelier de
serrurerie.
Nous
nous mettons à sécher et nous réchauffons avec un bon repas Lyonnais. Trempés,
transis, nous ne verrons pas le musée Gadagne chaudement recommandé par
Mireille mais regagnons le bord pour nous sécher « au coin du feu ».
En
remontant la Saône
Montmerle
est atteint après 50km, 6 heures et une écluse. Troll s’amarre à un ponton
flottant bien entretenu. Une pancarte indique « Longueur maximum 15
m ». En fin de journée, le capitaine du port passe récolter les droits de
port « Puis-je vous poser une question ? Votre bateau mesure-t-il
plus de 10m ? » « Juste un tout petit peu ! »
« C’est bien ce qu’il me semblait. Bienvenue à Montmerle ! »
Un
amarrage sympathique au pied de la place
du village à deux pas des commerces. Idéal.
Montmerle
La
Bourgogne n’est pas très loin dans le sillage. Dans la rue principale, un
caviste, une bonne occasion pour réapprovisionner le bord dont la cave affiche
« étale de basse mer ».
La
Saône, c’est un autre monde. Après le Rhône vigoureux et industrieux, voici la
douceur de vivre, les eaux scintillantes, une nature préservée, des rives
bucoliques, que survolent des oiseaux des marais, un voyage calme et serein.
Jusqu’à Saint-Jean-de–Losnes, Troll naviguera sur la « Grande Saône »,
la section à grand gabarit de la Saône.
Et puis, nous arrivons à Mâcon et nous nous amarrons au ponton municipal avec l’aide d’un
gentil plaisancier tremblotant, pas jeune du tout, qui venait de terminer
l’amarrage de son minuscule voilier. Seul à bord, en provenance de Rouen, il s’apprête
à refaire route vers son port d’attache. Troll vient de s’amarrer au pied de la
« Scène sur l’eau » et ne le sait pas encore. C’est à deux pas du
pont Saint-Laurent, le haut lieu des spectacles mâconnais. La répétition du
concert de la soirée se met en place, les puissants baffles commencent à
s’échauffer et à éructer des rythmes violents. La ville en émoi attend
parait-il Axel Bauer, un Bernard Lavilliers rajeuni de 15 ans qui ne fait pas
partie de notre bagage musicologique. En
attendant l’apocalypse, nous humons l’air du vieux Macon, saluons au passage
Lamartine natif de la ville et, « O temps suspends ton vol », fuyant
un avenir assourdissant, appareillons vers la quiétude verdoyante du port de
plaisance de Macon. La nuit sera paisible.
Le pont Saint-Laurent
Berges de la Saône
La marina de Mâcon
En route pour Tournus
(prononcer Tournu pour éviter de passer pour un Parisien) Troll se fait doubler
par toute une flottille de mini-aéroglisseurs. C’est le
« Raid » organisé chaque année par RHÔNE ALPES MOTONAUTIQUE cette année c’est le 24ème. En ce
samedi 10 août, c’est leur 7ème et dernière étape 143 km de Crêches-sur-Saône à
St Jean de Losne. Troll
s’en prend à rêver et on l’entend murmurer « Quand je pense qu’ils font
des pointes à 100 km/h… »
Des
engins de rêve pour ingénieur en mécanique à la retraite. Barbus, hirsutes, grisonnants
ces soixantenaires testent leurs créations.
A
Tournus les places d’amarrage sont rares, car le quai municipal est squatté par
les sociétés de location. Premier essai d’amarrage derrière un gros bateau
hollandais. La place est un petit peu juste et personne sur le quai pour
prendre les amarres. Le Hollandais ne lèvera le nez de son journal que lorsque
le balcon de Troll jouera à la main chaude avec le balcon arrière du batave. Troll
finit à couple d’un bateau de retraités parisiens en route pour Roanne leur objectif
pour l’hivernage.
Ruelles
pittoresques, maisons aux façades colorées, toits plats couverts de tuiles
rondes, au cœur de la Bourgogne, Tournus garde un petit air méditerranéen. La réputation gastronomique internationale, de
Tournus pousse l’équipage, fraîchement renforcé par l’arrivée de Günther et
Ingrid, à vérifier cette réputation. C’est Jean-Michel Carrette le chef du
restaurant « Aux Terrasses », qui se chargera ce soir-là de la
vérification.
Au
petit jour, une brume blanche, épaisse s’échappe de la Saône gommant les rives.
Un bateau de passagers, tout radar tournant, s’évanouit happé par l’humidité.
Troll se lance à tâtons sur l’eau lisse guidé par des amers-peupliers voilés.
Les vignobles bourguignons attendent patiemment pour se dévoiler que Phébus avale cette vapeur matinale. La Bourgogne
s’éveille, le voile se déchire. Grues et hérons cendrés, aigrettes, hérons
bihoreau se régalent de leur petit déjeuner poissonneux. Quelques bipèdes
matinaux s’affairent autour de leurs maisons si typiquement bourguignonnes,
toits à quatre pans, hautes façades percées de fenêtres élancées, cheminées
immenses et symétriquement disposées.
Départ ouaté
Au km 156, juste après le pont de Bragny, Troll embouque le Doubs et 800 mètres en amont, découvre le joli village de Verdun-sur-le-Doubs, construit à la rencontre des trois rivières, la Saône, le Doubs et la Dheune. Sur le ponton, le capitaine du port observe Troll, hésite et finalement nous fait signe de venir en marche arrière cul, au ponton, le long d’une pénichette battant pavillon helvétique. Pas de pendille ? s’étonne le Captain. Je mouille ? Non pas nécessaire indique le responsable, l’amarrage arrière au ponton suffit. Par une sorte de miracle de l’hydraulique, aucun bateau n’est tenu à la proue, en équilibre magique entre le ponton sur son arrière et le courant transverse du Doubs, très faible il est vrai. Les deux helvètes trouvent quand même plus prudent de frapper une amarre entre leurs deux bateaux. Les Suisses sont hyper-prudents c’est bien connu.
Verdun-sur-le-Doubs
Le Pont Saint-Jean
La Pôchouse
Renoir?
Troll
reprend sa route nord avec en point de mire Saint-Jean-de-Losne une
étape clé pour la suite du voyage. Une eau vert-mousse, des vaches dont le
blanc charolais se tache maintenant de brun, des champs de maïs qui remplacent
les vignes, des cygnes, sans doute en pleine mutation, se déplacent gauchement
dans les champs, une technique alimentaire tellement plus simple que
plonger la tête et le cou dans les eaux
limoneuses pour attraper quelques fades herbes aquatiques. Deux écluses
prestement « montées », Troll laisse à bâbord la première écluse Freycinet
du canal de Bourgogne, la dédaigne et s’engage sous un pont de pierre, l’entrée du port de Saint-Jean-de-Losne.
Au carrefour de trois grandes voies fluviales, la Saône, vers
le Rhône et la Méditerranée, le canal de Bourgogne, vers la Seine et le bassin
parisien, le canal Rhin-Rhône, vers le Rhin et l'Europe du nord et de l'est, Saint-Jean-de-Losne
est aujourd'hui le premier port français de tourisme fluvial. Un bon choix pour
équiper Troll qui tremble déjà au seul nom de Freycinet. Le pont franchi, Troll
vient s’amarrer au ponton d’accueil des Etablissements Blanquart qui,
disent-ils, approvisionnent les plaisanciers, les mariniers et les pêcheurs
depuis 1976.
Sitôt amarré, le Captain commence son enquête destinée à la réalisation d’une protection
optimale avant d’attaquer les quelques 150 écluses Freycinet. Mais quel est le
problème me direz-vous ? Quelques explications s’imposent. Lors de la
conception de Troll, la traversée de la France par les canaux avaient été pris
en compte dans la définition des dimensions hors tout. Au tout début de la
spécification technique de 2005 on pouvait lire :
Saint Jean de Losne
Marina Blanquart à Saint Jean de Losne
“Troll is a trawler type motor boat of traditional look,
capable of ocean crossing with a
draft/clearance combination to navigate as well in the Bahamas as on the French
canals. “
En
une phrase tout était dit. Pour la
traversée océanique et la navigation aux Bahamas on ne peut “encore”rien dire mais pour les canaux français on est en plein dedans.
Première écluse du canal de Bourgogne
Ici, trois paramètres s’imposaient ; les écluses Freycinet longueur :
38,50 m, largeur : 5.20m, un dragage des canaux assuré au minimum à 1.8m
et le passage sous les ponts limité à 3.5 m. C’est ainsi que les dimensions
principales retenues pour Troll furent : largeur : 4.90 m, Tirant
d’eau : 1.35 m et tirant d’air 3.40m. Donc où est le problème me direz-vous ?
Si les tirants d’eau et d’air ne posent pas de problèmes particuliers, la
largeur, en revanche est beaucoup plus problématique. Il faut en effet protéger
la coque de raclements intempestifs le long des murs des écluses et si on
calcule bien : 5.2 – 4.90 = 0.30 m. soit 15 cm de chaque côté. Les pare-battages
en caoutchouc dur, appelés glissières et
utilisées par les mariniers professionnels mesurent 10 cm d’épaisseur.
Donc, avec une glissière de chaque côté, il reste 5 cm de jeu sur chaque bord
pour rentrer dans les écluses. Le Captain n’a qu’à bien viser et, après tout,
c’est lui qui a fixé ces paramètres. A lui de se débrouiller. Jusque-là tout va
bien ou presque. Une difficulté supplémentaire avait été soulevée par Marc le
capitaine de Conrad : le remplissage à ras-bord des écluses qui empêche l’utilisation
de pare-battages classiques qui flottent et passent allègrement sur le quai
laissant la coque sans protection. La solution vint aussi de ces glissières qui
ont la particularité de flotter à mi-eau, protégeant ainsi la flottaison. Et
c’est avec toutes ces élucubrations en tête que le Captain se dirige vers le
magasin d’accastillage des Ets Blanquart.
