vendredi 14 décembre 2007

Juin & Juillet 2007: la remontée du Main

La pancarte est claire « Main-Donau Wasserstrasse » mais ça paraît bien étroit pour une liaison fluviale Rhin-Danube. Une grosse péniche sort de cette petite voie d’eau : c’est sûrement là. Depuis quelques jours l’oeil s’était habitué au gros gabarit du Rhin et le Main paraît bien petit. Le compteur kilométrique est réajusté : Troll passe devant la borne « Main km 0 ».

Le début de la "Main-Donau Wasserstrasse"

La vallée du Main déroule, entre ses méandres resserrés, des paysages pittoresques où alternent arbres fruitiers et vignes. Cette Franconie viticole est en effet la deuxième région allemande productrice de vin, le Frankenwein à 95% blanc. La Franconie c’est aussi le pays des saucisses blanches de la bière fumée, de la bière blanche pour accompagner la soupe aux incontournables Knödeln « colle aux dents ».
C’est une rivière amicale, un chemin qui marche lentement contrairement à son grand-frère le Rhin. Le trafic fluvial est raisonnable mais la grande nouveauté sont les écluses inconnues sur le Rhin. 34 écluses à passer sur les 384 km du Main canalisé.
Entre l’embouchure et Offenbach au km 40, Jacques le professeur nous enseigne tous les trucs et tours de main permettant de passer ces ascenseurs aquatiques efficacement et sans problème. L’objectif est en effet Offenbach car malheureusement le « Westhafen » si bien situé au cœur de Francfort n’est plus utilisable pour cause de promotion immobilière. Au km 39.5 s’ouvre sur la rive gauche un étroit boyau au fond duquel se niche la marina d’Offenbach. Encore une fois bien étroite pour accueillir Troll. Un amarrage en bout de ponton à couple d’un bateau en acier de 12 m parait la seule solution. Jacques quitte le bord impatient de retrouver sa famille agrandie de la petite Frédérique. Jacques a accompli ses trois missions sans faillir : vérifier le bon fonctionnement de Troll réalisé par son chantier, contrôler le pilotage sur le Rhin et enseigner la conduite au nouveau propriétaire de trawler. Merci pilote ! Merci Professeur !
Quelques minutes après son départ arrive la « Hafen Meisterin » qui nous souhaite la bienvenue et très ennuyée nous indique que le propriétaire du bateau où nous sommes amarrés ne veut pas entendre parler d’un bateau à couple. Une place au fond du port nous est proposée accessible uniquement après une longue marche arrière par un vent de travers qui n’a rien de doux. Le professeur n’est plus à bord et c’est le moment pour son élève de passer un examen in vivo. Et c’est ainsi que le capitaine après une manœuvre effectuée sans problème se sentit rassuré pour l’avenir de la croisière. L’environnement est assez sinistre : terrains vagues, HLM années 50, une ville-banlieue de Francfort industrieuse et sans âme: Offenbach- Trous-les-Trous.
De Trous-les-Trous nous en « profiterons » deux jours en attendant Alain et Monique, notre premier équipage de cette aventure vers la Mer Noire. Les équipages se succéderont ainsi de deux semaines en deux semaines jusqu’à Istanbul, mais, n’anticipons pas.

