vendredi 14 décembre 2007

Juillet 2007: le canal Main-Danube


D’un canal liant le bassin Rhénan au bassin du Danube, il y a bien longtemps que les visionnaires du continent européen en rêve. Charlemagne fut le premier à lancer les travaux qui furent arrêtés après quelques kilomètres et beaucoup de sueur. La technologie de l’époque n’était pas suffisante. Etre trop en avance sur son temps ne conduit pas toujours au succès. Il faudra attendre mille ans pour qu’un second projet se concrétise sous l’impulsion de Louis 1er de Bavière. 177 km de long, 16 m de large, 1.5m de profondeur, 100 écluses, neuf ans de travaux. Mais le gabarit trop faible et surtout la redoutable concurrence des tout nouveaux chemins de fer entraîne peu à peu le désintéressement des transporteurs ; les dommages infligés par les alliés à la fin de la seconde guerre mondiale finirent par marquer sa fin. Mais la société du canal survécut à ces avatars et obtint du gouvernement bavarois la concession pour la réalisation de cinq centrales hydro-électriques à condition de réaliser un nouveau canal cette fois de gros gabarit. Et ce n’est qu’en 1960, sous l’impulsion du charismatique Franz Joseph Strauss, qui aimait se nommer lui-même « l’empereur de Bavière » que les travaux commencèrent malgré l’opposition des « verts ».
Après 32 années de travaux le canal fut inauguré en 1992 comme le dernier maillon d’une autoroute fluviale liant les ports de Rotterdam et d’Anvers aux ports de la mer Noire. 171km de Bamberg à Kelheim, 16 écluses dont certaines de 25 m de dénivelés, un ouvrage de génie-civil colossal.
De Mayence à Bamberg les 34 écluses du Main nous avaient élevés de 149 mètres ; cette fois les 16 écluses du canal vont nous élever de 176 m. Ca va barder !
Un petit mot sur ces écluses de conception très différente. Economiser l’eau, l’énergie et le temps était le triple challenge auquel les ingénieurs hydrauliciens furent confrontés lors de la conception. Afin d’économiser l’eau trois bassins sont disposés en terrasse le long de l’écluse. A chaque manœuvre d’écluse, l’eau est soutirée ou renvoyée dans ces bassins. La consommation est ainsi réduite de 60%. Tout se passe par gravité d’où l’économie d’énergie. Et pour accélérer le processus et ainsi faire perdre le moins de temps possible aux navires en transit, les entrées d’eau se font latéralement par d’énormes canaux qui débouchent au fond de l’écluse. Pour un gros navire qui occupe toute la largeur du bassin ce principe ne pose pas de problème mais à bord d’un bateau de plaisance il faut se cramponner pour éviter d’être projeté au milieu du bassin.
Adieu le Main, bonjour le canal


Le temple de Baal
Avec un bon amarrage et un solide bon sens tout devrait bien se passer.
Abreuvé de lectures et de conseils, voilà Troll en route vers sa première écluse du canal, celle de Bamberg. La voilà qui se découvre ouvrant une gueule béante, le temple de Baal des Carthaginois prête à dévorer ses enfants.
La bouche monstrueuse avale un Troll tout tremblant. Le capitaine vise la troisième lignée de bollards, l’amarre est frappée au milieu du bateau et là, découverte, l’entraxe entre les rangées de bollards est de 12m comme celui entre les taquets d’amarrage de Troll ce qui permet un amarrage avant et arrière, idéal pour lutter contre le flot latéral. Cette technique sera retenue avec succès, que les bollards soient flottant ou pas. Lorsque les murs de l’écluse nous dominent de leur 25 m on se sent bien petits au milieu de cette cour entourée d’immeubles de 8 étages. Et puis on s’y fait et bientôt s’installe la routine : Alain virevolte passe et repasse les amarres de bollard en bollard au fil de la montée des eaux, le capitaine donne de temps en temps un petit coup de propulseur d’étrave si nécessaire, les marinières jonglent avec leurs parre-battages flottants. Encore une dizaine d’écluses et notre no de cirque sera au point : « 12 m, 18m ! Mesdames et Messieurs maintenant les Troll vont réaliser le no le plus difficile, un no unique au monde, l’écluse de 25m ! On les applaudit bien fort ! ».

Dans le four
25 mètres plus haut
Les artistes
Après la sixième écluse, la ville de Nürnberg approche et le traditionnel coup de téléphone au Club Nautique ouvre toutes les portes. Comme d’habitude la marina est petite ou plutôt Troll un peu trop grand. Le comité d’accueil est sur les pontons prêt à aider à la manœuvre. Finalement le propriétaire du bateau amiral (12m) accepte gentiment Troll à couple. Nous y resterons deux jours, deux jours consacrés à la visite de la ville. Le capitaine du port, un Astérix moustachu bavarois, se répand en explications pratiques sur le fonctionnement de la marina, les facilités du club, les moyens de transport pour atteindre la ville. En dix minutes nous n’ignorerons plus rien du mode de fonctionnement du bien sympathique « Motor Yacht Club de Nurnberg » au km 65 du canal. Pour le paiement explique-il il suffit de placer la somme dans une enveloppe et de la déposer dans la boite à lettres marquée « Paiement » Quant au tarif comme on n’a pas prévu de rubrique « 16 m » utiliser « 15 m ». Tout un système basé sur la confiance. Une autre époque.
Il n’y a rien à faire, le parti nazi colle aux semelles de Nürnberg. : les grands messes annuelles où le guide suprême haranguait du haut de son immense tribune ses troupes aux milliers d’étendards brandis, ornés de svastikas ; de son arrivée triomphale au petit aéroport de la ville ; mais aussi les abjectes lois raciales de Nürnberg ; du procès enfin des tenants du pouvoir noir. Mais visiter Nürnberg c’est aussi remonter aux sources de l’histoire allemande - et ceci explique cela. Une ville où Martin Benhaim réalisa la première représentation de la terre sous forme de globe (c’était en 1491, un an avant que Christophe ne traverse et à la place du continent américain il n’y que l’océan) ou que le serrurier de génie Peter Henlein inventa la montre de poche, l’œil de Nürnberg, tandis qu’un autre inventait le crayon. C’est aussi la patrie de grands artistes comme Albrecht Dürer.