La compétente et souriante Laure prend
les choses en main. Après quelques concertations avec Guy, le plan d’attaque
est mis sur pied. Les glissières sont approvisionnées et munies de leurs bouts
épissés. Dès le lendemain, les deux palefreniers Gunther et Gérard s’affairèrent
et ainsi Troll se revêtit d’un caparaçon digne du cheval de Godefroy de Bouillon, sous les murs de Jérusalem lors de la première croisade,
ou, plus récemment des chevaux des picadors. On entendit Troll murmurer « le
Captain exagère un peu », opinion partagée par toute l’équipe de Blanquart
qui en rigole encore. Guy et Romuald viennent inspecter le travail et
approuvent. Romuald lance alors au Captain « Etes-vous Gérard Bachy ?».
Le Captain est un peu interloqué. « Je suis un fidèle lecteur de votre blog
que je lis régulièrement avec plaisir. » Ah que c’est bon la gloire
littéraire !
Ainsi harnaché Troll, se vit en plus raplatir par une descente du mat à l’horizontale ramenant le tirant d’air à 3.4m. Troll est maintenant en configuration minimale et clame « A nous deux Monsieur de Freycinet ».
En route pour Pontallier sur une Saône qui devient plus étroite, plus sauvage. Les pêcheurs en tenue camouflée, style Stallone dans la jungle vietnamienne, alignent leur matériel super high-tech, quelquefois 6 cannes en parallèle des plus courtes aux plus longues. Les brochets carnassiers, la tanche fouilleuse ou le gardon n’ont qu’à bien se tenir.
Pontailler
Pontailler se situe aux confluents de la Saône, de l’Albane, de la Bèze, de la Vingeanne et de l’Ognon, et surtout du canal de la Marne à la Saône qui nous attend dès demain avec ses 224km et 114 écluses, 43 à la montée, 71 à la descente. Un long quai de pierre, ancien port de péniches, mais pas de place libre. Une péniche type Freycinet, la résidence principale d’une petite famille dijonnaise, accueille Troll à couple. Le propriétaire-skipper a passé son permis péniche l’année dernière et fait ses premières sorties en vacances. Devant Troll, un bateau Irlandais vert assorti. «Are you heading for the Saône-Marne canal » « No ! We did it last year : too many locks, not enough bars ! » Incontestablement des connaisseurs. Deux heures plus tard, la péniche appareille et Troll prend sa place à quai. Hélas. Hélas, car le lendemain matin, lors de l’appareillage Troll touchera avec son safran et son hélice bâbord, le quai ou un rocher isolé. Un bruit sourd. Pas de dégât apparent.
Le Canal entre Champagne et Bourgogne
Une dernière écluse sur la Saône, Heuillet, virage à 90 degrés sur bâbord et Troll embouque le Canal entre Champagne et Bourgogne aussi nommé canal de la Saône à la Marne. Le contraste est saisissant. Nous sommes immédiatement frappés par l’étroitesse de la voie d’eau, l’aspect « marre » des eaux chargées de végétation, l’enfermement végétal.
A la première écluse, « Chemin de Fer », un fonctionnaire des VNF remet une boite de télécommande qui permet de déclencher le cycle de l’écluse : ouverture et fermeture des portes, bassinage. La valse des écluses Freycinet commence : Après Chemin de fer ce seront Maxilly, St-Sauveur, Cheuge, Renève, Oisilly, Rochette, Blagny. Et de 7. Plus que 107 ! Avec l’automatisation des écluses disparurent les éclusiers et leurs petites maisons typiques, standards, qui sont aujourd’hui occupées par des habitants sans grands moyens ou plus rarement transformées en résidences secondaire. Devant l’une d’entre elles, un barbecue entre amis bat son plein ça sent bon la merguez. « Vous avez une bien belle péniche ! Où allez-vous ? » « En Hollande » « Hollala mais c’est loin ! » « Tu vois que c’est le drapeau hollandais » lance un autre en pointant la croix blanche sur fond rouge. Les 4 mariniers, faux bataves, affinent peu à peu leur technique éclusienne. Survient l’arrêt du soir. Un bout de quai sans nom, au milieu de nulle part au pk 206. Le fameux arrêt du pk 206, sans doute célèbre par ses muriers qui constitueront le dessert du dîner d’anniversaire de Catherine…
Le Captain découvre pour la première fois l’état des filtres d’entrée de l’eau de refroidissement des moteurs. De quoi faire une salade mêlée pour 6 personnes. Il ne manque que la vinaigrette.
Une journée de navigation entre deux rives plantées de feuillus denses masquant complètement la région.
La nourriture des cygnes dans les filtres!
Treize écluses plus tard et 25 km plus tard, Troll vient s’amarrer à la halte nautique de Cusey, très bien aménagée, qui offre bornes électriques, eau et tables pour pic-nic sans oublier une caravane-pizzeria pour varier l’ordinaire.
Halte nautique de Cusey
Sans commentaire
Allons, positivons, maintenons le moral de l’équipage : Troll traverse des paysages de charme à la nature préservée…
Ou, si on lit la plaquette éditée par la région :
« En pleine nature, ce canal permet à chacun de profiter d’un calme absolu, de se détendre en se laissant doucement aller au fil de l’eau. Ouvrez l’œil et vous apercevrez une multitude d’oiseaux, tels que le héron cendré ou encore la mésange bleue. Dans sa partie méridionale, le canal est bordé de magnifiques châteaux. (Talmay, Fontaine) »
Oui mais les châteaux sont cachés derrière les épaisses frondaisons et au 67ème héron cendré on crie « Y a pas aut’chos’ ».
Ce matin-là l’équipage se réduit soudain de moitié, les amis Ingrid et Günther sautent dans un taxi venu de Langres (arrêtez de rêver, il n’y a pas de station de taxis à Cusey), qui va les mener à la gare de Dijon.
La configuration de l’équipage de Troll est maintenant classique des péniches Freycinet : un marinier et sa marinière. Le marinier engage la péniche dans l’écluse guidé par la marinière debout à la proue agitant les bras comme les apponteurs sur les portes avions il y a bien des années. Le marinier arrête la péniche-Troll. Une amarre est frappée à l’avant par la marinière, une autre à l’arrière par le marinier. La tringle de bassinage est activée. Les portes se ferment, le bassinage commence. Les amarres sont reprises ou mollies. Une sonnette retentit, c’est fini. Les portes s’ouvrent, les amarres sont larguées, la marinière reprend son poste à l’avant et guide le marinier. Troll sort de l’écluse en avant lente, met les gaz en direction de la prochaine écluse à … 1 km.
A Villegusien Troll trouve un bout de quai face à une unité agricole abandonnée, fenêtres brisées. Nous enfourchons nos vélos rapidement dépliés pour aller découvrir le lac de Villegusien, seul réservoir à alimenter le versant Saône du canal. Si Troll a de l’eau c’est grâce à ce lac. Ça vaut bien une visite. Sur le plan d’eau des planches à voile tirent des bords.
Villegusien
Troll n’est qu’à 12 km au sud de
Langres, et pourtant si loin. Dix écluses de 5.5m de dénivelés et un tunnel de
4820m nous en sépare. Dix écluses en montée, équipées d’échelles argileuses et
glissantes à escalader pour aller frapper les amarres. La marinière se
spécialise dans le grimper d’échelle, récupère les amarres en bout de gaffe,
déclenche la bassinée avec la barre bleue magique et redescend le long de
l’échelle glissante. Une dixième écluse et le canal se transforme en un tunnel,
le tunnel de Balesmes. Troll est en marche avant lente, file à 4km/h. La
marinière, à l’avant surveille à bâbord les 10 cm de jeu entre la coque et le passage
piéton, à tribord, restent 5cm entre le mur et le feu de navigation, qui, s'il
n'avait pas déjà été vert, le serait devenu. Ces 4800 m paraissent bien longs, 1
heure et 15 minutes de très grande concentration. Troll devenu alpiniste vogue
sur le plateau de Langres à 340m d’altitude.
Halte nautique de Langres
La
progression est lente, lente. Si sur la Saône et le Rhône nous naviguions sur
un réseau d’artères, nous en sommes au niveau des artérioles et sur le
point de passer sur le réseau des
capillaires. L’arrivée à la base nautique de Langres, entre Moulin
rouge et Moulin chapeau est le délassement bienvenu, impatiemment attendu. Il
nous semble entendre Diderot nous souhaiter la bienvenue mais ce n’est pas sûr,
peut-être est-ce la fatigue.
De
montants, nous voici avalants. Ça se fête. Un restaurant près d’un lac à portée
de vélo pliable paraît une bonne idée. « Allo, bonjour, j’aimerais
réserver une table pour deux, ce soir vers 19.30 » « Pas de problème.
A quel nom ? » « Bachy ! » »Bachy ?
Etes-vous parent avec Jean-Paul Bachy, notre Président de Région ? »
« C’est un lointain cousin » « Nous vous attendons, vous êtes
les bienvenus ». Et voilà. Encore un truc du genre Ajaccio
« Bacci ? Alors tu peux venir ! ». L’accès était campagnard,
le long du canal sur des chemins terreux. A la fin du dîner, le retour sur deux
roues paraissait hasardeux. Un coup de téléphone et Angélique, la taxi-woman de
service, nous ramène à bord sans oublier les vélos pliés au fond du coffre.