Impresa


Le pied au plancher...
Il est 8.00 : appareillage. Trous-les-Trous disparaît derrière le premier méandre mais nous ne dépasserons pas le second. Une grande pancarte sur une barque « Trafic sur le Main interrompu jusqu’à 9.00 ». C’est dimanche et l’heure est à la compétition de yoles. Le trafic peut attendre. Aucun doute nous ne sommes plus sur le Rhin. La course est finie, Troll reprend sa route entre des rives plantées de saules et de peupliers, interrompues de camping et peuplées de cyclistes, de pêcheurs à la ligne et de hérons cendrés.
L’objectif était Aschaffenburg et son superbe château baroque rouge du 17ème siècle, ancienne résidence secondaire des évêques de Mayence. Mais les eaux un petit peu basses nous ferment l’entrée de la marina. Le château une fois photographié, Troll poursuit sa route et croise au km 106 la grosse barge Impresa menée par le frère de Jos, le réalisateur des superbes boiseries de Troll. Salutations, sirènes, photos. Impresa arrive de Budapest et rejoint Rotterdam. Au km 107 Troll accoste au ponton des visiteurs du Club Nautique d’Erlenbach, délicieuse marina bucolique au milieu d’un Jura boisé tout vert et vallonné. S’il ne pleut pas au moment de l’amarrage c’est sûrement qu’il pleuvait juste avant ou que sûrement il pleuvra juste après…
Au petit jour, la pluvieuse Franconie reprend sa place sur les côtés de Troll : forêts de Spessart et Odenwald, collines, vignobles, grès rouges, petits bourgs provinciaux comme Mittelberg « La perle du Main » avec ses jolies maisons à colombage aux balcons fleuris et ses clochers à bulbe. Trennfurt, Kleinheubach, Freudenberg, Faulbach sont les noms d’écluses qui résonnent dans la VHF pendant cette journée : « Faulbach, Faulbach für Sportboot Troll » « Wir möchten zu Berg schleussen ». Mais aujourd’hui tout est simple car Troll est tombé amoureux de Babette, une charmante blonde de 220 m qui lui ouvre les portes de toutes les écluses « Suis moi microbe. Avec moi tu n’attendras pas ». Mais Babette est une Batave un petit peu violente qui, pour manifester son amour, brasse beaucoup d’eau et Troll repousse ses accès d’affection avec ses deux moteurs et son propulseur d’étrave.
L’avant et l’arrière protégés par de gros parre-battages sphériques, les autres parre-battages déployés en position verticales ou horizontales, Troll protège sa peinture car il y a encore bien des péniches à séduire. Le capitaine aux commandes, Alain au milieu du bateau passant l’amarre de bollard en bollard au gré de la vitesse de l’ascenseur, Cat et Monique parre-battage volant à la main veillent au grain et … tout se passe sans problème.
Ce qui frappe le plus c’est l’extraordinaire lenteur de ce type de navigation : l’attente aux écluses, le temps d’éclusage, la vitesse de navigation. On en vient presque à éviter une collision avec une famille de canards ou un cygne. C’est la croisière anti-stress par excellence.
Wertheim, la petite ville médiévale est là. Un quai avec bollards et anneaux est devant l’étrave. Un magnifique amarrage derrière un bateau de passagers. Magnifique amarrage… de courte durée : arrive un second bateau de passagers d’une centaine de mètres réclamant SA place. Petit déménagement de quelques mètres et tout le monde est content.
En bonne compagnie
A Wertheim
Rues pavées, maisons à colombages, petites échoppes d’où dégoulinent les spécialités régionales. De bonnes bouteilles de blanc sélectionnées par un négociant oenologue attentionné, qui nous conseille de bons crus aux jolies bouteilles plates et ventrues, des charcuteries vantées par une charcutière qui raconte la larme à l’œil ses vacances dans le Languedoc, toutes ces bonnes choses embarquent. Premier test dans une taverne, des Knödel un petit peu difficiles pour des œsophages plus francs que franconiens. Wertheim la coquette nous offre quelques éclaircies pour mieux se laisser apprécier.

