dimanche 1 novembre 2009

Corinthe ou les raisins de la colère d’Eole


Le gros insecte, la mante religieuse géante, approche dans un nuage d’écume, menaçant la petite ville d’Ermioni. Ces quelques hydroglisseurs construits en Union soviétique dans les années 50, font bien leur âge. Bosselés, peints et repeints, bruyants et odorants ces engins de science fiction au doux nom de « Dauphins volants » s’accrochent et narguent les modernes et monstrueux « catamarans volants ».

L’insecte aquatique s’est posé et rangé le long du quai à quelques mètres de Troll qui lorgne du coin de l’œil l’arrivée de son armateur et de sa marraine.

Le Meltem souffle à nouveau et anormalement tôt ce matin. La météo n’est pas très enthousiasmante pour passer une nuit dans un port d’ Hydra surchargé et ouvert à la houle de nord. Une visite du port style bateau mouche : photos, quelques Oh et Ah, trois petits tours de port et puis s’en vont … à Poros, bien protégés, le long du chenal.


Le long du chenal de Poros


Entrelacis de ruelles blanches, odeur de jasmin et chiens galeux : c’est l’ascension de la colline. Yaya et Pappous prennent le frais assis face au levant ombré « Kalispera » « Kalispera ». Sur le quai le « Cinema » très mussolinien dont la dernière affiche annonce « Le train sifflera trois fois » construit à l’époque de l’occupation italienne. Tessera Ouzo au bar de l’entracte dominant le port.

Tout habitué de Barcelone connaît le restaurant « Los Caracoles » mais qui en connaît « O Karavolos » la version grecque de Poros. Le long d’une venelle pentue, loin de la frénésie du bord de l’eau, Maria à l’accueil enthousiaste se retient à peine de vous serrer sur sa généreuse poitrine. Délicieuse papoutzaki.

La sieste a été longue et le réveil tonitruant. Il est 22.00. Les quais endormis de l’après-midi et de ce début de soirée font place à la musique disco écrite par des musiciens qui n’ont jamais dépassé la première leçon de solfège : boum-boum-boum-boum. Troll tressaute et hoquète. « Stille nacht, heilige nacht… »

Poros se profile en toile de fond derrière la petite île de Dhaskalia et sa chapelle blanche devenue maison de vacances. Les eaux sont à la fois claires et turquoise. Odeurs de pins et cigales. La Méditerranée carte postale.

Changement d’odeur. Les odeurs de pins font place aux œufs pourris : Troll pointe son museau dans le port de Methana la bien nommée. Et si le village à côté s’appelle Vromolimani – le port qui pue – ce n’est pas par hasard. L’eau du port est opalescente, laiteuse, garantissant un traitement anti-fouling incomparable, aucune espèce animale ou végétale ne résistant à cette mixture sulfureuse. Dans le bassin voisin, face aux bains thermaux, barbotent des curistes très pays de l’est années 50. Aux antipodes des luxueux yachts alignés le long des quais de Poros. Les plaisanciers au nez délicat de passage à Methana sont rares aussi l’accueil du chef de port est chaleureux. Nous abandonnons Troll, bien coincé entre ses deux petits voisins qui semblent ne pas avoir appareillé depuis l’époque où les thermes étaient romains, pour sauter dans un taxi en direction d’un haut lieu de la médecine : Epidaure le fief d’Esculape. Allons vérifier si les promesses d’immortalité prodiguées par le grand médecin mi homme mi dieu sont fondées. Les patients accouraient de toutes les villes du monde ellenistique pour se faire soigner par ces médecins fameux. Un hospice les hébergeait, un stade les remettait en forme physique « Mais regardez-moi cette bedaine : Vous devriez faire du sport ! » et psychique « Allez donc ce soir au théatre ça vous changera les idées ! »

L’acoustique du théâtre est d’ailleurs toujours aussi exceptionnelle. Il y a dix ans une touriste japonaise chantait « Madame Butterfly » aujourd’hui, une rouquine chante une ballade irlandaise.


Epidaure 14000 places au soleil


ça se retape...


De nombreux édifices sont en cours de rénovation : colonnes, péristyles et corniches au marbre étincelant nouvellement taillés. Cette reconstitution est-elle bien fondée ? Une animation 3D ne serait-elle pas beaucoup plus appropriée?