Angélique viendra nous chercher le lendemain pour nous conduire tout là-haut
sur le plateau, chez Diderot, au cœur de la cité de Langres. Audiophones,
récupérés à l’office du tourisme, collés à l’oreille, les deux bateliers
parcourent la ville cernée de remparts, qui surplombe le
canal et la vallée de la Marne, le
plateau de Langres, ses haies et ses
coteaux boisés.
Dans le dédale de ruelles et, au détour de passages couverts, on se laisse conter à l’oreille l’histoire de la cité, la gallo-romaine, la médiévale, la Renaissance, et ses élégants hôtels particuliers, des riches familles langroises.
Dans le dédale de ruelles et, au détour de passages couverts, on se laisse conter à l’oreille l’histoire de la cité, la gallo-romaine, la médiévale, la Renaissance, et ses élégants hôtels particuliers, des riches familles langroises.
Langres
Place ... Diderot
Au milieu de la place un Diderot de bronze, œuvre d’Auguste Bartholdi (oui, celui de la statue de la liberté à NY) regarde son collège.
Au milieu de la place un Diderot de bronze, œuvre d’Auguste Bartholdi (oui, celui de la statue de la liberté à NY) regarde son collège.
Plus loin
au musée d’Art et d’Histoire le conservateur nous montre « confidentiellement »
dans une pièce à part un exemplaire de l’édition originale de l’Encyclopédie. On
y apprend que plus de 150 gros calibres de l’époque ont participé à
l’élaboration de cet ouvrage monumental, 17 volumes et 11 volumes de
planches, sous la Direction du tandem Diderot-D’Alembert. Et parmi les amis
encyclopédistes, on compta des génies comme Voltaire, mais aussi des personnages tout à
fait falots. Diderot disait même: « Parmi quelques hommes excellents,
il y en eut de faibles, de médiocres et de tout à fait mauvais. De là cette
bigarrure dans l’ouvrage où l’on trouve une ébauche d’écolier, à côté d’un
morceau de maître. »
L'Encyclopédie
Gavés
d’Histoire, les mariniers regagnent le bord en achetant au passage l’inévitable
fromage de Langres, un genre époisses en plus doux, et creusé en son sommet d’une cuvette où les
amateurs éclairés versent un peu de marc de Bourgogne.
Une
rude journée en perspective : 10km et 7 écluses en 3 heures et demi, pas
de quoi perdre son chapeau. L’objectif : Rolampont. Si vous ne
connaissez pas, ce n’est pas grave. Mais grande nouveauté, si l’on peut dire,
les écluses n’ont pas encore été automatisées, le bon temps des manivelles est
revenu. Les VNF, prévenus par le Captain de notre passage nous met à
disposition Aurélien, un sympathique étudiant en vacances, qui nous suit
jusqu’à Rolampont sur son vélomoteur, ouvrant portes et vannes… à la manivelle,
sans oublier un pont tournant bien rouillé. Dans l’écluse de Rolampont, le
compte-tour du moteur tribord tombe à zéro. Arrêt moteur ? Saletés dans le
fuel ? Non, le moteur tourne. Donc, le problème, c’est l’alternateur.
Aurélien téléphone depuis la baraque attenante à l’écluse au PC des VNF pour
obtenir une adresse de dépanneur. L’agence Renault de Rolampont est retenue.
Troll, sort de l’écluse et vient 200 m en aval s’amarrer à couple d’une péniche
britannique, Odin. Troll amarré à Odin, ça ne s’invente pas.
A Rolampont, Troll harnaché pour la croisade
Rolampont - la tuffière
Alternateur
neuf remonté, Troll appareille avec son nouveau copain Odin. La valse des
écluses manuelles continue avec cette fois Anthony aux manettes. Anthony
termine un master en Physique-Chimie à Nancy et commencera sa thèse de doctorat
en 2014. La prochaine fois, nous exigerons des VNF une formation minimale des
éclusiers d’un niveau doctorat es-sciences. Ce sera une rude journée, 15
écluses, jusqu’à Chaumont où les bateliers arrivent fourbus. Deux plaisanciers
déplacent gentiment leurs bateaux pour faire un peu de place à gros Troll. Bien
amarré, cadre agréable, l’équipage se laisse aller au farniente. La visite de
Chaumont, ce sera dans une autre vie.
Tunnel de Conde
Du côté de chez Froncles
Arbres
à gauche, arbres à droite, la longue marche continue. Soudain, un trou dans la
dense végétation offrant furtivement un coup d’œil sur les champs dorés
fraîchement moissonnés. De loin en loin un héron s’envole, plus rarement un
joli martin-pêcheur turquoise et jaune. Quelques pêcheurs en phase hypnotique,
l’œil rivé sur leur bouchon désespérément immobile, des cyclistes qui nous
doublent sans effort, libres de toute écluse.
Après
6 heures et demi, 11 écluses, 3 ponts tournants et 25 km, à la sortie de
l’écluse de Bruxière, un pont, suivi d’une courbe, et, oh surprise, se découvre
la halte nautique de Froncles dans un très joli cadre,
remplie de bateaux de plaisance. Pas une seule place. Deux plaisanciers
s’engueulent pour un problème d’amarres mal frappées. Tous les plaisanciers du
canal ont dû se donner rendez-vous à Froncles.
Du pont de son joli bateau de
rivière, un sympathique skipper, nous hèle
et indique que 50 m plus loin se trouve un ponton, celui des VNF, libre et bien
adapté à Troll. Deux fonctionnaires des VNF nous prennent les amarres. Face à
l’écluse de Froncles, l’endroit est superbe. En fin de journée les
« VNF » viennent nous annoncer l’improbable, l'aléatoire, l'hypothétique, l'incertain, l'invraisemblable évènement. Une péniche, qu’il faut appeler un « commerce » pour faire
pro, est annoncée pour le lendemain. Heure de passage à Froncles aux environs
de midi. C’est « Cindy » dit un VNF avec l’air préoccupé. « Cindy »,
menée par un marinier qui n’a pas la réputation de beaucoup se pousser surtout
pour un plaisancier. Donc, place aux travailleurs, aux nobles des voies
navigables. Troll ne veut pas croiser « Cindy » sur ce capillaire
sanguin et restera amarré en l’attendant… sous la pluie. Côtelettes d’agneau
agrémentées d’une semoule de couscous. Et soudain, émerge de l’écluse, le
monstre, le seigneur des canaux qui glisse lentement et frôle Troll. Le
marinier grisonnant, casquette sur le haut du crâne, pieds sur sa barre à roue
répond dignement à nos saluts d’un petit hochement de tête, tandis que sa
marinière, indifférente, passe le balai sur un pont déjà rutilant. La pluie bat
le pont.
Le ponton des VNF à Froncles
Une
pluie finit toujours par cesser. Troll glisse sur une eau plus herbeuse que
jamais. Sous la coque, la canopée aquatique défile, remplissant les filtres
qui, une fois de plus seront vidés de leur abondante salade, à l’étape, ce
soir.
L’étape
sera Joinville,
pas Joinville le pont et ses guinguettes, mais Joinville en Champagne, le fief
des de Guise. Au carrefour de la Champagne et de la Lorraine, Joinville, une petite
ville traversée par une Marne pas encore navigable, doublée par le canal qui
nous porte. Les bateliers flânent dans les ruelles
étroites, bordées de maisons médiévales blotties au long de la Marne, berges
calmes et verdoyantes, enchevêtrement de toits et de murs anciens, cours intérieures,
mystérieuses et secrètes.
La Marne à Joinville
En 1978, il fut acquis par
le conseil général de la Haute-Marne et sa restauration fut confiée aux
Monuments historiques. Le château est aujourd’hui Centre Culturel de
Rencontre et accueille des manifestations (concerts, expositions...).
Aujourd’hui le thème est le son. Titre de l’exposition : "Le
Son Est Toujours Présent", une exposition insolite. Animées par le vent,
le spectateur, ou de petits moteurs, les sculptures sonores de Will Menter produisent
des rythmes, des raclements, des sons clairs et tintinnabulants, des
percussions mates et des chuchotis organiques dans une atmosphère ludique. Les
mariniers, perplexes arpentes les pièces renaissances. Quant au
jardin du château, il fait le bonheur des bateliers : enchevêtrement de
lavandes, de santolines, de petits buis taillés et d’arbres fruitiers, une
symphonie de parfums et de couleurs. Moitié jardin à la française, moitié
fausse anarchie romantique à l’anglaise, le tout agrémenté de pièces d’eau.
Chez les de Guise à Joinville
Troll
regarde d’un air morne la halte de Saint-Dizier, long quai au milieu de nulle
part, et passe son chemin. Nous ne verrons pas les fers forgés fruits du même
artiste Art nouveau qui réalisa les stations de métro de Paris. Le canal taille
maintenant sa route dans la plaine et devient rectiligne. Quelques cinquante
mètres avant l’Ecluse d’Orconte, une jolie halte nautique
bien équipée nous tend les bras à la fin de cette longue journée de 14 écluses
et 32 km. Un autre Néo-Z charmant occupe déjà les lieux. Nos routes se croisent
et nous échangeons nos expériences. Au matin, après le sacro-saint nettoyage
des filtres bourrés de verdure, le Captain observe le manège des VNF au
travail, l’équipe chargée de l’entretien des berges. En train de nettoyer leur
tondeuse géante, ils trempent et retrempent le bras articulé de l’engin dans…
l’écluse qui bientôt n’est plus qu’un cloaque herbeux. Aux commentaires du
Captain sur l’effet catastrophique sur les moteurs, le préposé répondit que
c’est un problème d’effectif. Comment argumenter face à la bêtise et
l’incohérence.
