La fête se déchaine au bistro Stavros le long du quai de Porto-Cheli. Les lampions pendent du plafond. Les serpentins volent. C’est minuit. La petite communauté de navigateurs britanniques se lève et entonne le « God Save the Queen » car la reine est bien la première personne à laquelle il faut souhaiter une bonne année 1999. Les bises alternent avec les poignées de main, les verres se lèvent mais ne sonnent pas car outre Manche un verre qui tinte est un marin qui meurt. Charles, pardon SIR Charles, ancien officier de la Royal Navy entonne son nième chant de marin repris à l’unisson par Peter, Jenny, Steve, Rosy, Rob, Lynda et les autres alors que le vaillant équipage francophone de Captain Smith rajoute quelques la-la-la pour avoir l’air dans le coup. C’est la deuxième fois que Captain Smith hiverne à Porto-Cheli et le cercle de navigateurs festifs de la perfide Albion qui gravitent autour du chantier de Franz - qui aime se faire appeler Frank – a adopté avec chaleur ces deux continentaux sans éducation qui ont eu le culot d’appeler leur voilier du nom d’un natif du Devon.
Dix ans plus tard Troll découvre ces eaux si familières à son ancêtre et a hâte de faire la connaissance de cette bande de farfelus éternellement jeunes si l’appel du large ne les a pas menés sous d’autres cieux.
La ré-acclimatation commençe par Ermioni, bourgade paisible et port de pêche un peu en marge des circuits touristiques. Au mouillage face aux maisons blanches. Le bleu omniprésent cycladien des fenêtres, portes, volets, chaises et tables fait place à une variété de couleurs qui laisserait presque entrevoir une certaine tendance anarchique. Un haut parleur grésillant acheté probablement dans une gare au fin fond d’une province française - ce genre de haut parleur qui déversent ses informations uniquement dans le but de vous faire rater votre train – répand la bonne parole popale (à ne pas confondre avec papale) en ce jour de pentecôte orthodoxe devant un parterre de fidèles féminin et vieillissant. Ce soir le pope sera sur la colline dominant la baie bénissant les mariés dans la chapelle qui toise Troll.
Ermioni
La côte défile. Le haut fond sous le cap Agios Aimilianos est toujours là. Spetsai salue Troll qui embouque la passe de Porto-Cheli. En dix ans la ville s’est offert un bon lifting et apparaît plus soignée. Le quai construit par l’Otan il y a cinquante ans, naguère presque désert est maintenant bondé. Tony le livreur d’eau s’est offert un nouveau camion citerne et une casquette d’amiral qui le fait ressembler de plus en plus à Tony Curtis. Son sourire épanoui fait passer n’importe quel tarif pour son eau que « je vais chercher personnellement à la montagne. C’est une eau de source exceptionnelle… » Ex-ac-te-ment le même texte qu’il y a dix ans. Sacré Tony. Le passage accroché au quai surchauffé sera de courte durée. Troll va se ventiler au mouillage au milieu de la baie.
Aujourd’hui, grand évènement, nous allons mouiller devant la « bergerie ». Ici, une confidence s’impose : c’est incroyable le nombre de résidences secondaires que l’on a envisagées d’acheter. Vous voyez, le genre point de chute lorsque l’on prend sa retraite professionnelle et nautique. En général avec une attirance marquée pour le genre « chef d’œuvre en péril » à rénover qui entraine une réflexion enthousiaste du second du style « Ge, c’est de la folie ». Et bien la fameuse bergerie fait partie de la liste. Imaginez une grande bergerie plantée sur une colline au milieu des oliviers qui dévalent la pente jusqu’à une baie extraordinairement bien protégée. A partir de là on peut gamberger : un ponton où Captain Smith est amarré, la récolte des olives d’où nous tirerions notre huile, quelques moutons etc etc Munis d’une lettre de recommandation rédigée en grec dans les termes pompeux qui conviennent, nous voilà prendre rendez-vous avec le maire de Granidi pour qu’il intervienne auprès du propriétaire. Rien n’y fit le proprio fut intraitable « Cette bergerie ne me sert à rien mais je ne vendrai jamais de la terre que m’ont légué mes ancêtres. Je la garde pour mes enfants » Na !
Troll se balance au mouillage au pied de la bergerie inchangée. On la lui montre. « Tu vois on t’aurait construit un ponton juste là ».
La bergerie
L’électronique Furuno hoquète : plus d’information de profondeur et de vent, la navigation par « waypoint » du pilote automatique a disparu. Une sorte de déprogrammation du système. Avant de plonger dans les entrailles de ces instruments, il paraît plus sage de déterminer où se trouvent les agents Furuno de Grèce. A 5 milles au nord Koiladhia abrite le chantier Basimakopouli où hivernent bon nombre de voiliers et qui pourra sans doute nous renseigner. Cap sur Koiladhia blotti au long d’une anse fermée par une île. Un formidable abri.