Profitant de notre nouvelle immortalité, le cap est mis sur Palaia Epidavros, le vieux port d’Epidaure.


Palaia Epidavros


Aujourd’hui, le meltem est de nouveau en forme, mais Korfos n’est pas très éloigné de Palaia Epidavros. A peine arrivé, en fin de matinée, Troll cherche le meilleur endroit pour jeter l’ancre dans cette baie où les fonds ne remontent que très près de la côte. L’ancre s’accroche bien dans des fonds de 5 mètres. L’observation de la bonne tenue de l’ancre avec ces rafales qui n’en finissent pas d’osciller entre 15 et 32 nœuds. Enfin, vers 6 heures, Eole fatigué, se lasse. L’heure est à la baignade, l’heure est à l’apéro.

Devant l’étrave les terres du golfe Saronique se resserrent. Au loin sur tribord défile l’île de Salamine, un nom qui émoustille le tréfonds de nos mémoires. Pour Xerxes cette bataille navale allait sceller la défaite définitive de ces Athéniens arrogants. Au sommet d’une colline assis sur son trône d’argent Xerxes savourait sa future victoire. Themistocle pratiqua la désinformation en laissant croire à sa retraite. Xerxes jubila. Mais la petite flotte grecque était en embuscade. La débâcle perse fut totale. Troll a une pensée émue pour ses ancêtres les trirèmes victorieuses.

Depuis 1893 le golfe Saronique n’est plus un cul-de-sac et cela en aura pris du temps. Neron avait mis 6000 esclaves au travail. La tentative échoua par manque de bulldozers et de dynamite…

A l’entrée du canal la récente tour de contrôle veille. Le règlement indique : pas de passage le mardi pour cause de dragage et nous sommes mardi. Mais nous sommes en Grèce alors un règlement, vous plaisantez ! Donc pas de problème nous emboitons le pas de 2 cargos après avoir acquitté notre écot de 260 euros, le record mondial par km pour un péage de canal.

Les falaises calcaires défilent nous surplombant de 80 mètres. Ponts d’aciers alternent avec ponts de béton.


Canal de Corinthe


Corinthe la poussiéreuse est saluée de loin : cap à l’ouest vers les îles Alkionides, îlots désolés balayés par le vent d’ouest. L’inspection de ce mouillage venteux et profond ne pousse pas à y mouiller notre ancre. La côte proche au nord offre de nombreuses possibilités de mouillages et après une reconnaissance de plusieurs baies toutes plus venteuses les unes que les autres Troll se décide pour un petit creux mieux abrité, au milieu de nulle part, la baie Vathy. Une plage et des oliviers pour rappeler qu’il y a longtemps, quelqu’un ici se souciait d’huile d’olive. Aucun signe d’habitation alentour. Au petit jour la solitude de Troll est rompue par une femme péchant assise sur un rocher et un plongeur en train de s’équiper sur sa barque.

Sitôt Vathi et Dhomvrainas quittés, nous affrontons à la sortie du second golfe, un fort vent d’ouest oscillant entre 20 et 30 nœuds et exactement dans le nez, essayant de freiner la progression de Troll. Mais Troll est têtu, Troll est obstiné et 24 milles après que l’ancre ait regagné son écubier, se profile le port d’Andikiron. Bientôt le quai est là. Un petit homme gesticule, fait des grands gestes et indique la place d’amarrage le long du quai. Facile par temps normal mais lorsque le vent vient du quai avec des rafales à 30 nœuds c’est une tout autre histoire. L’amarre avant est finalement lancée mais quelques belles rafales éloignent l’arrière de Troll pas encore assuré. Une longue amarre frappée à l’arrière est lancée à quai par l’avant.. Le petit homme qui gesticule de plus belle en poussant des sons incompréhensibles passe l’amarre sur une bitte. Alors commence une longue remontée vers le quai, centimètre après centimètre en s’aidant du propulseur d’étrave et du cabestan électrique arrière. 45 minutes plus tard Troll était à quai bien amarré. Le plus long amarrage de l’histoire de Troll. Des sons sortent de la bouche de notre petit homme, sourd-muet qui explique avec force gestes la façon de faire les branchements électriques ou d’obtenir de l’eau. Le capitaine fait des progrès fulgurant dans le language des soursds-muets sous-titré uniquement en grec. Dimitrios nous fera aussi comprendre que ce soir à huit heures il viendra nous chercher pour nous conduire dans une taverne tandis que lui gardera le bateau.

