vendredi 14 décembre 2007

Gestation


Se lancer à la soixantaine bien entamée dans la conception et la réalisation d’un nouveau bateau relève un petit peu du défi ou beaucoup de la folie. Mais enfin, mon grand-père, trouvant son château de vingt chambres un petit peu trop grand pour lui et son épouse, acheta un terrain, choisit un architecte et se fit construire à 85 ans une maison moderne à une échelle plus raisonnable. Donc : tout est possible. Et, vivre sans projet est bien trop monotone et frustrant.
Mais enfin, pourquoi un nouveau bateau? Captain Smith (*) est un merveilleux bateau sûr et confortable, un bateau que l’on peut mener les yeux fermés ; un bateau plein de souvenirs. Oui, mais… Si la taille de la maison du grand-père ne correspondait plus à son âge, la manœuvre des voiles commençait à peser sur la musculature de l’équipage. L’inconfort de rester assis une nuit entière dans le cockpit sous la pluie, de sortir de ce cockpit pour prendre un ris sur un pont transformé en « shaker » c’est très sympa à 30 ans, sympa à 40 ; à 50 on fait avec ; à 60 on dit « pouce ! ».
Quoi faire ? Electrifier toutes les écoutes et drisses de Captain Smith? Le munir d’une grand-voile à enrouleur ? Acheter un nouveau voilier -type Amel- spécialement conçu pour les bourlingueurs du troisième âge ? Et pour combien de temps ? Dans cinq ans ne serons-nous pas confronter à la même situation et aurons-nous alors le « punch » pour changer une nouvelle fois ?
Toutes ces questions plus que banales des milliers de navigateurs de nos âges se les sont posées, se les posent. Si l’alternative retenue n’est pas un chalet à la montagne et de longues soirées face à la cheminée qui crépite, et que la vie nautique perdure au fond de leurs tripes, alors que font-ils ?

« Oh Dieu, pardonnez-moi. Je suis sorti en mer à bord d’un bateau à moteur et j’ai aimé. »
Lamentation d’un navigateur anonyme
Le mot est lâché: bateau à moteur. Quelle horreur !
Jamais un bateau à moteur ne remplacera la romance d’un voilier. Au mouillage que regarde-t-on ? Les voiliers bien sûr, pas les bateaux à moteur ! Comment sortir de cette impasse ? Existe-t-il un type de bateau à moteur qui préserve, tout au moins en partie, ce charme ; un bateau qui, par sa présence ne détruit pas l’harmonie ? Un bateau capable de réaliser de longues traversées, en toute sécurité ; un bateau doux à la mer et qui passe bien dans la vague ; un bateau que l’on pilote bien au chaud de l’intérieur ; un bateau dont la frugalité touche à l’anorexie.
Petit à petit la spécification prend forme : le prochain bateau sera un « Trawler », un bateau directement dérivé des bateaux de pêche, des chalutiers.
Au cours des années 2003 et 2004 en remontant la côte américaine, l’oeil se forme aux formes élégantes des bateaux de travail : « Oyster boats » de la baie Chesapeake, « Lobster boats » du Maine. Le sens critique est en plein apprentissage. Les livres sur le sujet s’amoncellent ; les revues spécialisées sont épluchées. En regardant les variantes « plaisance » de ces bateaux, quelque chose ne colle pas. La visite du Salon Nautique de Newport sera le déclic : comme dans le cas des voiliers actuels, le moteur du « design » est CONFORT : énormes couchettes, gigantesques cuisines, véritables salles de bains le tout empilé en hauteur. Le fardage : on oublie ! Le roulis on s’en moque. Le confort à la mer ? « Mais pourquoi ? Vous voulez naviguer ? »De toute manière dans un salon nautique, même à flot, tout est calme. L’héritage des bateaux de travail est piétiné. Et ceci est simple à comprendre. Un chalutier, un « Trawler », un vrai ; celui qui va pêcher en mer quelques semaines sur les côtes d’Afrique est profond, très profond car il faut bien stocker le poisson quelque part dans la glace. Leur tirant d’eau dépassent souvent 3 m. Une caractéristique pas réaliste du tout pour un bateau de plaisance. Alors, réduisons le tirant d’eau de moitié. Le volume perdu, il faut bien le retrouver quelque part pour répondre à la demande de CONFORT. Qu’à cela ne tienne les 1.5 à 2 m enlevé en bas, on les remet en haut ! Et il est tellement plaisant de bénéficier d’une vue imprenable ; alors rajoutons un mètre de plus et voici le « flybridge ». Ce qui reste de l’héritage est leur déplacement souvent lourd impliquant des consommations en fuel trop élevées. Au salon de Newport les échafaudages flottants s’alignent au fil des pontons.
Une quadrature du cercle de plus.
Tout ceci encore un peu flou à cette époque devint limpide à la lecture de l’excellent livre de George Buehler, « The Troller Yacht ».
« Troller » ou « Trawler » ? En voyant ce livre sur les rayons de la librairie nautique de Newport je me suis dit « Il doit y avoir un jeu de mot ! » Pas du tout « Troller » est un terme inventé par Buehler pour désigner un bateau d’un type tout différent. Ces bateaux, très répandus sur la côte NW américaine (US et Canada) ne chalutent pas mais pêchent à la traîne, la plupart du temps le saumon. Leurs sorties sont de courte durée, de un à trois jours. Leurs cales pour le stockage n’ont pas besoin d’être énormes. Leur déplacement est donc beaucoup plus raisonnable. Mais il faut revenir vite au port pour décharger le précieux chargement vendu aux restaurants du coin. Bon passage dans la mer, bonne autonomie, consommation de fuel modérée, bon comportement par mauvais temps sont leurs principales caractéristiques. En résumé un bateau de caractéristiques beaucoup plus proches d’un bateau de plaisance.
(*) "Captain Smith" est notre précédent bateau, un voilier, dont les aventures peuvent être lues sur notre site www.bachy.net

1 commentaire:

Anonyme a dit…

ce bateau est magnifique. Votre voyage est original