Nürnberg

Maktplatz et Notre Dame
Tous les jours à midi au sommet de la tour de Notre-Dame, les sept électeurs viennent présenter leurs respects à l’empereur sous les douze coups du carillon. Après le passage du dernier grand électeur c’est le moment d’aller goûter les fameuses saucisses de Nürnberg dans le plus vieux estaminet de la ville le « Goldenes Posthorn ».
En parcourant la ville on ne peut s’empêcher de penser que tous les bâtiments du moyen âge, renaissance ou baroque ont été reconstruits sur les ruines d’une ville rasée par les alliés. Une extraordinaire volonté de perpétuer la mémoire.
Marktplatz
Toutes ces rues ont été reconstruites!
En cherchant des herbes folles
Le Goldenes Posthorn
Ce mélange de culture et du pire crée un curieux sentiment à Nürnberg. Toute une génération d’Allemands, celle qui n’a tout juste pas vécu la sinistre période 1933-1945, ou à la rigueur en tant que très jeune enfant, fut traumatisée par ces évènements et en ressentit une profonde culpabilité. L’exorcisme de la faute est difficile et douloureux. Un musée, implanté au coeur du palais des congrès du parti nazi tente l’exorcisme. Retraçant l’histoire de cette funeste période de façon très didactique, le musée s’adresse avant tout aux jeunes générations qui défilent écouteurs sur les oreilles, de salle en salle, concentrés. Pour eux cette période est devenue un pan de leur histoire, tout simplement ; et c’est très bien ainsi.
Et courageusement Troll reprend son ascension du Jura Franconien. Encore cinq écluses et ce sera le sommet fluvial de l’Europe à 406 m d’altitude. Le dernier monstre, Hipolstein, nous avale, la paroi de la cage d’ascenseur défile, l’équipage est attentif mais décontracté grâce aux bollards flottants qui équipent les dernières écluses.
Trois mètres, deux mètres, un mètre, une fois de plus nos têtes émergent au milieu des sapins et des prairies jurassiennes. Ces bollards flottants, c’est un rêve. On s’amarre au début de l’éclusage. On se désamarre à la fin de l’éclusage. Entre les deux il suffit d’écouter le bollard chanter dans son rail un peu rouillé. Au km 102.5 un monument marque la ligne de partage des eaux qui coulent d’un coté vers le Rhin et de l’autre vers le Danube. Troll est ravi de son exploit et se fait photographier devant le monument. Il ne reste plus qu’un grand schuss de 2500 km jusqu’à la Mer Noire.
Les écluses descendantes c’est la tranquillité absolue : finies les eaux bouillonnantes se ruant dans le bassin. Le bonheur du retraité. Et en plus le soleil est revenu. On avait fini par croire que la normalité bavaroise était faite de grisaille et de pluie.

Le toit fluvial de l'Europe
A un moment, le petit canal de Ludwig vient côtoyer son grand frère, des églises à bulbes au cœur de villages blancs et juste avant d’entamer la vallée de l’Altmühl, le Motor Yacht Club Althmühl, le MYCA, nous tend les bras. C’est la fête annuelle du club et l’endroit est bucolique. Troll s’y sent bien et fait grève le lendemain. En Bavière le mot «fête » se prononce « Bière et cochonnaille ». Les cochons tournent à la broche et la bière coule à flot. A la fin de la soirée, l’équipage parlait couramment le patois bavarois.

Le Myca

Ballade dans la bourgade voisine de Beilngries : maisons à colombages, tours fortifiées, enseignes colorées.
Quelques kilomètres encore et le canal emprunte la vallée de la rivière Altmühl, élargie, aménagée pour accueillir le trafic fluvial.
A la première écluse Troll attend sagement l’arrivée du trafic commercial du jour. Au bout d’une heure deux péniches arrivent et occupent une bonne partie du bassin. L’éclusier nous demande par VHF de prendre à couple le petit bateau de plaisance « Tchi Tchi » qui nous suit depuis Beilngries. L’éclusage se déroule sans problème. Les portes s’ouvrent et, trop pressé voila « Tchi Tchi » qui largue ses amarres dans le sillage d’une péniche en pleine accélération et qui brasse beaucoup d’eau. Comme un fétu de paille le petit bateau est projeté contre la paroi de l’écluse en accrochant au passage l’ancre de Troll qui scalpe sa capote. Le marinier de la péniche, un solide batave, sort de son poste de pilotage et lance une bordée d’injures. Le plaisancier est tétanisé. Et même sans manier la langue d’Erasme, on imagine que le vocabulaire était choisi.
Les longues lignes droites tracées au cordeau du canal artificiel font place à de doux méandres bordés de forêts, de roseaux et de fougères échelonnés le long de pentes ondulantes. Le château de Prünn nous salue au passage. Troll fait le dos rond en passant sous le plus long pont en bois d’Europe, surnommé le Mille Pattes.
Un dernier virage ; le km 171 fait place au km 2411. Troll navigue sur le Danube. à
2411 km de la Mer Noire.
Le mille-pattes
Le chateau de Prünn
L'écluse de Kelheim, la dernière du canal

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