Vers le soir, arrive, au volant d’une 4x4 flambant neuve, un fringant garde-côtes. C’est l’heure des formalités officielles et du paiement de la taxe portuaire que Bruxelles a supprimé mais qui survit en Grèce malgré les injonctions de la Communauté Européenne. Il prétend réclamer le versement de deux taxes, soit deux jours. Le capitaine s’insurge en expliquant que Troll ne restera à quai qu’une nuit. Pour le pandore, c’est deux jours car la date change à minuit. Pour finir, il semble admettre le point de vue du capitaine et s’en va pour modifier ses papiers et encaisser la taxe d’une nuit. On ne le reverra plus.

Un petit peu partout dans le monde, la langue véhiculaire est l’anglais partout sauf a Andikiron. Ici l’épicier, le serveur du restaurant, un passant interpelé tout le monde parle français. Pourquoi ? La réponse se trouve de l’autre côté de la baie dans cette usine qui fume entourée de roches rouges : Pechiney et sa fabrique d’aluminium. La bauxite regorge dans les montagnes avoisinantes. En 40 années de présence de la firme française, la culture de l’hexagone a imprégné la petite bourgade. Bienvenue à Andikiron.

A huit heures les amarres sont larguées. Sur le quai Dimitrios est venu nous faire ses adieux. Sœur Theresa fraichement arrivée de Calcutta remet solennellement un T-shirt « Troll » et un petit billet. En remerciement il donne sa version sourd-muet de la météo : doigt pointé vers le ciel nuageux gris foncé puis mouvement des bras évoquant un bateau chahuté par les vagues agrémenté d’un « Psssssshhhhhhhh, Psssssshhhhhh, Pssssshhhhhh » sans aucun doute l’écume mêlée au vent. Je résume : nous allons nous faire secouer.

Et nous fumes secoués : force 6 creux de deux mètres. Troll passe bien imperturbable. Les estomacs tiennent bon, stabilisateurs obligent. L’équipage est silencieux voir recueilli.

Après 3 heures de cette navigation-grand huit, Itea est en vue. En entrant dans le golfe, la mer se calme peu à peu. Aux jumelles, le port est ausculté pour choisir un point d’amarrage. C’est alors l’étonnement: 300 Optimistes, à la queue leu leu, sortent du port. Des centaines de petites têtes brunes, très rarement blondes, enfants et adolescents, s’apprêtent à rivaliser dans le cadre des championnats de Grèce. Les petits voiliers sortis du port, Troll s’y engouffre et s’amarre le long d’un quai.


Championnats grecs d'Optimists


A peine amarrés, un 4x4 bleu surmonté d’un gyrophare bleu avec deux gardes côtes bleus, se gare le long de Troll : ils reprochent au Capitaine d’avoir quitté Andikiron sans avoir acquitté les taxes. Il explique que restant une nuit, il n’avait pas à payer une taxe pour deux jours et que le garde, qui avait repris les papiers pour les rectifier n’était jamais revenu. Les gardes repartent en enjoignant de se présenter avec tous les documents utiles à leur bureau avant 15 heures.

A son arrivée chez les gardes côtes, le Capitaine est interrogé par la « charmante » Theodora qui réclame le paiement de la taxe d’Andikiron pour deux jours et celle d’Itea pour trois jours –on reste 2 nuits-. A chaque argumentation contraire, un nouveau règlement est inventé : elle explique par exemple que pour ne payer qu’un jour, il faut arriver après 21 heures et repartir avant 3 heures du matin, sinon c’est 2 jours. Elle exige les passeports de tous les membres d’équipage. Le capitaine explique que nous n’avons que des cartes d’identité, le passeport n’étant pas nécessaire à des Suisses pour entrer en Grèce. Elle ne veut rien n’entendre jusqu’à ce que son chef lui demande d’arrêter l’argumentation. Enfin, le capitaine est sommé de se représenter le jour du départ avec les cartes d’identité de nous tous.

La dernière recommandation fuse « Surtout n’oubliez pas de revenir avant de quitter le port pour faire tamponner votre Transit Log. C’est très important ! »

Les optimistes rentrent dans le port après six heures au large. Pas fatigués du tout, quelques acharnés continuent à tirer des bords dans le port le long de Troll en nous offrant un beau spectacle.

Le soir une voiture est louée car demain la visite de Delphes est au programme.