Encore
13km et Troll fait une entrée triomphale à Vitry-le-François, la fin du canal
aux 134 écluses. L’équipage pousse des hourrah en prenant la place qui lui a
été réservée par Marc dont le Conrad appareilla la veille.
Non, le
passage du sud au nord de la France, n’est pas une opération simple. Grimper
340m pour voir enfin les eaux renoncer à couler vers la Méditerranée et couler
vers la mer du nord, naviguer sur des eaux encrassées, passer des dizaines et
des dizaines d’écluses, passer d’un village tristounet à un autre village
mélancolique ou un autre carrément sinistre. Oui le skipper Irlandais rencontré
à Pontailler avait raison et son résumé était parfait « Trop d’’écluses,
pas assez de bistros ! ».
224km,
114 écluses, 14 jours, des kilos d’herbes sortis des filtres, des zarbres, des zarbres
et des zarbres, des hérons, des hérons et des hérons…
Les
14 « grandes »
écluses sur le Rhône et les 7 « moyennes » sur la Saône que nous
avions passées la première quinzaine d’août, nous semblent être aujourd’hui un
rêve.
Vitry-le-François
est situé à la jonction de 3 canaux : le canal Saône-Marne d’où Troll
arrive, le canal latéral à la Marne, notre prochaine destination et le canal de
la Marne au Rhin que Conrad vient d’embouquer pour rejoindre son port d’attache
belge, d’où un port bien équipé et bien géré par deux hôtesses accueillantes
qui nous renseignent sur le tourisme local, les activités culturelles de la ville
et, bien sûr, les restos.
A vitry-le-François
Quand
François 1er décida de reconstruire Vitry en Perthois, détruite par les soldats
de Charles Quint, il confia cette mission à
Girolamo Marini, architecte italien, qui, de toutes les figures géométriques
esquissées, retint finalement un carré. La place centrale est carrée et la
ville est scindée par deux grandes rues qui se croisent à angle droit, sur la
place centrale, formant quatre carrés dont chacun est divisé en quatre parties
par des rues, créant ainsi un damier.
La ville était protégée par quatre portes, avec pont-levis, s'ouvrant aux quatre points cardinaux aux extrémités des deux rues principales. Une règle + une équerre et le tour est joué !
La ville était protégée par quatre portes, avec pont-levis, s'ouvrant aux quatre points cardinaux aux extrémités des deux rues principales. Une règle + une équerre et le tour est joué !
Vitry-le-François, plan de l'architecte
Détruite
à 90% pendant la seconde guerre mondiale, la vieille ville a été en grande
partie reconstruite à l’identique et la forme en carré de l'ancienne ville
ainsi que le tracé en damier ont été heureusement conservés et bien visible ce
qui facilite le repérage de deux touristes distraits.
Des
moules-frites à la TGB, la Très Grande Brasserie, remet l’équipage sur pied.
Après
mûres réflexions et analyses des options, Troll décide de prendre un raccourci
vers la Belgique et la Hollande, et de courcircuiter Paris, car, trop fatigués les
mariniers ne pourraient pas en profiter pleinement.
On
s’imaginait voguant sur la Marne vers Paris, et bien non, demain Troll
embouquera le canal latéral à la Marne jusqu’à Condé-sur-Marne et là, à droite
toute, direction Reims.
Ne
croyez pas que Vitry voit la fin des écluses Freycinet. Que nenni
Messire ! Il en reste encore 42…
Le canal latéral à la Marne
A
l’aube nos deux voisins, une péniche batave et une vedette belge, qui depuis
deux jours considéraient que Troll était somme toute un bon quai, se désamarrent
et nous rendent notre liberté.
Bien
que sujet lui aussi à la Freycinette, le canal latéral à la Marne est très
différent du précédent. Plus large, le canal permet des croisements faciles,
les écluses sont bien entretenues et non inondées, mais hélas encore boueuses
et herbeuses. Messieurs des VNF merci de nettoyer vos canaux !
L’écluse
Saint Germain est en panne. La queue de Mickey tournée par la marinière est
sans action. Deux feux rouges : en panne ! La péniche « Mi
Amor » s’amarre. Troll s’amarre. Le Captain va aux nouvelles. Le capitaine
du « Mi Amor » indique qu’il a contacté les VNF et ajoute
« Pourvu que le responsable de piquet n’ait pas un déjeuner de
famille ! » Non, un quart d’heure plus tard la petite fourgonnette
VNF arrive, le technicien décoince le fin de course des portes de l’écluse et
c’est reparti. « Mi Amor » écluse en premier. Place aux pros.
Au
bout de 32km, 8 écluses (plus que 34) et un million de peupliers, Troll atteint
Châlons-en-Champagne,
un joli port, au pied de la cathédrale St Etienne. Le capitaine du port prévenu
de notre arrivée par les gentilles hôtesses de Vitry est sur le quai. Par
téléphone, il nous indique une place le long du quai en ajoutant « c’est
très juste mais si vous vous sentez capable… » Troll entame une marche
arrière genre « comment garer un Fiat 500 entre deux 4x4 », et tout à
coup reçoit une bordée d’injures d’un pêcheur, installé à la place visée. Avec
l’accent pied noir des banlieues « Non mais t’a vu ce mec ! Y se fait
pas chier ! Tu vas voir, y va pas oser débarquer pour que je lui casse la
gueule… » Je ne garde ici qu’une version censurée accessible aux enfants
de moins de douze ans. Finalement, sa copine lui fait remarquer qu’après tout
c’est un port, et le pêcheur range son matériel en lançant quelques dernières
bordées d’injures. Bienvenue à Chalon-en-Champagne. Ouvert depuis une année, ce
nouveau relais nautique de Châlons-en-Champagne, situé en plein
centre-ville, offre aux plaisanciers de
passage une vingtaine de places équipées de belles installations : une
capitainerie avec des douches, une pompe aspirante pour les eaux noires, et des
branchements pour l'eau et l'électricité. Et, en prime, un accueil très
chaleureux (je parle ici du responsable du port, pas du pêcheur).
Châlon en Champagne
Cathédrale Saint-Etienne
Châlon, la rue de la Marne
Châlon en Champagne
Une
petite étape pour en finir avec le canal latéral à la Marne. Une grande ligne
droite de 14 km, 3 malheureuses écluses et c’est Condé-sur-Marne. Une
bonne étape où les écluses sont propres et la végétation aquatique, le cauchemar des filtres, rare.
Le long
des berges de nombreux pêcheurs équipés de tout le matériel dernier cri,
concentrés, attentifs, aux aguets, silencieux, appliqués et taciturnes. Et ces
foutus bateaux qui perturbent tout, ces hélices qui brassent la vase, ce bruit
qui effraie, qui fait fuir. Un canal, une rivière, mais c’est le domaine des
pêcheurs ! Des bateaux ? mais pourquoi faire. Dans son superbe
isolement, le pêcheur devient même parfois agressif. « Bonjour »
lance le Captain. « Ta gueule ! » répond le pêcheur. A la sortie
d’une écluse le bruit du propulseur d’étrave entraine un « Mais qu’est-ce
que c’est que cette saloperie ? mes poissons vont être tous niqués ! »
et le Captain de répondre « C’est une nouvelle technique de pêche :
on aspire les poissons et de l’autre côté sortent les filets préparés » Le
pêcheur apprécia l’humour. Mais il y a heureusement des exceptions :
« Bonjour, où allez-vous ? » « En Hollande »
« Bon voyage, bonnes tulipes ! »
Amarrés à
Condé, le long d’un quai de palplanches, une bonne nouvelle, les filtres sont
très peu chargés de végétation et une mauvaise, le générateur ne tourne pas
rond. Vraiment la poisse car le générateur constitue la seule source d’énergie
pour charger les batteries du propulseur lorsque Troll est en rase campagne
sans connexion au réseau. Et pour ajuster le tir à l’entrée et la sortie des
écluses Freycinet le propulseur est indispensable. Le résultat : une
mauvaise nuit à ressasser toutes les solutions de dépannage possibles. Au petit
matin, le générateur tourne sans problème. Le Captain a-t-il été victime
d’hallucinations ?
Le canal de l’Aisne à la Marne
Au petit
jour, le nouveau canal de l’Aisne à la Marne a disparu dans une ambiance
ouatée. Troll, qui en a vu d’autres, appareille pour s’attaquer à une série de
huit écluses synchronisées distantes de 500m. La marinière tourne la queue de
Mickey devant la première écluse et tout s’enchaîne jusqu’à la huitième. Un
super-système. Il ne reste qu’à maintenir vivace la concentration à l’entrée de
chaque écluse en utilisant la technique maintenant très au point du tandem
apponteur-pilote de chasse. Et, pour ne pas perdre la forme, aux 8 écluses
succèdent un tunnel de 2.3km, le tunnel de Billy-le-grand. Encore un tunnel sur
mesure taillé juste-au-corps.
Quelques
centaines de mètres avant l’entrée du tunnel le canal s’élargit créant une
sorte de port. Quelques péniches transformées en habitation, fleuries, colorées
s’alignent le long des rives, un petit Sausalito des années 70. Vaudemange, le
village est à quelques pas. Voilà une halte bien située sur le canal, avec
probablement des rencontres hautes en couleurs en perspective.