Wertheim

Aujourd’hui Troll suivra « Witting » qui lui ouvre la porte des écluses passées ainsi sans attente mais bien sûr sous la pluie. Si ça continue les vendanges seront catastrophiques. Une étape bien humide jusqu’à Löhr où un bon quai municipal nous accueille pour la nuit.
Frankenwein
A l’aube reprend le dur labeur du marinier : Steinbach, première écluse et il pleut ; Hanbau, seconde écluse, il pleut toujours ; Himmelstadt, troisième écluse il pleut encore ; Erlabrunn, quatrième écluse, il .. si, si il pleut et pour la cinquième écluse, Würzburg, il ne pleut pas, c’est le déluge. Merlin aura été notre guide batave du jour, mais sa baguette magique sans aucune action sur la météo.
L’arrivée à Würzburg, sous ce manteau aquatique céleste, est malgré tout superbe : pont de pierre et écluse entrelacés, clochers à bulbe, vignobles en douces pentes.
Arrivée à Würzburg
Après l’écluse, suivant les indications téléphoniques du capitaine de la marina, Troll effectue un demi-tour pour finalement venir s’amarrer nez au courant le long du quai au Würzburg Yacht Club. Le capitaine sur le quai, trempé jusqu’aux os, nous prend les amarres « Bienvenue à Würzburg ! » « Avez-vous besoin de quelque chose ? » et en cinq minutes il organise la venue d’un mécanicien pour aider le capitaine à résoudre le problème d’entrée d’air dans le circuit de fuel du moteur tribord ainsi que l’approvisionnement d’une rallonge électrique.
Le lendemain le mécanicien arrive au volant d’un minuscule canot à moteur qui vole sur l’eau poussé par son hors-bord de 110 CV. Après 6 heures de recherche systématique, pas à pas en isolant successivement chaque partie du circuit de fuel, la fuite est finalement trouvée : un corps de vanne fendu, vraiment rare. La vanne remplacée, plus de bulles d’air dans le circuit.
Quand à la rallonge électrique c’est la fille du Hafen Meister qui s’en chargera en faisant ses courses.
La marina de Würzburg
Et pendant ce temps, le long du quai, il se passe de bien drôles de choses. Un ponton préfabriqué vient s’amarrer 20 m derrière Troll et peu à peu ce ponton grandit, prend de l’ampleur, s’élargit. De grands pieux d’ancrages ne laissent pas présager une grande mobilité. En un mot Troll se retrouve petit à petit prisonnier, enfermé, condamné à finir ses jours à Würzburg et son équipage à passer ses longues soirées d’hiver chez le prince-évèque. Le capitaine part aux nouvelles. Le chef des travaux, un ingénieur un peu grincheux, ne se préoccupe absolument pas de notre problème. Pour lui, les travaux de réfection des quais sont planifiés pour durer cinq mois et immobiliser Troll pendant cette durée est vraiment le cadet de ses soucis. Le Hafen Meister n’a quant à lui pas été informé de la date de début des travaux. Mais peu à peu tout s’éclaire. Troll est la victime innocente d’une gue-guerre entre la municipalité et le Yacht-Club. La municipalité pour récupérer l’usage des quais a chassé le Club de sa superbe position en ville pour lui attribuer un emplacement à 4 km en amont. Fini donc ce joli amarrage au cœur de la vieille ville si agréable pour les plaisanciers de passage. Bien sûr le Yacht Club a traîné les pieds et maintenant la municipalité démarre ses travaux pour le pousser dehors. Et tout ça n’arrange pas Troll qui se sent victime d’un complot. Mais c’est sans compter sur la formidable solidarité des membres du club. A force de jeux d’amarres, de propulseur d’étrave et de moteurs inversés, Troll s’extrait de son piège à travers la faible ouverture restante et avec les 4 nœuds de courant de travers… sans une égratignure. Tournée générale de bière au ponton du club. Prosit und danke !
Presque prisonniers!
Würzburg
Dans les premiers mois de 1945, les Américains traversaient la Bavière en route pour Berlin. Les Allemands faisaient sauter les ponts pour freiner leur avance, quant aux GI ils rasaient les villes pour saper le moral de la population. Würzburg n’échappa pas à cette frénésie de destruction : 85% à plat. La reconstruction de la ville fut dans l’ensemble un désastre peut être à part celle de la Residenz des princes-évêques au détriment des autres bâtisses historiques.
Au milieu du 18ème siècle, le princes-évêque décida de quitter la forteresse de Marienberg trop humide, trop inconfortable et de se faire construire un palais plus au goût du jour ; ainsi naquit la Residenz. En 1774, après 25 années de travaux, l’oeuvre était achevée et il ne restait plus qu’à faire appel à Tiepolo pour décorer la modeste demeure. Ah qu’il était bon d’être à la fois prince et évêque. Le cumul des pouvoirs et des revenus, quel rêve !
Mais Würzburg c’est aussi la ville où l’empereur Fréderique Barberousse épousa en 1156 Béatrice de Bourgogne âgée de 12 ans. C’est d’ailleurs ce même Frédérique qui inventa le statut de prince-évêque. Et c’est toujours à Würzburg que Röntgen inventa les rayons X.
Mais au milieu de cette reconstruction ratée où se mêlent des réhabilitations malhabiles de bâtiments anciens et des constructions du plus pur exemple de l’abominable architecture des années 1950-1970 émergent comme des témoins incontournables la fameuse Residenz, la Kapelle, le château de Marienberg et bien sûr le pont de pierre orné de somptueuses statues baroques des cumulars. Face au pont à la terrasse de la vieille taverne, en sirotant un bon cru de Bacchus, on se laisse porter par les siècles d’histoire.