Une lumière rasante effleure la mer d’oliviers qui se fond au loin avec la demeure de Poséidon. Les pèlerins se hâtent sur le chemin en partie empierré en partie dallée de marbre. Le bateau les a débarqués à Kirrha. Voila bientôt trois semaines qu’ils ont quittés Athènes alternant voie maritime et pédestre. Sur le dos des ânes tintent les vases et statues de bronzes autant d’offrandes pour satisfaire et inspirer la pythie mais surtout apaiser la cupidité des prêtres.


"Une mer d'oliviers" disent tous les guides


L’enceinte des lieux saints est enfin atteinte où un péage est perçu. Ici plus de chemin fait de poussière et de pierres instables. Les dalles blanches, savamment jointoyées, enchaînent les longues marches de la voie sacrée bordées de splendides statues. Toutes les villes-états du monde hellénistique rivalisent et veulent prouver aux autres sa magnificence, sa puissance son arrogance. Chaque « trésor » se doit de surpasser l’autre qui lui fait face. Sycone, Sifnos, Thèbes, la Béotie et bien sûr le trésor d’Athènes devant lequel s’entassent sculptures et armements de bronze. Voici trois semaines de marche bien récompensées. Encore deux virages et voici le saint du saint, le temple d’Apollon. Une immense statue du dieu en marque l’entrée. Demain, la Pythie a promis d’exaucer la demande des nouveaux pèlerins. Demain la Pythie parlera d’Athènes. Ce soir ils ne manqueront pas d’assister au concours de chant, un spectacle du théâtre de Delphes parait-il unique. Dommage, les Jeux Pythiques viennent de se terminer il y a moins d’une lune. Mais ceci n’enlève rien à la grandeur du stade où, il y peu, retentissaient les cris d’enthousiasme.

Pour l’instant l’ambiance est recueillie, les pèlerins, silencieux admirent le site.


Delphe - Le Tolos



Le temple d'Apollon


Incontournable Aurige


Les Athéniens, version 20ème-21ème siècle, arrivent par milliers l’hiver pour dévaler à ski les pentes du Mont Parnasse. Arachova est un endroit bien insolite pour quatre helvètes plus habitués à associer la Grèce à Péricles, Socrate ou Herodote. Arachova est une station de ski qui ferma ses pistes le 17 mai dernier ! En cette fin juin, la petite station est déserte, les restaurants et autres boutiques ont volets clos. Réouverture le 1er novembre. Et qui nous renseigna pour trouver un restaurant ouvert et bon de surcroit : un Lausannois d’origine grecque établi à Arachova pour vendre des tapis… turcs et des boufadous de l’Aveyron! Ca ne s’invente pas.

Pour parfaire la journée de ski alpin rien de tel qu’un petit crochet par Saint-Luc. Là vous vous dites « Le Captain est devenu fou ». Mais non, pas le Saint Luc valaisan du Val d’Anniviers mais le Saint Luc grec, Agios Loukas, un monastère byzantin perdu au milieu de collines ondulantes vêtues de cyprès et d’oliviers. Si les prêtres antiques ne dédaignaient pas les riches offrandes, les popes médiévaux ne refusaient jamais une dorure supplémentaire pour enluminer, les murs, les plafonds, l’iconostase. Même si l’ensemble est superbe on ne peut à chaque fois que penser qu’une victoire des Nestoriens aurait peut être été préférable.


Saint-Luc


A peine de retour à bord de Troll le présent se rappelle à notre bon souvenir en la personne d’un Coast guard tout galonné et de blanc vêtu – Troll ne parle plus aux subalternes – qui avec une magnifique candeur demande de passer à son bureau pour remplir les documents d’arrivée à Itea « Ceci a déjà été fait hier » marmonne le capitaine au bord de la crise nerveuse « Ah bon ! » répondit le gradé. La rubrique coordination n’est certainement pas au programme de l’enseignement des Coast Guard.

Fin de l’épisode Coast Guard Itea ? Que nenni messire. Laissez-moi vous en conter l’issue et vous en serez tout ébaudi.