Le feu
est vert, à nous deux Billy-the-Kid. Les néons s’allument au passage de Troll,
des souffleries mugissent le long de la voute. « Tribord », « Bâbord »,
« Tribord » hurle la marinière. Londres 1940, c’est le blitz !
Droit devant, un confetti lumineux qui grossit, la sortie.
A la
sortie, un « commerce » se met en route bien content de voir Troll s’extraire
de ce trou noir et le feu passer enfin au vert. D’immenses arbres de toutes
variétés peupliers, noyers, trembles, frênes, érables, platanes et autres
conifères conspirent sur les berges pour masquer le paysage aux mariniers. Pas
de vignes en champagne, pas d’églises romanes, tout a disparu derrière ce mur
végétal.
Trois écluses avalantes, les meilleures, plus tard,
Troll fait son entrée dans la halte nautique de Sillery, un port très
bien aménagé, très bien équipé, préféré au port de Reims coincé entre une route
à grande circulation et l’autoroute. Une charmante et élégante anglaise à grand
chapeau blanc nous prend les amarres. La place est superbe. A peine amarré, le
Captain présente tous les symptômes d’un « Break down » ou plutôt
d’un « Burnout », des troubles
cognitifs, des difficultés de concentration, troubles de la mémoire, un état de
confusion général. Impossible de se rappeler la route suivie par Troll depuis
Port-Saint-Louis, les noms des lieux traversés, les noms des canaux, même le
nom du village quitté le matin même, Condé, tout a disparu, effacé. « Mais
non, je n’ai jamais été à Condé ! » Un état d’épuisement avancé. Ce
sentiment d’effacement du disque dur est vraiment angoissant. La nuit suivante,
le sommeil fut profond et au matin, quelqu’un avait dû presser la touche « reset »,
toute la mémoire était à poste. Aujourd’hui en écrivant ces lignes je me
rappelle que je ne me rappelais de rien. C’est bon signe.
Halte nautique de Sillery
La touche reset ayant libéré de la mémoire, les deux mariniers sautent dans un taxi, direction l’Office du Tourisme de Reims, à deux pas de la cathédrale, à 20km de Sillery. Deux faits imprimés dans le cerveau de tout écolier dès son plus jeune âge concernent la ville de Reims et remontent à la surface : le baptême et le sacre de Clovis vers l’an 500 et Reims la capitale du champagne. Les deux mariniers s’engouffrent dans l’Office du Tourisme, persuadés qu’il y a sûrement autre chose à voir, et s’inscrivent pour une visite guidée en minibus décapotable. « Quel est votre nom ? » « Bachy » « Ah vous êtes parents de notre Président » « Oui, nos grands-pères étaient cousins». L’audiophone rivé à l’oreille, nous découvrons sous le soleil de ce début septembre une ville magnifique. Les commentaires, déclenchés par GPS, sont parfaitement synchrones. Défilent sous nos yeux l’hôtel de ville, la place royale avec la statue de Louis XV, l’ancien collège des Jésuites, la Basilique Saint-Rémi, le Palais de Tau, la chapelle Fujita, l’hôtel de la Salle, la bibliothèque Carnégie, les halles conçues par Eugène Freyssinet (au secours ! Mais non, aucun problème, aucun lien de parenté avec notre tortionnaire Charles de Freycinet), les « palais » des propriétaires des grandes marques de champagne, Veuve Clicquot, Lanson, Mumm, Pommery etc., la porte de Mars, entrée de la ville à l’époque romaine, et enfin, la cité jardin du chemin vert une réalisation urbanistique exceptionnelle d’avant-garde pour l’époque. En 1919, alors que Reims est en ruines, la cité-jardin du Chemin Vert commence à émerger. Construite à la périphérie de la ville, elle est encore aujourd'hui considérée comme l'une des références d’urbanisme réussi. On réalise alors pour les familles ouvrières, 617 logements, de 14 types différents, sous forme de petites maisons de style alsacien, qui seront habitées dès mars 1922. Avec près de 30 ans d’avance, à une époque où n’existent encore ni les Allocations Familiales, ni la Sécurité Sociale, ni les MJC, toute une série d’équipements et de services à destination des habitants : une association "La Maison de l’enfance" pour les mères et enfants en bas âge, une Maison commune avec bains-douches, un club, une bibliothèque, une salle des fêtes…, deux centres commerciaux, une boucherie, une boulangerie et un groupe scolaire. Impressionnant !
Le tour motorisé se termine. De l’impériale, le marinier repère un bistrot qui paraît bien sympathique. Le choix est bon, ce sera une immersion dans la vie champenoise. Dans une ambiance chaleureuse, sous une verrière Art Déco, on se régale d’une pintade au thym, arrosée, vous avez deviné de … champagne. Le moral remonte en flèche.
Café du Palais
Promenade
digestive à travers la ville pour compléter le tour à bord de notre minibus à
impériale. Nous raterons hélas une visite approfondie axée sur la « Reims
Art Déco », Reims représente en effet le plus important exemple
d’architecture des années 20, car, détruite à 80%, Reims connaît une phase
intense de reconstruction pendant les années 1920. Nous ne verrons que la
décoration intérieure de l’Hôtel de ville, l’extérieur de la bibliothèque Carnegie
et quelques façades d’hôtels particuliers Cours Langlet.
Il faudra revenir.
Un
restant de courage est rassemblé pour visiter encore le clou de Reims, la
cathédrale. Une cathédrale unique par sa statuaire et sa luminosité. Tout le
monde connait l’ange et son sourire, mais 2302 autres statues ornent les
façades. Pour la lumière, une profusion
des roses, de fenêtres, finement ciselées,
totalement évidées. Une sacrée réalisation mécanique. Un calcul par la
technique des éléments finis serait édifiant imagine le Captain-Ingénieur.
Un
grand nombre de rois de France seront sacrés pendant plus de dix siècles de Louis le Pieux en 816 jusqu'à Charles X en 1825 et,
dernier évènement historique important, le 8
juillet 1962, de Gaulle et Adenauer
scellent la réconciliation franco-allemande au cours d’une «messe pour la paix» célébrée à la cathédrale de Reims le dimanche 8 juillet 1962.
scellent la réconciliation franco-allemande au cours d’une «messe pour la paix» célébrée à la cathédrale de Reims le dimanche 8 juillet 1962.
Alors les Freycinet, ça rigole?
Vitraux de Chagal
La tête
pleine d’images et d’Histoire, les deux mariniers regagnent le bord, prêts à
affronter en toute quiétude un autre « Liegetag » comme dirait Doris.
Un repos de l’âme mais agitation des corps... Nettoyage de Troll qui se débarrasse
de son armure mais conserve sa côte de maille car Sillery c’est Freycinet – 19 !
A deux pas du port, des milliers de croix, de croissants et d’étoiles de David,
quelques milliers parmi les dix millions de militaires tués pendant ce carnage
de 14-18.
Quais de Reims
Canal latéral à l’Aisne et
l’Aisne
L’éclusière
remet au Captain une nouvelle boite magique de télécommande pour franchir les
écluses de ce nouveau canal. Plus que 5 « Freycinet » ! La
dernière ce sera pour demain. Deux péniches, deux commerces, «Rambo » et
« L’Horizon » viennent se ranger le long du quai prenant Troll en
sandwich. Deux impressionnants gardes du corps sur ce quai désert. Pendant
l’amarrage, les marinières sont aux commandes, le marinier prenant en charge
les lourdes amarres. Le canal est plus large, les écluses plus espacées, le
trafic professionnel plus important. Liberty, Rambo, Sérénity, le jaune et noir
Flétan, sont nos compagnons de voyage. Mais toujours cet aspect furo amazonien,
l'enfermement végétal. Au bout de 20km, un embranchement vers la droite, le
canal de l’Oise à l’Aines. Troll le dédaigne, refusant absolument le canal de
St. Quentin et son redoutable tunnel à touage. Et le grand moment arriva, à Celles,
Troll passe la dernière écluse Freycinet !!! La 156ème ! L’équipage
a du mal à le croire jusqu’à l’écluse de Villeneuve qui, c’est bien vrai,
mesure 8m de large. Soit 3m de plus, un rêve. Le Captain rentre dans l’écluse
les yeux bandés. Non, j’exagère.
Donc, c’est fini, la rupture est consommée, Troll
se sépare à tout jamais de Charles de Saulces de Freycinet, sinistre
sire, qui fit passer en août 1879, alors ministre des travaux publics, une loi
régissant la dimension des écluses de
certains canaux, à seule fin de torturer les navigateurs de
plaisance des générations à venir, de les forcer à se contorsionner pour entrer
dans ces écluses qui prirent son nom « Freycinet », à seule fin de
rappeler à tous que le tortionnaire c’est bien lui.
Donc
Troll a rompu, ne veut plus jamais voir ce sinistre individu tout décoré et
membre de l’académie des sciences qu’il fut. A tout jamais, Troll ne naviguera
plus que sur des canaux et des écluses
au gabarit digne de lui.
Ceci est
d’autant plus regrettable que dès avant sa naissance, pendant sa gestation, le
gabarit de Troll fut choisi en fonction du sieur de Freycinet, afin d’accommoder
ses fantasmes.
Amarrés à
Soissons,
à une halte nautique un peu tristounette, Troll partage le quai avec une
collection de barques et autres pédalos et un bateau suédois, voilier sans mat,
Soissonais depuis 2 jours dont le skipper, à la question posée par la marinière
« que pensez-vous de Soisson ?», répond laconique : « Beaucoup,
beaucoup d’églises ». Le Captain a mis à son programme du jour la vidange
des deux Perkins. L’approvisionnement des 30 litres d’huile nécessaires
implique l’intervention d’un taxi, suivie de trois heures de travail dans le
compartiment moteur encore surchauffé. C’est fait. Les Perkins sont ravis.