Et c’est bien l’avis de trois grosses tortues qui lassées des voyages y ont établi leurs quartiers. De temps à autre une tête – deux bons poings – apparaît avant d’entamer une nouvelle apnée. De nombreux bateaux de pêches, des bateaux de commerce : un port actif tels qu’on les aime. Quelques yachties retraités au mouillage dans la rade.
Koiladhia
Au matin Angelos renseigne le Capitaine : pas d’agent Furuno sinon à Athènes mais un ingénieur en électronique autrichien à la retraite installé à Porto-Cheli. Un coup de téléphone au Dipl. Ing. et Troll reprend la route de Porto Cheli. A peine amarré cette fois-ci au pied de l’église au seul endroit du quai bien ventilé, Walter, le Dipl. Ing de Vienne et de Graz, saute à bord. Après deux heures d’efforts et de discussions, tout remarche sauf la navigation par Waypoint dont Troll se passera jusqu’à ce qu’un agent Furuno apparaisse le long du trajet. Le succès de la réparation se fêtera dans une bonne taberna.
Sur notre babord un sympathique « fifty » partage un autre bout du quai. A son bord Leo et Peggy qui sont à Porto Heli à bord de leur Seafin depuis 12 ans. Les nouvelles commencent à circuler ; le puzzle commence à se mettre en place. Franz-Frank navigue aux Antilles et Peter et Jenny sont dans les parages. Le lendemain un grand barbecue est organisé sur une plage : c’est l’anniversaire de Peggy. Nous sommes conviés. La tradition festive des yachties de Porto-Cheli se perpétue. Steve et Rosy sont présents et il faudra un peu de temps pour que chacun se reconnaisse derrière ses cheveux devenus blancs. La mémoire de Steve s’avère absolument extraordinaire : Captain Smith, le montage du rail Frederiksen le long du mât avec Rob, le Cern… les parties à Porto-Cheli ou sur la côte turque, Steve se souvient de tout. Nous apprenons que Rob et Lynda sont aux Antilles mais que Lynda a changé de capitaine, Peter, Jenny et leur fidèle équipier Charles qui fête ses 76 ans, sont en balade dans le coin mais reviennent en fin de semaine – nous les verrons fin août. Steve et Rosy travaillent toujours au chantier que Frank a revendu à Christian. Nous faisons connaissance de nouvelles têtes dont le point commun est « Vie simple et pas de contrainte ! ». Une Allemande veuve depuis trois ans continue à naviguer seule sur son magnifique ketch Franz Maas de 13m qu’elle n’arrive pas à quitter. Toute de rose vétue et bijoux, pas vraiment le genre à tirer sur les écoutes. Et bien nous l’avons vue rentrer dans la baie de Porto-Cheli seule. Bravo ! Un couple allemand d’une quarantaine d’années s’est construit une belle maison dominant la baie face à Spetzai. Son truc à lui, le technicien en mécanique, une camionnette équipée de l’outillage nécessaire à toute réparation mécanique à bord. La concurrence est très faible et son petit business marche très bien. Wolgang musicien d’orchestre philarmonique, lui son truc c’était le hautbois, Bâlois par sa femme, une forte personnalité qui affiche ses idées d’helvète socialiste avec force : « En Suisse c’est incroyable, quand on est socialiste on est vite considérée comme pestiférée. »
C’est gai ! C’est chaleureux !
Porto Heli
Le long du quai en fin de journée se joue un spectacle aux antipodes de notre barbecue convivial. Les Yachts-mastodontes en provenance d’Athènes débarquent en force pour passer le Week-end à Porto-Cheli. Les équipages en uniformes bleu marine et blanc ou beige suivant le goût de madame la propriétaire s’activent. Les amarres volent. Les manoeuvres sont parfaites … sauf lorsque le propriétaire décide de rester aux commandes pendant l’accostage. Quatre tentatives se concluent par quatre catastrophes. Le mega-Yacht finira au mouillage au milieu de la baie. Les invités seront privés de resto. Heureusement qu’il restait de ce délicieux homard du Maine.
Dans le cockpit Steve, Rosy, Leo et Peggy nous font leurs adieux. Demain Leo et Peggy feront de l’est pour aller hiverner en Turquie à Kemer. Demain Troll quittera Porto Cheli en direction d’Ermioni point d’arrivée de Monsieur son armateur et de Madame sa marraine.
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