Donc, dès potron minet le capitaine se rend sur son fidèle destrier pliant au dit bureau tout orné de la bannière hellène pour accomplir le rituel demandé : la cérémonie de sortie du port d’Itea assorti de la valse des tampons. Il trouve porte close car imaginer qu’une ouverture continue au fil des 24 tranches d’horloge contient une connotation de perpétuité, relève d’un esprit primaire voire borné. On pourrait presque parler d’esprit à œillère. A force d’actionner les carillons, la maisonnée finit par s’éveiller et une tête ébouriffée, ensommeillée, apparait au balcon s’enquérant des désirs de ce malotru qui troublait ce doux sommeil coastguardien. « Messire je viens accomplir la cérémonie de départ du port » « Manant passe ton chemin. Cette cérémonie n’est pas nécessaire. Partez, quittez le port » « Non je tiens vraiment à obtenir le tampon de sortie » « Bon entrez mais ça ne sert à rien ! » Les tampons furent apposés en maugréant et surtout en précisant « Vous ne devez rendre visite aux Coast Guard que une fois par mois ». C’est ainsi que le Capitaine regagna le bord à deux doigts de défunter.

A portée d’arbalète d’Itea, se niche la pimpante Galaxidi, l’ancien fief des armateurs du golfe de Corinthe, le pendant, la concurrente d’Hydra de l’autre côté de l’isthme. Un joli quai de pierre tout neuf équipé de bornes électriques et de points d’eau remplace les empierrements hostiles du passé. Galaxidi soigne sa tradition, sa réputation maritime. Au 19ème siècle les chantiers navals s’alignaient le long de la grève honorant les commandes des riches armateurs qui suivaient depuis leurs belles demeures neo-classiques l’avancement des travaux de leur dernière barquantine qui complétera la flotte Galaxidienne déjà forte de 550 navires de commerce. Aujourd’hui les chantiers ont fait place à l’habituel alignement de tavernes. Insensible au changement Agios Nicolaos domine et protège la ville de ses trois coupoles carillonantes.

Toute cette belle histoire vous sera contée au magnifique petit musée maritime.

Deux jours Troll se prélassera au quai chargé d’histoire tandis que le vent d’ouest continue à déformer les eaux du golfe.


Galaxidi


Au quai de Galaxidi


Au petit jour Eole fatigué, à bout de souffle, s’est enfin couché. Le soleil se lève sur une ville soudain dorée, ponctuée de bougainvilliers écarlates. Cap sur l’ île de Trizonia à 20 milles au vent.

Trizonia ou l’île oubliée. Qui connaît cet îlot planté le long de la côte nord du golfe de Corinthe et pratiquement à mi-chemin entre Patras et Corinthe. La halte idéale pour les voiliers et autres bateaux migrateurs entre l’Ionienne ocre et l’Egée blanche et bleu. Baie très protégée, port-abri qui refuse le « modernisme » Glifahdien du « continent » tenue fermement à distance de l’autre côté de la passe.

Terminant son approche, un curieux bateau environ d’une trentaine de mètres, vient se placer le long de la digue principale. Cette barge de la Tamise mais oui bien sûr c’est l’Amara Zee, le bateau des Saltimbanques de la mer, le bateau de Paul auteur-metteur en scène – animateur et Capitaine rencontré avec sa troupe à Veliki Gradiste en Serbie sur le Danube en juillet 2007. L’Amara Zee le bateau théâtre et sa troupe « Caravan Stage ». 20 artistes, 10 nationalités, sous la baguette de Paul le Canadien bourlingueur. Un cirque du Soleil nautique.

Troll se laisse tranquillement dépaler contre la digue devant l’Amara Zee.


Troll et l'Amara Zee à quai à Trizonia


Le village, quelques maisons blanches, colorées de géraniums éclatants, entourées de mûriers et d’oliviers, une place juste au bord du port de pêche avec ses tavernes abritées. Les eaux se reflètent dans les verres d’ouzo. Le Capitaine lorgne quelques maisons délabrées en mal de rénovation. Des barques font la navette avec le continent pour approvisionner la petite communauté et les plaisanciers goulus. A côté sur l’Amarra Zee, sons d’accordéon et chants : la troupe répète.


Répétition ludique


On ne quitte pas Trizonia sans un pincement au cœur. Une escale d’une semaine aurait été parfaite. Il ne faut partir qu’au moment où l’on se surprend à dire « Et si on allait voir autre chose ? »

Le cap est mis sur Navpaktos pour se replonger dans une page d’histoire : dans ce port qui fut vénitien trois siècles, les Ottomans avaient concentré le matériel destiné à armer leur flotte qui allait affronter celle de La Sainte Ligue, le 7 octobre 1571 à l’ouest de Lépante devant l’îlot Oxia. À l’issue de ce combat naval, la flotte ottomane fut anéantie, Cervantès y perdit la main gauche en sortant une Donquichoterie dont il avait seul le secret : « Pour la gloire de la droite ». Au pied des remparts, une statue de l’écrivain… avec ses deux mains.