Le
lendemain, les mariniers déambulent sur la place du Marché, c’est samedi et
l’activité est intense. A peine arrivé, un homme se précipite sur le Captain
« Alors, cette vidange, c’est fait ? », mon chauffeur de taxi de
la veille.
Sur la
place, comme souvent, s’alignent les vêtements arrivant directement d’Asie. Le
vrai marché, légumes, viandes, fromages et charcuterie, se contentera d’une
partie des halles couvertes. Une immense queue devant un charcutier, les autres
se partageant un ou deux clients. « Cette charcuterie est vraiment
bonne ?» « Oh Madame, pas bonne, EX-TRA-OR-DI-NAIRE» Aucun doute, on
est bien en France.
Soissons
Une fois
encore, l’aube est laiteuse, floue, mélancolique, ouatée,
comme on voudra mais en tous cas peu apte à la navigation.
Vers 9.00
Phébus agite sa baguette magique et tout se dissipe dévoilant la même campagne chargée d’arbres. 4 écluses plus
loin, à Choisy-le-Bac, Troll prend un virage en épingle à cheveux à droite et
embouque le Canal latéral à l’Oise.
Le canal latéral à l’Oise
Trois km
plus loin c’est Janville. Un immense cimetière à péniches. Si vous voulez
transformer une vieille péniche d’occasion en appartement flottant avec
terrasses, jacusi, immense salon et au moins 10 chambres à coucher, c’est
l’endroit. En plus les chantiers pour la transformation sont sur place. Il est
12.05 et c’est Dimanche, l’heure du déjeuner chez belle-maman qui fait une si
bonne blanquette. Donc, pas d’éclusier. Troll s’amarre au quai de la ville au
beau milieu d’une foire à la brocante, le vide grenier annuel. 13.30, l’éclusier
qui n’a même pas eu le temps de goûter la tarte à la cassonade est
opérationnel. L’écluse est d’un modèle spécial, fruit de l’imagination d’un
projeteur farceur. Ici pas de bollards étagés le long de la paroi, pas de
bollards flottants mais une barre de 4-5 cm de diamètre verticale derrière
laquelle on passe l’amarre. A la montée des eaux, l’amarre glisse le long de la
barre. Pas besoin de lubrifier, l’argile en suspension s’en charge.
Résultat : un pont et des amarres couverts de boue et deux mariniers qui
ressemblent à des marsupilamis. Dans sa tombe le projeteur en rigole encore. A
la deuxième écluse ce sera pire encore. Alors que Troll s’approche en avant lente
de l’écluse, feu au vert, portes ouvertes, un puissant courant latéral le
propulse soudain violemment latéralement. Moteurs à fond inversés, la
catastrophe est évitée de justesse. Troll évite le quai. Le Captain demande une
explication à l’éclusier qui répond laconique « Aucune idée ». Le
déjeuner de dimanche ne devait pas passer.
Et
bientôt Troll arrive à Pont-l’Evêque à la confluence du canal latéral à l’Oise
et du canal du Nord, notre prochain objectif. Pont-l’Evêque possède bien un
port de plaisance mais trop petit pour gros Troll. Juste à la confluence, un
bistro, « Le Confluent », dont la terrasse déborde de clients par ce beau dimanche ensoleillé et en plus,
comme à Janville c’est la brocante. Troll repère une place entre les deux
petits bateaux de plaisance déjà amarrés. Juste la longueur. Ici pas de
bollards mais la glissière de sécurité de la route fera l’affaire. Une dame,
robe à fleurs et cheveux blancs, s’aplatit pour passer sous la glissière prend
les amarres et les frappe sur les poteaux des glissières. Un peu étonnés que
personne ne bouge pour venir l’aider, tout s’éclaire lorsque l’on apprend que
personne ne doit aider une professionnelle comme Alfreda Colin née Cailler
ancienne marinière à la retraite. Née sur une péniche de parents mariniers,
elle aurait été vexée que quelqu’un vienne l’aider. Une vie à transporter des
céréales, « Parce que c’est plus propre ! » à travers la France
la Belgique la Hollande « et même l’Allemagne » « Et les enfants
des mariniers, où vont-ils à l’école ? »
« Ils sont en pension dans des écoles spéciales pour les enfants de
mariniers et de forains. Par exemple à Saint-Mammes dans
un village du sud Seine-et-Marne » Les voyages lui manquent
mais surtout son mari décédé l’année dernière et qui repose au cimetière de Pont-l’Evêque
avec sa péniche dessinée sur sa pierre tombale et… à côté de la péniche, le nom
d’Alfreda est déjà gravé… La terrasse fleurie du bistro « La
confluence » se vide peu à peu, Alfreda rentre chez elle.
Pont L'Evèque
Les deux mariniers
de Troll déambulent dans ce joli village de
mariniers dont les maisons s'alignent le long du canal et du port.
Le soir les mariniers se retrouvent au
bistro « Le Confluent », le cœur qui bat au milieu du village, bar,
tabac, épicerie, brasserie, pizza comme dans les années 50.
Une ambiance « Quai des brumes »
et à tout moment on s’attend à voir rentrer Gabin poussant la porte en
relevant de son index pointé vers le ciel la visière de sa casquette en
poussant un « Mssieudam ! ».
Ce
soir-là, Gabin ne viendra pas mais sera remplacé par le patron du bistro qui
vient aux nouvelles. Des plaisanciers de passage c’est plutôt rare. Le couscous
est servi et notre hôte vêtu de son gros pull bleu s’éclipse. Deux minutes plus
tard le voilà de retour avec un gros pull rouge. Tiens, il s’est changé, se dit
le Captain. Jusqu’au moment où le pull bleu réapparait aux côtés du pull rouge.
Des jumeaux, copies Xerox ! Joëlle et Viviane, leurs
épouses, gèrent le bistro, cuisinent, servent, approvisionnent. Quant aux maris
identiques, ils sont électriciens industriels… tous les deux.
L’accueil
sera chaleureux le couscous, délicieux et les tartes maisons un régal. Le prix
du menu ? 9.50 Euros. Quand je vous disais que c’était les années 50.
Il
pleut, il pleut, le plafond est bas, l’ambiance morose. Les 1000 km et les 184
écluses commencent à se faire sérieusement sentir. Au milieu de l’après-midi,
Catherine me dit « Et si on téléphonait à Alain et Monique pour leur
demander un coup de main ? » Réponse du marinier « Ca fait une
semaine que j’y pense… » Cinq minutes plus tard, au téléphone, après une
seule phrase, Alain répondait « On arrive ! » On ne devait pas
avoir l’air très frais pour susciter une pareille réponse aussi rapide. C’est
bon l’amitié !
Deux
jours à regarder tomber la pluie et, le surlendemain Alain et Monique descendent
d’un taxi. Jamais un « bienvenue à bord » ne fut plus
chaleureux.
Une
bouteille de crémant d’Alsace fut débouchée, suivie d’un petit salé aux
lentilles préparé par nos nouveaux copains du « Confluent ».
Au
revoir « Le Confluent* et merci de votre gentillesse. « Oh, nous,
avec les gens on est toujours comme ça ! »
Canal du
Nord et canal de la Sensée
Depuis
Maxilly, le village où Troll quitta la Saône, nous naviguons sur des
départementales, voire des chemins vicinaux. Aujourd’hui tout change Troll
embouque une autoroute, le canal du nord.
La
construction du canal commença en 1907 puis, complètement détruit pendant la
guerre de 14, les travaux ne reprirent qu’après la seconde guerre mondiale pour
s’achever en 1966. En quelque sorte un petit jeunot dans le réseau de canaux
français. Mais le financement fut difficile et la liaison Grands Gabarits de
Dunkerque fut complètement ratée à cause d’écluses trop petites 100x6 m -un
rêve pour Troll - au lieu du modèle 200x12m du Rhône. Son élargissement et la
réalisation de grandes écluses est toujours en attente dans les cartons. Un
coup « oui on le fait », un coup « non c’est trop cher ».
Cette « route express », très commerciale est en général boudée par
les plaisanciers. Donc, pas de plaisanciers, pas ou peu de haltes nautiques.
Troll avalera ce canal en deux jours.
Tunnel de Panneterie
Depuis Pont-L’Evêque après quatre écluses, manœuvrées à 4, un plaisir, le troisième tunnel de notre parcours se présente devant Troll : le souterrain de Panneterie dont le gabarit, adapté à celui des écluses (6m) est beaucoup plus confortable. Un mètre de plus ça compte ! Le feu est rouge et Troll se range sagement le long du quai d’attente. 45 minutes plus tard deux « commerces « sortent du trou, le feu passe au vert et Troll s’élance, plonge dans le trou noir. Cette fois, Le Captain bénéficie de deux marinières postées sur le ponton avant. Quel luxe ! « Tribord » crie Monique, « bâbord » crie Catherine, brrrr, brrrr répond le propulseur. La péniche « Mi Amor » , une vieille connaissance, est croisée. Grands signes amicaux échangés. Troll s’amarre à Péronne, le long d’un quai commercial fait de palplanches. D’autres péniches sont en attente de chargement de sable. Ce soir, Troll se prend pour un pro. Les filtres sont presque propres car les rives du canal sont bétonnées et ne laissent que peu de chance aux plantes aquatiques.