Marienberg (Würzburg)

La valse des écluses reprend au milieu des vignobles franconiens et cette fois… sous le soleil. Tels des cormorans, nous étendons nos ailes pour enfin les sécher. Les écluses seront nombreuses et à la sortie de la septième, Troll prend possession d’un petit ponton à l’extérieur de la marina de Wipfeld dont le bateau amiral doit bien mesurer 7m. C’est la fête au village, la « Fisch Fest » annuelle. Les truites et autres sandres rôtissent au feu de bois, la fanfare sort tout son registre entraînant, le Bacchus coule à flot « Zum Wohl ! ». Quatre mariniers plongés en pleine débauche franconienne. La nuit fut bonne et le sommeil profond.
Un coup de téléphone au « Motor und Segelboot Club Coburg » déclenche comme d’habitude une formidable volonté d’aider, de trouver une solution ; car avec Troll une solution n’est pas toujours simple comme on peut s’en rendre compte. Quand à l’inévitable question « Wie lang ist das Boot ? » on répond « 16 Meter » suit un temps mort dans la réponse mais à chaque fois une solution apparaît. Et Coburg ne fait pas exception. Le comité d’accueil est là, Président et Hafen Meister en tête, assistés de leurs copains qui aident à l’amarrage sans oublier les enfants qui, sur leurs petites annexes passent les amarres au ponton. Ca y est nous sommes amarrés à un ponton qui est 2 fois plus court et 20 fois plus léger que Troll. Si ça souffle cette nuit nous partirons avec le ponton !
Troll est à deux pas de Bamberg et la prochaine étape sera sur le canal Main-Danube. Nous avons tout lu sur ses redoutables écluses jusqu’à 25m de dénivelé, sur les mariniers, cramponnés aux amarres luttant désespérement contre les courant latéraux, sur d’autres aux doigts écrasés entre la coque et la paroi, rien que des textes apocalyptiques. Les membres du club interrogés, très habitués à naviguer sur ce canal, semblent quant à eux très sereins. Et le plus serein est sans aucun doute le Hafen Meister qui, en fin de soirée, après pas mal de bières, explique sa façon de négocier ces écluses, couché dans son cockpit en lançant négligemment les amarres par-dessus son épaule autour des bollards « Ganz einfach ! ». Mais quand il a commencé à raconter sa traversée par force 9 à bord de son petit bateau à moteur de 9m entre Palamos et les Baléares, nous lui avons fait gentiment comprendre que l’heure de se coucher était peut être venue.
Motor und Segelboot Club Coburg
Contrairement à Würzburg, Bamberg, bâtie sur sept collines, fut complètement épargnée par les bombes de la seconde guerre mondiale et la vieille ville se présente telle qu'au moyen âge ou à l’époque baroque. La ville s’articule autour de la rivière Regnitz : d’un côté la ville épiscopale regroupée autour de la cathédrale et de la somptueuse Residenz des princes-évêques - encore eux - et sur l’autre rive la ville bourgeoise qui profite de son statut de ville libre pour se développer. Entre ces deux mondes, la mairie-pont assure une transition symbolique entre les deux communautés. Le long de la rivière s’alignent les anciens moulins entraînant meunerie, forges ou taillage de pierres du Bamberg industrieux du moyen-âge alors que plus loin un saut de quelques siècles nous transporte à l’ère baroque avec le palais Concordia. Flâner le nez en l’air dans Bamberg est un véritable enchantement. Avant de quitter Bamberg le nez redescendra vers des chopes de bière fumée.
Bamberg





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