Au loin le pont Poséidon, qui relie depuis 2004 le Péloponnèse au continent, cônes de dentelle, merveille d’architecture, barre l’horizon.

Le port vénitien de Navpaktos, un bassin arrondi entouré de fortifications, minuscule tellement minuscule que Troll est en train de se demander « Pas possible le Captain est en train de me refaire le coup d’Estergom » Mais le Captain a un principe : si la dimension du port est supérieure à la longueur de Troll alors, pas de problème ! Troll, bien amarré au pied de la tour médiévale, entouré de maisons colorées qui se mirent dans les eaux lisses, salue et songe à la bataille de Lépante.


Navpaktos-Lépante


Paul et son Amara Zee est encore plus intrépide. Une représentation théâtrale est programmée dans trois jours à Navpaktos au pied des murailles. Mais cette fois il faut loger un bateau de 30 m et le long du quai ce qui nécessite d’évacuer les petites barques de pêche. Par téléphone Paul avait l’engagement des Coast Guards d’assurer cette préparation. Par sécurité il appelle le captain qui lui indique que rien n’est pour l’instant dégagé et propose de se rendre à la capitainerie. A la capitainerie on jure sur la tête Agios Giorgios que tout le quai sera libre dès demain 8.00 avant l’arrivée de l’Amara Zee.

Le lendemain matin à 8.00, rien ne bouge, à 9.00 rien ne bouge et le captain en informe Paul par VHF. Troll sort du port et l’Amara Zee met une annexe à l’eau : trois saltimbanques rentrent dans le port, déplacent les barques devant le Capitaine du port qui les regarde faire en se croisant les bras. L’Amara Zee peut enfin s’amarrer et préparer ses trois représentations…Rendez-vous est pris, Troll assistera au spectacle dans deux semaines à Vonitsa près de Preveza.

La zone venteuse et perturbée est maintenant dans le sillage où s’effilochent quelques derniers nuages noirs. L’eau est lisse. Devant la proue, majestueux, l’arachnéen pont Poseidon « Rion traffic, Rion Traffic, Rion Traffic, for Troll, For Troll over » « Troll, for Rion Trafic, length and height of boat?” “…” “Troll, north passage, one pile to your starboard, out”


Le pont de l'Europe



Le grandiose pont se rapproche tantôt argent, tantôt or. Troll se sent bien minuscule sous le gigantesque tablier.

Au fond de nos mémoires, Missolonghi est associé à Byron, le poète idéaliste venu, en 1824, soutenir les Grecs assiégés par les Turcs. Il ne succomba pas les armes à la main sur les remparts de la ville comme aiment le représenter les dessinateurs romantiques mais bêtement d’une pneumonie juste après son arrivée.

Autre particularité de la ville : sa situation au bord d’une lagune parsemée de maisons de pêcheurs sur pilotis et percée d’un chenal d’accès liant le port à la mer. Pas étonnant que les Vénitiens s’y soient sentis bien et y soient resté trois siècles.


Une lagune presque vénitienne


La marina en construction parait bien excentrée au milieu de son terrain vague. Troll choisit le quai commercial que l’on quittera rapidement pour un paisible mouillage forain au milieu de la rade lassé par le bruit d’une bande de jeunes gitans plongeant autour du bateau, parcourant le quai à bord de vélos et de vélos moteurs sans pot d’échappement pendant que le grand frère suscite l’admiration en faisant des têtes à queue au volant de sa voiture stock car. Un cargo est de toute manière attendu et l’ensemble des plaisanciers quittent le quai.

La seconde nuit sera passée amarrés le long d’un ponton de la marina en gestation car Monsieur l’Armateur et son épouse que Troll se plait à appeler « Marraine » quittent le bord le lendemain. Le diner de clôture à Tourlidas, la pointe de la lagune, où des pélades, maisons de pêcheurs sur pilotis transformées en taberna, servent blanchaille et anguilles fumées.


Anguilles fumées, les pieds dans l'eau


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