Tunnel de Ruyancourt
C’est
la sixième écluse, et, juste derrière, voilà Marquion et sa halte
nautique. Plus exactement pour Troll un petit bout de quai commercial derrière
une péniche presque sous un tuyau de chargement. Pourvu que Troll ne soit pas
rempli de céréales pendant la nuit. Il pleut, pleut, pleut. Onze heures après
le départ de Péronne, Troll est amarré, quai de ferraille, quai à chat, quai à
rien. L’équipage se délasse, se sèche les pieds. C’est le nooooooord !
La
chanson de Brel ne lâche pas le second :
Avec la mer du Nord pour dernier terrain vague
Et des vagues de dunes pour arrêter les vagues
Et de vagues rochers que les marées dépassent
Et qui ont à jamais le cœur à marée basse
Avec infiniment de brumes à venir
Avec le vent de l'est écoutez-le tenir
Et des vagues de dunes pour arrêter les vagues
Et de vagues rochers que les marées dépassent
Et qui ont à jamais le cœur à marée basse
Avec infiniment de brumes à venir
Avec le vent de l'est écoutez-le tenir
Avec le vent d'ouest écoutez-le vouloir
Avec le vent du nord écoutez-le craquer
Quand le vent est au sud écoutez-le chanter
Le plat pays qui est le mien
Le plat pays qui est le mien
Marquion
Le
plat pays c’est aussi celui des péniches,
des mariniers et leurs mystères. Des tas de graviers dans un sens, des
tas de graviers dans l’autre sens, des scories dans un sens, des tas de scories
dans l’autre sens, des chalands en route, beaucoup en attente. Arrive Arieux et
Palluel, la dernière écluse du canal du nord. Les bollards sont verticalement
très espacés, Alain joue les acrobates et renoue avec son entraînement
bavarois. A droite toute, Troll embouque le canal de la Sensée, une
« autoroute » de liaison canal du nord-Escaut, un carrefour encombré
de nombreuses péniches « en
attente ». La Sensée est large, très large et, oh miracle, un canal sans
écluse. Beaucoup plus vieux que le canal du Nord, le canal de la Sensée a été
élaboré sous Napoléon et décidé en 1806. Il sera
achevé en 1820 alors que le grand-homme se reposait à Saint-Hélène.
L'embranchement Canal du Nord-Canal de la Sensée
L’Escaut
En attente devant l’écluse de
Pont-Malin, Troll enfile sa tenue mi-saison : capote levée et mat oblique.
Le tirant d’air passe de 3.4m à 5m ce qui libère complètement la visibilité du
poste de pilotage intérieur. Magnifique quand il pleut et il pleut. Dans
l’écluse, aux côtés de Troll, un curieux petit bateau, 9 mètres environ, un
bateau de pêche méditerranéen typique, immatriculé en Tunisie. Sur le poste de
pilotage en travers une inscription :
LAMPEDUSA
----à LONDON
TO 6411
Impressionnante
cette Lucy !
A Valenciennes une profonde pensée pour le
père du Captain qui est né le jour de Noël 1903 dans cette ville. Encore deux
écluses et Troll passe sous le pont de Mortagne, un coup de barre sur
bâbord, suivi d’une approche lente vers le quai Louis Caby, à la jonction Scarpe-Escaut
car les fonds sont incertains. La voix de Bonne-Maman résonne dans la tête du
Captain « Mortagne ? Mais c’est à la jonction de la Scarpe et de
l’Escaut » Eh bien nous y sommes !
L'Escaut à Mortagne
Un tour de région commenté par les cousins,
andouillettes grillées, thé à bord. Au revoir les sympathiques cousins !
Après une nuit venteuse assortie de
cataractes, Troll, couvert de feuilles de platanes se secoue, Un temps frisquet
mais un ciel bleu oublié depuis plus d’une semaine.
Traversée de la Belgique
A cinquante mètres de l’amarrage, Troll quitte la France traversée en 32 jours, se relance sur l’Escaut et passe en Belgique. A nous la Belgique lancent l’équipage et Troll. Le changement est spectaculaire. Plus de rives bordées de denses forêts claustrophobiques, les rives, dégagées et bien entretenues, fraichement tondues, laissent voir la campagne, les villages proprets bien soignés. La Hollande n’est pas loin.
L'Escaut belge
A la première écluse, le captain se rend à la tour de contrôle pour enregistrer Troll et l’habiliter à utiliser le réseau fluvial belge. Troll est maintenant MET7023 à vie. L’éclusier est en uniforme et galonné. Encore un sacré contraste. Nous éclusons avec Flétan qui fait de temps à autre route avec Troll depuis Reims et apporte des céréales à Anvers.
Troll et son copain Flétan
Tournai, le pont des trous
Traversée de Oudenaarde
Oudenaarde, la place du marché
Quatre écluses et 50km plus loin, Troll entre dans Oudenaarde. Un appel VHF et quelques minutes plus tard le pont levant s’ouvre. Le Captain avait hésité entre le quai de la ville et la marina paraît-il très exigue. La seconde solution est retenue car quand on a réussi à rentrer dans la marina d’Attila à Esztergom en Hongrie, tout est possible. Troll approuve et s’amarre au début d’un ponton flottant de 100m avec eau et bornes électriques. Le chenal est étroit et nécessitera une sortie en marche arrière. La méthode Attila, bien sûr.
Tout rappelle ici que nous sommes arrivés en Flandre : les maisons colorées à pignon, genre hanséatique avec toits pentus et escaliers tournants. En fin de journée Jean-Marie et Kali arrivent de Waterloo saluer le vaillant équipage vu pour la dernière fois dans l’est de la méditerranée. Leur « Marone » les attend à Leros, prêt à les recevoir dans quelques jours. Sympathiques retrouvailles à bord puis autour de moules-frites à la brasserie Cesar sur la place du marché.
Une marche arrière et un raclement du fond plus loin, Troll est en route pour Gand ou Ghent suivant quel côté vous vous trouvez de cette foutue frontière linguistique. Ici, pas d’erreur ce sont les Flandres alors Troll va à Ghent. D’écluse en écluse Troll retrouve Fletan, son copain noir et jaune. Les céréales qu’il transporte sont de l’orge à destination d’une brasserie d’Anvers. Donc lorsqu’à Anvers on déguste la célèbre Bolleke à la brasserie De Koninck peut-être l’orge brassé arrive de Champagne. La bière, elle aussi, est en phase de mondialisation. Trois écluses à la suite Troll aura les mêmes trois voisins, Fletan et deux autres « Commerces ». A chaque fois chacun reprend sa place et Troll est très fier d’être enfin considéré comme un pro. Des plaisanciers francophones nous avaient mis en garde contre les éclusiers flamands qui refusent de parler français. C’est absolument faux ! Les éclusiers flamingant sont en réalité charmants « Je monte un commerce. Tu attends cinq minutes et après je m’occupe de toi » puisque le « vous » n’existe pas en flamand. Les chemins de halage transformés en pistes cyclables laissent passer des groupes de cyclistes, justes au corps bariolés, pédalant en masse compacte comme un essai d’abeilles bzzzzzz ils sont déjà passés. A l’approche de Ghent, nous côtoyons de plus en plus de gros calibres. La campagne est belle, parsemée de fermes cossues. L’Escaut vient buter contre le Ringvaart, le périphérique aquatique de la ville, mais continue presque dans l’axe, de l’autre côté pour s’enfoncer dans la ville. Rien à tribord, rien à bâbord, Troll traverse, passe une écluse ancienne ouverte et vient s’amarrer le long d’un ponton à la position 510 00’ 50.63N, 30 44’ 31.40E indiquée par Marc pour notre rendez-vous. C’est clair, c’est précis ! La porte du compartiment moteur est ouverte pour réchauffer le carré tandis que la tarte à l’oignon de la cousine Elisabeth réchauffe les estomacs. De la vieille écluse sort Conrad dont Troll a beaucoup entendu parler et qu’il est impatient de rencontrer.
Et Conrad arrive à son tour.
Conrad en vue!
Traversée de Gand en escadre
Troll suit Conrad qui connait les parages comme sa poche dans un labyrinthe de canaux urbains, écluse avec son copain, arrive finalement à la marina Portus Ganda en pleine vieille ville et s’amarre à une superbe place qui lui était réservée le long du quai. Pour fêter l’évènement, les deux équipages dînent à bord de Conrad d’une magnifique blanquette façon Betty. Une super soirée à six.
Conrad quitte Ghent dès le demain pour Terneuzen,
avec au programme de la journée, une sortie de l’eau dans un chantier. La
remise à l’eau est prévue pour le surlendemain. Rendez-vous est pris entre
Troll et Conrad ce jour-là devant l’écluse de Terneuzen vers midi.
L’équipage dispose donc d’une journée pour partir à la découverte de la
belle ville
de Ghent par un temps maussado-pluvieux. La marina Portus Ganda est idéalement
placée pour visiter le cœur historique de cette ancienne cité drapière. En un
quart d’heure les quatre mariniers atteignent la Limburgstraat qui aligne tous
les joyaux du patrimoine gantois : le palais episcopal, la cathédrale
Saint Bavon, le beffroi symbole de l'indépendance de la ville,
l’hôtel de ville, l’église Saint Nicolas, tout ça le long d’une même rue, un
rêve pour visiteurs pressés. Au bout de la rue, on enjambe la Lys en traversant
un petit pont et admirons les maisons à
pignons qui bordent ses quais. Ce quartier médiéval enchaîne ses ruelles
sinueuses, mélange de vieille bâtisses et de boutiques de design, la
réconciliation des anciens et des modernes, une spécialité hollandaise. Tous
les guides en parlent, alors nous avons flanché : direction la cathédrale Saint-Bavon pour admirer (admiration
obligatoire) le tableau de l’agneau mystique. Un polyptique peint en 1432 par
les frères Van Eyck qui symbolise le sacrifice du Christ en 24 panneaux. Tout y
passe pour d’une part inspirer la crainte, la culpabilité et le repentir et d’autre part bien marquer
la supériorité des puissants. Enfin… un mécréant n’est pas le meilleure juge
pour une telle œuvre d’art dont la valeur artistique est sans aucun doute
fabuleuse, puisque ce retable est l'œuvre d'art la plus fréquemment volée dans
l'histoire, treize vols en six siècles.
Sur le chemin du retour, les
mariniers admirent encore une fois l’enfilade des trois tours bordant cette
avenue magique : Saint Nicolas, le
Beffroi et Saint Bavan et passent devant le Château de Gérard le Diable
qui avec le Captain n’a en commun que le prénom.
En flânant dans Gand
A la marina Portus Ganda
Ce matin-là, Troll est tout émoustillé. Dans quelques heures l’eau va augmenter son taux de salinité de 0 à 35 g/litre ! Fini les méandres, les eaux pleines d’herbes, les écluses incessantes, la contrainte unidirectionnelle. Plus que 25 km deux ponts levis et une écluse et vive la liberté ! Le canal de Terneuzen est large comme une autoroute américaine et le trafic commercial est intense. Les péniches ont fait place aux cargos tractés par des remorqueurs. Devant l’écluse de Terneuzen, la limite entre l’Escaut et l’estuaire, la mer du Nord, Conrad est là, en standby attendant son copain Troll. Les feux passent au vert, c’est notre tour. On descend de presque rien. Troll vogue à nouveau dans un univers à deux dimensions, le pilote automatique reprend du service, les stabilisateurs se dégourdissent les muscles.
Conrad et Troll, un air de famille
A gauche, de la place, à droite, de la place, de l’eau tout autour, un rêve. En plus rien de plus simple, Conrad montre la route au milieu d’une nuées de bouées car ici certains bancs de sable découvrent avec la marée. Les courants sont favorables et les deux bateaux filent un train d’ enfer. Une petite entorse à l’euphorie, pour passer du Westershelde à l’Oostershelde, il faut quand même prendre un bout de canal équipé … d’une écluse. Troll soupire mais se résigne car de belles écluses comme ça… Les deux bateaux atteignent Zierikzee en fin d’après-midi sous un ciel plombé et un petit crachin, mais, ici, ça fait partie du décor. Amarrage le long d’un ponton de bois dans le chenal d’entrée de Zierikzee, devant deux vieux gréements. Les deux équipages, sous un crachin breton rentrent dans la ville par la porte sud, admirent le magnifique pont à bascule, longent l’ancien port rempli de tjalk, ces bateaux typiques hollandais, longs, étroits et peu profonds aux formes avant et arrière très arrondies, équipés de deux dérives latérales et gréés aurique et finalement s’enfournent dans le restaurant De Drie Morianen dont la réputation des moules frites a déjà fait plusieurs fois le tour du monde.
Conrad et Troll à Zierikzee
Zierikzee
Par un ciel toujours plombé, Conrad et Troll quittent la petite ville musée et se séparent sous le gigantesque pont de Zelande, 50 arches et 5 km. 17 m de tirant d’air. C’est bon ça devrait passer. Conrad met le cap sur Anvers, et Troll sur une autre ville musée, Willemstad.
Troll sous le pont de Zélande
La mer est grise, légèrement moutonneuse, autour de nous la platitude batave. Le relief se limite aux nombreuses bouées rouge ou verte et aux clochers dans le lointain, seuls amers utilisables. Par brouillard, sans radar, sans GPS, nos aïeux naviguaient. Nous sommes bien des amateurs. Ici et là des piquets marquant les champs de cultures de moules. Beaucoup de cargos ou de péniches modèle adulte, le genre à pendre une Freycinet à l’arrière sur les bossoirs. Un dernier chalenge avant d’atteindre Willemstad, le passage du Volkerak, une étendue d’eau douce isolée du Krammer salé à l’ouest d’où Troll arrive et du Holland Diep à l’est où se trouve Willemstad. Vous avez dit isolé ? Qui dit isolé dit digue et qui dit digue dit… écluse. Si, si encore deux avant la Meuse. Mais ici c’est le grand luxe, à chaque bout, deux écluses en parallèle une pour les gros monstres et l’autre pour les plaisanciers. Pas de remous intempestifs, le grand confort.
Dès la sortie de l’écluse Troll navigue sur Holland Diep, une combinaison des estuaires du Rhin et de la Meuse où le trafic est intense. Il est nécessaire de bien calculer son coup pour couper la route à la longue caravane bargesque et plonger vers la rive. Un espace un peu plus large se présente, Troll plonge, entre dans le vieux port de Willemstad et s’amarre au quai de la ville au milieu des vieilles demeures, devant le bâtiment de l’arsenal qui lui, date de 1793, l’année où la ville supporta un siège des Français, mais finalement capitula. C‘est Maurice, fils de Guillaume d’Orange, qui donna son statut de ville au village de Ruigenhil et lui donna son nom en mémoire de son père, Willem. Le prince Maurice fit réaliser les fortifications en forme d’étoile à sept branches que l’on parcourt à pied aujourd’hui. Plus loin les mariniers admirent sa maison, « Mauricehuis » et la curieuse église ou plutôt temple protestant octogonal, la Koepelkerk, premier édifice protestant de Hollande. C’est un vrai plaisir de déambuler dans une petite ville historique comme Willemstad dans un pays dont les habitants sont tellement attachés à leur patrimoine, qu’ils le dorlotent, le briquent, le peaufinent, l'astiquent, le lustrent, le polissent, bref le soigne. « Venez-vous de terminer la construction de votre maison ? » « Non, elle a quatre siècles ! ». Les portes, laquées de noir, les huisseries et autres encadrements, rutilants ont sûrement été repeints le matin-même pour notre visite. Les fenêtres, sans rideau, laissent plonger les yeux indiscrets dans des salons chaleureux. Une vieille tradition remontant à une époque où la taxe sur les maisons était proportionnelle au nombre de rideaux. Pas de rideau, pas d’impôt ! Les galeries de peinture se succèdent le long de la Voorstraat, une fois de plus, savant mélange de modernisme et de vieux murs. Peu à peu le vieux port se remplit et en fin d’après-midi est bondé, et c’est la fin septembre… Dans le soleil couchant, le vieux moulin du bout du port vire à l’orange c’est normal chez Guillaume.
Willemstad suivant Googleearth
Willemstad
Au matin, le trafic est toujours aussi intense sur cet immense estuaire. Troll croise d’énormes barges, porte-containers, transport de gaz, de céréales, d’autres le doublent car ici, pas de limitation de vitesse. Troll file 8 nœuds et se fait doubler par des monstres filant entre 12 et 15 nœuds. Quelques grosses barges battant pavillon helvétique sont en route pour Bâle. Et tout à coup, ça se calme, nous quittons la partie rhénane pour embouquer la Meuse au trafic plus modeste. Les berges perdent leur aspect industriel et prennent un aspect camarguais, paradis des oiseaux. La Meuse est calme, paisible, large et bordée de nombreuses marinas qui amènent une belle activité de plaisance. Une zone de 2km est réservée à la vitesse et une vingtaine de bateaux mini-offshore s’en donnent à cœur joie, mais deux km c’est vite parcouru à 40 nœuds ! Plus loin une régate de dériveurs gréés à corne qui virent sous l’étrave d’un Troll, ancien voileux, ancien régatier, est très respectueux des règles.
Après une journée sans écluse - champagne pour tout le monde – Troll pointe son nez dans la marina de Heusden et vient s’amarrer au ponton d’accueil. Ici on n’est pas à Calvi, un ponton d’accueil c’est un ponton d’accueil. Un interphone relie le ponton à la capitainerie qui nous alloue le ponton pour la nuit. Comme Willemstad, Heusden est une ancienne place forte fortifiée en étoile. Aujourd’hui les remparts sont aménagés en promenade. L’ancien port, trône au cœur de la vielle ville, protégé par un pont à bascule. Trois moulins complètent la parfaite carte postale batave. Jansen, le célèbre boucher-charcutier de la ville paraît-il le meilleur de Hollande, cherché par quatre mariniers qui salivent déjà, a fermé et vendu sa boutique sur Vismarkt, la place du marché, remplacé par un magasin …. de fringues.
Ce dimanche 22 septembre Troll attaque la dernière étape de cette longue route entamée à Marmaris le 3 mai. 64 km et deux écluses, les 220ème et 221ème, au bout de l’étrave Katwijk qui a vu naitre Troll en 2007. Un brouillard matinal fume à la surface de la douce, de la paisible Meuse. Le soleil met sa pompe à brume en route et sortent du paysage des vaches sur les berges, des bacs jaunes chargés de cyclistes, de longues brochettes de pécheurs alignés, concentrés. C’est dimanche.
Heusden
Heusden
La dernière, la 221ème (quoi, on se demande) est franchie au joli village de Grave, un pont et, sur tribord s’ouvre l’entrée du port de Cuijk. Encore quelques minutes et Troll est amarré au ponton du chantier Bendie, à côté de la rampe le long de laquelle il glissait pour la première fois vers l’eau le 19 mai 2007.
Au ponton Bendie
Une sortie de l'eau rustique
1 commentaire:
Gent en Néerlandais ;) (Ghent c'est en anglais)
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